Transition : le réveil des partis politiques ?

Longtemps silencieux concernant la Transition, certains partis et regroupements politiques redonnent de la voix. Depuis la fin de la période transitoire, le 26 mars 2024 conformément au décret No2022-003/PT-RM du 6 juin 2022 en fixant la durée à 24 mois, ils montent au créneau pour exiger des autorités la tenue rapide de l’élection présidentielle qui mettra un terme à la Transition. Mais feront-ils le poids face à un pouvoir bien assis et qui semble avoir relégué au second plan un retour à l’ordre constitutionnel ?

Avalanche de réactions au sein de la classe politique. Depuis le 26 mars 2024, date à laquelle était censée prendre fin la Transition, certains partis et regroupements politiques montent au créneau pour exiger le retour à l’ordre constitutionnel.

Dans une déclaration anticipée, le 25 mars, le RPM, après avoir invité les autorités de la Transition au respect des engagements souverainement pris devant la communauté nationale et internationale, appellait à la « mise en place de toute urgence d’un nouveau mécanisme transitionnel pour un retour à l’ordre constitutionnel dans un délai de 6 mois ».

De leur côté, le M5-RFP Malikura et Yelema recommandent en urgence une concertation avec les responsables des forces vives nationales, pour redéfinir le contour et les objectifs et identifier les acteurs d’une nouvelle transition courte. « Le M5-RFP Mali Kura et le parti Yelema « le Changement » sont convaincus qu’après 3 ans et 8 mois de report en report provoqué, la Transition ne saurait aux forceps s’éterniser », ont dénoncé les deux entités dans une déclaration commune le 26 mars.

Dans la même veine, l’Adema-PASJ a lancé le 27 mars 2024 un « appel vibrant » aux autorités de la Transition pour « accélérer le processus devant conduire à la tenue de l’élection présidentielle qui mettra fin à la Transition ». Le parti, dans une  déclaration, estime que le « silence prolongé » des autorités de la Transition sur le chronogramme électoral suite au léger report de la date des élections « ne participe nullement à l’apaisement du climat sociopolitique ni à la consolidation de la cohésion sociale chère à tous les Maliens démocrates et républicains ».

L’Action républicaine pour le Progrès (ARP), pour sa part,  dans un mémorandum en date du 27 mars, appelle à la démission immédiate du gouvernement et à la mise en place d’un Exécutif d’union nationale dans le cadre d’un nouveau dispositif de transition véritablement inclusif. L’Alliance politique dirigée par l’ancien ministre Tiéman Hubert Coulibaly propose également de fixer une « date consensuelle raisonnable » pour l’élection présidentielle qui marquera le retour du Mali dans la normalité institutionnelle.

Actions 

Au-delà de leurs différentes réactions initiales, plusieurs partis et regroupements politiques, ainsi que des organisations de la société civile, ont réitéré leur position dans une déclaration commune le 31 mars 2024. « Nous demandons aux autorités en place, au regard du vide juridique et institutionnel ainsi provoqué, de créer les conditions d’une concertation rapide et inclusive pour la mise en place d’une architecture institutionnelle, à l’effet d’organiser dans les meilleurs délais l’élection présidentielle », indique la déclaration signée de près d’une centaine de partis politiques parmi lesquels, entre autres,  l’Adema-PASJ, le RPM, la Codem, l’ASMA-CFP, les Fare An Ka Wuli, le parti Yelema et l’UDD.

En plus d’attirer l’attention du gouvernement sur la fin de la Transition, conformément à l’article 22 de la loi No2022-001 du 25 février 2022 révisant la Charte de la Transition et au décret No2022-0335/PT-RM du 06 juin 2022 fixant le délai de la Transition à deux ans, ces partis avertissent qu’ils utiliseront « toutes les voies légales et légitimes pour le retour de notre pays à l’ordre constitutionnel normal ».

Le 28 mars dernier déjà, la Référence syndicale des magistrats (REFSYMA) et l’Association malienne des procureurs et poursuivants (AMPP), toutes deux membres de l’Appel du 20 février 2023 pour sauver le Mali, signataire de la déclaration du 31 mars 2024, avaient déposé une requête devant la Cour constitutionnelle. Les deux structures demandent à la juridiction de « constater la vacance de la présidence de la Transition, de prononcer la déchéance de tous les organes de la Transition et d’ordonner l’ouverture d’une nouvelle transition à vocation de rassemblement et réconciliation », incluant toutes les composantes de la Nation, y compris l’armée républicaine, avec comme missions principales assignées l’organisation des élections en vue du retour à l’ordre constitutionnel.

À en croire Alassane Abba, Secrétaire général de la CODEM, tous les partis, regroupements politiques et organisations de la société civile se réuniront dans les prochains jours pour la mise en place du Comité de suivi de la Déclaration commune du 31 mars et pour se mettre d’accord sur les futures actions à mener.

« Sûrement que nous allons mener d’autres actions pour avoir gain de cause, parce que je ne vois pas le gouvernement tout d’un coup accéder à notre demande, compte tenu du fait qu’ils sont aussi dans leur logique. Le Premier ministre l’a dit et on le sent à travers les propos de beaucoup d’entre eux, les élections ne sont pas d’actualité », confie celui qui n’exclut pas par ailleurs parmi des futures actions la désobéissance civile. « C’est la première des choses à laquelle nous pensons », glisse M. Abba.

Bloc d’opposition ?

Depuis le début de la Transition, des plateformes opposées à la gestion des autorités se sont constituées, sans pour autant parvenir à inverser les rapports de force en leur faveur. Que ce soit le Cadre d’échange des partis et regroupements pour un retour à l’ordre constitutionnel, l’Appel du 20 février pour sauver le Mali ou encore, plus récemment, la Synergie d’action pour le Mali, elles peinent toujours à peser  face aux militaires au pouvoir.

Mais pour la première fois, ces trois plateformes, même si la Synergie d’action pour le Mali n’est pas signataire en tant qu’entité mais est représentée par Espérance Jiguiya Kura, se mettent ensemble pour mener des actions communes. Au-delà de la déclaration commune et d’éventuelles futures actions, l’initiative pourrait-elle aboutir à la formation d’un bloc d’opposition à la Transition solide ? Pour le Secrétaire général de la Codem, cela ne semble pas évident.

« Les partis ont signé, mais ils n’ont pas les mêmes positions. Certains ont signé juste parce qu’ils se sont d’accord pour le retour à l’ordre constitutionnel. Mais de là à faire un bloc d’opposition, ce n’est pas aisé. Les partis n’ont pas les mêmes visions. L’opposition suppose qu’il y ait un chef de file et il n’est pas facile de le dégager dans ce contexte », concède Alassane Abba.

Par ailleurs, selon certains observateurs, le succès même des actions communes annoncées des partis, regroupements politiques et organisations de la société civile signataires de la déclaration du 31 mars 2024 n’est pas garanti. « Il sera très difficile pour ces partis de mener des manifestations qui puissent aboutir à quelque chose de probant. Le pouvoir en place semble décidé à ne laisser émerger aucune forme de contestation », glisse un analyste.

« Quand la Synergie d’action pour le Mali a voulu mener ses activités, elles ont été tout simplement interdites pour motif de sécurité par la Délégation spéciale du District de Bamako. Je pense que les autorités vont brandir les mêmes motifs pour interdire également toute manifestation de la nouvelle dynamique des partis et regroupements politiques qui est en train de se mettre en place », prédit-il.

Yaya Sangaré : « Organiser la présidentielle est un impératif »

Alors que les autorités n’ont toujours pas annoncé de nouvelle date pour la présidentielle, les partis politiques s’impatientent. Yaya Sangaré, Secrétaire général de l’ADEMA, répond à nos questions.

De récentes déclarations des autorités de la Transition, notamment le Premier ministre et le ministre de la Refondation, font planer le doute sur la tenue de la présidentielle en 2024. Cela vous inquiète-t-il ?

L’engagement pris par les autorités de la Transition pour fixer la date au 24 février  est souverain. Un engagement pris non seulement en accord avec les acteurs politiques, mais également avec la CEDEAO et la communauté internationale. Un moment donné, pour des raisons techniques avancées par le ministre en charge, un léger report est intervenu. Ces déclarations nouvelles, qui pourrissent l’atmosphère, doivent être analysées avec beaucoup de lucidité. Il faut comprendre que l’organisation de la présidentielle est un impératif pour deux raisons. La première est que les autorités se sont engagées à un retour à l’ordre constitutionnel qui n’est possible que si nous organisons des élections. Cela nous permettra de renouer avec le reste du monde et de freiner les conséquences d’un isolement diplomatique qu’on ne veut pas nommer. Le deuxième impératif est l’engagement. La parole donnée doit être respectée. Si l’on ne devait pas aller aux élections en 2024, cela devrait faire l’objet d’un consensus avec la classe politique et les autres acteurs impliqués. Le gouvernement fixe les dates, mais les élections concernent d’abord la classe politique et ceux qui veulent être candidats. Il ne s’agit pas de nous imposer quoi que ce soit, il s’agit de respecter la parole donnée, de respecter le pays en tant qu’État souverain et de s’engager pour un retour à l’ordre constitutionnel.

Les autorités ont-elles compris cet impératif ? 

Lorsque l’on suit certaines déclarations et que l’on analyse le fait qu’aucun cadre n’est mis en place, nous n’avons aucun élément d’appréciation sur la bonne volonté des autorités d’aller aux élections. Lorsque nous entendons des soutiens de la Transition assurer que les élections ne sont pas une priorité, nous avons peur. Nous nous disons que les uns et les autres reviendront à la raison pour comprendre que la meilleure chance que nous puissions donner au Mali est de faire en sorte que cette transition réussisse. Pour cela, il faut écouter les Maliens, de croire à leur maturité. Penser que le Président qui sera élu ne sera pas aussi patriote est une insulte aux Maliens.

Le SADI est actuellement assigné en justice pour dissolution. Est-ce un message envoyé aux formations politiques ?

C’est au niveau de la justice, difficile donc de se prononcer. Ce n’est pas un bon message, ni pour la liberté d’expression, ni pour les partis politiques. Nous nous sommes battus pour le pluralisme, nous nous sommes battus pour la démocratie, nous devons faire en sorte qu’aux questions politiques il y ait des réponses politiques. Nous ne pouvons accepter que des situations au sein des partis soient judiciarisées. Cela restreint les libertés et crée une épée de Damoclès. Ce n’est pas bon pour un pays qui traverse aujourd’hui une telle crise.

ADEMA – RPM : jusqu’où ira le rapprochement ?

À l’approche des futures échéances électorales, les lignes semblent bouger dans la classe politique. L’Alliance pour la démocratie au Mali – Parti africain pour la solidarité et la justice (ADEMA-PASJ) et le Rassemblement pour le Mali (RPM) ont tenu le 20 novembre dernier une rencontre à l’issue de laquelle les deux formations politiques ont annoncé les couleurs d’un futur cheminement commun.

« Les deux parties ont convenu de mettre en place une commission de travail paritaire pour poursuivre la réflexion sur l’élaboration d’un projet politique commun et formuler des recommandations sur l’ensemble des questions d’intérêt national soulevées », indique le communiqué conjoint ayant sanctionné la rencontre.

Les deux anciens partis présidentiels, qui ont déclaré avoir une convergence de vues sur des questions liées à leurs relations bilatérales, à la situation sociopolitique et sécuritaire du pays et l’internationale, ainsi que d’autres sujets d’intérêt, se sont également engagés à « œuvrer ensemble pour contribuer au renforcement de la sécurité de la gouvernance, à assurer la réussite de la Transition en vue d’un retour apaisé et sécurisé à l’ordre constitutionnel à travers un cadre politique beaucoup plus dynamique ».

Alliance électorale en vue

L’annonce de l’élaboration d’un projet politique commun entre l’ADEMA et le RPM sonne comme le début d’une alliance politique électorale entre les deux partis en vue des échéances électorales à venir.

D’ailleurs, à l’ADEMA, on ne s’en cache, pas d’autant plus que le parti a toujours milité pour la mise en place d’une large coalition soutenant une candidature unique à la prochaine élection présidentielle de fin de la Transition. « Avec le RPM, nous sommes tout à fait dans l’optique d’une alliance politique électorale. La raison d’être des partis politiques est la conquête et l’exercice du pouvoir. Vu le contexte actuel, il faut que nous nous mettions ensemble pour aller à cette conquête, avec un projet commun qu’on pourra offrir au peuple malien », affirme Yaya Sangaré, Secrétaire général de l’ADEMA.

Si l’aboutissement du rapprochement des deux partis à une alliance électorale n’est également pas exclu du côté du RPM, le ton y est beaucoup plus mesuré. « N’allons pas trop vite en besogne », temporise Sékou Niamé Bathily, Chargé de Communication du RPM. « Nous allons laisser le soin aux membres du comité paritaire de se retrouver et de décider ce qui va se passer après et nous verrons bien. Les deux directions vont ensuite donner le ton », glisse-t-il, soulignant que les deux formations politiques ont actuellement une convergence de vues et se dirigent « certainement vers une synergie d’actions ».

À en croire le porte-voix du RPM, le parti, à l’origine, avait décidé de démarcher plusieurs formations politiques suite à l’organisation de son 1er Congrès extraordinaire, comme c’est le cas traditionnellement après un congrès où le parti présente à ses partenaires le renouvellement de sa direction, mais aussi celui des points de convergence entre les différents camps politiques.

« C’était cela d’abord l’objectif pour le RPM, dans un premier temps. Mais, avec l’ADEMA, nous avons une histoire commune et nous partageons suffisamment de choses. C’est pourquoi nous avons jugé d’aller un peu plus en profondeur et de mettre en place un comité paritaire entre les deux partis afin de travailler à préparer l’avenir ensemble, à avoir un projet commun pour diriger les destinées du Mali à nouveau », explique M. Bathily.

Quel poids ?

L’Adema-Pasj a présidé aux destinées du Mali pendant 10 ans, de 1992 à 2002, à travers les deux mandats du Président Alpha Oumar Konaré. Le RPM, de son côté, a été au pouvoir pendant 7 ans, de 2013 à 2020, avec le Président Ibrahim Boubacar Keita. Les deux partis politiques ont également une très grande assise sur toute l’étendue du territoire national et conservent un certain poids sur l’échiquier politique.

Mais une éventuelle candidature unique, soutenue par une alliance politique, dans le contexte actuel, augmenterait-elle leurs chances de reconquérir le pouvoir ? « Je pense que non. Ils ne pourront pas briguer à nouveau la magistrature suprême, du moins pas dans l’immédiat, à l’issue de la présidentielle de fin de transition. Le RPM a considérablement baissé en popularité, d’autant plus qu’aux yeux de nombreux Maliens ce parti est plus ou moins responsable de la mauvaise gestion du Mali ces dix dernières années. L’Adema également est un peu comptable de ce bilan, parce qu’elle a toujours été dans la majorité présidentielle », répond un analyste.

Référendum : entre le « Oui » et le « Non », les jeux sont ouverts

Débutée le 2 juin dernier, la campagne en vue du référendum constitutionnel du 18 juin prochain bat son plein. Venant des partisans du « Oui » ou du « Non », les arguments en faveur ou contre l’adoption du projet de Constitution sur lequel le peuple malien est amené à se prononcer abondent.

Aussitôt ouverte, aussitôt révélatrice du rapport des forces en présence avant la tenue de ce scrutin référendaire, à bien des égards essentiel pour le respect du chronogramme de la Transition.

Ce rapport, qui semble en faveur des partisans du « Oui », n’est pas définitif, selon certains analystes, même si son évolution jusqu’à la fin de la campagne ne saurait être a priori renversante en faveur du « Non ».

Vague blanche

La majorité de la classe politique se positionne pour un « vote massif pour le Oui ». Les appels en ce sens se suivent et se ressemblent. « L’Adema a décidé de mobiliser ses militants et l’ensemble du peuple souverain du Mali pour un vote massif pour le Oui en faveur de la nouvelle Constitution », a déclaré sans ambages son Président, Marimantia Diarra, le 3 juin.

Un choix « démocratique, partagé, réfléchi et assumé », qui résulte d’une « longue consultation populaire des militants à la base et d’une analyse approfondie du contenu  du projet », soutient le numéro un de la Ruche, par ailleurs membre du CNT.

Tout comme l’Adema, l’URD, qui a d’ailleurs toujours affiché son approbation du projet de Constitution, mais aussi le nouveau parti issu de sa branche dissidente, l’EDR, appellent tous deux les Maliens à donner leur quitus au nouveau texte constitutionnel. « J’appelle l’ensemble du peuple malien à faire du 18 juin, jour du vote de la nouvelle Constitution, une grande fête nationale, républicaine et démocratique, en votant massivement Oui pour son adoption », a indiqué le Pr. Salikou Sanogo, lors d’un point de presse tenu le 3 juin.

De son côté, le CNID – Faso Yiriwaton va plus loin. Son Président, Me Moutanga Tall, s’est prêté à un exercice de décorticage du texte du projet de Constitution qui sera soumis au vote. Pour lui, le résultat sera sans appel. Au moins 10 raisons majeures motivent l’option du « Oui » de son parti. À en croire cette figure du mouvement démocratique, la nouvelle Constitution a certes des imperfections, comme toutes les Constitutions du monde, mais elle comporte plusieurs avancées. Le Premier ministre Choguel Kokalla Maiga n’a d’ailleurs pas manqué lui aussi de « booster » la campagne pour le « Oui » lors de célébration du 3ème anniversaire du M5-RFP, le 5 juin dernier.

Résistance rouge

Même si la voie semble dégagée pour les partisans du « Oui » et que ceux du « Non » ne sont pas aussi  visibles qu’eux, les partis et / ou personnalités politiques, ainsi que les organisations de la société civile qui se dressent contre l’adoption de la nouvelle Constitution, n’en défendent pas moins leur choix.

À la télévision nationale le jour de l’ouverture de la campagne, Mohamed Kimbiri, mandataire national du « Non », a avancé quelques raisons. « Non à la laïcité, non à la référence aux valeurs  occidentales et à la notion des droits de l’Homme comme sources référentielles de notre législation », a-t-il déclaré.

« À mon humble avis, la nouvelle Constitution ne répond pas à l’idéal républicain que nous avons défendu lors de notre lutte contre le projet de Constitution du régime précédent », argue de son côté, de façon personnelle  Hamidou Doumbia, Secrétaire politique du parti Yelema.

Ce fervent partisan du « Non », même si son parti ne semble donner aucune consigne, pointe du doigt le fait que le gouvernement ne soit plus responsable que devant le Président et non plus devant le Parlement. « Ce point dénote de la volonté des constituants de créer un monarque républicain à la tête de l’État et non de faire prévaloir un équilibre sain des pouvoirs », fustige-t-il.

Le M5-RFP Mali Kura s’est également vite positionné dans le camp du Non. L’ancien Premier ministre Modibo Sidibé est sans équivoque : « le Comité stratégique du M5-RFP Mali Kura ne soutient pas ce processus et dit Non au projet de nouvelle Constitution ».

Présidentielle 2024 : L’Adema face à l’épineux choix de son candidat

La question de la candidature de l’Alliance pour la démocratie au Mali – Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-Pasj) à la prochaine élection présidentielle suscite déjà des remous internes. Alors que la jeunesse du parti est montée au créneau fin novembre pour demander l’enclenchement du processus du choix du candidat avant février prochain, une Conférence nationale est annoncée pour le 17 décembre 2022.

Les tensions pré-congrès de 2021 au sein de l’Adema ont fini par s’estomper après l’élection de Marimantia Diarra à la tête du parti, en octobre dernier. La prolongation par la suite de la Transition avait également refroidi les remous qui s’annonçaient dans la Ruche entre les différents potentiels candidats à la candidature.

Mais, à moins d’un an et demi de la prochaine élection présidentielle, annoncée comme devant mettre fin à la Transition, la question refait surface. Et c’est la jeunesse du parti qui a donné le ton. Réuni en retraite le 20 novembre 2022, le Bureau national de la jeunesse, « soucieux de l’avenir et de la carrière politique de sa jeunesse et engagé pour la reconquête du pouvoir », a exhorté le Comité exécutif à enclencher le processus de désignation du candidat à l’élection présidentielle de 2024 d’ici le mois de février 2023.

« Le Bureau national de la Jeunesse Adema-Pasj estime que pour assurer une participation pleine, entière et satisfaisante de notre candidat à la prochaine élection présidentielle, il lui faudra un temps de préparation convenable et suffisant », souligne la déclaration des jeunes, qui disent avoir tiré toutes les leçons du « long et laborieux » processus de désignation du candidat du parti à l’élection présidentielle de juillet 2018 et de son « issue regrettable ».

Mais cette sortie du Bureau national de la jeunesse n’est pas du goût de certains membres du Bureau exécutif du parti. « C’était une sortie malencontreuse et contre-productive. Ce n’est pas l’approche indiquée et ils n’ont pas d’habilitation pour le faire », tance Yaya Sangaré, Secrétaire général de l’Adema. « La candidature de l’Adema à la prochaine élection présidentielle est une recommandation forte du 6ème Congrès ordinaire et sa mise en œuvre appartient au Comité exécutif, où les débats se tiennent », recadre l’ancien ministre.

Poser le débat

Le 17 décembre 2022 aura lieu la Conférence nationale de l’Adema. L’occasion non seulement de présenter le rapport d’activités du parti sur les derniers mois mais aussi et surtout de poser le débat sur la stratégie à adopter en vue de la désignation du futur porte-étendard du parti. « Le sujet y sera certainement discuté », confie Yaya Sangaré.

Mais le débat promet d’être long, car si l’option d’une candidature interne au parti convient à certains membres, celle du soutien de l’Adema à la candidature d’une coalition plus large de plusieurs partis et regroupements politiques n’est pas écartée par d’autres.

« L’Adema est un parti de débats. Les gens essayent d’analyser en fonction du terrain. Moi je pense qu’un parti comme le nôtre ne peut pas ne pas avoir un candidat. Mais le contexte peut amener certains à hésiter. Chacun développe ses arguments, mais à la fin nous nous entendons et nous étudions le contexte. S’il est favorable, nous y allons. Dans le cas contraire, nous examinons les autres options », tranche M. Sangaré

À l’interne, selon nos informations, plusieurs intentions de candidature sont déjà recensées mais, la procédure de désignation n’étant pas encore enclenchée, le Comité exécutif a demandé que ces potentiels candidats fassent profil bas pour l’heure et que le parti travaille d’abord à reconstruire son union et sa cohésion.

Comme pour la course à la présidence du parti, l’année dernière, plusieurs membres du Bureau exécutif sont pressentis, à l’instar, entre autres, du Président Marimantia Diarra et de Moustapha Dicko, ancien ministre de l’Éducation nationale sous Alpha Konaré et de l’Enseignement supérieur sous IBK. Les noms de Adama Noumpounon Diarra de la section de Sikasso, de l’ancien ministre du Commerce Abdoul Kader Konaté dit Empé, aujourd’hui PDG de l’Office du Niger, ou encore de Mme Conté Fatoumata Doumbia de la section de la Commune I circulent aussi. Car dans la Ruche l’option d’un candidat « bon teint » est très prisée.

Mali – ADEMA- PASJ : report du congrès

Le congrès de l’ADEMA – PASJ (Alliance pour la démocratie au Mali – Parti africain pour la solidarité et la  justice) qui devait se tenir du 25 au 26 mars a été reporté au mois de mai selon des proches du parti. En cause, le choix du candidat devant porter les couleurs du parti pour la présidentielle prochaine, ainsi que celui du futur président de la formation politique. « Il y a une guerre par rapport au choix du candidat. Il n’y a pas eu d’unanimité autour de la candidature pour l’élection présidentielle. Certains veulent que le candidat vienne de l’ADEMA, c’est-à-dire qu’il soit un militant bon teint. C’est la position des anciens, tels qu’Ali Nouhoum Diallo. Par contre, d’autres sont dans l’option de soutenir un candidat qui a les moyens financiers de gagner la présidentielle. Le nom deSeydou Coulibaly, PDG du bureau d’études CIRA, est largement évoqué. C’est ce choix qui divise un peu les adémistes. L’autre guerre concerne l’instance dirigeante, dont la présidence de l’ADEMA. Comme candidate il y a l’ancienne maire de la Commune I, Mme Conté Fatoumata Doumbia, et il paraît que l’ancien ministre de la Communication, Yaya Sangaré nourrit la même intention. Mais il ne l’a pas fait officiellement savoir », explique une source.

Mali – URD : La perpétuelle quête de la première place

Crée en juin 2003 par des militants dissidents de l’Adema, à la suite des élections de 2002, l’Union pour la République et la Démocratie (URD) anime aux premiers rangs la vie politique malienne depuis près de deux décennies. Retour sur quelques temps forts qui ont jalonné la vie du parti, de sa création au décès de Soumaïla Cissé.

« Le parti (Adema, ndlr) avait choisi Soumaïla Cissé comme candidat. Cela avait été fait dans les règles de l’art. Mais, au moment d’aller aux élections, nous avons vu qu’il y avait des camarades de l’Adema qui ont préféré aller soutenir un autre candidat, majoritairement d’ailleurs au niveau du Bureau exécutif national. Nous avons alors décidé de quitter l’alliance et de créer notre propre parti », explique Mme Coulibaly Kadiatou Samaké, ancienne 4ème Vice-présidente de l’URD.

Le nouveau parti se fixait comme objectif l’émergence d’une société de paix, de liberté, d’égalité, de justice, de travail et de solidarité. Plusieurs autres partis politiques ayant les mêmes objectifs et mus par la même philosophie politique le rejoignent.

Lors des toutes premières  élections auxquelles il participe neuf mois après sa création l’URD arrive en deuxième position lors des communales de 2004, avec 1 636 conseillers communaux élus. Le parti confirme son statut aux élections législatives 3 ans plus tard en 2007 avec 34 députés élus à l’Assemblée nationale.

Deux plus tard, aux élections municipales de 2009, l’URD grimpe à 2 173 conseillers municipaux, mais en 2013, lors des législatives, seuls 17 députés sont élus pour le parti de la Poignée de mains, qui conserve toutefois sa place de 2ème force politique du pays derrière le RPM.

Soumaila Cissé est investi candidat de l’URD en juin 2013 pour la présidentielle, après l’avoir été dans un premier temps pour celle avortée de 2012, suite au coup d’État du 22 mars. Il se hisse au second tour mais est battu par Ibrahim Boubacar Keita, dont il reconnaitra la victoire le 12 août 2013, avant même la proclamation officielle des résultats.

En 2014, au troisième congrès ordinaire du parti, Soumaïla Cissé est élu Président et succède à  Younoussi Touré, qui dirigeait l’URD depuis sa création, en 2003. En 2018, il participe de nouveau à l’élection présidentielle et arrive encore en 2ème position.

L’URD traversera des moments difficiles en 2020, suite à l’enlèvement de son président, retenu en otage pendant plus de six mois par des djihadistes. Libéré le 8 octobre, il décèdera moins de 3 mois après, le 25 décembre 2020.

La période de deuil observée, le parti a repris ses activités politiques en février 2021 pour parachever le combat de son regretté leader.

Grand parti politique : Un mirage ?

Lors du 2ème congrès de l’ASMA – CFP, le 29 décembre, le Président du parti,  Soumeylou Boubeye Maiga, a annoncé sa volonté de fusionner d’ici la fin du second mandat du Président IBK, le RPM, l’URD, l’ASMA – CFP, l’ADEMA et l’UDD pour créer un mouvement politique d’envergure. Des forces politiques toutes  nées de l’ADEMA Pasj, à l’exception de l’Union pour la Démocratie et le Développement (UDD). Mais ce passé commun pour l’avènement de la démocratie suffira-t-il pour que l’aspiration devienne réalité ?

« Puisque nous avons décidé de travailler pour l’ouverture et le rassemblement, nous allons accentuer les actions que nous avons déjà commencées avec d’autres partis pour accélérer la fusion de nos formations. Je n’ai aucun complexe à dire que nous allons tout faire pour qu’avant la fin de ce  mandat (celui du Président Ibrahim Boubacar Keita) l’ADEMA, l’URD, le RPM, l’ASMA – CFP et l’UDD puissent constituer  un seul mouvement politique », a clamé le Premier ministre lors de la cérémonie d’ouverture du deuxième congrès de son parti, le 29 décembre à Bamako.

La déclaration intervient à un moment où le chef de gouvernement sollicite un dialogue avec l’opposition. Un challenge en passe d’être gagné, puisque des responsables de plusieurs partis, de l’opposition comme de la majorité, étaient présents à la clôture de l’évènement. Mais, en même temps, le Président de l’ASMA caresse l’idée  de redessiner la scène politique nationale en fusionnant les partis à l’origine de l’avènement de la démocratie. Des formations dont les plus grandes s’opposent pour le pouvoir.

Le projet séduit pourtant, en attendant qu’il soit développé. « Pour le moment, nous n’avons pas  encore réfléchit à cela  au sein de notre parti. C’est à lui, l’initiateur, de développer la proposition. C’est à partir de là que ceux qu’il a cités pourront donner leur opinion », indique Me Baber Gano, Secrétaire général du Rassemblement pour le Mali (RPM).

Mêmes attentes à l’Union pour la République et la Démocratie (URD), principal parti de l’opposition. « C’est certainement une idée que le Président de l’ASMA nourrit depuis un certain temps. Pour moi, c’est une proposition qui émane de lui et qui n’a pas été encore partagée avec nous. Il peut y avoir d’autres formats.  Je pense qu’il aura l’occasion, peut-être, d’en parler et de mieux la préciser », espère Ibrahima N’Diaye,  Chef du cabinet du Chef de file de l’opposition.

Passé en commun pour l’avenir ?

Les partis cités par Soumeylou Boubeye Maiga, l’UDD mise à part, sont tous issus de l’ADEMA. La plupart des personnalités qui les dirigent ont milité au sein de l’Adema association, dès 1990, contre la dictature du général Moussa Traoré. Érigée en parti politique après sa chute, l’ADEMA porte Alpha Oumar Konaré au pouvoir. Mais, très tôt, des guerres de succession ont fragmenté la grande formation. Presque trois décennies après, les camarades d’hier chérissent toujours leur lutte pour la démocratie, avec le sentiment d’avoir un passé glorieux en commun.

Présent au congrès de l’ASMA, Ibrahima N’Diaye, l’un des acteurs de l’époque le rappelle. « J’ai souligné que nous avons des divergences profondes, mais n’oublions pas quand même qu’à un moment nous avons été ensemble, parce que nous avons écrit l’une des plus belles pages de la démocratie, son instauration et son enracinement. Cela veut dire qu’au-delà des divergences il existera toujours quelque chose à sauvegarder  pour  s’entendre  sur l’essentiel », se souvient-il. Selon lui, « la plupart des gens qui ont participé à l’Adema « originelle » ont toujours gardé en eux le secret désir de reconstituer la grande famille ».

Cependant, tout en saluant la proposition du Premier ministre, il regrette que d’autres partis « réellement démocratiques », comme le PARENA et le CNID-FYT, ne figurent pas parmi ceux qu’il a cités.

Pour Ballan Diakité, analyste politique et chercheur au Centre de recherche d’analyses politiques, économiques et sociales(CRAPES), « un tel rassemblement serait la négation même de ces partis. Les partis politiques sont fondés sur des valeurs et des projets de société, et à partir du moment  où ces personnes ont claqué la porte, il n’y pas lieu de revenir. Mais, s’ils ont des éléments en commun, ceux-ci  peuvent leur servir pour former un ensemble de coalition ou de rassemblement. Mais pas pour une fusion, parce qu’il y a toujours des divergences, politiques ou d’intérêts », précise-t-il.

Pour Ibrahima N’Diaye, entamer le dialogue ne remettra pas en cause ce qu’il a défendu jusqu’alors. Et si le projet se réalisait ? Une nouvelle configuration politique naitrait, en même temps qu’une nouvelle opposition politique. « L’URD est le seul parti capable de tenir tête à la majorité présidentielle. De 2012 à aujourd’hui, elle est dans une tendance de consolidation d’une opposition démocratique », souligne Ballan Diakité.

Pour le moment, même si tout est à envisager, Ibrahima N’Diaye est convaincu «qu’il faudra toujours qu’il y ait une opposition réelle, vigoureuse et forte. Sinon, il n’y a pas de démocratie ».

Pr Ali Nouhoum Diallo : « Si j’avais 16 ou 17 ans aujourd’hui, je prendrai les armes »

Crise dans le Centre du Mali, ruche bourdonnante et situation actuelle du pays.  Fidèle à ses principes et sans langue de bois, l’ancien Président de l’Assemblée nationale, figure tutélaire du mouvement démocratique et de la communauté peule, le Pr Ali Nouhoum Diallo, dit tout.

Quelle analyse faites-vous de la crise qui sévit au Centre du Mali ?

Je me suis toujours posé la question de savoir ce qu’est le Centre du Mali ? À quelles fins a-t-il été inventé ? J’ai pensé que ceux qui nous gèrent aujourd’hui, car notre pays est sous tutelle, veulent probablement que le Mali devienne une République fédérale. Pour cela, il faut des États. Il y a les irrédentistes, qui ont délimité une portion de notre territoire et l’ont appelée Azawad. Cette République fédérale ne saurait être composée que du Mali et de l’Azawad, comme fonctionne le Cameroun, alors il fallait en trouver un troisième. Les concepteurs du Centre inventent donc le Front de libération du Macina. Amadou Kouffa s’est toujours défendu d’en être l’initiateur, car il ne veut pas « libérer » une portion quelconque du pays, il veut que tout le Mali soit une République islamique. C’est une katiba qu’il dirige, rien d’autre. Ceux qui voulaient un troisième État souhaitaient la mobilisation des ressortissants de l’ancien empire peul du Macina, afin qu’eux aussi revendiquent leur Azawad. J’en étais à cette vision théorique quand un jour un chercheur français de International Crisis Group est venu me voir. Il m’a confié que des militaires français, des Saint-cyriens, disaient que le plus grand danger qui menaçait l’Afrique de l’Ouest dans les années à venir était le djihadisme peul. Les Peuls ne peuvent pas nier que les États qu’ils ont construits étaient islamiques. Me fondant sur le peu que je connais de ces États, je prédis pourtant qu’il n’y aura jamais de radicalisation des peuls. Cela m’étonnerait que l’ensemble des Peuls adhère au djihadisme et qu’il réclame un État, car ils sont un peu partout au Mali.

Nous avons aussi reçu, en tant qu’association ADEMA, le chargé de la division politique de la MINUSMA. Nous pensions qu’il voulait nous parler de la crise multidimensionnelle, mais non. Il était là parce qu’à la MINUSMA ils sont convaincus qu’on ne peut la résoudre sans prendre en compte sa « dimension peule ». Nous étions ahuris. Je lui ai répondu qu’il n’était pas à la bonne adresse. Succinctement, il nous dit que les Ifoghas avaient leur mouvement politique, leur groupe armé. Il en est de même des Arabes du MAA, et c’est également pareil pour les Imghads. Ils ont du mal, à la MINUSMA, à croire que les Peuls ne font rien, ou alors ils cachent ce qu’ils font réellement. Il est revenu me voir et j’avais convié des cadres peuls à la rencontre. L’envoyé de la MINUSMA a tenu les mêmes propos. Nous nous sommes concertés, avons rédigé un mémo et ne sommes plus jamais retournés à la MINUSMA. Nous avions compris la gravité des projets qu’on nourrissait pour le Mali, vouloir coûte que coûte que les Peuls aient une armée, un groupe politique. Nous avons jugé nécessaire de rendre compte au gouvernement, avons été reçus par le Premier ministre Modibo Kéita et lui avons notifié par écrit nos craintes. Nous avons également écrit à toutes les institutions du pays en demandant audience. Seuls les Présidents du Conseil économique, social et culturel et de l’Assemblée nationale nous ont reçus. Pour le reste, pas de réponse, silence total. Nous avons pu mesurer la délicatesse de la question.

Beaucoup de Peuls accusent l’État de vouloir les exterminer en ne désarmant pas les Dozos. Partagez-vous ce sentiment ?

Je suis profondément convaincu que si l’État ne joue pas son rôle on ne pourra pas mettre fin à la crise. C’est fort de cela que j’ai interpellé à travers la presse le Président IBK et son Premier ministre Boubèye Maiga afin qu’ils impliquent les forces de défense et de sécurité du pays pour que les massacres intercommunautaires cessent. S’ils ne le font pas, les honnêtes gens vont penser que ce sont eux-mêmes qui initient le phénomène des Dozos pour résoudre la crise du djihadisme au Mali, dont ils ne sont pas les initiateurs mais qu’ils ne peuvent pas maitriser. Dans ce cas, les gens penseront qu’ils ne contrôlent plus rien et nous irons au-devant d’une guerre civile. Quand des Peuls voient des Dozos circuler à moto avec leurs armes alors que cela a été interdit dans toute la cinquième région, quand ils voient le Président de la République, au motif de journées culturelles recevoir les Dozos, et que, par malheur, l’un de ses chargés de mission déclare à la télévision que les Dozos sont une formidable force d’appoint dans la lutte contre les djihadistes, quand vous savez que les Peuls se disent que ce sont eux maintenant que ce mot désigne, vous comprendrez que les Peuls finissent par se dire qu’ils sont abandonnés par leur État.  Ce sont des faits, et quand des faits de ce type s’accumulent, beaucoup se posent des questions sur la politique gouvernementale. Des personnes viennent chez moi à longueur de journée me faire part de leurs inquiétudes et m’assurent que des membres de leur famille se font enlever par des éléments de l’armée. C’est une tragédie qu’un État enlève ses propres fils et demande des rançons pour leur libération. Je me suis mobilisé quand les Arabes et les Kel Tamasheqs étaient stigmatisés. Je ne peux pas avoir fait cela à l’époque et refuser de m’impliquer aujourd’hui parce que cela serait perçu comme du communautarisme. Si je ne le faisais pas, ce serait de la lâcheté. J’ai horreur de voir les faibles de la nation abandonnés à eux-mêmes et les Peuls sont les faibles aujourd’hui. Ils ont refusé d’aller à l’école, refusé l’armée, refusé la police, ils ont suivi leurs bêtes et ils sont devenus des bêtes. Ils en sont réduits à pleurnicher tout le temps, mais ils doivent comprendre qu’ils sont des hommes. C’est mon tempérament. J’ai été élevé à la dure et je ne peux accepter certaines choses. Il arrive qu’on me pose la question de savoir ce que je ferais si j’avais 16 ou 17 ans aujourd’hui ? Je réponds que je prendrai les armes, pour que les Kel Tamasheqs comprennent qu’ils ne peuvent pas seuls manier les armes et qu’ils n’ont pas seuls le monopole de la violence.

La création du mouvement Alliance pour le Salut est-elle la conséquence de l’inaction de l’État ?

J’avoue que je n’en sais rien. Je me suis tout d’abord demandé si ce n’était pas un montage des « services ». Dans la situation grave que nous connaissons aujourd’hui, ceux qui veulent vraiment combattre ne se montrent plus. Puisqu’il y avait Dana Amba Sagou, dont les Peuls demandaient le désarmement, tout d’un coup, des Peuls supposés intelligents déclarent qu’ils ont eux aussi créé une milice. Je n’y crois pas.

On vous disait prêt à négocier avec Kouffa, est-ce toujours le cas ?

Négocier avec Kouffa était une construction laborieusement faite. J’étais en France pour raisons médicales quand j’ai appris par RFI que Kouffa disait qu’il ne parlerait à personne d’autre qu’à moi. J’ai éclaté de rire. Nous ne nous connaissons pas. Puis la Conférence d’entente nationale s’est tenue et, parmi ses quatre conclusions, la dernière dit que l’Accord pour la Paix n’a pas mis fin à la crise. Dès lors, il fallait négocier avec tous ceux qui pouvaient arrêter les effusions de sang des Maliens. Nous sommes habitués à ne pas bavarder pour rien. Quand une conférence se termine sur ces recommandations, il faut les appliquer. Bien que le Président de la République ait déclaré que l’on n’a jamais parlé de négocier avec Iyad ou Kouffa, alors que cela figurait dans les actes de la conférence, dont nous disposons, nous sommes sentis investis d’une mission. Nous sommes allés à Mopti, où des disciples de Kouffa ont pris la parole. L’un d’eux a dit que Kouffa était un homme de vérité. Je lui ai demandé d’aller dire à Kouffa que lui et moi pouvions nous entendre, parce que je déteste les mensonges et que je suis prêt à discuter avec lui. Il est venu me dire qu’il n’avait pas vu que Kouffa lui-même, mais ses proches collaborateurs, et que ceux-ci disaient que Kouffa ne tenait pas à me rencontrer. Si c’était sur le plan doctrinal, que je lui envoie l’imam Mahmoud Dicko ou l’imam Cheick Oumar Dia, car il ne pouvait pas discuter de doctrine avec moi. Si je voulais discuter politique et organisation du pays, il fallait que je m’adresse à Iyad, car c’est lui son chef politique. J’ai demandé au messager de m’apporter des preuves de ses dires. Entretemps, de jeunes gens se disant envoyés par Kouffa sont venus chez moi. Ils m’ont rapporté que Kouffa voulait bien discuter avec moi, mais que même si lui et moi nous mettions d’accord et que je convainquais IBK de la justesse de la discussion, il suffirait que la France dise non pour que cela ne s’appliquera pas. Comme le Président IBK et moi-même sommes des esclaves de la France, de l’Occident, disaient-ils, si nous voulions prouver le contraire il nous fallait mettre la MINUSMA et Barkhane hors du Mali. À ce moment-là, ils pourraient discuter avec moi. Je leur ai rétorqué que même si j’arrivais à convaincre IBK, si Iyad n’était pas d’accord cela ne se ferait pas, car Kouffa était esclave de Iyad, de Belmoktar, de l’Algérie, des Arabes en général et de l’Orient. Ce message lui a été transmis. Un jour ils m’ont appelé pour que je confirme que je leur avais bien envoyé un messager, ainsi que le contenu du message. Je l’ai fait. Plus tard, le même messager est revenu me voir avec une cassette. Dans l’enregistrement Kouffa me traite de mécréant et dit qu’il n’est pas l’esclave des Arabes, juste celui du Prophète Mohamed (PSL). Comme il dit lui-même que toute discussion politique doit être menée avec Iyad, nous avons cessé tout contact. Nous avons envoyé ces éléments de preuve au Procureur en charge de la lutte anti-terroriste et au ministre de la Justice.

Quelle est selon vous la bonne approche pour mettre fin aux affrontements intercommunautaires dans le Centre ?

Le dialogue. Malheureusement, quand les hommes prennent les armes les uns contre les autres, tant que les protagonistes ne prennent pas conscience que la plaie d’autrui n’est pas seulement rouge mais qu’elle fait mal aussi, tant que chacune des parties croit que l’autre la méprise, il est difficile que les gens s’écoutent et se parlent. J’ai souvent dit que le fameux sinankuya malien a dû naitre de situations de conflit. Chacune des parties a dû se dire que s’il elle n’arrêtait pas ce serait l’extermination de part et d’autre, et on a trouvé un compromis.

Nous venons de fêter les trois ans de l’Accord pour la paix. Quel est votre sentiment personnel ?

Je suis toujours obsédé par la nécessité de sauvegarder l’unité nationale et l’intégrité territoriale. J’avais coutume de dire, quand j’étais Président de l’Assemblée nationale, que la rébellion était essentiellement kel tamasheq et arabe et qu’à chaque fois qu’une personne tombait, qu’elle soit blanche ou noire, c’était un Malien de moins, une ressource humaine de moins. Entre ceux qui veulent couper mon pays en deux et ceux qui coupent des bras, je préfère les seconds, car je pourrai les maitriser, les dompter. Mais ceux qui veulent la partition du pays, c’est un problème très difficile à résoudre. Les exemples de la Corée, de l’Érythrée ou encore du Soudan me donnent raison. Lorsque je vois les risques de diviser le Mali en deux, voire davantage, je dis qu’il faut discuter avec tous ceux qui sont responsables du sang malien qui coule. Si nous avons signé l’Accord de Bamako, comme je l’appelle (Accord pour la paix issu du processus d’Alger), mais que le sang continue de couler, c’est soit nous que n’avons pas signé avec les bonnes personnes, soit que ceux avec lesquels nous signé sont bien les bonnes personnes mais elles sont de mauvaise foi. Je dis qu’il faut donc négocier avec Iyad et ses sous-fifres. Le jour où nous maitriserons la situation dans l’Adrar, soit en éliminant Iyad, soit en négociant avec lui, nous le sécuriserons et par là même le problème du Centre sera résolu. Amadou Kouffa n’est rien sans Iyad.

Quelle est la situation du parti ADEMA aujourd’hui ?

Comme depuis sa création, nous sommes dans l’épreuve, ce n’est pas la première fois. Depuis Alpha Oumar Konaré, investi à l’unanimité, toutes les fois où il y a eu des élections nous avons connu des scissions. Nous avons perdu des camarades très solides, tels les fondateurs du MIRIA. L’état de santé du parti n’est pas celui que je souhaite.

Comprenez-vous la décision de Dioncounda de ne pas se présenter alors qu’il faisait l’unanimité au sein du parti ?

Non. L’un de mes traits de caractère est que j’ai toujours de la peine à parler de mes camarades. C’est sûr qu’il a créé un problème et j’ai peur que l’histoire ne retienne qu’il a tenté d’assassiner son parti avant de partir, même si il a fait beaucoup pour l’ADEMA. Je n’ai pas compris sa décision et je ne sais pas si lui-même a réalisé dans quelle situation il mettait la Ruche et même la démocratie malienne. Sans l’ADEMA, la stabilité et la démocratie du pays connaitront des problèmes. Il n’est pas évident que la Ruche suive le mot d’ordre des gestionnaires actuels du parti.

Certains cadres s’étaient désolidarisés de la primaire, affirmant que le jeu était truqué. Le scénario actuel leur donne-t-il raison ?

Nous avons vu venir tous ces évènements. Dès lors que la direction du parti n’a pas appliqué à la lettre les recommandations de la 15ème conférence, on pouvait s’attendre à tout. Comme affronter les militants qui voulaient une candidature interne aurait été extrêmement difficile, les puissants du parti ont louvoyé comme ils ont pu. Ce que je reproche à Kalfa Sanogo, qui est un ami, c’est de ne pas s’être maintenu, sachant que tout ceci n’était fait que pour empêcher une candidature interne. S’il s’était maintenu, immédiatement après le désistement de Dioncounda Traoré nous nous serions mis d’accord pour le proclamer candidat. Il n’est pas exclu, mais personne ne peut dire à l’heure actuelle qu’il est le candidat de l’ADEMA. Moi, Ali Nouhoum, je demanderai à tout le monde de voter Kalfa Sanogo. Dans ma tête, bien qu’il soit indépendant, c’est Kalfa le candidat ADEMA. Pour certains c’est plutôt Dramane Dembélé, mais nous, les fondateurs, pouvons difficilement être derrière Dramane. Nous avons accepté une fois de le faire et nous avons vu où cela nous a conduits, nous n’avons obtenu que 9% en 2013. Je serai derrière Kalfa et, comme il a signé une alliance avec Soumaila Cissé, s’il n’est pas au second tour nous voterons tous Soumaila.

Comment voyez-vous l’avenir de votre parti ?

J’ai grand espoir que ceux qui ont vu fonctionner le parti se disent que c’est l’ADEMA originel qu’il nous faut. Le parti ne sera pas un éternel accompagnateur. Ceux qui tiennent aux idées sociaux-démocrates, au patriotisme, au dévouement, vont se secouer et dire qu’il faut que le parti revive.

Vous disiez que des élections bâclées nous plongeraient dans une crise plus grave que celle nous connaissons aujourd’hui. Avons-nous la capacité de tenir des élections crédibles et transparentes ?

Je suis sceptique. Je ne pense pas que l’on puisse le faire sur toute l’étendue du territoire, et je ne suis pas le seul. Les autorités disent qu’elles le peuvent. La meilleure option est de prendre le pouvoir par les urnes, mais si ce n’est pas le cas, cela ouvre la porte à beaucoup de dérives, y compris un coup d’État. Telle que je vois la classe politique malienne, l’opposition comme la majorité sont dans le schéma « ou je gagne ou je gagne ». Si la communauté internationale, la France, l’Algérie, ne disent pas à ceux qui perturbent l’Adrar de laisser faire les élections, elles n’auront pas lieu. Si, comme je l’entends de plus en plus, les élections se font dans un cercle et qu’on dise que toute la région a voté, par une convention, toutes les parties doivent être d’accord, sinon ce n’est pas faisable. Nous travaillons à éviter une crise, mais il n’est pas sûr que nous réussissions.

Le mot d’ordre de cette présidentielle semble être l’alternance. Partagez-vous cette vision ?

Il est évident que je fais partie de ceux qui ont peur. Il aurait été souhaitable que mon très cher ami IBK imite Nelson Mandela, qui, bien qu’ayant droit à un autre mandat, a décidé de renoncer. Il aurait pu également prendre exemple sur son ami François Hollande. L’honneur du Mali, il l’avait promis. Si je m’en tiens à ce que j’entends, le travail effectué n’a pas fait en sorte que les Maliens se sentent fiers. Il est évident que les patriotes que nous sommes souhaitent l’alternance. Ceci dit, entre notre souhait et les vœux du peuple il y a une différence. Dans le contexte actuel, avec tous ces chroniqueurs qui sont devenus des hommes politiques, avec les religieux et les militaires qui sont politisés, l’atmosphère fait redouter des crises majeures. Et surtout, si d’aventure le camp de la majorité, avec des élections truquées, s’auto proclame élu, j’ai peur. Je ne suis pas sûr que l’opposition accepte de s’incliner pour éviter au Mali la violence.

Comment jugez-vous le bilan du Président IBK ?

L’histoire le jugera.