Biennale artistique et culturelle : un patrimoine en péril

Grande manifestation de l’art et de la culture datant de 43 ans, la Biennale, dans sa forme initiale, est à l’arrêt depuis l’édition 2010 à Sikasso. Alors que l’organisation de l’édition spéciale de 2017 avait suscité l’espoir de sa relance, elle n’a pas été pérennisée. Faisant craindre la disparation de cet évènement qui regroupait durant 10 jours à Bamako ou dans une capitale régionale les populations du Mali.

À Sévaré, depuis 2012, avec son sourire et sa main levée en guise de salutation, la statue de la Biennale artistique et culturelle attend toujours l’organisation de l’événement qui a nécessité sa construction. Après Bamako (2003), Ségou (2005), Kayes (2008) et Sikasso (2010), le Président Amadou Toumani Touré fondait l’espoir de finir son deuxième mandat avec une Biennale en 2012 dans sa ville natale, Mopti. Tel n’a pas été le cas. « Les évènements politico-sécuritaires de 2012 ont fait que la Biennale qui devait se tenir à Mopti n’a pas pu être organisée », regrette Alamouta Dagnoko, Directeur national de l’Action culturelle, structure chargée de l’organisation de la rencontre.

En 2017, « pour promouvoir le dialogue interculturel et intercommunautaire, la cohésion sociale et l’unité nationale », le ministère de la Culture avait initié une édition spéciale qui, pour diverses raisons (dont des « politico-sécuritaires encore », regrettent les acteurs culturels), n’ont pas permis de mettre en œuvre l’initiative.

Brassage

Alors que le pays est toujours confronté à l’instabilité politique et à la crise sécuritaire, la crainte de voir disparaitre la manifestation culturelle d’envergure nationale qui permettait depuis 1979 de « favoriser le brassage et l’interpénétration des populations et de contribuer à l’émergence d’une culture de paix et de citoyenneté », s’installe.

Elle inquiète d’autant plus que, sur l’aspect contenu artistique, la Biennale était une source d’émulation des savoirs culturels maliens. Elle mettait en compétition l’ensemble des régions du pays et le District de Bamako dans une large gamme de disciplines artistiques et culturelles : danse traditionnelle, orchestre, pièce de théâtre, ballet, ensemble instrumental traditionnel, orchestre moderne, exposition d’œuvres d’art, chœur, solo de chant, etc.

Ces compétitions entre les formations artistiques, les artistes et créateurs des différentes localités du Mali ont permis la création et la promotion de plusieurs orchestres locaux et nationaux : le Kanaga de Mopti, le Super Biton de Ségou, le Diaba de Tombouctou, le Kene Star de Sikasso… En outre, l’initiative a révélé de nombreux artistes maliens qui ont ensuite acquis une renommée internationale, entre autres Ali Farka Touré, Abdoulaye Diabaté, Oumou Sangaré, Babani Koné, Tata Bambo Kouyaté, Haïra Arby ou encore Kandia Kouyaté.

Relance

L’idée de l’événement, elle même, vient, de la Semaine nationale de la jeunesse initiée en 1962 par le Président Modibo Keïta. « Deux ans après l’indépendance, le Président Modibo Keïta, ayant vu l’importance, la nécessité et le rôle du patrimoine culturel national dans la conscientisation, a créé la Semaine nationale de la jeunesse, qui a existé jusqu’en 1968, année où il a été évincé du pouvoir. C’est de l’idée de ces manifestations qu’est née celle de la Biennale, créée par un arrêté en 1979 », raconte M. Dagnoko.

Le Directeur national de l’Action culturelle, pour avoir assisté « deux fois à l’arrêt puis à la relance de la Biennale (de 1968 à 1970 et de 1990 à 2003) », est optimiste quant à une « très prochaine reprise » de l’activité. « Nous sommes dans la perspective que la Biennale sera peut-être organisée en 2023. Je ne saurais le dire aujourd’hui avec exactitude, mais nous sommes dans la posture de faire en sorte que cet évènement, qui est un bien commun, une institution nationale, reprenne le plus tôt possible », assure le Directeur.

Si elle devait se tenir, ajoute-t-il, c’est sera à Mopti qui détient aujourd’hui le témoin de la Biennale. Selon Yacouba Poudiougou, de la Jeunesse régionale de Mopti, « toute la région l’attend avec impatience et ne perd pas espoir ». Tout comme la statue de la Biennale artistique et culturelle de Sévaré qui, malgré 10 ans d’attente, ne perd pas son sourire.

Saccharose buccal agréable : « Slam Shady »

Saccharose buccal agréable, un sobriquet qui a de quoi vous faire sourire. Et pourtant… C’est le nom de scène de Sory Diakité, un jeune slameur malien de 24 ans, qui détonne par ses textes et la puissance par laquelle il les porte. Passionné de lecture et de belle prose, Saccharose, dans un style décapant, caustique, dénonce les tares de la société et entend frapper les consciences afin de les éveiller.  

Il est auteur compositeur et le slam s’est imposé à Saccharose comme une évidence.  Une évidence au travers de laquelle il peut s’exprimer et lancer des piques bien senties. De l’absentéisme dans les bureaux aux mariages qui s’étirent en longueur, Saccharose n’élude rien. « Le slam est une tribune de libre expression où tu t’engages par rapport à un thème qui a marqué ton existence ou qui a marqué l’histoire », déclare-t-il. Détenteur d’une maitrise en droit international public et d’un Certificat d’aptitude professionnelle de l’Institut de formation des maîtres de Bamako, il décide pourtant d’embrasser une carrière de slameur, porté par sa passion pour cet art.

« Le slam est un moyen de défendre les droits humains tout en évoquant les maux de la société et de dénoncer les injustices sociales », affirme-t-il avec passion. Enseignant,  journaliste reporteur d’image, tapissier ou encore menuisier, Diakité s’inspire des expériences que lui ont offertes ses nombreuses casquettes pour « parler et faire parler ».  C’est ce qui fait de lui, à l’en croire, un slameur de référence au Mali. « L’inspiration, elle est partout. Elle est sous nos yeux, dans tout  ce qui existe et tout ce qui, dans notre environnement, peut attirer notre attention d’une manière ou d’une autre », prêche-t-il.

Valeur sûre du slam malien et membre d’une association de jeunes slameurs dénommée Jeuness’Art » et créée en 2014, Diakité écume les scènes de la sous-région  et émerveille par son « franmara », un mélange de français et de bambara. Avec son association, il organise depuis plus de trois ans des ateliers au cours desquels plus de 360 élèves ont déjà été formés au slam.

« En tant que slameur, je suis régulièrement  invité à des activités qui regroupent souvent plusieurs pays. Je me dois d’essayer de partager une partie de mon savoir et de mon vécu », fait-il remarquer.

En parallèle, il anime un concours de slam, « Femme sans flamme », au profit d’ONU femme. Le 7 décembre prochain, ce jeune slameur prendra part à une activité à Abidjan autour des réalités socioéconomiques des différents pays de la sous-région ouest africaine.

Collectionneurs d’art : La passion de la culture

Chaque domaine à ses professionnels et ses passionnés. L’art a les siens : les collectionneurs. Repérer des œuvres et les réunir est un travail de l’esprit et des sens. Dans les ateliers ou galeries des collectionneurs, on trouve des tableaux, sculptures et autres créations de l’imagination qui plaisent à la vue et interpellent sur le monde.

« Moi je collectionne des tableaux de deux genres, figuratif et surréaliste », annonce Me Mamadou Kanda Keita, collectionneur d’art à Bamako. Au pied  de l’escalier qui mène à son bureau, à Hamadallaye ACI, la sculpture d’un homme, légèrement incliné, main sous le menton, « troublé », interpelle les visiteurs.

Dans son étude une large collection des toiles vous accueille. Certaines accrochées, d’autres posées dans un coin ou un autre. Ce dada, Me Kanda l’a depuis une vingtaine d’années, pour son plus grand bonheur. « J’ai fait ce choix pour la beauté des tableaux et l’imaginaire qu’ils dégagent », explique-t-il. Venus d’Europe, d’Asie, d’Afrique et du Mali, ces objets, acquis chèrement, sont tous pleins d’enseignement. Chacun de ces trésors est issu d’un  courant artistique donné. « Les figuratifs, ce sont des images où l’on peut discerner des gens, des sites. Quant aux surréalistes, ce sont des tableaux où l’imagination fait voir ce qui est derrière, ce qu’ils représentent et signifient », détaille-t-il. Assouvir sa passion pour l’art, posséder de beaux objets, développer ses connaissances dans ce domaine apparait au-delà tout comme le motif principal d’un collectionneur. « Je n’ai jamais vendu d’œuvres, c’est un plaisir pour moi d’avoir ces toiles, peut être que mes enfants en vendront », affirme le sexagénaire. « Ces trois facettes de la dame que vous voyez, c’est un Coréen qui les a faites à Sidney. Chacune d’elles exprime des choses, selon qu’elle soit de dos, de face ou de côté. En les regardant, elles peuvent même être érotiques pour certains. Mais moi, c’est la mélancolie qui s’en dégage que je vois. Un tableau va au-delà de sa beauté », affirme Me Kéita. «Ça, c’est une toile naïve figurative qui vient de Hong Kong. Beaucoup de gens, quand ils viennent la voir, l’adorent », ajoute-t-il, comblé par ces trouvailles.

Pour Abdoulaye Konaté, l’un des plus grands peintres du Mali, l’art est relatif et est une passion aussi bien pour les artistes que pour les collectionneurs. « Ce sont des gens qui ont une certaine condition sociale qui collectionnent, qui achètent pour leur patrimoine. Certains revendent des œuvres pour en racheter d’autres », explique celui dont le prestige a depuis longtemps franchi les frontières du Mali.

Mariam Maiga : L’art sans tabous

Elle s’appelle Mariam Ibrahim Maiga. C’est une artiste plasticienne formée au Conservatoire des arts multimédias (CAMM) Balla Fasséké Kouyaté. Toute jeune, elle fut attirée par l’art. Elle a déjà fait deux expositions de ses œuvres et en a une troisième en vue. Nudité, maternité et viol sont les thèmes qu’elle évoque sans tabous.

Habitant à Bamako, mais née à Gao, Mme Traoré Mariam I. Maiga a été captivée par l’art du dessin dès sa tendre enfance. Pas étonnant qu’elle soit sortie du CAMM avec un diplôme supérieur en arts plastiques. Elle n’arrive pas à expliquer comment elle tomba amoureuse de ce métier. « Moi-même, je ne sais pas comment. En deuxième année fondamentale, je dessinais déjà » se souvient-elle. Peut-être que la peur d’être frappée a aiguisé sa plume à dessin. « Je dessinais en classe parce que j’avais peur de me faire frapper par certaines personnes. Ces gens-là ont participé à ma formation », reconnait-elle en souriant. Sa sensibilité aussi a impacté son choix de s’exprimer par la peinture, en adepte de l’acrylique sur toile et du collage. Ses toiles sont peintes en noir, sa couleur de préférence, et rouge. «Je travaille surtout avec le noir. J’ai même essayé de travailler du noir sur le noir, mais je n’arrivais pas à faire voir ce que je voulais faire ». Elle a organisé en 2014 sa première exposition collective dans son atelier, « Tim’ Arts », à Baco Djicoroni Aci. Sa troisième exposition personnelle sera axée sur le viol. Depuis la crise de 2012, elle se souvient encore de ces femmes violées. « Il y avait deux petites filles qui ont été violées, puis évacuées ici. L’une avait douze ans et l’autre neuf. La plus petite n’a pas survécu. Elle est décédée », nous confie Mariam. La jeune artiste envisage de travailler sur tous les viols qui se commettent en silence, « Les viols des crises, les viols dans les familles, sur des petites filles, souvent par leurs oncles ou cousins, que les familles cachent, il faut en parler ».  Avec son mari, elle nourrit un projet de centre culturel, « Shiif’Art » (vestibule de l’art), pour l’exposition et la réception d’artistes du monde entier. Son objectif est de faire connaitre l’art. « C’est moi qui fais vivre l’art, l’art ne me fait pas vivre ». Selon elle, le choix du ministre de la culture doit tenir compte de sa vision. « Il faut être fou pour pouvoir gérer les artistes. Je parle de la vision : un fou voit différemment les choses ».