Et revoilà Al-Baghdadi…

On n’avait pas entendu parlé de lui ces dix derniers mois. Ou plutôt si, on  avait à maintes reprises annoncé sa mort, dans des combats ou dans des opérations ciblés en  Syrie. L’enregistrement audio publié ce 28 septembre risque de faire déchanter ceux qui se réjouissaient de l’élimination du chef, le « Khalife » de l’organisation Etat islamique.

Cette dernière a en effet publié sur internet hier jeudi un message d’environ 45 minutes dans lequel le chef du groupe terroriste appelle ses combattants acculés de toutes parts en Syrie et en Irak à «résister» face à leurs ennemis. Depuis près d’un an, il avait pourtant été plusieurs fois donné pour mort. Les États-Unis ont indiqué effectuer des vérifications sur l’enregistrement audio, affirmant toutefois ne pas avoir de raisons de mettre en cause son authenticité. «Les chefs de l’État islamique et ses soldats se sont rendus compte que pour obtenir la grâce de Dieu et la victoire, il faut faire preuve de patience et résister face aux infidèles quelles que soient leurs alliances», a affirmé le chef de Daech. Il s’en prend dans son message aux «nations infidèles et en premier lieu l’Amérique, la Russie et l’Iran» qui mènent avec leurs alliés sur le terrain des offensives séparées contre le groupe ultraradical, lui infligeant une série de revers en Syrie et en Irak .

Cet enregistrement a tous les indices pour montrer qu’il a été effectué lors des dernières semaines, voire plus récemment. Al-Baghdadi y évoque la crise coréenne mais aussi les défaites deses troupes dans les fiefs de l’organisation en Syrie et en Irak.  La dernière manifestation d’Abou Bakr Al-Baghdadi relayée par un média affilié à son groupe remonte à novembre 2016. A la mi-juin, la Russie avait dit l’avoir probablement tué dans un raid fin mai, près de Raqqa. Sans parvenir à en apporter une preuve formelle. Le 1er septembre, un haut responsable militaire américain a affirmé que le chef de l’EI était sans doute encore en vie et qu’il se cachait probablement dans la vallée de l’Euphrate, dans l’est de la Syrie.

Mossoul, les défis de l’après-guerre

Le 4 juillet 2014, Abu Bakr al-Baghdadi, chef de l’État Islamique, s’autoproclamait chef des musulmans depuis la mosquée Al-Nouri de Mossoul, capitale de son califat mondial. Un peu plus de trois ans plus tard, après 252 jours de combats intenses, le lundi 10 juillet, le Premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, annonçait la libération de la ville. Après une longue séquence de terreur et de guerre, la paix est le nouveau défi à relever.

 Les chiffres parlent d’eux-mêmes dans cette guerre. 3 351 132 Irakiens poussés sur les routes du pays par la violence des combats contre l’État Islamique (EI). Rien que pour Mossoul, plus de 800 000 personnes ont fui la ville d’environ 2 millions d’habitants depuis octobre 2016. Plus de 100 000 unités de combat, militaires irakiens, Peshmergas kurdes, membres de milices chiites et chrétiennes, ont lancé l’offensive, soutenues par des milliers d’attaques aériennes de la coalition internationale dirigée par les États-Unis. Plusieurs milliers de bâtiments, parfois centenaires, ont été détruits dans les bombardements et les explosions, faisant de Mossoul, la seconde ville d’Irak, une cité en ruine dont la reconstruction devrait coûter 50 milliards de dollars dans les cinq prochaines années. La ville, enfin libérée de l’étau terroriste, va tenter de panser ses blessures et de se construire dans un avenir plus qu’incertain.

 Gagner la paix Les célébrations de la victoire sur les djihadistes risquent néanmoins d’être éphémères. Même si, comme l’a déclaré le Premier ministre Al-Abadi, les priorités de son gouvernement sont désormais la « stabilité et la reconstruction », des poches résiduelles de djihadistes comme celle de Tal Afar, à 70 km de Mossoul dans la province de Ninive, subsistent et demanderont du temps avant d’être annihilées.

La bataille contre l’EI en Irak n’est en fait pas terminée, les djihadistes contrôlant encore de vastes étendues du pays, notamment Kirkouk, la province riche en pétrole. Mais aussi parce qu’ils ont le temps pour eux et qu’ils attendent de se refinancer et de se réorganiser, pour, au moment idéal, revenir et reprendre le pouvoir, profitant de l’instabilité et des crises. Cette instabilité pourrait bien venir de la gouvernance future de la ville de Mossoul, vu le climat de rivalité qui oppose Chiites et Sunnites, ainsi qu’Arabes et Kurdes, qui souhaitent l’indépendance. Tous appartiennent à différentes fractions sectaires et souhaitent jouer leur partition. Les animosités contenues durant l’alliance de circonstance contre l’ennemi djihadiste pourraient éclater et menacer tout espoir de retour à la paix, constituant un nouveau terreau favorable aux recruteurs de Daesh. Si la guerre est terminée, reste maintenant un autre combat à livrer, tout aussi difficile, celui de la paix.

 

Qui est Abou Bakr al-Baghdadi, le « calife » invisible de l’EI

Le « fantôme », comme l’appelaient ses partisans, a fait sa seule apparition publique connue en juillet 2014, à la mosquée al-Nouri de Mossoul.

Abou Bakr al-Baghdadi, dont la mort a été annoncée mardi par une ONG syrienne, était l’homme le plus recherché au monde. Discret, il avait progressivement gravi les échelons pour devenir l’incontestable chef du groupe Etat islamique (EI) dont le « califat » est aujourd’hui en lambeaux.

Le décès du chef jihadiste de 46 ans a été « confirmée par de hauts responsables de l’EI » présents en Syrie, a indiqué l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), sans être en mesure de dire, quand, comment et où il était mort. Des rumeurs et des informations sur la mort du chef de l’organisation jihadiste la plus redoutée au monde ont régulièrement circulé ces dernières années, mais elles n’avaient jamais été confirmées. En juin, la Russie avait dit avoir probablement tué Abou Bakr al-Baghdadi dans un raid aérien fin mai près de Raqqa en Syrie.

 Le « fantôme », comme l’appelaient ses partisans, a fait sa seule apparition publique connue en juillet 2014, à la mosquée al-Nouri de Mossoul, la deuxième ville d’Irak restée pendant trois ans sous le joug des jihadistes avant d’être reprise lundi par les autorités irakiennes.
La dernière manifestation d’Abou Bakr al-Baghdadi relayée par un média affilié à son groupe, remonte à novembre 2016. Il était alors sorti d’un an de silence pour exhorter, dans un enregistrement sonore, ses hommes à résister jusqu’au martyre à l’assaut des forces irakiennes sur Mossoul.
Le chef de l’EI aurait quitté la deuxième ville d’Irak début 2017, probablement pour la frontière irako-syrienne. Les Etats-Unis offraient 25 millions de dollars pour sa capture.
Passionné de foot
De son vrai nom, Ibrahim Awad al-Badri, Abou Bakr al-Baghdadi était un garçon « introverti, pas très sûr de lui », raconte à l’AFP la journaliste Sofia Amara, auteure d’un documentaire sur son parcours.
Il serait né en 1971 dans une famille pauvre de Samarra, au nord de Bagdad. Il a eu quatre enfants avec sa première femme puis un fils avec sa deuxième femme. L’une d’elles le décrit comme un « père de famille normal ».

Ce passionné de football rêvait d’être avocat, mais ses résultats scolaires insuffisants ne lui ont pas permis de suivre des études de droit. Il a également envisagé de s’engager dans l’armée, mais sa mauvaise vue l’en a empêché. Il a finalement étudié la théologie à Bagdad.
« Il donne l’impression d’un homme qui n’est pas brillant, mais patient et bosseur », explique Sofia Amara. « Il avait une vision en amont assez claire de là où il voulait aller et de l’organisation qu’il voulait créer. C’est un planificateur secret ».

Son passage en 2004 dans la prison irakienne de Bucca s’avérera décisif.
Après avoir créé au moment de l’invasion américaine de 2003 un groupuscule jihadiste sans grand rayonnement, Abou Bakr al-Baghdadi est arrêté en février 2004 et emprisonné à Bucca. Cette immense prison, où se côtoient dignitaires déchus du régime de Saddam Hussein et la nébuleuse jihadiste sunnite, sera surnommée « l’université du jihad ».
Peu à peu, « tout le monde s’est rendu compte que ce type timide, était un fin stratège », explique Sofia Amara.

 

L’islam « religion de guerre »

Libéré en décembre 2004 faute de preuves, il fait allégeance à Abou Moussab al-Zarqaoui, qui dirige un groupe de guérilla sunnite sous tutelle d’el-Qaëda. Homme de confiance d’Abou Omar al-Baghdadi, un des successeurs de Zarqaoui, il prendra la relève à sa mort en 2010 sous le nom d’Abou Bakr al-Baghdadi, en référence à Abou Bakr, premier calife successeur du prophète Mahomet. Il va intégrer dans ses rangs d’ex-officiers baassistes qui vont l’aider à transformer le groupe de guérilla en une redoutable organisation armée.

Profitant de la guerre civile en Syrie, ses combattants s’y installent en 2013, avant une offensive fulgurante en Irak en juin 2014 où ils s’emparent d’un tiers du pays dont Mossoul. Le groupe, rebaptisé Etat islamique, supplante el-Qaëda, et ses succès militaires et sa propagande soigneusement réalisée attirent des milliers de partisans du monde entier.

Dans un enregistrement de mai 2015, Abou Bakr al-Baghdadi exhortait les musulmans soit à rejoindre le « califat », soit à mener la guerre sainte dans leur pays. « L’islam n’a jamais été la religion de la paix », martelait-il. « L’islam est la religion de la guerre ».