ATT : deux ans après, le repère tient debout

Deux ans jour pour jours après le décès d’Amadou Toumani Touré, Souleymane Koné, ex-ambassadeur, actuel conseiller à la Primature rend hommage à l’ex-président dans cette contribution.

Deux après sa disparition,  les idées et actions de ATT restent  le repère d’un autre Mali possible dans l’unité et le rassemblement. Du soldat de la démocratie et du Bâtisseur de la nation qu’il a incarné, ATT demeure l’absent le plus présent dans notre vie nationale.

Il est resté un repère dans la lutte pour la souveraineté du Mali. Son refus de l’installation de 500 soldats français sur la base de Tessalit ;  son refus pour la construction d’un observatoire des mouvements par la France à Gao ou Sévaré si les produits ne sont pas partagés par le Mali et son refus de signer l’accord d’admission avec la France attestent éloquemment l’esprit et la capacité de résistance du patriote qu’il fut.

Son soutien déterminé au Col. Kadhafi  qu’il  avait fini par convaincre d’accepter une solution africaine à la crise dans son pays ; son obsession à trouver une solution régionale à la sécurité dans le Sahel, révèlent la lucidité et la dimension panafricaniste de l’homme.

Faut-il  rappeler que le mort-né G5-Sahel  n’a été une pale copie de l’idée de ATT de la nécessité d’une coordination régionale dans la lutte contre l’insécurité dans le Sahel.

Sa vision structurante de l’agriculture comme pilier fondamental du développement, visait à faire du Mali une puissance agricole capable de nourrir l’Afrique de l’Ouest ; les  constructions des routes nationales et secondaires et des ponts comme facteurs  essentiel d’accompagnement du développement économiques et d’intégration nationale témoignent  tout aussi de sa vision pointue  et stratégique de l’avenir de notre pays.

Le Président ATT a érigé  la solidarité nationale en culte avec un engagement jamais égalé dans notre pays : les logements sociaux spontanément baptisés ATTbougou par les populations reconnaissantes ; l’assurance maladie obligatoire, ont fondamentalement restructuré l’univers social de notre pays.

Jamais la culture malienne n’avait été aussi vivante et diversifiées dans ses expressions que sous le Président Amadou Toumani Touré.

Sur le plan politique après la transition démocratique de 1991-1992, ATT  est resté la figure tutélaire de la démocratie malienne. Sa seule présence au sein de l’armée, a  permis malgré les secousses de toutes sortes à la démocratie de fêter ses dix premières années sous la direction d’un pouvoir civil.

Face à une classe politique déchirée, convaincu qu’il n’aura pas la même chance d’avoir une figure protectrice de la démocratie,  il a tiré toutes les leçons dès son retour au pouvoir en 2002, de la décennie 1992-2002 en initiant le concept de consensus politique comme modèle de gestion partagée du pouvoir.

D’ailleurs, au moment où la nécessité de recoudre le Mali s’impose à tous, la revisite du consensus politique en tant que construction politique la plus intelligente et la plus créative que notre pays a connue est un impératif.

Ce modèle alors en construction  était un pari sur la capacité des acteurs dans la  gestion sage et raisonnable des intérêts sociaux divergents, en vue de maintenir la paix civile et le minimum de sécurité qui permette à chacun de s’atteler au développement de sa structure d’origine. Il reposait  sur l’idée selon laquelle le chemin suivi pour trouver une décision est une partie importante de la décision elle-même.

Faire  pour que les gens ordinaires se sentent concernés par le fonctionnement de la démocratie ; que la confiance soit restaurée dans nos institutions et les procédures publiques ; que l’action politique devienne crédible ; que s’élargisse la participation électorale, demeurent encore parmi les défis  dans  l’évolution politique notre pays.

Aussi  le consensus politique présentait-elle  comme une réponse à la démocratie détournée dès sa naissance ; un effort de repenser la politique  dans notre pays ; la construction d’une  nouvelle éthique politique ; une dynamique pour réhabiliter la politique et une démarche pour un renforcement  du contenu social de la démocratie.

Le Président ATT a été un grand leader charismatique et un éclaireur politique, mais il n’a pas été un prophète, même s’il a subi les traitements éprouvés par les  par  tous les prophètes : la méchanceté et les mesquineries de ses contemporains.

A titre d’exemple, en dépit du fait que le consensus politique ait permis  au Mali de survivre à la guerre civile en Côte d’ivoire, pour les détracteurs du modèle, le Mali serait  devenu un  étrange pays démocratique qui, aura  aboli quasiment toute vie politique, puisque les grands partis auparavant opposés et la société civile,  évoluaient ensemble dans un consensus politique.  Cette situation aurait créé une « démocratie apolitique » elle-même devenue  un cercle carré.

Le modèle a été détruit par la France de Nicolas Sarkozy avec l’appui de ses relais nationaux et  au-delà du modèle démocratique, le pays lui-même.

Le soldat de la démocratie a vu ses adversaires détruire l’œuvre de sa vie, son pays qu’il a tant aimé et servi…Mais sa vision et ses réalisations demeurent le repère qu’un autre Mali est possible dans l’unité et le rassemblement.

Depuis son départ du pouvoir, les différentes structures  de légitimité crédibles dans le pays ont été divisées. L’Etat a davantage été désacralisé et dépouillé de son manteau de respect et de considération. Il a perdu sa force, les institutions publiques sont devenues des coquilles vides intellectuellement corrompues, ne maintenant qu’une apparence de légalité.

Le Mali a évolué dans une caricature de démocratie. Cette caricature était  illustrée par l’asservissement du personnel placé à la tête de ces institutions ces dernières années.

S’il y a une certitude, c’est que depuis, le Mali cherche vainement un rassemblement de ses forces vives  pour sortir de la  présente crise.

C’est pourquoi et pour tant d’autres raisons, le président ATT,  est devenu l’absent le plus présent dans nos préoccupations. Il en est ainsi quand ses réalisations sont constamment mises au-devant dans tous les domaines de la vie publique. Depuis 2012, les pouvoirs en exercice  peinent à avoir une identité propre, sans que l’ombre de ATT ne soit plus lisible et plus visible.

Aujourd’hui encore,  la Nature se contente  de nous rappeler le souvenir du bonheur, celui que l’on  n’apprécie que lorsqu’on l’a perdu. Elle s’est chargée de nous  faire  inaugurer des parenthèses douloureuses d’équipes venues conspuer les nombreuses chances que ATT avait ouvertes  et/ou  offertes à  notre pays.

Pour le pays, ATT avait compris qu’il était vain de vouloir  traiter les problèmes d’aujourd’hui avec les solutions d’hier.  C’est pourquoi il avait foi en un Mali fort et capable lorsqu’il se donne la chance d’avancer. Car, au cours de ses siècles d’existence, ce pays a appris que l’on peut trébucher sur une pierre et être capable de gravir une montagne.

Souleymane KONE

Ancien Ambassadeur

solokone189@gmail.com

 

 

 

 

Projet de nouvelle Constitution : le mythe de Sisyphe

Le Mali est régi par la Constitution du 25 février 1992. De son adoption à nos jours, le pays a changé mais la Loi fondamentale n’a pas bougé d’un iota. Afin de réduire ce fossé, plusieurs présidents ont essayé de procéder à une révision de la Constitution, sans succès. Dans sa volonté de refondation, le gouvernement de transition entend se lancer dans cet exercice périlleux. Il compte élaborer et faire adopter un nouveau texte. L’avant-projet de nouvelle Constitution devrait être présenté au mois de juin, selon le calendrier prévisionnel du ministère de la Refondation de l’État.

Près de 30 ans de pratique institutionnelle et démocratique ont révélé que le logiciel Mali est obsolète. La Constitution du 25 février 1992 qui le régit n’est plus en phase avec l’évolution sociopolitique du pays. Deux coups d’État, des crises postélectorales et une crise multidimensionnelle depuis 2012 donnent certaines indications sur l’ampleur des dysfonctionnements. Dans son optique de marche vers la « refondation de l’État », le gouvernement de transition entend procéder à une réforme constitutionnelle. Il ne se contentera pas juste d’une révision constitutionnelle, d’une mise à jour du logiciel, mais bien de l’élaboration et l’adoption d’une nouvelle Constitution.

Énième tentative

Sous la Troisième République, la Constitution du 25 février 1992 a fait l’objet de trois tentatives de révision, toutes abandonnées en cours de chemin. La première tentative émane du Président Alpha Oumar Konaré, en octobre 1999. Après le vote du projet de Constitution, le texte publié au Journal officiel était différent de celui voté par l’Assemblée nationale en plusieurs de ses articles, ce qui l’a rendu anticonstitutionnel. Ce projet de révision a ensuite été abandonné. Puis ce fut le tour du Président Amadou Toumani Touré de s’y atteler, avec la mise en place de la Commission Daba Diawara dont le processus a été stoppé par le coup d’État de mars 2012, avant que son successeur élu, Ibrahim Boubacar Kéïta, ne cède face à l’opposition du mouvement Antè A Bana cinq ans plus tard. Une idée de réforme reprise en 2019 mais qui n’a pas abouti non plus. « Alors, si le gouvernement de transition engage un nouvel effort de réforme, ce sera une énième tentative et j’espère que cette fois nous irons jusqu’au bout. Tout est dans la méthode, j’espère que ceux qui sont à la tête du pays aujourd’hui ont tiré les leçons d’un passé qui n’est pas si lointain », explique Sidi Diawara, membre de la Commission Daba Diawara.

Des difficultés juridiques, politiques et pédagogiques ont empêché d’aller vers les différentes révisions constitutionnelles. « Il faut nuancer le concept d’échec en la matière. Si le projet n’est pas rejeté lors d’un referendum, on ne devrait pas forcement parler d’échec. Ceci dit, il y a plusieurs raisons pour lesquelles les différentes tentatives n’ont pas abouti et parmi ces raisons on peut citer le timing. Je me suis toujours demandé pourquoi le Président ATT avait attendu ses derniers jours pour la tenue d’un referendum constitutionnel. Il aurait pu le faire bien plus tôt, car son approche de consensus lui réussissait bien. Le Président IBK, lors de son élection en 2013, aurait pu remettre sur la table le projet de 2012. L’ensemble de la classe politique était d’accord avec ce que la Commission Daba avait proposé ; aucune opposition au texte de 2012 n’avait été enregistrée. Mais la classe politique est tombée comme dans une sorte d’amnésie et la rébellion conduite par le MNLA et alliés, et ce qui s’en est suivi, a créé un nouveau contexte politique, plus complexe, de sorte que même ce qui était accepté un an plus tôt est devenu soudain opprobre, parce que mentionné dans l’Accord pour la paix et la réconciliation », explique Sidi Diawara.

Les leçons du passé

Afin que le projet d’élaboration d’une nouvelle Constitution soit une réussite, la méthode devrait être pensée et repensée pour éviter les obstacles. Plusieurs estiment que tout est dans l’inclusivité du processus, ainsi que dans la qualité des textes qui en seront issus. « La Commission Daba Diawara et le Comité d’Experts de 2019 avaient une démarche inclusive de débats et même de contestations, ce qui permettait d’élaborer des textes bien équilibrés. La suite a simplement été mal gérée. La démarche de 2017 était quelque peu cavalière, voire aventureuse, avec un texte pas toujours digne d’experts constitutionalistes, en tout cas dans sa version amenée à l’Assemblée Nationale. Le projet de révision doit être expliqué dans une démarche pédagogique, en utilisant nos langues nationales aussi bien que le français. Sinon, toute force politique animée d’une autre intention peut tromper les populations et les amener à des actions contreproductives », poursuit Sidi Diawara.

Pour Mohamed Touré, enseignant-chercheur à la Faculté de droit public de Bamako, le processus enclenché en vue de l’élaboration de la future Constitution n’est pas pour l’heure inclusif. « Les choses sont en train d’être faites en catimini pour un processus qui doit débuter en juin. Nous sommes en avril et jusqu’à présent nous ne sommes au courant de rien, alors que la Constitution c’est le lieu d’expression du contrat social, de la stabilité politique. Il faut amener tout le monde à être d’accord sur un certain nombre de principes. Il faudra aussi prendre garde à cette nouvelle Constitution », explique-t-il.

L’article 118 de la Constitution, qui interdit toute révision si l’intégrité territoriale est menacée, ainsi que la prise en compte de certaines exigences de l’Accord de paix issu du processus d’Alger ont été agités par le mouvement An tè A bana pour contraindre le Président Ibrahim Boubacar Kéïta à surseoir au projet de révision constitutionnelle de 2017. Qu’en sera-t-il cette fois ? « Ceux qui sont opposés à l’Accord pour la paix et la réconciliation et d’autres politiques ont opportunément utilisé les dispositions de l’Accord pour mobiliser une opposition à la réforme, se focalisant par exemple sur la question du Sénat, qui serait créé pour une plus grande représentation des populations du Nord. Je ne discute pas de leurs raisons politiques, mais il s’agit d’un argument fallacieux. Le Sénat figurait déjà dans les propositions de la Commission Daba Diawara et à l’époque il n’y avait ni MNLA, ni CMA, encore moins un Accord », soutient Sidi Diawara.

Quant à l’article 118 de la Constitution,  Mohamed Touré pense qu’il ne tient pas lieu d’argument ici. « Les interdictions qui se trouvent dans l’article 118 de la Constitution ne s’imposent pas quand il s’agit de l’élaboration d’un nouveau texte ».

La carte politique

Conscient que les politiques sont un passage obligé pour l’adoption du futur projet de Constitution, le Premier ministre Moctar Ouane a impliqué ces derniers dans la conduite des réformes politiques et institutionnelles, avec la mise en place d’un Comité d’orientation stratégique. Cependant, d’ores et déjà, certains membres ne sont pas dans l’optique des réformes constitutionnelles, mais plutôt pour l’organisation des élections générales. « La révision constitutionnelle ne peut être engagée sans un referendum. Cela ne peut se faire sans la participation des partis politiques, dirigés par des politiques. Donc le gouvernement de transition a nécessairement besoin de travailler main dans la main avec eux, malgré les tensions existantes », pense le Dr. Mady Ibrahim Kanté, chercheur associé au Timbuktu Institute.

Au niveau de la société civile, on s’implique pour la réussite des prochaines réformes constitutionnelles. L’Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie (AJCAD) a proposé de réviser une dizaine d’articles de la Constitution en vigueur et la Fondation Tiwundi a déjà fait une proposition citoyenne de Constitution au ministère de la Refondation de l’État. Il reste à espérer que le gouvernement tirera les leçons du passé pour aller jusqu’au bout de la réforme, cette fois-ci avec la bonne formule.

ATT : Le Mali dont il rêvait

« Un acteur majeur de la démocratie », dont « l’empreinte restera forte ». C’est en ces termes que le Président de la transition, Ba Ndaw, a rendu hommage à l’ancien Président Amadou Toumani Touré, décédé ce 10 novembre 2020. Son parcours public, débuté en 1991, aura marqué l’histoire du Mali et connu bien des rebondissements. Si le consensus politique, dont il avait fait sa marque de fabrique, lui a permis de réaliser une « partie de son rêve », il ne lui a pas permis d’aller au bout de son second mandat, écourté à quelques semaines de son échéance en 2012. Mais ATT restera pour beaucoup un patriote, initiateur de grands projets pour le Mali.

Il « a profondément marqué le Mali, par une empreinte physique » dont personne ne nie la réalité. C’est l’image, s’il n’y en avait qu’une seule, que retient M. Seydou Cissouma, proche et ex Directeur de cabinet de l’ancien Président. Son action réformatrice à la tête de l’État, à travers la mise en œuvre d’un ensemble de programmes, restera dans le cœur et dans l’esprit des Maliens, selon lui.

Évoquant lui-même ses réalisations à la tête de l’État, l’ancien Président citait, parmi celles qui l’ont « rendu fier », la mise en place de l’Assurance maladie obligatoire (AMO), qui continue d’inspirer au-delà des frontières maliennes et est un système de protection sociale qui en réjouit plus d’un.

Le « patriote, très accessible, très proche du peuple, qui tenait à la concorde nationale et à la paix en Afrique » est aussi pour M. Zoumana Sacko, son Premier ministre lors de la transition, un grand bâtisseur d’infrastructures socio-économiques. C’est « son souci pour le mieux être du petit peuple » qui est à la base du programme des « logements sociaux, appelés logements économiques, pendant la transition ».

Sa disparition intervient dans un contexte où « il faut plus que jamais un dialogue entre les forces politiques ». Son héritage dans ce sens doit donc servir d’inspiration aux nouvelles générations, ajoute M. Sacko.

Après une transition jugée exemplaire, celle qu’il a menée suite au coup d’État contre Moussa Traoré en 1991, l’homme politique ATT s’investit dans des causes humanitaires, dont l’une des plus symboliques est toujours la lutte contre la dracunculose, plus communément appelée maladie du ver de Guinée. Une « action humanitaire qui a profondément changé la vie de beaucoup de Maliens et d’Africains ». Les réalisations du Président ATT ont été appréciées au-delà des frontières et ses missions de médiation, notamment en Afrique, lui ont valu le titre de Soldat de la paix, dont il n’était pas peu fier.

Mais, pour réaliser ses rêves d’homme d’État, l’ancien soldat finit par endosser le costume politique. S’il n’en a jamais été loin, le monde politique et ses réalités n’ont pas toujours permis au général à la retraite d’avoir « la baraka » et la vision, indispensables pour atteindre les objectifs dont il aurait pu se réjouir.

Pourtant ATT, « a réalisé une bonne partie de son rêve pour le Mali », estime Cissouma. Parce que, même pour « un patriote avec tant de projets et d’ambitions », un ou deux mandats ne suffiraient pas à les mettre en œuvre. Mais, entre 1991 et 1992, où il a balisé le chemin de la démocratie, et entre 2002 et 2012, avec les actions de transformation à Bamako et à l’intérieur du pays, ATT « peut rendre grâce à Dieu pour l’inspiration et la baraka qu’il a eues », car, il en était convaincu, c’est cette double combinaison qui lui a permis d’engranger des résultats satisfaisants.

Les limites du choix politique

S’il a choisi lors de son premier quinquennat le consensus, c’est parce que le second mandat du Président Konaré avait été caractérisé par « une période politique agitée », analyse M. Gaoussou Drabo, journaliste. Son ambition était donc « de réconcilier un personnel politique très divisé et qui avait manifesté des positions antagonistes ». Une option qui a rencontré une adhésion immédiate, favorisant un climat de cohabitation entre d’anciens adversaires politiques et permettant de réaliser un programme avec l’accompagnement des principaux acteurs.

Cependant, l’option politique du Président ATT « avait une faiblesse fondamentale ». « Le consensus n’avait pas été accompagné de discussions préalables », ajoute M. Drabo. Une multitude d’acteurs étaient associés à « l’exercice du pouvoir sans un contrat politique ».

Ce qui ne tardera pas à faire naître des clivages et des ambitions, dans la perspective de la succession du Président ATT, qui en était à son dernier mandat. L’accompagnement des forces politiques ayant été « très défaillant dans les moments difficiles », même la création de son mouvement de soutien, le parti PDES, ne sera pas suffisante pour créer un consensus politique fort pour appuyer son action.

L’homme du compromis devra donc prendre des décisions seul. Une mission délicate pour celui dont le credo était le dialogue. Et, selon certains, c’est un certain laxisme qui empêche l’État d’agir. La crise qui éclate en 2012 aura raison de la capacité de dialogue du Président et le coup d’État qui interviendra moins de 3 mois avant la fin de son mandat sera accueilli avec soulagement par beaucoup.

Pourtant, selon M. Drabo, c’est moins son tempérament, se faire comprendre à travers le dialogue, que l’absence de bases pour le consensus qui est à la base de cette disgrâce.

La réhabilitation

« Ce qu’ATT a fait pour le Mali ressortira encore davantage après sa disparition », assure M. Cissouma. Convaincu que c’est le consensus et la stabilité qui ont permis « d’obtenir toutes ces réalisations ». « Après l’écume des auto-justifications, les choses se sont clarifiées sur le projet funeste ourdi par certains acteurs et dont nous voyons les résultats aujourd’hui », s’emporte t-il. Les facteurs extérieurs, sur lesquels ATT avait attiré l’attention en son temps, sont déterminants dans la crise que nous vivons encore aujourd’hui.

Malgré tout, il n’a eu que de la compassion lors de son départ en exil, « même de la part de ceux qui pouvaient avoir des projets contre lui ». « Un homme en paix avec lui-même, toujours dédié au Mali », insiste Cissouma.

En tout cas, c’est en véritable héros qu’ATT a fait son retour en décembre 2017, après 5 ans d’exil forcé au Sénégal. Si elles n’ont pas été comptées dans son bilan final, « les améliorations du quinquennat positif » n’ont pas été oubliées, relève M. Drabo.

Auteur d’un coup d’État, qui l’a fait accéder au pouvoir, ATT a été renversé lui-même par un coup d’État. Un coup du destin, estime Zoumana Sacko. Dans les pays africains, nul n’est à l’abri et lorsque les difficultés surviennent, « les chefs deviennent des boucs émissaires ». L’ancien Premier ministre veut retenir de l’homme « affable et accessible », dont le talent de négociateur a été apprécié à travers toute l’Afrique, sa disponibilité permanente à trouver les solutions par le dialogue. Dont nous devons explorer les vertus en ces périodes difficiles pour notre pays et le continent.

Le Mali, de bon élève de la démocratie à recordman des coups d’État

Comme en 2012 avec ATT, le régime d’IBK a pris fin par un coup d’État militaire le 18 août 2020, suivi de la démission contrainte du désormais ex Président de la République. Le Mali, en l’espace de huit ans, aura connu deux renversements de pouvoirs démocratiquement établis avant l’échéance constitutionnelle. Deux coups de force militaires qui font régresser la démocratie malienne, jadis citée en Afrique de l’ouest en exemple. Pour certains, ce mal récurrent est la grave conséquence d’une gouvernance largement en deçà des aspirations profondes du peuple malien.

« Je voudrais en ce moment précis, tout en remerciant le peuple malien pour son accompagnement le long de ces longues années, la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment, et avec toutes les conséquences de droit, la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement », a déclaré Ibrahim Boubacar Keita le 19 août 2020, après avoir été arrêté quelques heures plutôt par des militaires à la suite d’une mutinerie.

Ainsi se terminaient des mois de turbulences et de manifestations enclenchées par le M5-RFP pour réclamer la démission du Président de la République. Mais, contre les aspirations des leaders de ce mouvement, et comme en 2012, ce sont les militaires qui ont pris les devants par un coup d’État contre le régime d’IBK, même si, dans la forme, ils ont pu obtenir que le Président de la République sortant annonce lui-même qu’il rendait son tablier.

« Regrettables » mais « compréhensibles »

L’histoire semble se répéter au Mali et, pour certains observateurs, les causes de cette répétition sont légitimes, même si aucun n’applaudit l’interruption anticonstitutionnelle du processus démocratique dans le pays.

Khalid Dembélé, analyste politique au CRAPES, pense que le contexte dans lequel  ATT avait  été déposé en 2012 et celui dans lequel IBK a été contraint à la démission le 19 août ont un point commun : l’incapacité des deux hommes à diriger le pays et à instaurer un système de gouvernance vertueuse.

« En 2020, c’est à la suite de manifestations populaires de citoyens qui semblaient ne pas être d’accord avec le cap fixé par les gouvernants que les militaires ont saisi  l’opportunité de renverser le régime d’IBK », pointe-t-il, avant de souligner que la démocratie est un concept local qui doit d’abord s’adapter aux réalités locales.

« Tant que les gouvernants ne parviendront pas à mettre en place ce genre de système, il va toujours falloir s’attendre à ce que le processus démocratique soit interrompu par des insurrections populaires et bouclé par des coups d’État », regrette M. Dembélé.

Si, pour Bréhima Sidibé, Secrétaire général adjoint des Fare An Ka Wuli, il est fort regrettable que le Mali, qui était « apprécié à travers le monde entier pour sa démocratie », en soit arrivé là aujourd’hui, cela peut toutefois se comprendre.

« Le coup d’État est  désigné comme un crime imprescriptible dans la Constitution de 1992. Mais cela devrait être accompagné de mesures. Il aurait fallu que les hommes politiques, ceux qui ont la lourde responsabilité de conduire les affaires de l’État, le fassent conformément à cette même Constitution et de la façon la plus irréprochable possible. À partir du moment où ce n’est pas le cas, c’est la porte ouverte à toutes les aventures », se désole-t-il.

À l’en croire, dès que ceux qui doivent garantir le respect de la loi sont les premiers à la fouler aux pieds, il est difficile d’échapper à certaines situations. « Nous pouvons avoir les meilleurs textes du monde, s’ils ne sont pas appliqués, ils deviendront pires que de mauvais textes ».

Mauvaise habitude

Le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) mis en place par les militaires pour assurer la continuité de l’État a pris un certain nombre de mesures et assure vouloir asseoir une transition civile, qui aboutira à des élections générales dans des « délais convenables ».

Mais certains analystes craignent toujours que le Mali ne soit pas totalement débarrassé du spectre des coups d’État militaires dans les prochaines années, notamment après l’installation d’un nouveau pouvoir démocratiquement élu.

« Je pense qu’après les prochaines élections, il faut que le Président élu soit à la disposition des Maliens et non d’un clan. Le clientélisme et le clanisme sont aujourd’hui à la base de ce que nous vivons », affirme le politologue Bréhima Mamadou Koné.

« Il faut que l’on s’inscrive désormais dans un système où les gouvernants rendent compte au peuple de ce qui est fait en son nom. Tant que nous n’arriverons pas à asseoir un État de droit respectueux des valeurs démocratiques, nous ne serons pas sortis de l’auberge », prévient-il.

PDES : L’impossible relance ?

Conquérir le pouvoir. C’est l’ambition du Parti pour le développement économique et social (PDES), notamment de son Président, Djibril Tall. Ni son ancrage terrain, très faible, ni quelques dissensions, ni le retour d’ATT, dédié aujourd’hui presque exclusivement à sa fondation, n’entament cette volonté.

Pour son Président, « le parti a largement la capacité, les ressources et le devoir moral de conquérir le pouvoir et de bien l’exercer ». Pourtant, la réalité ne semble pas confirmer cette affirmation. En 2013, après les législatives, le PDES comptait 3 députés à l’Assemblée nationale. Cette année, sur la base des résultats provisoires, engagé dans 12 listes il n’a réussi à obtenir qu’un seul député (à Yanfolila). Pas une contre-performance pour certains, même s’il leur est difficile d’expliquer les résultats obtenus. Conquérir le pouvoir ? Un leurre, pour Bréhima Mamadou Koné, chercheur – doctorant en Sciences politiques, également chercheur à l’Institut de recherche et de promotion des alternatives en développement en Afrique (IRPAD – Afrique). « Un parti politique ne brigue pas la présidence du Mali par tâtonnement et par hasard. Il y a un préalable, une meilleure structuration et une représentativité aux échelles nationale, régionale, locale, communale… Est-ce cas du PDES ? Certainement non », assène-t-il.

D’autant que le parti s’est résolu à ne pas bénéficier d’un soutien de l’ancien chef de l’État, Amadou Toumani Touré, accueilli en grande pompe lors d’un premier retour au Mali en décembre 2017. Preuve qu’il dispose toujours d’une certaine aura auprès des Maliens. « Il est le parrain du parti, sa femme en est la marraine, mais en tant qu’ancien chef de l’État il a un devoir de réserve. Dans les conditions actuelles, nous ne souhaitons pas une quelconque implication d’ATT », assure Tall. L’influence d’ATT ne saurait être une occasion de redynamisation du PDES pour le chercheur Koné. Le « vin était déjà tiré après son départ de Koulouba ».

Fractions et morceaux recollés

En 2018, lors de son congrès, le parti s’était divisé en deux tendances, l’une voulant soutenir la majorité et l’autre l’opposition. Les angles se sont depuis aplanis, avec la signature de l’Accord politique de gouvernance, le 2 mai 2019, ce qui poussa ceux « de l’opposition » à se rallier. Ce qui avait conduit Nouhoum Togo, l’un des premiers militants, aujourd’hui porte-parole du Chef de file de l’opposition, à claquer la porte. Il l’affirme, cette opposition n’existe plus au PDES.

ATT : Un héritage, mille héritiers

Qui sont finalement les vrais héritiers de l’ancien Président de la République Amadou Toumani Touré ? Difficile d’y voir clair tant ceux qui s’en réclament, tout en étant dans des formations politiques différentes, sont nombreux.

Dernier à revendiquer l’héritage, le Rassemblement des compétences pour l’émergence au Mali (RCEM). Présidé par l’ancien Vice-président du PDES Boubacar Salia Daou, il a été officiellement lancé le 23 février. Il entend œuvrer à préserver l’héritage d’ATT. « J’ai des ambitions que je ne peux pas concrétiser au sein d’un parti moribond. La création de ce parti n’est pas synonyme de trahison d’ATT. Mes relations avec lui vont au-delà de la politique », explique celui affirme avoir créé le tout premier club de soutien, à Ségou, à l’ancien chef de l’État. Il motive sa décision de quitter le PDES par les dissensions nées au sein du parti à l’issue du congrès de mai 2018. Deux bureaux avaient vu le jour. « C’étaient des problèmes de positionnement. Certains n’étaient pas contents des membres composant le bureau, ils ont donc tenu un congrès parallèle » raconte Bakary Dena, secrétaire général du PDES. Confiant, il affirme que cette nouvelle défection, après celle de Jeamille Bittar, qui a fondé le MC – ATT, n’entame en rien sa détermination. « Ce départ n’est pas un problème, ceux qui sont partis reviendront, comme beaucoup par le passé » assure-t-il.

Qu’en dit ATT ?

Exilé à Dakar depuis 2012, l’ancien chef de l’État s’est imposé un devoir de réserve. « Personne ne peut dire qu’ATT lui a instruit quoi que ce soit. Le paysage politique est tel qu’il faut partir de quelque chose pour essayer de s’imposer », juge l’analyste politique Salia Samaké.

Bakary Dena affirme que le PDES entretient toujours des relations avec l’ancien président. Il reconnait néanmoins que ce dernier n’a jamais fait de déclaration. Il a appliqué « une politique du juste milieu ». « Ce n’est pas ATT qui m’a demandé de créer ce parti. Il a juste été informé avant. ATT reste notre mentor sur la scène politique », précisait Daou au lancement de son mouvement.

Considérant ATT comme l’un des meilleurs présidents du Mali, Salia Samaké juge « opportuniste » de revendiquer l’héritage de l’auteur du coup d’État de 1991. « Quand vous regardez l’histoire du PDES, c’est un opportunisme presque forcé qui a poussé beaucoup à y adhérer. Aujourd’hui, rares sont ceux qui peuvent expliquer en quoi consiste son idéologie. Le nom d’ATT porte, il fédère, mais cela n’a aucun sens que de se revendiquer vrais héritiers ».

Partis politiques au Mali : Que de leaders sans relève !

Au Mali, de grands partis ont émergé depuis l’avènement du multipartisme intégral, en 1992. La plupart d’entre eux n’ont qu’un seul leader visible sur la scène, sans une figure pour le seconder et assurer la relève.  

« À part l’Adema, qui est en train de faire sa mue, aujourd’hui tous les partis politiques ne tiennent qu’à une seule personne, ou presque ». C’est le constat dressé par Woyo Konaté, Docteur en philosophie politique et enseignant à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako. Au Mali, chaque parti politique est sous le monopole de son leader. À part lui, rares sont les membres du parti qui sont mis en lumière. « C’est la nature même de la politique qui veut que les différentes formations qui s’expriment sur le terrain démocratique soient tirées par des personnalités très charismatiques. Au Mali, en Afrique et ailleurs, ces partis sont identifiés à des personnes plutôt qu’à des formations politiques pures et dures », tente de plaider Cheick Oumar Diallo, Secrétaire politique de l’ADP Maliba. « Aux États-Unis, quand on parle du parti républicain on pense à Trump et pour le parti démocrate à Hillary Clinton. Les visages ont pris le dessus sur les partis, de telle sorte que quand on parle de l’ADP, c’est Aliou Diallo, de l’URD, c’est Soumaila Cissé et du RPM, c’est IBK. C’est une tournure des choses qui pose le problème de la pluralité des personnalités au sein des différentes formations », poursuit-il. Le multipartisme a été pourtant une exigence fondamentale en 1991, mais il a abouti aujourd’hui à « un désordre ».  « Tous les statuts et règlements des partis politiques sont les mêmes. Leur objectif, c’est d’obtenir le financement de l’État », dénonce Cheick Diallo, Secrétaire administratif chargé des structures au parti ASMA. Il en appelle à un « centralisme démocratique » et non à « des partis unipersonnels ».

Quelle incidence ?

Les partis deviennent orphelins quand l’étoile de leur chef s’éteint, faute de dauphin. « Quand ATT a laissé le pouvoir, le PDES est allé en déconfiture. C’est la même chose avec les soubresauts que connait l’Adema depuis le départ d’Alpha Oumar Konaré », affirme Cheick Oumar Diallo, ajoutant  que « cela pose la question de l’organisation et du fonctionnement des partis politiques ». Pour le Dr Woyo Konaté « les valeurs et l’idéologie sont reléguées  au profit de celui qui finance ». Des réalités qui biaisent l’animation de la chose politique. Pour  un renouveau  politique, « il faut laisser s’exprimer des visages différents de ceux qu’on connait depuis des dizaines d’années », souhaite le Secrétaire politique de l’ADP Maliba, qui estime que son parti est un exemple.

Hôpital Mère Enfant Le Luxembourg : L’ancien président ATT inaugure l’unité cardio pédiatrique

L’hôpital Mère Enfant « le Luxembourg » vient d’enrichir son plateau technique avec la mise en service de son unité cardio pédiatrique « André Festoc ». La cérémonie d’inauguration a eu lieu ce 10 septembre 2018 en présence de l’ancien président de la République Amadou Toumani Touré et de son épouse Touré Lobo Traore, tous deux responsables de la Fondation pour l’Enfance. La concrétisation d’une belle aventure, selon les donateurs et les bénéficiaires, qui,  permettra désormais de prendre en charge au Mali les enfants malades du cœur.

Environ un millier d’enfants pourront être pris en charge annuellement dans ce centre flambant neuf par une équipe malienne soutenue par des professionnels français. Au moment où les acteurs de cette « belle aventure humaine » s’adressaient au public ce 10 septembre, le premier patient était déjà pris en charge dans le bloc moderne « au standards internationaux ».

«  Nous avions un rêve qui se réalise aujourd’hui », s’est notamment réjouit Monsieur Alain Deloche,  président de l’organisation « la chaîne de l’espoir », dont le partenariat avec la Fondation pour l’Enfance de l’ancien président Amadou Toumani Touré et son épouse, a permis la réalisation de ce projet. Qualifiant cette journée de «  journée à cœur ouvert », Monsieur Deloche a rappelé que « cet énorme geste » de Monsieur et madame Festoc, les généreux donateurs, est « un espoir pour les centaines d’enfants » qui sont dans l’attente. Il espère faire de ce centre « une  référence pour le Mali et la sous région ».

« Un énorme  geste qui rend le miracle possible », selon le Professeur Deloche. Saluant cet engagement, le Directeur Général de l’hôpital le Professeur Diarra précisera que l’unité comprend 2 blocs, 1 magasin, une pharmacie, une mini banque de sang, 4 chambres d’hospitalisation et une fourniture en électricité autonome.  Après les 600 enfants déjà pris en charge grâce à cette coopération et opérés à l’extérieur, les 2000 enfants en attente pourront désormais compter sur une prise en charge au Mali par cette nouvelle unité.

Rappelant que cette unité est l’aboutissement d’un long rêve qui souhaitait que les enfants malades puissent être pris en charge au Mali, l’ancien président Amadou Toumani Touré a exprimé sa reconnaissance à l’endroit de ceux qui l’ont rendu possible. Notamment le président de l’association, la Chaîne de l’espoir, le Professeur Diarra dont cette réalisation est « la récompense des efforts consentis pour une prise en charge efficace des malades du cœur ». Les époux Festoc qui ont prouvé « que le cœur est un organe vital mais aussi le siège de la générosité ». Pour ATT, cette réalisation est aussi le fruit d’un partenariat public-privé réussi.

Le Mali d’un 22 mars à l’autre : Les paradoxes de la « démocratie »

« Les mêmes causes sont là et, comme on dit les mêmes causes produisent les mêmes effets. La situation aujourd’hui est la même que celle qui prévalait à la veille des évènements de mars 1991, et même pire. Injustice sociale, corruption et attaques contre les libertés. On dirait que nous n’avons pas tiré les leçons du passé ». Le propos de notre interlocuteur, militant associatif, résume l’opinion de nombreux Maliens, qui ne cachent guère leur pessimisme. Les quelques 25 années d’exercice démocratique, obtenues par le sang des martyrs du 22 mars 1991, n’ont pas réussi à mettre le Mali à l’abri du 22 mars 2012. Que va-t-il advenir au pays dont le peuple, en ce 22 mars 2018, se pose des questions sur son vivre-ensemble, ses valeurs communes et cette démocratie, dont les indicateurs ne sont plus au beau fixe ?

« Nul ne peut prédire l’avenir », répond Mariam Guindo. La jeune femme est commerçante à Kalaban Coura et reprend la rhétorique désormais commune à tous les « grins » de Bamako et d’ailleurs au Mali. « La situation est pire qu’avant la démocratie. Mes aînés ont lutté lors des évènements de 1991. Personne ne pouvait imaginer que, des années après, le Mali serait dans une situation pire que du temps de Moussa Traoré. Je comprends ceux qui regrettent cette période, parce que, au moins, les gens avaient peur de voler et de l’injustice », poursuit-elle. Ambroise Dakouo, spécialiste en gouvernance et coordinateur au Mali de l’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique (ARGA) n’est pas tout à fait du même avis. « Les aspirations des années 90, j’irai même plus loin, de 80, se sont estompées, parce qu’entre-temps la pratique de la gouvernance à l’ère de la démocratie en a fait déchanter plus d’un ». Mais il faut pousser plus loin la réflexion et s’interroger sur la situation actuelle, qui est le résultat d’une série de facteurs. « Nous n’avons pas dépassé l’euphorie des lendemains de la chute de Moussa et n’avons pas pu concrétiser nos rêves de démocratie. Le résultat est ce que nous voyons depuis des années et qui a culminé avec le malheureux coup d’État du 22 mars 2012 », poursuit-il.

Journées noires Le 22 mars 1991, Ndiaye Ba était dans la rue avec ses camarades. « C’était difficile. Cette journée est pour moi inoubliable. Ce que je retiens surtout du 22 mars 1991, ce sont les morts. Je me souviens que les jeunes manifestants s’étaient réfugiés dans l’immeuble Sahel Vert… Quelqu’un y a mis le feu et ils ont été brûlés vifs. C’est mon pire souvenir ». La lutte des jeunes maliens, qui sont descendus dans la rue pour réclamer leurs droits et libertés, n’a pas été aussi « facile » que les combats menés aujourd’hui, de nouveau par la jeunesse. « A l’époque, il n’y avait pas de portable, pas de possibilités de communiquer entre nous. On a donc tous été alertés par le bouche-à-oreille et avons vécu cela avec des gens connus aujourd’hui comme Hamidou Diabaté, Me Ibrahim Berthé ou encore Modibo Kadjoké. En 2012, ce sont les mêmes ou presque qui se sont levés pour défendre les valeurs républicaines ». L’évolution des communications, c’est ce qui fait la différence entre mars 1991 et mars 2012. Amara Bathily est commerçant et activiste. Il se fait connaitre sur les réseaux sociaux le 22 mars 2012, en dénonçant vigoureusement, voire violemment, le coup de force qui venait d’être acté au petit matin par les membres du Comité national du redressement de la démocratie et de la restauration de l’État (CNRDRE, les putschistes). « Mon combat avait commencé en fait en 2011, après les premières allégations sur le Président ATT à l’époque. Il y avait déjà de l’amalgame, des agressions contre les Touareg et les personnes « peau rouge ». J’ai commencé à en parler sur les réseaux sociaux et à alerter des gens qui étaient à l’extérieur, pour faire comprendre qu’il fallait arrêter d’agresser les Touareg. Le 22 mars, j’ai fait une publication dénonçant le putsch. Après, on a continué à en parler, à défendre le Président ATT et à tenter de rétablir la vérité. On a été menacés de mort, mais, heureusement, on avait des proches dans leurs rangs qui nous avertissaient ».

Le 22 mars 2012, alors que le Mali se réveille d’une nuit mouvementée et dans l’incertitude, nombreux sont ceux qui applaudissent les auteurs du coup d’État. « On en avait besoin, les militaires vont remettre les pendules à l’heure ! » se réjouissait un internaute. Les manifestations de soutien se multiplient. Hamadoun Traoré, Secrétaire général du bureau de l’AEEM à l’époque, n’est pas de ceux-là.  « Le 21, c’était une mutinerie. Je ne m’en suis pas inquiété, je pensais qu’on allait trouver une solution. Depuis environ un mois, la situation dans le pays n’était pas stable. Le rôle que nous était de faire tout afin qu’il n’y ait pas d’instabilité à Bamako. Cela aurait empêché les autorités de se concentrer sur ce qui se passait dans le Nord du pays », se souvient-il. « Vers 2 heures du matin, quelqu’un m’a réveillé pour m’annoncer un coup d’État, je n’y croyais pas, tout le monde disait que ce n’était pas possible ». Ce sentiment d’incrédulité, Ndiaye Ba l’a lui aussi ressenti. « Quand j’ai vu ce qui s’est passé dans la nuit du 21 au 22, je me suis souvenu du prix que nous avions payé… Je n’ai jamais pensé qu’il y aurait encore un coup d’État au Mali. Mais il était hors de question de laisser la situation perdurer. Nous avons donc créé, avec d’autres amis et personnes engagées, le FDR ». Kadiatou Sangaré, militante associative, s’est rapidement mobilisée. « Les coups d’État n’ont jamais porté chance au Mali. En 2012, la situation était d’autant plus dangereuse que c’était des hommes de rang qui avaient mené cette action, sans plan, sans savoir où aller. Si on les avait laissé faire, ça aurait été du pilotage à vue. Je n’ai jamais compris leurs motivations, d’ailleurs. On était à quelques semaines des élections et ils ont ramené le pays dix ans en arrière ».

Tirer les leçons « 2012 a été un réveil brutal » reconnait notre expert en gouvernance. « C’était un mal nécessaire, car ces évènements nous ont montré qu’on s’était fourvoyé en pensant les discours et les volontés proclamées devaient être performants. On n’est pas passé à la réalisation du discours par des actions concrètes », assure-t-il. Autre facteur, « entre 1991 et 2012, on observe que c’est la même élite politique, au cœur du système, qui s’enrichit, accapare le pouvoir, alors que la population est de plus en plus pauvre. Au-delà de tout cela, on n’assiste pas à une véritable évolution économique. Si au plan macro les chiffres sont au vert, cela ne se traduit pas dans le quotidien des populations, de plus en plus vulnérables. C’est aussi un recul sur le plan des libertés, que ce soit la liberté de la presse ou les libertés individuelles ». « Si on continue dans cette dynamique, en camouflant les vraies problématiques et en pensant que ce sont des réformettes ou de petites solutions juxtaposées qui vont être la solution, dans quelques années on aura une crise encore plus grave », prédit un observateur.  Rompre le cercle vicieux et avancer ? C’est l’objectif de nombreux acteurs et regroupements qui initient, ces derniers mois, de nombreuses actions. Conférences et colloques se multiplient, avec des actions de sensibilisation pour « réparer notre socle commun », comme l’explique Kadiatou Sangaré, membre de plusieurs associations créées au lendemain du coup d’état. « L’avenir dépend de nous. Il nous faut nous remettre au travail, nous retrouver autour de nos valeurs communes, choisir les bonnes personnes pour nous conduire. Le changement que nous voulons, nous devons le matérialiser en luttant contre l’incivisme et le manque de patriotisme. Si on s’y met tous, on peut y arriver ». Pour que les Maliens se retrouvent, Ndiaye Ba a la solution. « Pour nous sortir de cette situation aujourd’hui, il faut aller aux élections. Le plus rapidement, pour choisir quelqu’un de fédérateur, qui mettra tout le monde ensemble pour travailler. Après les élections, on devra organiser une conférence nationale de réconciliation et donner la parole au peuple, qui veille et ne se laissera plus faire », conclut-il…

Cinq évènements qui ont marqué l’année 2017 au Mali

2017 tend vers sa fin et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a été rythmée. L’occasion pour nous de revenir sur cette année riche en évènements. Avec cette liste, non exhaustive, le Journal du Mali vous retrace l’année 2017.

Sommet Afrique-France


Après 2005, Bamako abritait pour la seconde fois le sommet Afrique-France. Avec les nombreuses menaces d’attaques terroristes qui planaient, organiser ce forum était un immense défi. Réussi, durant les deux jours du forum (13 et 14 janvier), aucun incident n’a été déploré, en partie grâce à un important et dissuasif dispositif sécuritaire. Ce sommet était également l’occasion pour le président français, François Hollande de faire ses adieux à ses homologues africains, lui qui avait déclaré quelques semaines auparavant ne pas vouloir se représenter pour un second mandant. Un dernier baroud d’honneur donc qu’Hollande tenait absolument à ce que cela se fasse à Bamako, là où il avait déclaré « vivre la journée la plus importante de ma vie politique ». «De tous les chefs d’État français, François Hollande aura été celui dont le rapport à l’Afrique aura été le plus sincère et le plus loyal» assurait le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta. Placé sous le thème de la « paix, l’émergence et la sécurité » Hollande a réitéré l’engagement de la France à côté de l’Afrique. 23 milliards d’euros pour des projets de développement sur les cinq prochaines années, des formations pour les militaires sont entre autres quelques-unes des promesses faites lors de ce sommet.

Attentat du Camp MOC

2017 a été une année marquée par de nombreuses attaques, dans le Nord, le Centre et même au Sud du Mali. Mais l’attaque qui a causé le plus la psychose est celle perpétrée contre le camp du mécanisme opérationnel de coordination (MOC), le 18 janvier 2017. Un véhicule piégé aux couleurs du MOC, et conduit par un kamikaze du groupe djihadiste Al-Mourabitoune, force le barrage d’entrée du camp avant d’exploser . Une forte déflagration qui a laissé derrière elle un sinistre innommable. A chaud on dénombre, un bilan de 77 victimes, des corps déchiquetés, une centaine de blessés, et un traumatisme auprès des survivants. Un mois plus tard, le bilan est revu à la baisse, 54 morts selon la MINUSMA, mais dans la foulée l’AFP affirme qu’il y aurait eu 61 morts. Une chose est sure, c’est que cet attentat au modus operandi jusqu’alors inconnu au Mali est le plus meurtrier de l’histoire du pays.

Grève des médecins

Un front social en ébullition. Le Mali a connu plusieurs grèves cette année. Magistrats, secteur banquier, transporteurs, enseignement secondaire et supérieur, mais si une seule devait retenir l’attention, ce serait celle du secteur sanitaire. Entamée le 9 mars, la grève illimitée a duré en tout 38 jours. Une éternité pour les nombreux malades et leurs proches. En dépit du service minimum, et l’absence de chiffre concret sur les nombres de décès à cette période, on n’imagine sans mal que les conséquences ont été sinistres.

Plateforme An  a Bana

Elle est la personnification du combat contre la révision constitutionnelle voulue par le gouvernement cette année. Hommes politiques, activistes, artistes, et inconnus, tous se sont rassemblés sous cette bannière pour dire non à la révision de la constitution. Une véritable marée humaine a défilé dans les rues de Bamako le samedi 17 juin pour dire son refus à la réforme. Une mobilisation qui a fait reculer le gouvernement, qui le 21 juin a annoncé le report, avant d’annoncer deux mois plus tard surseoir à la réforme « dans l’intérêt supérieur de la Nation et de la préservation d’un climat social apaisé » selon les mots du président IBK.

Retour d’ATT

Cinq ans qu’il était à Dakar. L’ancien Président de la République, Amadou Toumani Touré, accompagné de sa famille a fait son retour à Bamako le 24 décembre. Un retour triomphal pour l’ex chef d’Etat, accueilli en véritable « rock star » par les Maliens. Nombreux d’entre eux ont réservé un accueil chaleureux à ATT, tout le long de sa parade triomphale de l’aéroport au domicile du Président IBK, où un déjeuner lui a été offert. 

ATT de retour, Sanogo en prison : ironie du sort

L’ex-président de la République Amadou Toumani Touré accompagné de sa famille est rentré au pays le dimanche 24 décembre dans  la mi-journée. Contraint  à un exil de plus de cinq ans à Dakar, après le coup d’État de 2012, le général a été accueilli à l’aéroport international Modibo Keïta comme un illustre homme alors que celui qui  a sonné son glas pour régner un moment croupis en prison.

Dimanche 24 décembre à Bamako, une journée mouvementée. Le retour de l’ex-président Amadou Toumani Touré a retenu une plus grande attention des décideurs, acteurs politiques et citoyens.

Il est 11 heures passées. L’avion présidentiel s’immobilise devant le pavillon du même nom. Une foule des personnalités, inconditionnels amis de l’ex-président  et des journalistes  se tenait déjà à quelques centimètres de l’appareil. Un vacarme monte, le désordre organisationnel était  remarquable. La délégation a passé plus de 30 minutes dans l’avion sans que les conditions ne permettent sa descente. Apres quelques remous, l’ancien président ATT, apparait habillé en blanc,  bonnet sur la tête, une main levée saluant l’assistance. Il était  suivi dans sa descente par son épouse Touré Labo Traoré, elle aussi souriante. Des cris de joie s’élevaient de la foule d’accueil.  Le premier ministre, Abdoulaye Idirssa Maiga, le ministre de la jeunesse et de la construction citoyenne Amadou Goïta, anciens ministres,  responsables du PDES  et autres personnalités étaient au-devant  de l’accueil. Bien que souriant, le visage de l’homme est quelques peu vieillissant par rapport à 2012.

Sur les abords de la route quittant l’aéroport, une foule des partisans scandait le nom d’ATT, brandissant des pancartes « ATT I BISSIMILA I KA SO » qui peut se traduire par ‘’ATT, bienvenu dans ta maison’’.  Le déchu d’hier  qu’on accablait des pires maux  profite encore d’une sympathie  au sein de la population malienne. Des femmes, jeunes,  regroupements associatifs,  n’ont pas manqué d’afficher leur joie de voir ce jour arriver. Par leur présence, ils entendent témoigner de leur reconnaissance à ATT.  « C’est pour exprimer ma reconnaissance à ATT que je suis là, pour les multiples projets qu’il a réalisé », justifie Sidiki Touré, militant du PDES, venu pour la circonstance.  « Je remercie Dieu qui m’a montré notre président, je suis très content », confie Mamoutou Tessougué,  agent du personnel  de l’aéroport. 

Reçu dans l’après-midi par le Président Ibrahim Boubacar Keita dans sa résidence de Sebeninkoro, l’ex-président ATT se dit ému par l’accueil qui  lui a été réservé. Il avait aussi  exprimé sa gratitude au Président sénégalais Macky Sall et à son peuple pour leur hospitalité.

Au même moment, le général Amadou Haya Sonogo et ses compagnons, ceux-là qui ont évincé Amadou Toumani Touré  à quelques mois de la fin de son mandat croupissent toujours en prison depuis 2013. Les parents des victimes attendent justice, les épouses des détenus réclament leur libération, estimant que le délai légal  de 3 ans de détention sans jugement a été dépassé. Le procès jusque-là en attente est l’un des dossiers judiciaires le plus sensible du moment. Les tests d’expertise qui devaient parvenir  fin octobre dernier ne sont pas toujours disponibles. La situation s’enlise. Entre la nécessaire réconciliation et le besoin ardent de justice des  familles des victimes, l’affaire garde toute sa sensibilité. Le temps aura certainement des pions à placer et peut être en faveur du général et coaccusés au nom d’une telle ou telle raison.