Alpha Blondy : « Seule une armée de l’Union africaine peut régler le problème du Mali »

De passage à Bamako dans le cadre de la Rentrée Littéraire, l’artiste de renommée mondiale, Alpha Blondy a accordé une interview exclusive au Journal du Mali. Toujours très engagé, portant un discours panafricaniste, le reggae man ivoirien reste fidèle à lui-même et s’exprime sans détour.

Vous reprochez très souvent à nos chefs d’État d’adopter une posture attentiste, que recommandez-vous pour que cela ne soit plus le cas ?

Comment voulez-vous vous faire respecter lorsque vous avez toujours la posture du mendiant ? Surtout que si nous étions de vrais pauvres, j’aurai compris, mais c’est nous qui rendons les autres riches, alors pourquoi en plus devons-nous avoir une attitude de mendiant. Cette posture de mendiant étatique doit s’arrêter. Il faut que nos dirigeants aient de l’épaisseur. Au-delà de cela nous avons un syndrome de Stockholm en Afrique qui fait que les Africains sont les premiers à s’attaquer à toute œuvre africaine. Parce que l’Africain a été déconstruit. Ils ont par exemple mis dans la tête de nos femmes qu’elles seraient belles avec des perruques, des poils de cadavres, ceci fait partie d’une stratégie de déconstruction de l’homme africain. Maintenant il existe un temps pour tout, et ce temps est révolu. Nos frères africains doivent savoir qu’ils sont beaux et intelligents et non bêtes. Dieu a fait de l’Afrique une terre riche, il faut donc à un moment donné que nos chefs aient de l’épaisseur pour les exploiter. Ils ne sont pas parfaits certes, mais aucun président ne l’est. Tous les pays du monde connaissent des problèmes.

Cela devrait être compliqué, vous-même estimez que 90% de nos présidents sont des marionnettes

Mais oui. La main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit. Nos présidents que nous élisons, ce n’est pas à l’Occident de les dicter ce qu’ils doivent faire. C’est à nous qu’ils doivent être redevables et non à eux.

Il faudrait une certaine indépendance pour cela?

Ça viendra. J’aime bien cette nouvelle Afrique. Elle est consciente. Quand tu as écouté les présidents Alpha Condé, Alpha Oumar Konare, Nana Akufo-Addo ou encore Paul Kagamé, tu sens que les choses sont en train de changer. Ils se sont réveillés, et c’est ce que nous voulons, pas des béni oui-oui. Si l’Union africaine n’a pas réagi suite à l’assassinat de l’un de ses membres (Kadhafi), ils peuvent venir assassiner un autre président en toute impunité. L’Union africaine doit se faire respecter.

Le président ghanéen pourrait être un exemple à suivre ?

Je suis en admiration totale devant le président ghanéen. Ce qu’il dit est vrai. Avez-vous déjà vu une télévision africaine aller interviewer un président français. Jamais. Mais la réciprocité n’est pas respectée. Tous les jours pratiquement, ce sont les médias occidentaux qui viennent s’entretenir avec nos présidents, très souvent en les posant des questions très embarrassantes. Tout cela doit s’arrêter. Lorsque des journalistes des médias africains feront des interviews avec les présidents occidentaux, là, le respect va s’installer.

Vous plaidez également pour une force africaine pour régler les conflits du continent

Comment un contient aussi grand est incapable d’avoir une coalition militaire ? La souveraineté se protège et de nos jours, elle se fait militairement. Si tu prends des éléments de l’armée malienne, nigériane, marocaine, ainsi de suite, et que des abeilles attaquent le Nord du Mali,  leur riposte fera que ceux qui vont un jour vouloir attaquer le pays à nouveau réfléchirons par deux fois avant de le faire. Il faut que l’Afrique montre ses muscles. La souveraineté se mérite, elle se protège.

Jugez-vous l’intervention française au Mali salutaire ?

Elle ne l’est pas. Cela ne fait qu’augmenter la redevabilité. Tu me dois, c’est grâce à moi que ton pays existe aujourd’hui. C’est grâce à moi que tu es au pouvoir. Cela ne peut et ne doit plus continuer

Vous êtes sensible à la question des immigrés africains, quel message aimeriez-vous lancer à cette jeunesse malienne ou africaine, à ces candidats au départ ?

On m’a souvent demandé de dire aux jeunes d’arrêter de partir. Tous les jours depuis que nous sommes petits, on nous rabâche que la France est belle. Il a étudié en France, donc il est bien. On préfère Canal à nos chaines africaines. On nous a fait croire depuis tout jeune, que, tout ce qui vient de là-bas est bon. C’est donc tout à fait normal que les jeunes veuillent y aller. Pour nos jeunes, le lavage de cerveaux commence par le cinéma. En Occident, le cinéma africain est appelé cinéma calebasse. De fait, les jeunes préfèrent les films américains ou encore français.

Même l’information, pour en attester sa véracité en Afrique, il faut dire que cela vient de RFI. Et donc si c’est RFI qui le dit, c’est que c’est vrai. C’est la mentalité actuelle. Donc si quelque part les jeunes veulent partir, voyez-vous-même. Et ils ne pourront pas arrêter le flot, 1000 pourraient mourir, que 2000 entrerons. L’Afrique c’est l’enfer et l’Occident c’est le paradis, c’est toujours le discours que l’on nous sert. Dans ce cas, ils peuvent tout essayer, mais ils ne pourront pas les arrêter. C’est le retour de boomerang. Ils ne montrent aucune bonne image de l’Afrique. Si des médias occidentaux viennent à Bamako pour faire un reportage, ce n’est pas les hôtels qu’ils vont montrer, ce n’est pas la beauté du pays, ce qui peut rendre le Malien fier, vous ne verrez rien de tout cela. Ils iront dans un quartier précaire, prendre une personne très frustrée, or des pauvres il y en a dans tous les pays du monde, et c’est à cette personne qu’ils donneront la parole. Pourquoi toujours véhiculer cette image rétrograde de l’Afrique. Pour des reportages en Amérique, ce ne sont pas les tueurs que vous verrez, mais les gratte-ciels, Miami, pourquoi ce n’est pas le cas chez nous?

Il faut un repositionnement de l’Afrique, une reconstruction de l’homme africain afin qu’il commence à s’aimer et non à se renier, lui et sa culture. Donc ni Alpha Blondy, ni Ibrahim Boubacar Keita, ni Alassane Ouattara, ni même Emmanuel Macron ne pourront arrêter cette immigration.

L’Afrique a pourtant beaucoup de potentiels ?

En Occident tout est fait. Ici tout reste à faire. Nous avons besoin de nos cerveaux. Ils disent tous que l’avenir c’est l’Afrique. Vous trouvez normal que nous ayons des Cheick Modibo Diarra, des grands techniciens qui travaillent dans les  structures à l’étranger, et que 60 ans après l’indépendance, nous soyons incapables de fabriquer un vélo. Les plus intelligents sont revenus au pays. Ils se sont rendu compte qu’ils étaient esclaves là-bas, mais un esclave qui est instruit, conscient de son niveau, retourne là où il est utile.

Vous avez été ambassadeur de l’ONU pour la paix en Côte d’Ivoire, qu’est-ce qui selon vous permettrait au Mali d’aller vers une paix véritable ?

Tous les feux ne s’éteignent pas avec de l’eau. Souvent des pare-feu sont nécessaires. Allumer des feux pour bloquer le grand feu. Il faut que l’Union africaine ait sa force, nous n’aurons plus besoin que la France vienne garantir la souveraineté de nos États. Seule une armée de l’UA peut régler le problème du Mali une fois pour toute.  L’État malien seul ne pourra pas, car des mains invisibles s’amuseront à avancer des pions.  L’UA doit absolument, impérativement créer une force d’intervention. Ce n’est pas envoyé 500 soldats qui fera évoluer la situation, mais plutôt 200.000 soldats, et là vous pourrez discuter d’homme à homme. C’est ça la solution.

 

Alpha Blondy : « la lecture est la suite de la parole divine »

La 10e édition de la Rentrée littéraire du Mali battra son plein du 17 au 24 février à Bamako, Djenné et Tombouctou. Parmi les invités de marque,  Alpha Blondy, la star africaine  du reggae. Il a animé le 19 février une conférence de presse  à l’hôtel de l’Amitié sur son émission dénommée ‘’radio livre’’. De sa voix, l’artiste  a magnifié le livre et la lecture  et lance une énième invitation pour une Afrique au rendez-vous.

Un artiste à voix perçante. Ses chansons ont atteint un très large public à travers le monde. Alpha Blondy est un passionné de la littérature. Invité d’honneur de la 10e édition de la rentrée littéraire du Mali, la vedette de scène a partagé avec la presse le lundi 19 février son amour des belles lettres. Animateur d’une émission dénommée  ‘’Radio livre’’  réalisée  par radio Alpha Blondy FM à Abidjan, l’hôte du jour, a témoigné des bienfaits qu’apporte la lecture dans la vision du monde. Débuté en 2015, une année après la création de la Radio, l’émission a eu un écho retentissant au près des auditeurs. Le promoteur explique l’idée qui donna naissance à l’émission. « Lorsque nous avons créé la radio, chacun avait des ambitions, d’abord on ne voulait pas d’une radio strictement musicale.  Je me suis rappelé que j’aimais bien offrir des livres à mes enfants, qui les lisaient et me font ensuite le compte rendu. J’ai dit au directeur de la radio, que je veux lire des livres», se remémore l’animateur de l’émission. L’étincelle est partie de là. D’une durée de 2 heures, Alpha Blondy, de sa voix porteuse s’enrichit et enrichit  ses auditeurs. «D’une pierre je faisais deux coups. Moi-même je découvrais des livres et en même temps je les fais découvrir à mes auditeurs. Par ce que j’ai lis quelque part que si tu veux  cacher un secret  à un noir,  un africain, met le dans un livre », justifie-t-il. Selon lui,  les africains ne lisent que pour avoir la moyenne à l’école alors que la tâche est bien plus grande.

Un bond de plus                                                                                        

RFI séduit, a réalisé un reportage sur son émission, véritable accélérateur pour ce nouveau programme. Dans ce reportage Alpha Blondy a surtout aimé l’expression ‘’ sur Alpha Blondy FM on lit avec les oreilles’’. Un tremplin à l’émission qui touchait déjà  des auditeurs d’horizons divers.  « Tu peux ne pas avoir lu Hampaté Bah ou une ‘’Si longue lettre’’ de Mariama Ba mais quand tu écoutes,  c’est comme si on te lisait », soutient l’animateur. Une inspiration issue de la civilisation africaine de l’oralité où la transmission des connaissances se faisait de bouche à l’oreille. « Un jour j’ai décidé de lire des livres. Il y avait beaucoup d’histoire de terrorisme, les pasteurs parlent de délivrance à l’église. Chacun interprétait  les écrits selon sa compréhension », explique ainsi  Alpha Blondy, le début de son entreprise. « Je lisais  le Coran pendant  le mois de Ramadan  et la Bible pendant les Pâques», explique l’animateurPar ces lectures,  l’artiste confie qu’« on découvre des choses qu’on a pas apprises à l’école, et que la lecture enrichit l’horizon de vision, produit de  l’humilité  et définie le lecteur », se passionne-t-il.  Selon lui « dans chaque livre tu découvres un univers ». Comme un prophète, l’artiste  prêche et avance un rapprochement entre les écrivains et Dieu. « Dieu passe par les écrivains pour véhiculer sa parole », croit-il fermement. Résolu dans sa foi, Alpha Blondy a affirmé que « la lecture est la suite de la parole divine et que Dieu se met en scène à travers les êtres », écartant d’un revers de la main le hasard dans l’ordre des choses.

Cri de cœur

Un homme de sa trempe,  qui dit tout  haut ce qui se murmure tout bas n’a pas passé sous silence la question de l’immigration. Il regrette que la jeunesse préfère aller ailleurs par manque de perspectives. Se mettant tantôt debout tantôt assis, Alpha Blondy s’étonne qu’après plus de 50 ans d’indépendance le continent trébuche encore. «  Il nous faut une révolution technique, technologique », se convainc-t-il, saluant les cerveaux » scientifiques du contient, comme Cheick Modibo Diarra.  Au bord de la révolte, celui qu’on considère comme un « prophète » se calme et  invite la nouvelle génération à changer la manière de penser. «  On a appris à l’homme africain à se détester et à détester chez lui, ce qui a créé le syndrome de Stockholm», rejette-t-il, jugeant le mal de l’Afrique très profond.

Sans pessimisme, Alpha Blondy croit en la jeunesse africaine et la convie à croire en elle-même. « Nous sommes condamnés à réussir, obligés d’être solidaire »,  faisant référence aux douleurs de l’histoire commune,  source « d’énergie qui rapproche les uns des autres».