AMO: La réforme comme défibrillateur

Suspendues pendant douze jours dans les officines privées, sur toute l’étendue du territoire national, pour retards de paiements par la CANAM des factures échues, les prestations de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) ont repris le 11 décembre, pour le plus grand bien de ses nombreux bénéficiaires. Mais, puisqu’on en est arrivé à cette situation de crise, il va s’en dire que le mécanisme de fonctionnement de cette assurance, vitale pour nombre de Maliens, est à revoir. Comment fonctionne l’AMO? Quels changements peut-on y apporter pour une meilleure efficacité ?

« Suite à l’Assemblée Générale extraordinaire SYNAPPO / SYNAPHARM du 28 novembre 2019, il a été décidé une suspension du service AMO dans toutes les officines à partir de minuit, jusqu’à nouvel ordre. En clair, pas d’AMO à partir du vendredi 29 novembre 2019 », indiquait la circulaire des deux syndicats des pharmaciens le 28 novembre dernier.

Commençaient alors les tractations au niveau du ministère de la Santé et des affaires sociales pour lever la suspension et permettre la reprise des prestations dans les pharmacies privées.

Mais durant plusieurs jours un véritable dialogue de sourds s’est instauré entre les différentes parties, le ministère, à travers la CANAM, assurant avoir ordonné le paiement de la totalité des factures impayées et les pharmaciens, de leur côté, affirmant n’avoir perçu qu’une infime partie de leur dû.

Le 9 décembre, dans un communiqué, ils réaffirmaient le maintien de la suspension du service AMO dans les officines privées, seulement 38,09% des règlements étant effectifs après compilation des paiements.

24 heures plus tard, après une énième réunion sous la médiation du Président du Conseil national du patronat du Mali, un accord a été trouvé pour la levée de la suspension du service, les parties étant tombés d’accord sur six des sept points du cahier des charges des pharmaciens.

« Le paiement de toutes les factures échues se poursuivra et sera suivi de près par une commission composée du ministère de la Santé et des affaires sociales, du SYNAPHARM, du SYNAPPO, de la CANAM, du CNOP, de l’INPS et de la CMSS », soulignait le communiqué des pharmaciens, décidant « d’observer une période de trêve en levant la suspension jusqu’au 31 décembre 2019 ».

« Pour couvrir les dépenses techniques des OGD (organismes gestionnaires délégués), d’ici au 31 décembre 2019, le traitement d’une requête de dotation technique d’un montant de 3 milliards de FCFA est en cours au niveau de la CANAM dont 2 milliards pour le compte de l’INPS et 1milliard FCFA pour le compte de la CMSS », rassure Mahamane Baby, directeur général de la CANAM.

Afin éviter d’éventuels futurs retard des paiements de prestations,  d’importantes mesures seront entreprises en 2020, assure-t-on à la CANAM.

Il s’agit d’abord de l’octroi aux OGD des dotations de gestions trimestrielles pour le remboursement des prestations de soins.

La tenue régulière des réunions de la Commission paritaire CANAM – officines de pharmacie, en plus de de la gestion des litiges rencontrés, permettra de se pencher sur la possibilité de renégocier le délai contractuel de remboursement des prestations garanties par l’assurance maladie.

Enfin, l’opérationnalisation d’un nouveau système d’information va contribuer efficacement à la lutte contre la fraude et, par ricochet, à la maitrise des dépenses.

Mais, même si la levée de la suspension a permis de soulager les nombreux abonnés au service AMO, cette crise rappelle à suffisance que le mécanisme de fonctionnement de cette assurance reste sujet à beaucoup d’insuffisances et nécessite de profonds changements.

Comment fonctionne l’AMO ?

Instaurée par la loi  N°09-15/ du 26 juin 2009, l’AMO est l’une des réformes les plus importantes du Mali depuis l’indépendance du pays, en 1960.

Le gouvernement, pour répondre aux aspirations légitimes de la population pour un meilleur accès aux soins, s’était alors engagé dans un processus qui a abouti à la mise en place d’un dispositif de couverture du risque maladie au profit des fonctionnaires civils et militaires, des députés,  des travailleurs régis par le Code du travail  en activité ou à la retraite ainsi que de leurs ayant-droits.

C’est la CANAM qui a pour mission la gestion du régime d’Assurance Maladie Obligatoire. À ce titre, elle est chargée de l’encaissement des cotisations, de l’immatriculation des employeurs et des assurés et de la mise à jour des droits des bénéficiaires, ainsi que de l’allocation aux OGD des dotations de gestion couvrant leurs dépenses techniques et de gestion courante.

La CANAM se charge également de la passation des conventions avec les formations de soins et du suivi de leur déroulement, de l’appui aux OGD et du contrôle de leurs activités et du contrôle de la validité des prestations soumises à la prise en charge de l’AMO. Elle s’occupe enfin de l’établissement des statistiques de et de la consolidation des comptes des OGD.

« L’ouverture du droit aux prestations de l’AMO est subordonnée au paiement préalable des cotisations. L’organisme de gestion suspend le service des prestations lorsque ce paiement n’a pas effectivement eu lieu », précise l’article 35 de la loi portant création de l’AMO.

« L’organisme de gestion est tenu de vérifier et contrôler l’admissibilité des personnes assujetties et de valider en permanence l’ouverture et la fermeture du droit aux prestations de l’AMO », stipule  l’article 37.

Quant aux ressources du régime de l’Assurance maladie obligatoire, elles sont constituées entre autres par les cotisations, majorations, astreintes et pénalités de retard dues, les produits financiers, le revenu des placements  et les subventions.

« Le dispositif de l’AMO est tel que les cotisations remontent à la CANAM, qui les redistribue comme dotations techniques aux OGD : l’INPS pour les salariés et la CMSS pour les fonctionnaires.  La part des frais remboursés aux  assurés est de 70% », explique-t-on à la CANAM.

Réforme impérative

« Une réforme du système de l’AMO est aujourd’hui indispensable »,  tranche Dr Brahima Diarra, Secrétaire général du SYNAPHARM. « On ne peut pas dire que lorsqu’un chef de famille est abonné à l’AMO cela prend en charge toute la famille, même ses descendants et ses enfants adoptifs reconnus. Dans ces conditions, un élément de la famille peut consommer deux fois plus que ce que le chef de famille paye à la fin de chaque trimestre. C’est donc une situation à revoir », estime-t-il.

Les difficultés relatives à l’application du  caractère obligatoire  de l’AMO dans les secteurs de la téléphonie, des banques et établissements financiers et  celles relatives à la mise en œuvre de la convention de gestion de délégation dans laquelle, les OGD sont responsables du recouvrement des cotisations et du remboursement des prestataires de soins, constituent également des raisons qui justifient une réforme du mécanisme.

Le Directeur général de la CANAM M. Baby, préconise entre autres mesures  l’établissement de conventions de gestion de délégation ciblées selon l’OGD et le maintien de certaines fonctions vitales par la CANAM, notamment le recouvrement des cotisations, la liquidation des prestations et le paiement des prestataires de soins.

Pour M. Baby, il faut également impérativement une revue du panier de soins et une politique de gestion des risques de l’assurance maladie, ainsi que la régulation de la maitrise médicalisée des dépenses des prestations de l’AMO.

Pour couronner le tout, la tenue d’un audit sur les liquidations des factures, pour une meilleure transparence et maîtrise des dépenses de l’AMO, est capitale, à en croire le ministre de la Santé et des Affaires sociales, Michel Sidibé.

« Aujourd’hui, un audit du processus de la liquidation des factures est plus qu’une nécessité, eu égard à l’escalade des consommations des prestations de l’assurance maladie observées aux niveaux des Organismes Gestionnaires Délégués (CMSS et INPS) », relève-t-il.

« Cet audit va nous permettre de faire un état des lieux de la liquidation, à travers une analyse de la situation, en identifiant les forces et les insuffisances constatées et pour proposer des solutions adaptées », conclut le ministre.

Les pharmaciens d’officines privées suspendent l’assurance AMO

Le service d’assurance maladie obligatoire (AMO) a été suspendu à compter de vendredi 29 novembre dans toutes les pharmacies privées du Mali, annonce un communiqué du syndicat national des pharmaciens du Mali  et du syndicat autonome des pharmaciens d’officines privées. Les pharmaciens exigent le paiement des factures d’ordonnance impayées. Dans un communiqué, le gouvernement a pour sa part exprimé sa surprise face à cette décision malgré son engagement  à rembourser dans un délai de cinq jours tous les arriérés lors des négociations entre les deux parties le mercredi 27 novembre 2019.

Couverture maladie universelle : tous égaux enfin ?

En 2018, le Mali s’apprête à faire un grand pas en matière de santé, avec la mise en place de la Couverture Maladie Universelle (CMU). Ce dispositif permettra aux personnes non assurées par les différentes assurances qui existent déjà de pouvoir bénéficier d’une aide leur permettant un accès aux soins. Objectif : faire en sorte que les Maliens soient tous logés à la même enseigne et bénéficient des mêmes privilèges.

Depuis juin 2009, au Mali, il existe l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO), qui assure la couverture des frais de soins de santé pour les travailleurs du secteur formel, les députés et les retraités, ainsi qu’à leurs familles, au sens nucléaire du terme. Pour les personnes considérées comme étant démunies, le Régime d’Assistance Médicale (RAMED) a été instauré en même temps que l’AMO. Quant aux personnes qui ne correspondaient à aucune des catégories pouvant prétendre à l’un de ces deux régimes, elles se retrouvaient marginalisées dans l’accès aux soins. C’est pour rétablir l’équilibre et l’équité que la Couverture Maladie Universelle (CMU) va entrer en vigueur d’ici 2018, dans le cadre du Régime d’Assurance Maladie Universelle (RAMU). Ankoundio Luc Togo est à la tête du Comité de réflexion de la CMU. Il n’est autre que le Directeur général de la CANAM, l’organisme gestionnaire, qui délègue par la force de la loi certaines de ses prérogatives à d’autres structures étatiques impliquées dans les questions de sécurité sociale.

Un long chemin parcouru 

La Couverture Maladie Universelle est le fruit d’un travail qui a débuté en 2015 et dont le but était la mise en place du RAMU. « Nous allons bientôt introduire l’avant-projet de loi dans le circuit d’approbation du gouvernement. Donc c’est imminent. Courant 2018 nous devrions commencer l’opérationnalisation », dit le modérateur du groupe d’expert de la CMU. Confiant, M. Togo revient sur les dispositifs déjà existants, mais reconnaît un manque de cohésion entre eux. « Au Mali, nous avons l’AMO depuis 2009, pour couvrir les fonctionnaires, députés et retraités aussi que tous leurs ayant-droits. En même temps, nous avons mis en place le RAMED, destiné aux plus vulnérables. Le gouvernement a institué quelques gratuités, par exemple pour les enfants de moins de 5 ans. Il y a donc des systèmes qui se juxtaposent sans forcément avoir de liens entre eux, ce qui fait qu’il y a des disparités ». Idem du côté des mutuelles, où chacune décide de prendre en charge ce qu’elle souhaite sans aucune coordination entre elles, ce qui entraîne « des insuffisances ». Les soins assurés seront les mêmes que pour l’AMO, c’est-à-dire les consultations, les médicaments, les analyses et l’imagerie médicales, les soins médicaux et dentaires, notamment. Avec la Couverture Maladie Universelle, il s’agira d’instaurer une cohérence entre tous les acquis dans le domaine de l’assurance maladie.

Booster les statistiques 

En dépit de cette avancée importante, surtout pour un pays en voie de développement comme le nôtre, les statistiques restent très insuffisantes. Pour une population de plus de 17 millions d’habitants, on ne compte qu’un million d’assurés via l’Assurance Maladie Obligatoire. Les bénéficiaires du Régime d’Assistance Médicale ne représentent qu’à peine 5% du total et il en va de même pour les assurés ayant une mutuelle. A contrario, et c’est une exception, la population rwandaise est couverte à 98 %, depuis 2006. Un exemple à suivre pour le Mali, qui prévoit « que dans un délai de dix ans au maximum cette couverture soit effective pour chaque Malien », espère Ankoundio Luc Togo.

Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) datant de décembre 2013, « 42 % de la population malienne n’a pas accès à une structure de santé dans un rayon de 5 km ». Déplorant l’état des infrastructures, le modérateur du groupe expert de la CMU reste optimiste malgré tout. « Tant qu’il n’y a pas de bon service de santé, et on le souhaite de qualité, pour un système d’assurance, c’est toujours inconfortable. Tant qu’il existe [le système d’assurance, NDLR], nous pensons contribuer à petite échelle à améliorer cette situation », dit M. Togo. Des infrastructures fragiles, donc, et même inactives dans certaines localités du nord, en raison de l’insécurité qui y règne. « La région de Kidal, compte tenu de sa situation particulière, a été contrainte de suspendre les prises en charge par la force des choses. Sinon, en 2010 – 2011, les assurés étaient pris en charge. Aussitôt que la situation se stabilisera, cela reprendra son cours. Par contre, les habitants de Kidal peuvent se faire soigner dans une autre localité ». Toujours selon cette étude de l’OMS, « la situation est particulièrement critique à Kidal, Gao et Tombouctou où respectivement 70 %, 48 % et 45 % des structures ont été soit partiellement soit totalement endommagées ».

Laissés pour compte 

« Aujourd’hui, beaucoup de gens rechignent à aller dans un centre de santé, parce que le coût est trop important pour eux », reconnaît M. Togo. Ces personnes sont souvent des travailleurs du secteur agricole ou informel. Les systèmes d’assurances et de mutuelles de santé, tels que nous les connaissons, actuellement, ne prennent pas en charge ces actifs. La CMU compte remédier à ce manque dans un souci d’équité et de solidarité. « Ils ne sont pas couverts par un système d’assurance, sauf ceux qui vont délibérément adhérer à une mutuelle, mais ils sont peu nombreux », avoue le Directeur général de la CANAM. La CMU leur permettra d’adhérer à une mutuelle qui sera elle-même intégrée au nouveau dispositif. « C’est pour cela que dans toutes les localités les paysans et les travailleurs du secteur informel pourront adhérer à la CMU. Ils passeront par le canal des mutuelles. Il y aura bien sûr le circuit du secteur formel pour s’affilier à la CMU, par l’inscription à l’Institut National de Prévoyance Sociale (INPS) ou à la Caisse Malienne de Sécurité Sociale (CMSS) », détaille M. Togo.

Système D 

Au bord du goudron, non loin du commissariat du 15ème arrondissement, à Baco-Djicoroni ACI, nous avons rencontré Gabriel, vendeur d’hydrocarbures, assis devant ses bidons d’essence et ses entonnoirs, attendant l’arrivée de clients. Pour cet ancien étudiant, faute de mieux, son cousin lui a confié son échoppe afin qu’il puisse gagner sa croûte. Il se retrouve à travailler contre son gré dans un secteur qui ne correspond pas à sa formation et qui de surcroît le prive d’un privilège de soins, mais plus pour très longtemps. « Pour me soigner, je me débrouille par mes propres moyens. Ce n’est pas évident, car cela creuse mon budget », confesse le jeune homme. Il se réjouit de l’arrivée de la Couverture Maladie Universelle. « C’est une bonne nouvelle, parce que cela viendra nous soulager dans notre accès aux soins et pour les dépenses qui y sont liées. Lorsque des initiatives de ce genre sont prises, on ne peut qu’être satisfait », s’exclame-t-il. Se soigner sans être diagnostiqué est un rituel pour Gabriel quand il a besoin de médicaments pour calmer une maladie sans gravité. « Si c’est mineur, j’essaie de me soigner avec les médicaments traditionnels, mais si cela ne fonctionne pas, alors j’ai recours à des centres de santé. Même si je sais que cela va me coûter très cher, je n’ai pas le choix ». Dans sa débrouille, le vendeur parvient néanmoins à se soigner convenablement quand il n’a pas d’autre alternative.

Cette absence d’aide vis-à-vis d’un pan de la population laisse le champ libre à des phénomènes pervers, comme celui des « pharmacies par terre ». Problème de santé publique dans plusieurs pays africains, les pharmacies à la sauvette ont de nombreux adeptes en raison de l’inaccessibilité des médicaments pour de nombreuses personnes sur le continent. Une citation, « la santé est le premier bien de l’homme », sonne le glas des propos de Gabriel, qui retourne aussitôt à ses occupations.

L’AMO, solidarité et équité pour les soins de santé

 

L’Assurance maladie obligatoire (AMO) instituée au Mali depuis 2009, a été fondée sur les principes de la solidarité, de la contribution, de la mutualisation des risques et du tiers payant. Les personnes qui en bénéficient sont couvertes sans discrimination liée à l’âge, au sexe, à la nature de l’activité, à leurs revenus, ou à leurs zones de résidence.

À ses débuts, le programme d’Assurance maladie obligatoire n’a pas été un franc succès, du fait d’un déficit de communication. La réalisation de campagnes de sensibilisation et d’information et des mobilisations sociales autour de la question dans plusieurs secteurs professionnels et sociaux, ont permis de relancer les immatriculations et c’est aujourd’hui quelques centaines de milliers d’adhérents qui sont inscrits à ce régime.

Les fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales, les militaires et les députés, les travailleurs, les titulaires de pension des secteurs publics et privé, les employeurs de ces secteurs, sont assujettis à l’Assurance maladie obligatoire. Les membres de leurs familles peuvent aussi bénéficier de l’AMO.

Elle permet la prise en charge directe des frais de soins curatifs, préventifs et de réhabilitation. Ainsi que les consultations générales ou spécialisées, les médicaments, les analyses de laboratoire et imagerie médicale, soins médicaux, soins dentaires, les hospitalisations simples ou avec intervention chirurgicale sur le territoire national. Une partie des frais de soins de santé est prise en charge directement par l’AMO via la Caisse nationale d’Assurance maladie (CANAM), organisme de gestion, l’autre partie étant à la charge de l’assuré ce qui représente 20 % et 30 % respectivement pour l’hospitalisation et l’ambulatoire.

Le service des prestations est suspendu lorsque le paiement mensuel des cotisations n’a pas eu lieu. Le taux de cotisation représente pour un fonctionnaire 3,06%, et 3,50% pour un employé du privé. Par ces cotisations, l’AMO contribue à l’accès aux soins des populations couvertes et l’accessibilité géographique aux soins de qualité.