Ras Bath : « Nous sommes le fruit d’une faillite du politique et de la société civile »

Après sa victoire, avec la Plateforme Anté abana, qui leur a permis d’obtenir du président IBK de « surseoir » au référendum sur la révision constitutionnelle, Ras Bath a déjà enfourché son nouveau cheval de bataille, «Alternance 2018 ». Ce projet ambitionne de changer les mentalités des citoyens et d’en faire des acteurs conscients pour les prochaines échéances électorales. L’activiste a accepté d’expliquer au Journal du Mali, les raisons qui ont provoqué son départ de la Plateforme  et ce nouveau combat qui l’animera jusqu’au prochaines présidentielles.

Pourquoi avoir quitté la Plateforme Anté Abana ?

Nous avons décidé de partir car notre projet « Alternance 2018 » qui a été acté par tous dans la déclaration de l’assemblée qui a suivi le report du projet de révision constitutionnelle du président a été rejeté. Pour nous, la cause de l’alternance et la raison substantielle de notre adhésion à la plateforme. Nous n’avions donc plus de raison de rester car c’était notre raison d’être et d’adhérer à ce mouvement.

Vous étiez un des poids lourds de la Plateforme, comment ont-ils pris votre départ ?

Pas très bien, mais nous avons été sollicité par eux ce mardi pour une rencontre, nous devons parler. Ils disent vouloir nous rencontrer pour échanger sur la question de l’alternance. Les responsables de la Plateforme disent qu’ils ne sont pas d’accord avec notre départ.  Ils disent souscrire à notre projet « Alternance 2018 » à présent car ils pensaient en fait que je serai moi-même candidat ou que j’aurai un candidat pour 2018. J’aurai préféré qu’ils viennent me le demander directement. Nous ne fermons pas la porte à l’échange, à la discussion. La question de l’alternance est centrale pour nous. S’ils sont d’accord pour « Alternance 2018 », je reviendrai dans la Plateforme Anté abana. Nous nous réunissons dans la journée et je dois leur donner ma réponse aujourd’hui.

Comment « Alternance 2018 », ce nouveau combat, va-t-il se traduire concrètement sur le terrain ?

Pour nous, après 20 ans de démocratie et principalement après 4 ans de gestion du régime IBK, nous devons tirer les leçons aussi bien à notre niveau par rapport à la chose publique et aussi sur le comportement de ceux en qui nous avons placé notre confiance en 2013. Nous devons grandir, mûrir, en termes de capacité citoyenne. Cela veut dire changer de mentalité, de perception dans notre rapport avec la politique. Donc, « Alternance 2018 », c’est le changement d’un système, d’une mentalité, il faut une autre façon de penser, une autre façon de faire. 2018, c’est l’année des élections : présidentielles, législatives, régionales, municipales. En démocratie le véritable moment où le peuple peut exercer son pouvoir,  c’est lors des élections. Il retrouve alors son pouvoir de sanctionner, de renouveler, de tout changer. Nous devons maintenant évaluer les politiques actuelles, juger si nous sommes satisfaits, si nous ne le sommes pas et provoquer le changement s’il y a lieu. En général, pour le citoyen lambda,  les élections sont une opportunité de se faire de l’argent. Donc l’alternance, c’est d’abord de changer la perception même de ce moment, c’est d’amener le citoyen à ne plus voir les élections comme l’opportunité de se faire des relations, de l’argent, d’obtenir des biens matériels, mais plus de lui faire comprendre qu’il décide de son avenir. C’est un travail préalable qui consiste à parcourir l’intérieur du pays pour expliquer le sens du vote, le sens de l’élection, le sens de s’impliquer dans le choix d’une politique et des hommes qui la porte. Ensuite les sensibiliser sur le fait que la carte Nina va leur permettre de choisir le bon programme, le bon projet de société. Donc nous commencerons, entre le 1er octobre et le 31 décembre, période de mise à jour du fichier électoral, à sensibiliser ceux qui viennent d’atteindre la majorité pour leur dire de s’inscrire et d’aller voter. Nous voulons renforcer la capacité des citoyens à détecter les bons programmes et les bonnes personnes. Avec « Alternance 2018 », il s’agit d’arriver à un nouveau type de Malien qui perçoit les élections autrement, qui agit autrement, en se plaçant dans l’optique de l’avenir de son pays dans lequel s’inscrit son propre avenir. Il faut que les candidats qui veulent être maires, députés, président, sachent désormais que le Mamadou d’hier n’est pas le Mamadou d’aujourd’hui, qu’ils se rendent compte que le Mali d’hier n’est pas le Mali d’aujourd’hui et que les achats de conscience ne font plus les élections, 

Pourquoi ne pas incarner vous-même cette alternance politique en vous présentant aux élections ?

La construction de la nation requiert deux types de citoyen dans la société, le citoyen qui conduit l’action publique et celui qui contrôle la conduite de l’action publique. Le premier est un politicien, mais il faut aussi des citoyens qui sont là pour veiller afin que le navire ne soit pas dérouté par la volonté d’un seul puissant, sans personne pour le rappeler à l’ordre. Se présenter comme candidat n’est pas notre objectif. Nous sommes dans le contrôle citoyen, dans la formation et la construction citoyenne, pour le moment.

Les Maliens ont l’habitude de voter pour des acteurs politiques bien connus, les caciques des parties politiques qui font parti de ce système et qui joueront, à la prochaine échéance présidentielle, leur va-tout. Face à cela, le changement de système que vous appelez de vos vœux, n’est-il pas un coup d’épée dans l’eau ?

Pas du tout. Vous savez, le pire des hommes hier peut-être le meilleur des hommes aujourd’hui et inversement. Comme vous l’avez dit, l’élection de 2018 ne peut pas se faire sans les caciques, les Soumaila Cissé, Modibo Sidibé, les Zoumana Sacko, ils vont avoir bientôt 70 ans, ils sont incontournables. La question n’est pas trop la personne mais plutôt le peuple que ces candidats vont avoir à diriger, qui constitue la force qui va les conditionner, les obliger à faire avancer le pays. C’est le changement des mentalités qui peut faire changer les choses. Pour nous le travail est a exercer sur le peuple d’abord. Plus le peuple se renforce, plus les dirigeants seront regardants, attentifs et prudents par rapport à la conduite des choses publiques.

Nous comptons aussi demander à la classe politique un audit du processus électoral, il doit être transparent et efficace. Il faut évaluer le processus, en amont, les conditions de dépôt de candidatures, l’inscription sur les fichiers, de l’acheminement des résultats jusqu’au dépouillement. Il ne sert à rien d’éveiller les citoyens si les règles du jeu ne sont pas transparentes et que le processus n’est pas connu à l’avance.

Y’a t-il déjà, pour vous, un homme politique qui pourrait incarner ce renouveau, ce changement ?

Je ne me suis pas penché pour le moment sur une personne, mais nous avons un portrait-robot. La grève des médecins qui a duré 38 jours et qui a fait quasiment 1000 morts dont 400 enfants décédés, nous a donné à réfléchir.  À partir de 2018, nous souhaitons un président, qui s’engagera auprès du peuple, s’il est atteint d’une maladie qui peut être traitée au Mali, qui se soignera dans le pays. Cela aura comme effet, pour les citoyens, en voyant leur président se faire soigner dans un hôpital malien, de les rassurer, de les mettre en confiance par rapport à nos services hospitaliers. Nous avons besoin d’un président qui va avoir à coeur de relancer l’économie, d’utiliser les compétences de son pays, ses hôpitaux, son artisanat. Qui aura à coeur de relancer le tourisme intérieur en montrant l’exemple et en séjournant dans le pays au lieu de partir en vacances à l’étranger. Notre profil de candidat, c’est celui qui va avoir un programme, qui aura des éléments de relance de l’économie, de l’éthique et des codes de bonnes conduite. Un candidat qui appliquera un véritable « Mali d’abord ».

Vous êtes une personnalité influente au Mali, très écoutée et très courtisée aussi par les politiques, comment faites-vous pour rester indépendant ?

Notre indépendance est d’abord idéologique. Nous avons une vision de l’État, une vision de la gestion de la chose publique et des arguments pour défendre cette vision. Nous sommes aussi indépendants financièrement, nous ne sollicitons l’aide de personne, on fonctionne avec les moyens du bord, nous autofinançons toutes nos actions. Pour les meetings à Bamako, jamais je ne sors un franc de ma poche, ceux qui nous invite s’occupe de toute la logistique. Mes déplacements en Europe sont financés par les militants. C’est un investissement dans l’avenir, dans l’idéal et non dans une personne. Ce sont des bases solides qui nous permettent de ne pas céder aux offres des hommes politiques qui essaient de nous amadouer avec des perspectives de projets, des financements, dans le but qu’on vote pour eux.

Vous considérez-vous comme un guide de la jeunesse malienne, comme on peut l’entendre ici ou là ?

Je ne suis pas fan du terme « guide » qui renvoie à une personne dont la parole est sacrée, qu’on ne remet pas en cause, un homme infaillible. Partout où je vais, je me présente comme un porte-parole, je porte une parole qui est décidé ailleurs, avec d’autres. Ce terme est parti de je ne sais où et je me suis retrouvé comme le guide de la révolution, c’est un titre que je ne reconnais pas.

Vous comblez quand même un vide, la jeunesse n’a pas de leader charismatique qui lui montre le chemin, le terme de guide est naturel, dans ce sens.

Nous ne sommes pas les premiers à tenir les discours que nous tenons, mais beaucoup qui ont tenu ces discours et ont mené ces combats ont abandonné au milieu du chemin à la première offre, aux premiers financements. La plupart des leaders sont devenus conseillers dans tel ministère, dans tel ONG ou ont bénéficié d’une bourse pour s’installer à leur propre compte. Celui qui arrive à tenir son discours et à poursuivre les combats, sans prendre de l’argent comme tout le monde s’y attend, les gens vont se dire qu’ils peuvent le suivre, car il est différent des autres,  dans sa constance, son honnêteté, son discours. Le politique et la société civile ont déçu le peuple et perdu leur place dans l’opinion. Il y a plus de 2000 associations au Mali, toutes ces organisations qui ont des budgets colossaux, des moyens juridiques, des moyens relationnels, ils ont fini par établir une sorte d’entente implicite de collaboration avec le politique, une sorte de vase communiquant, qui mène au détournement d’argent destiné à des projets par exemple. Ce qui fait que nous, on arrive sur un terrain vierge où la demande est forte. La population se sent abandonnée, elle n’est pas protégée par l’État. Nous sommes en fait le fruit d’une faillite du politique et de la société civile.