Sécurisation des élections : L’ultime défi

Annoncé par le gouvernement, le plan de sécurisation des élections de 2018 comporte un dispositif d’environ 11 000 agents, des aéronefs, plusieurs véhicules, des pinasses et même des motos. Un déploiement important qui ne semble pourtant pas rassurer tous les acteurs. Alors que certains invoquent une nécessaire implication des populations, d’autres pointent du doigt des manquements qui compromettent déjà la distribution des cartes d’électeurs et le déroulement serein de la campagne électorale.

« Même si on envoie des milliers d’hommes pour sécuriser le pays, si ce n’est pas en accord avec la population, ces hommes ne pourront rien faire. C’est quand la population et les forces de sécurité sont ensemble que cela peut marcher », explique l’Honorable Souleymane Ag Al Mahmoud,  député élu à Ansongo, dans la région de Gao. « Certaines localités sont prêtes à organiser les élections, mais ne veulent pas entendre parler de forces étrangères pour les sécuriser », ajoute l’élu. Si les élections n’ont pu se tenir à Talataye en 2013, c’est en raison d’une confusion des rôles entre la MINUSMA et les Famas, chaque entité voulant assurer le transport du matériel et du personnel chargé de gérer les élections, explique encore le député d’Ansongo. Et, lorsque  la situation a été éclaircie, juste quelques heures avant le début des opérations de vote, il était techniquement impossible d’acheminer le matériel dans cette commune située à plus de 200 km du chef-lieu de cercle d’Ansongo. Il faut donc tirer les leçons du passé et éviter de répéter les mêmes erreurs.

Et, pour ce faire, l’implication des acteurs locaux est indispensable. « Nous nous préparons à accompagner le gouvernement dans tout ce qu’il veut entreprendre pour la sécurité. Nous connaissons le terrain et nous avons nos techniques et nos stratégies sur les sites », note l’Honorable Ag Al Mahmoud. Chefs de villages ou de fractions, responsables locaux ou population, tout le monde a une responsabilité et est prêt à l’assumer, affirme t-il. Il faut juste que les gens se sentent impliqués. Ils ne veulent plus être «  marginalisés », car l’une des raisons de la généralisation de l’insécurité, c’est aussi « la frustration », selon le député.

Situation précaire

De retour dans leur localité  de Dinangourou, située à environ 100 km de Koro, dans la région de Mopti, le convoi raccompagnant les élèves de la neuvième année venus passer leurs épreuves du DEF à Koro, a sauté sur une mine, faisant 2 morts, le 7 juin 2018. Un acte qui prouve à suffisance que l’insécurité est bien une réalité dans cette zone du Mali, selon M. Amadou Aya, porte-parole du parti Yelema et originaire de la localité.

Ces actes sont très inquiétants, selon le député d’Ansongo, mais peuvent être évités. S’il n’ignore pas les autres actes mettant en cause la sécurité, notamment « les braquages, qui sont le fait de petits bandits », le député reconnaît que d’importants efforts restent à fournir pour  « mettre l’armée dans les conditions ». Malgré tout, il affirme que c’est le « Centre qui inquiète, plus que le Nord », car certains maires ne peuvent plus se rendre dans leurs localités pour parler avec les populations.

La sécurité, en tout cas, reste l’un des « défis importants de ces élections », selon M. Aya. Et cette sécurisation ne concerne pas seulement le jour des élections. Il faut donc une sécurisation en amont et en aval et, déjà, la distribution des cartes d’électeurs soulève les inquiétudes. « On sait qu’une grande partie du territoire est sous le contrôle des terroristes, avec une absence totale de l’administration et d’écoles. Donc, dans ces conditions, il sera extrêmement difficile de distribuer les cartes d’électeurs à hauteur de souhait », s’inquiète M. Aya.

En outre, dans la région de Mopti et une grande partie de la région de Ségou, des arrêtés pris par les gouverneurs ont interdit la circulation des engins à deux roues et d’autres types de véhicules légers. Ce qui complique davantage les opérations de distribution, rendant difficile les déplacements des populations vers les centres où elles doivent récupérer ces documents. Toutes choses qui compromettent la participation de nombreux électeurs. L’autre impact de ces mesures est la difficulté enregistrée pour battre campagne, selon le responsable de Yelema.

La multiplication des actes terroristes, les affrontements intercommunautaires et les déplacements de population font en effet craindre le pire à M. Aya. Car si cela continue, il sera difficile, voire impossible, de tenir des élections paisibles et crédibles. Quant aux garanties nécessaires pour organiser le scrutin dans les conditions idoines, c’est à l’État de les fournir. « C’est au gouvernement de mettre en œuvre les stratégies pour assurer notre sécurité. Je constate que ces conditions ne sont pas réunies. Nous n’avons pas encore suffisamment de garanties », ajoute le porte-parole de Yelema, qui regrette qu’en tant que responsable politique il ne puisse pas se rendre auprès de ses militants pour les sensibiliser.

Enjeu majeur de ce scrutin, qu’elle « pourrait affecter », « l’insécurité affecte aussi les élections sur le contenu et la confiance des populations en l’État et les politiciens », selon M. Aurélien Tobie, chercheur senior et Coordinateur des activités du programme Sahel / Afrique de l’Ouest  à l’Institut International de Recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Une situation qui se détériore depuis 2012, et les « populations se demandent si les services de l’État peuvent réellement améliorer leur quotidien », ajoute le chercheur.

Implication collective

Et, dans ces conditions, seule une véritable cohésion entre population et forces de sécurité peut contribuer à endiguer l’insécurité et à instaurer un climat apaisé. « Une interaction apaisée entre forces de sécurité et populations est essentielle pour rétablir le lien de confiance et améliorer l’adaptation des forces de sécurité au contexte dans lequel elles opèrent », estime encore le chercheur du SIPRI.

Pour sa part, le gouvernement mise sur l’ensemble des moyens déployés et les acteurs qui seront impliqués. Parmi eux, les groupes signataires de l’Accord pour la paix, qui se sont engagés lors, de la 23ème session du CSA en janvier 2018, dans une feuille de route, pour « l’organisation et la sécurisation des élections ». Et, pour mettre en œuvre cet engagement, « les parties signataires sont à pied d’œuvre pour définir un plan de sécurisation assorti d’une réelle répartition des rôles et des responsabilités de toutes les parties prenantes. Tout cela va être bouclé d’ici le 20 juin 2018 », assure M Ould Mahmoud Mohamed, porte-parole de la CMA.

Si elle se dit prête à « endosser » cette responsabilité, la CMA n’occulte pas cependant la réalité du terrain, où les attaques continuent. Mais ces attaques « ne sont que le résultat de la non mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, ce qui fait que d’autres forces occupent le terrain et imposent leurs lois ». Et le scrutin pourra se tenir dans un climat apaisé « si nous finalisons les plans de sécurisation à temps. Nous pourrions, dans les régions du Nord, assurer la tranquillité pour tous en vue de réaliser des élections paisibles », précise le porte-parole de la CMA, qui note cependant que des défis à relever, à savoir la participation des réfugiés et la mise en place effective des autorités intérimaires, persistent.

Les 11 000 agents, principalement des éléments des forces armées, sont en tout cas, selon le ministère de la Sécurité,  prêts à assurer leur mission de sécurisation.  Puisqu’il ne s’agit pas de leurs fonctions habituelles, ils ont donc subi des formations. Dans les zones où l’administration est absente, ce sont les groupes armés qui prendront le relais. Ils assumeront la sécurisation des élections, conformément à « un cahier des charges » qui doit encore être défini.

Région de Mopti : La pieuvre Katiba Macina

« Le gouvernement travaille à stabiliser la situation sécuritaire dans la région centre du pays », affirmait le Président IBK, en évoquant la situation préoccupante au centre du Mali, à la tribune des Nations-Unies, le 19 septembre dernier. Pourtant, cette situation sécuritaire, qui n’a jamais vraiment été traitée, a empiré et permis à la Katiba Macina d’étendre sa mainmise sur la majeure partie des cercles de la région de Mopti.

Là-bas, des hommes armés à moto traquent et exécutent les agents de l’État ou les chefs de villages, kidnappent ceux qui ne veulent pas adhérer à leur mouvement, interdisent fêtes et baptêmes, soumettent la population à leur charia, imposent leur loi dans une grande partie des territoires enclavés de la région centre. « Si ce que vous entreprenez ne leur plaît pas, ils viennent vous stopper, vous bastonnent et personne ne réagit. Personne ne parle, par crainte d’être éliminé. Ça nous tient dans la peur. Ils sont les chefs ici, cela ne fait aucun doute ! », témoigne un habitant du cercle de Tenenkou.

Au fil des témoignages, on comprend vite que pour les habitants, la situation a empiré. Par manque de représailles, les djihadistes en toute impunité ont intensifié leurs actions. « Pour nous, l’État a démissionné laissant le champ libre aux djihadistes qui peuvent imposer leur loi », déplore ce commerçant de la ville de Tenenkou.

Les maîtres du centre En l’espace de quelques années, les hommes d’Amadou Kouffa, ont pu conquérir à peu près tous les territoires du Macina qu’ils revendiquent, sans réelle opposition ou résistance. « Quand ils se déplacent, ils sont généralement par 2, sur 3 ou 4 motos, et quand vous voyez 6 motos ou plus, ça veut dire qu’il va y avoir une attaque », décrit ce même commerçant. Pour lui, il ne fait aucun doute que la ville de Tenenkou, le coeur, la capitale du Macina, est visée par Kouffa et ses hommes. « On reçoit souvent des menaces, comme pour la Tabaski, mais les FAMA sont présents donc ils ne font rien. La vie continue, mais la psychose est là », assure-t-il. « Ils sont quasiment partout, c’est vrai », confirme cet enseignant de la ville, « ils ont quadrillé tous les cercles. Nous avons pensé qu’avec la crue des eaux ils ne pourraient pas se mouvoir. Mais nous avons constaté depuis quelques mois qu’ils ont même des pirogues et des pinasses à moteur. Ils interviennent et stoppent les gens même sur le fleuve  », poursuit-il.  « Dans les petits villages et les hameaux, ils viennent pendant la foire. Ils ne veulent pas voir de femmes mêlées aux hommes, dans les voitures ou les pirogues et les cravachent si elles ne sont pas voilées. Il y a des femmes qui se voilent chez nous, mais c’est devenu une obligation, avec des châtiments corporels si on ne s’y soumet pas. Ce n’est pas possible ! », s’agace ce chef de famille.

Depuis quelques mois, dans de nombreux cercles de la région de Mopti, la charia est appliquée à des degrés divers, de gré ou de force. « Souvent, vers le crépuscule, ils sortent et prennent les gens en otage dans les mosquées. Sous la contrainte de leurs fusils, ils font leurs prêches pour forcer les gens à les suivre, à faire ce qu’ils veulent. Même les grands marabouts sont agressés, comme celui de Dialloubé. Tout ça effraie les gens ! », explique un agent de santé du cercle de Youwarou, l’un des seuls corps de fonctionnaires de l’État à être autorisé par les djihadistes à circuler et travailler librement.

Une armée immobile Plusieurs personnes de la région confirment cette injonction générale à des pratiques plus rigoristes de l’islam. Seules les grandes villes où les forces de l’armée malienne sont cantonnées sont épargnées, alors qu’à quelques kilomètres, en brousse, la réalité est toute autre. « L’armée reste cantonnée en ville et ne patrouille pas aux alentours, car on lui a donné la consigne ferme de ne bouger que sur instruction. Et les instructions ne viennent pas », poursuit notre agent de santé. « Je pense que c’est dû aux complicités des djihadistes avec la population. Il suffit qu’un véhicule militaire sorte en brousse pour que l’information soit donnée et que les djihadistes placent des engins explosifs sur les routes. L’armée malienne a beaucoup souffert de ça dans le cercle de Tenenkou. Elle a enregistré beaucoup de morts », ajoute-t-il.

Les effectifs et les véhicules militaires peu adaptésà la réalité du terrain, face à des hommes armés à moto qui peuvent disparaître dans les brousses parmi les populations, sont pointés du doigt par de nombreux habitants, mais aussi un certain manque de volonté politique. « Si l’armée faisait ses patrouilles au niveau des hameaux, des villages, peut-être qu’ils cesseraient. Mais ils ne le font pas. À mon avis, jusque-là, on a pas vraiment voulu chasser les djihadistes de ces zones. Dans le Macina, à Diabaly, Diafarabé, Dogo, etc., on sait exactement ou se trouve les djihadistes. Les gens là-bas peuvent vous dire où ils sont », indique cet habitant de Mondoro dans le cercle de Douentza.

Une katiba en évolution Dans ce contexte où l’État est faiblement présent, les habitants de la région de Mopti sont partagés entre le recours à la force pour chasser les djihadistes et l’organisation de cadre de concertation pour discuter avec eux. « Il faut que l’on identifie leurs chefs et que l’on s’assoit pour discuter. La plupart de ces hommes sont des chômeurs. Il faut créer de l’emploi, si chacun a de quoi vivre, sans quémander ou voler, ils cesseront tout ça. En attaquant, on risque de tuer des innocents. L’État tirera sur ses propres enfants et ce n’est pas une solution », avance cet élu du cercle de Youwarou.

Toujours est-il que prochainement seront déployées dans la région, les forces de la Minusma et du G5 Sahel. Rien de nature à inquiéter les hommes de Kouffa aux dires de certains. «  La mise en place du G5 Sahel coïncide un peu avec la mise en place du G5 des djihadistes », lance le Dr Bréma Ély Dicko, chef du département sociologie-anthropologie de l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako et fin connaisseur de la région. « On assiste à une évolution dans les modes opératoires. Les djihadistes sont en train d’aller vers la deuxième étape de leur implantation, qui consiste à inviter les populations à aller vers des pratiques plus rigoristes de l’islam. Vers un islam fondamentaliste. Ce ne sont plus seulement les représentants de l’État qui sont menacés, mais les populations locales, sommées de pratiquer un islam pur, débarrassé de tout syncrétisme. C’est ce que l’on voit notamment à Kouakourou et à Dialloubé », explique le chercheur, qui avoue ne pas entrevoir de portes de sortie à cette situation critique, et qui craint que la logique du tout militaire, sans appui des populations, ne parvienne à venir à bout d’un phénomène désormais bien enraciné.

 

 

Nord et Centre du Mali : guerre contre l’éducation ?

Pour la nouvelle année scolaire, il y aura une augmentation de 70 % du nombre d’écoles fermées par rapport à l’année scolaire 2015 – 2016. Une situation due principalement aux menaces des groupes armés et au climat d’insécurité, mais aussi à une certaine méfiance envers le système scolaire national.

Leurs enseignants ont fui sans jamais revenir. Leurs écoles ont été saccagées, incendiées, par des individus armés. Dans le Nord et le Centre du Mali, les écoles fermées sont légion et créent une génération sacrifiée de garçons et de filles déscolarisés. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), l’année 2016 – 2017 s’est terminée avec 500 écoles fermées, soit 31 % de l’ensemble du Centre et du Nord du pays, et 150 000 enfants déscolarisés. La région de Mopti, avec 248 écoles fermées, est la plus touchée. « Les djihadistes ordonnent de fermer toutes les écoles non coraniques. Ils sont hostiles à l’école de la République. Partout où ils passent, ils menacent les enseignants, qui ont tous déserté. Pour eux l’école fondamentale vient du Blanc, et ils n’aiment pas ça », explique un habitant de Youwarou. Dans les territoires enclavés de la région de Mopti, où l’État et l’armée ne sont présents que dans les grandes villes et où l’islam est fortement enraciné, on rencontre aussi une hostilité naturelle envers l’école de la république, un état de fait antérieur à la présence des djihadistes. « Chez nous, c’est une question de culture. Auparavant, il y avait même des parents qui allaient jusqu’à payer des directeurs ou des enseignants pour que leurs enfants ne soient pas recrutés. Beaucoup profitent de la situation créée par les djihadistes car ils considèrent qu’un enfant qui va à l’école française deviendra difficilement un bon musulman », souligne un enseignant du cercle de Tenenkou, où 91 établissements scolaires sont fermés depuis l’année dernière.

Cursus franco-arabe, une solution ?  « Les écoles publiques sont mal vues parce que c’est le français qu’on y enseigne et que la population, comme les djihadistes, préfère les écoles coraniques », confirme Sékou Bakaye Traoré, Président du Conseil de cercle de Youwarou. Pour lui, il y a une solution qui pourrait favoriser qui pourrait favoriser la réouverture des écoles dans la région : la mise en place d’un système où l’on pourrait conjuguer apprentissage de l’arabe et du Coran et cursus conventionnel. « Je pense que l’État doit entreprendre certaines réformes. Il faut introduire l’arabe dans nos écoles dès le primaire. Les écoles franco-arabes, la population a toujours souhaité ça. Enseigner le français ici encourage l’islamisme. Je pense que si on fait ça, il y aura des effets importants. Ce sont des décisions politiques à prendre, mais je suis convaincu que, pour rouvrir les écoles, il faut modifier un peu les programmes », affirme-t-il.

 

Hombori : le nouveau no man’s, no justice land ?

Il n’est caché de personne que le centre du Mali, principalement la région de Mopti, depuis 2015 est devenu un foyer actif de banditisme dont la violence est traduite par plusieurs attaques, prises d’otages, intimidation et assassinat de populations civiles, innocentes.

Plus de 52 attaques en deux ans

Les études sur la problématique de l’insécurité à laquelle fait face le Mali, dans son septentrion et sa région centre, dénombrent plus de 52 attaques depuis 2015, contre des militaires et populations civiles. Des attaques perpétrées par divers milices auto-proclamées, qui ont causé plusieurs morts. Le climat insécuritaire au Nord a fini par déteindre sur la quiétude en région de Mopti, réveiller des anciennes appréhensions intra et inter-communautaires, qui ont conduit à la propagation de menaces en bande armée. Sévaré et Douentza sont à ce jour l’épicentre des tensions, également les plus touchés par les trafics en tout genre.

Mopti dans le tourbillon djihadiste

Les attaques s’intensifient dans la zone du Delta intérieur du Mali, depuis près deux ans. Les créations actives de milices d’auto-défense se transformant en Katiba, prêtant aussitôt allégeance à des groupes djihadistes, démontrent la réalité du danger de ces zones, ce constat n’est que la partie immergée de l’iceberg, de la violence dont sont confrontés les habitants des zones de conflits. La tension est palpable, les menaces, prise d’otage font désormais partie du quotidien des habitants.

Doit-on se formaliser avec l’inacceptable ?

Des échos remontés de témoins directs découvrent l’impuissance de nos concitoyens de l’intérieur, les victimes et parents de victimes sans défense, rentrent en rupture pour la plupart dans leur foi en l’État et la justice, par conséquent se murent dans le fatalisme. La ceinture insécuritaire qui les tenaillent, angoisse les populations de la région de Mopti, pris en étau entre deux tourbillons : confrontation entre bandes armées d’un côté, combats de riposte entre les armées officielles engagées dans la lutte contre le terrorisme et les narco-djihadistes, de l’autre.

Est-il qu’en entendant, c’est une autre section du Mali qui est en train de perdre espoir en l’état malien. C’est le cas de cette famille de Hombori dont le chef, non moins chef religieux a été pris en otage. Les habitants du quartier (…) et ses ressortissants à Bamako, sont ébranlés et sous le choc, depuis quelques jours par l’annonce d’une éventuelle exécution de leur ami, frère, père et guide religieux. Cette commune du cercle de Douentza est en proie aux exactions d’hommes armés jouant aux caïds dans toute la zone. Ils sont identifiés des habitants que la peur muselle.

Une éventuelle exécution

Monsieur (…) aurait été exécuté il y a deux jours par ces ravisseurs. Pour l’heure la mort n’est pas constatée par le retour du corps. Ce qui nous convie à la prudence. La nature de sa prise d’otage ne saurait être définie ou difficilement définissable, tant les familles des victimes remettent leur sort entre les mains de Dieu, désarmées , face à des sans foi ni loi. De source familiale et traçable, Monsieur (…) a été fait otage au retour d’une mission maraboutique dans un village à quelques kilomètres de sa ville. Il était en compagnie de son chauffeur, lorsque des hommes surgissent de nulle part, extraie le chauffeur de la 4X4, et partent avec le bien et son propriétaire. Dans ce trafic humain, le mode opératoire reste idem à celui du rapt à Youwarou en avril 2017, sur la personne d’Amadou Ndjoum, agent de l’I.N.P.S toujours entre les mains de ses ravisseurs. Monsieur (…) à sa capture avait une conséquente somme d’argent sur lui. Le mobile demeurant le même, l’argent. L’échange d’otage leur fonds de commerce principal.

Dernièrement plusieurs attaques dans le cercle de Douentza

Les dernières attaques depuis 2016 recensées dans la localité de Hombori découvrent peu à peu comment la violence fait rage, s’installe dans cette ville. La dernière en date est l’attaque d’un poste de la douane et d’une brigade territoriale de la gendarmerie. Hombori est victime des soubresauts du conflit du Nord, qui se déplace vers l’épicentre du Mali depuis 2013. Cette ville de la région de Mopti, se rappelle au bon souvenir des touristes par l’authenticité de son rocher caméléon, dont les couleurs se ravivent au coucher du soleil. Aujourd’hui Hombori tremble de peur, ses femmes maltraitées par les bandits armés, ses enfants enlevés pour les utilisés contre les leurs, prise d’otage et disparition sont plus que tout le quotidien de cette commune du cercle de Douentza. Hombori la ville aux 25.527 âmes se trouve actuellement balafré par diverses attaques. Le sublime visage rayonnant est défiguré par la peur de ses habitants tant la nature des violences ne leur était pas une habitude.

Le Mont hombori le nostalgique dont le flan gaude découvre la poétique Main de Fatma (Garmi Tondo), pour laquelle plusieurs touristes à la découverte du Mali faisait le détour pour le massif imposant de 1153 mètres, ne sait plus sur quel pied danser. Hombori comme Sévaré sont des zones à sécuriser d’urgence. Ne nous conformons pas à l’habitude de la barbarie chaque innocent tombé est une perte regrettable pour le Mali.

La reprise des villes aux proies à l’insécurité est infailliblement un gage de reprise d’une santé économique. Puissions-nous un jour sortir de la spirale infernale !

 

Charia : Une réalité malienne

Le 16 mai dernier à Taghlit, entre les localités d’Aguelhoc et Tessalit, une femme et un homme auraient été lapidés par des islamistes qui leur reprochaient d’avoir violé la charia, la loi coranique, parce qu’ils vivaient en concubinage. La véracité de ce triste évènement, relayé par les médias nationaux et internationaux, reste à démontrer, certains affirmant même avoir vu quelques jours plus tard la jeune femme vivante à Aguelhoc. Pour autant, la rumeur de cette lapidation, inédite depuis les jours sombres de la crise de 2012, pose la question de la présence de ces forces djihadistes dans certaines zones du pays qui échappent toujours aux forces maliennes et étrangères, et de leur capacité à faire peser leur vision étriquée de la loi divine sur le caractère laïc du pays, s’ils parvenaient à propager leur foi rigoriste.

« Oui la charia est appliquée dans certaines zones de la région de Kidal ! », déclare sans ambages Abinaje Ag Abdallah, maire d’Aguelhoc. « Ils interdisent l’alcool, les cigarettes. Il faut s’acquitter de la zakat (l’aumône). Ils font appliquer toute la charia qui est de leur portée et on constate de plus en plus qu’ils ont le contrôle de certaines localités », ajoute-t-il. À Taghlit, Abeïbara, au nord et nord-est de la région de Kidal, dans la région de Tombouctou, Taoudéni, Ségou, Mopti, nombreux sont ceux qui attestent de la présence des islamistes dont les forces se sont redéployées et contrôleraient des zones entières qui échappent aux autorités. Dans ces zones désertées par la République, où même parfois les groupes armés ne vont pas, les djihadistes à moto font respecter leurs lois, maintenant les populations dans la crainte. « Aujourd’hui, dans la région de Kidal, de Gao ou de Tombouctou, les campagnes sont occupées par des groupes terroristes. Dans la zone de Ménaka, il y a le groupe d’Adnane Abou Walid al-Sahraoui qui se renforce jour après jour. Au nord de la région de Kidal, trois katibas appliquent la charia partout dans les brousses, même à Tinzawatène. Dans la zone de Gao à Almoustarat, il y a l’armée mais il y a aussi des djihadistes en ville qui prêchent le djihad ouvertement le soir dans la mosquée, pendant que l’armée est dans la caserne », confie ce cadre militaire du MNLA qui a eu maintes fois maille à partir avec les djihadistes.

Dans certains villages, ces groupes ont imposé leur charia aux villageois qui ne sont plus autorisés à pratiquer certaines coutumes devenues « haram ». « Il faut les écouter et faire ce qu’ils disent, ça s’est sûr ! », lâche cet employé du CICR de la région de Kidal. « Quand nous partons en mission dans ces zones, on retrousse nos pantalons au-dessus des chevilles, on ne fume pas, on se tient éloignés des femmes et on évite d’y aller avec des véhicules arborant le logo du CICR, parce que les gens considèrent la croix comme un signe chrétien. On doit se conformer, c’est automatique », poursuit-il.

 Vivre sous la charia Dans ces zones, la peur tient les populations qui redoutent de se voir infliger ces actes barbares que les islamistes considèrent comme les punitions issues de la charia : couper la main du voleur, lapider des coupables d’adultère, sanctionner par le fouet les libertins. Ces pratiques qui ont eu cours au nord du Mali durant la crise, ont normalement cessé depuis 2013 et la fin de l’occupation. « Les mains coupées pour un voleur, les coups de fouets, c’est très rare depuis 2012, parce que les gens se sont conformés à leur loi. Mais si tu commets un acte contraire à la charia, ils vont prendre les choses en main et t’envoyer un message par un intermédiaire pour te convoquer. Dans un premier temps, ce sera une mise en garde. Donc, après cet avertissement, soit tu quittes la ville, soit tu t’y conformes. Si tu continues, ils vont appliquer sur toi le châtiment de la charia. Ça se passe comme ça. Ils ont des informateurs dans tous les villages, donc les gens sont tenus dans la crainte et font ce qu’on leur dit », affirme cet habitant de Kidal.

Pour la majorité des musulmans, il est difficile de s’opposer à la charia, les thèses prônées par les islamistes ne séduisent pas les populations maliennes très attachées à la tolérance et éloignées de l’application qu’en font les salafistes. « La population ici est à 100 % musulmane. Elle ne peut pas réprouver la charia en tant que telle, mais les gens disent que ce n’est pas la méthode. La plupart des chefs djihadistes, ce sont des Algériens, des Mauritaniens, des gens qui viennent d’ailleurs. On a nos propres imams et marabouts qui nous expliquent la religion, alors pourquoi nous conformer à des gens qui amènent une doctrine venue d’ailleurs ? Avec les attaques, les attentats suicides, les gens ne sont pas avec eux mais ils sont contraints d’observer ou d’adhérer par la force », explique ce journaliste de Douentza. « Si leur but est de créer une république islamique, notre histoire et nos croyances sont trop anciennes pour que ça marche. Ils ne peuvent pas venir comme ça imposer ça chez nous ! », s’exclame-t-il.

 Frapper les fourmilières djihadistes Par leurs diktats religieux, les djihadistes, sous l’impulsion du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, tentent de tisser une toile pour le moment encore disparate. Leur mobilité et leur capacité à se fondre au sein des populations les rendent insaisissables, leur permettant de perdurer et d’imposer par la force leurs préceptes religieux. « Si l’autorité de l’État s’étendait à l’ensemble du territoire, l’État pourrait être interpellé en cas d’application de la charia. Mais c’est l’Occident qui a dit « je m’installe dans le nord ». Barkhane est là-bas, la MINUSMA est là-bas. Cette zone dans laquelle s’est produite la lapidation n’est pas sous contrôle de l’armée malienne », objecte un officiel malien. Cependant, la force française, devenue elle aussi la cible privilégiée des djihadistes, semble inefficace à pouvoir stopper cet état de fait.

« Depuis 2015, les opérations terroristes ne visent pas à faire la guerre. Ils font des opérations de récupération de matériel, ils se réorganisent et se renforcent. Ils ont récupéré, depuis fin 2016, plus de 30 pick-up, des armes et des munitions. À Taoudéni, ils ont des bases fixes, ils créent des souterrains, y mettent des groupes électrogènes, des citernes d’eau pour 2 mois ou 3 mois, tout pour vivre et tu ne vois rien. Ils attendent que l’armée malienne se remette en place, que le désarmement soit effectif après ils vont occuper les campagnes, et nous, nous restons là, à compter ce qu’ils ont récupéré », s’emporte cet officier du MNLA. « Les djihadistes ont très bien compris comment les forces françaises fonctionnent. C’est une armée conventionnelle, avec des véhicules vieillissants, peu rapide. Au moindre mouvement ils bougent à moto. À chaque fois que tu pars vers l’est, ils partent vers l’ouest et vice-versa », poursuit-il. « Il faut créer des unités d’élite contre les terroristes, former des gens en local et intervenir avec l’appui aérien français. Pour cela, il faut plus de confiance entre les différents acteurs, arrêter les hostilités, suivre l’Accord de paix, reconstituer l’armée et envoyer des militaires appuyés par des forces locales. Il n’y a pas d’autres solutions, sinon on retournera à la situation de 2012 ». Un avis partagé par cette source sécuritaire malienne, qui estime que « la lutte antiterroriste demande la complicité et l’aide des populations locales, du renseignement, puis une connaissance du terrain. Malheureusement, ni les forces étrangères ni l’armée malienne n’ont cela ».

Dans la région de Kidal, certains ont commencé à se résigner à un retour des djihadistes. « C’est Iyad le commandant de bord à Kidal. Il détient toujours la réalité du terrain. C’est pour cela que les gens ne dénoncent pas. Si tu dénonces, demain tu seras le seul perdant. Barkhane, malgré l’arrivée du nouveau président français, ne fera rien pour nous, la MINUSMA non plus. Donc on se tient à carreau », résume, philosophe, ce commerçant de la région. Seul répit provisoire mais attendu, le ramadan, période de trève où les djihadistes suspendent leur activité, pour s’adonner pleinement à la religion. Mais d’autres en redoutent déjà la fin. « Beaucoup de gens ont peur qu’après le ramadan il y ait une grande offensive. C’est très possible avec tout le matériel que les djihadistes ont obtenu dans leurs attaques à Almoustarat et ailleurs au Mali et au Niger. Ils ont à peu près les mêmes moyens qu’avant l’intervention de Serval ».

 

Nouvelle attaque meurtrière dans le centre du Mali

Onze soldats ont été tués et cinq blessés lors d’une opération menée par des djihadistes tôt le dimanche contre la base de Boulikeissi proche de la frontière avec le Burkina.

C’est le ministère de la Défense et des anciens combattants qui a annoncé le bilan macabre dans un communiqué hier. Selon des témoins, les assaillants étaient à moto et à bord d’au moins deux véhicules lorsqu’ils ont attaqué la base. Ils auraient brûlés et emportés avec eux une grande quantité de matériel de guerre. Des renforts ont été envoyés sur les lieux pour traquer les responsables et des hélicoptères de la force Barkhane sont également venus prêter main forte aux militaires maliens. L’attaque n’a pas encore été revendiquée, mais les soupçons se portent sur le groupe djihadiste d’Ibrahim Malam Dicko, un prédicateur radical burkinabé qui dirige Ansaroul Islam. Son groupe sévit plus au Burkina où il a commis un raid meurtrier qui a fait 12 morts dans les rangs de l’armée burkinabé le 16 décembre 2016.

Une nouvelle menace donc dans le centre du Mali qui vient s’ajouter à celle de la Katiba Macina du prédicateur radical Amadou Kouffa. Cette attaque intervient alors que plusieurs groupes se sont ralliés à Ansar Dine de Iyad Ag Ahly pour former une grande nébuleuse terroriste , Nusral Al Islam.

 

Cycle de violence et de vengeance au centre du Mali

13 personnes ont perdu la vie ce weekend à Ké-Macina, dans des affrontements intercommunautaires

Ce week-end, un violent affrontement a eu lieu près de la région de Ségou, à Ké-Macina, entre des éleveurs peulhs et des agriculteurs bambaras. Une dizaine de personnes ont trouvé la mort, et plusieurs habitations ont été incendiées. Le bilan s’est alourdi, le maire de Macina, Békaye Samaké avait au préalable annoncé 7 morts, tandis que le ministère de la sécurité affirme que 13 personnes en tout ont péri dans l’affrontement.

La cause de toute cette violence est l’assassinat, ce samedi, de Cheickna Traoré, agriculteur bambara. Accusés d’être responsables du forfait, les peuls ont donc été pris pour cible par la communauté bambara, pour se venger. Par contre, une autre thèse est avancée, selon laquelle Cheickna Traoré aurait été assassiné par de présumés djihadistes. Un détachement militaire a été déployé dans la zone ce lundi, pour calmer les tensions et les dissuader d’un autre affrontement.

Le centre du Mali fait l’objet de terribles affrontements entre ces deux peuples. En plus, ils sont souvent soupçonnés de collusion avec les djihadistes, à cause de la présence, depuis deux ans, du mouvement armé fondé par Amadou Koufa, le prédicateur radical peulh allié au groupe djihadiste Ansar dine du chef touareg Iyad Ag Ghaly. La semaine dernière, une opération avait d’ailleurs été menée par l’armée malienne contre une base arrière des fidèles d’Amadou Koufa à Dialloubé, toujours au centre du Mali. L’opératon a fait en tout plusieurs bléssés, des arrestations et au moins 1 mort.

Au centre du Mali, c’est le Far west…

Cette nuit-là, Ibrahima Maïga, s’est couché tôt, harassé par une journée de travail bien remplie passée entre Sévaré et Ngouma. Vers 2h du matin, dans un sommeil profond, il sent qu’on le secoue. Grognant, il lance son bras pour chasser l’importun, un objet froid et métallique stoppe la course de sa main le faisant sortir d’un coup de sa torpeur. Une puissante lumière l’éblouit, une torche fixée sur un fusil que braque sur lui une silhouette noire, un homme, portant un treillis de l’armée de terre. Un autre, derrière lui, s’active bruyamment à retourner ses affaires. « J’ai d’abord cru que c’était des militaires qui avaient besoin d’essence », raconte Ibrahima, animateur radio à Ngouma, assis sur un petit tabouret de bois dans la pénombre d’une arrière salle de la radio FM de Douentza. « Ils m’ont dit qu’ils voulaient de l’argent, mais je n’avais rien ! ». Les deux hommes fouillent la pièce puis s’en vont, laissant Ibrahima tremblant de peur. Vingt minutes plus tard, une fusillade éclate, un cri perce la nuit, des moteurs démarrent en trombe, puis plus rien. Ce soir-là, les bandits sont repartis avec un butin 5 millions de francs CFA et un véhicule. Nul ne sait d’où ils sont venus, qui ils étaient, mais dans la 5e région du Mali, cette scène tragique fait désormais partie du quotidien. Incursion au cœur de la région de Mopti, véritable « Far west » malien.

La route qui mène à Douentza, chef-lieu du cercle aux portes de la région Nord du Mali, est chaotique et défoncée, comme oubliée des pouvoirs publics. Les trous et crevasses y côtoient les sparadraps de goudron, ralentissant considérablement la progression des véhicules. Sur cet unique axe qui mène à la ville, on peut ne pas croiser âme qui vive pendant des kilomètres. Dans cette zone de la région de Mopti, règne un anarchique chaos où seul prévaut la loi du plus fort résultant de la faible présence ou de l’absence totale d’institutions gouvernementales. Ici, la peur ne semble pas changer de camp, les groupes armés sévissent et les citoyens fatalistes craignent chaque jour pour leurs vies et leurs biens. « Si tu as une arme, c’est toi qui fait la loi, c’est toi qui dirige ! On est confronté à ce problème d’insécurité, surtout dans le secteur nord et est du cercle. Il y a les djihadistes réunis en plusieurs groupuscules, des groupes armés peuls qui s’affrontent dans des règlements de compte pour l’argent, le bétail ou l’accès aux terres arables, et le banditisme, avec les ex-combattants des mouvements armés qui, au sortir de la crise, ont gardé leurs armes et sèment la terreur », explique Amadou, un journaliste local, qui depuis ces dernières années, observe une situation qui ne cesse de se dégrader.

Bien que les langues à Douentza se délient difficilement, au gré des rencontres, force est de constater que le problème d’insécurité dans la zone est complexe. « Certains sont en train de se venger pour ce qui s’est passé il y a des années. Les gens qui ont pris les armes, des Peuls pour la plupart, ont rejoint les islamistes pour être protégés et se faire justice. Il y a eu beaucoup de chefs de village attaqués ou tués, même des imams. On les soupçonne de parler avec les autorités, d’être des complices de l’État, donc on les élimine. Pour sauver ta peau, si tu ne fais pas partie de ces groupes, tu dois donner quelque chose, un garçon, de l’argent, du bétail, tout ce que tu as. Ils ont les armes et font comme bon leur semble », déplore l’animateur radio Ibrahima Maïga.

La tentation djihadiste Avant la crise de 2012, des prêcheurs comme Amadoun Kouffa, un prédicateur peul fondateur du Front de libération du Macina, groupe djihadiste qui sévit dans la région, ont silloné la zone pour le compte de la secte Dawa, prônant une ré-islamisation de la population. « Ils viennent à plusieurs en moto et bien armés. Ils parlent de la défense de l’Islam et nous disent de refuser tout ce qui n’en fait pas partie. Ces prêcheurs racontent ce que les éleveurs peuls veulent entendre, que l’Islam interdit de payer le droit d’accès aux pâturages qui autrement peut se négocier à des centaines de milliers de francs CFA. Ils adhèrent à ces groupes aussi pour ça. Beaucoup les ont rejoint dans le Macina », explique Issa Dicko, frère d’Amadou Issa Dicko, chef du village de Dogo, assassiné par les djihadistes en 2015.

Écoles fantômes et maires en fuite Dans ces zones reculées, désormais sous la coupe des prêcheurs, l’éducation nationale est délaissée au profit de l’éducation coranique. « Ces communautés ne sont pas prises en compte dans le système éducatif national », dénonce pour sa part, Ibrahima Sankaré, secrétaire général de l’ONG Delta Survie, qui a mis en place des écoles mobiles pour ramener les enfants en classe. « La communauté peule de ces zones est réfractaire à l’école formelle pour des raisons moins féodales que religieuses. Pour eux, s’ils mettent leur enfant à l’école française, il ira en enfer », explique Ibrahima Maïga, qui cite le cas du village de Tanan, à 60 km de Douentza où depuis 2006, aucune classe n’est ouverte, « même les portes et les fenêtres ont fini par être emportées »…

Si dans beaucoup d’endroits l’école est en panne, d’autres représentations étatiques comme les mairies sont aussi visées. Dans la ville de Kéréna, située à une trentaine de kilomètres de Douentza, les « occupants » comme ils sont aussi appelés ici, ont interdit à tous ceux qui travaillent à la mairie d’habiter la commune, sous peine de mort. Depuis ces derniers ont fui. « Durant les élections communales, les gens étaient angoissés et vivaient dans la peur d’une attaque », se rappelle Sidi Cissé, enseignant à Douentza. Le nouveau maire de Kéréna, Hama Barry, n’a pu exercer son mandat ne serait-ce qu’un jour. Il a dû se réfugier à Douentza avec son adjoint pour sa sécurité. Plusieurs parmi la population l’ont suivi. Le vieil homme est aujourd’hui méfiant, car dit-il, « ici on ne sait pas qui est qui ». Après maintes discussions, il accepte une rencontre. À côté de lui, son adjoint affiche un perpétuel sourire et un regard inquiet durant la courte entrevue qu’il accorde au Journal du Mali. « Je vais bientôt retourner à Kéréna, tout va bien, ce ne sont que quelques querelles », se borne-t-il à dire en pulaar, pour éluder les questions trop précises, avant de saluer chaleureusement et de prendre congé.

Peur sur la ville À Douentza, l’omerta règne aussi. L’assassinat d’une parente de l’ancien adjoint au maire de Kéréna, froidement abattue à son domicile, à moins de 200 mètres du camp de la MINUSMA, il y a quelques mois, a marqué les esprits et imposé de facto le silence. « Ceux qui ont fait ce coup ont réussi. Ils ont fait en sorte que tous sachent que même à côté des forces de l’ordre, on n’est pas sécurisé », explique cet autre élu, également forcé à l’exil. Ce qu’ils veulent, ces groupes l’obtiennent avec leur fusil ou à la pointe de leur couteau, celui qui n’est pas d’accord avec eux ne peut que se taire. « Les gens ont peur. Ils ont peur pour leur vie. Moi qui vous parle, je me suis un peu trop avancé dans cette conversation. Je n’ai rien dit mais j’en ai déjà trop dit », ajoute-t-il, assis dans son salon, où trône sur le mur derrière lui, un portrait le représentant arborant l’écharpe aux couleurs du drapeau national. Triste rappel d’une fonction aujourd’hui vide de sens.

Cette peur ambiante freine les populations dans leur désir de collaborer avec les autorités. « Les gens veulent collaborer mais ils ne sont malheureusement pas protégés en retour », affirme Madame Diarra Tata Touré, membre active de la société civile et secrétaire générale de l’ONG ODI Sahel, à Sévaré. « Il y a le laxisme de la gendarmerie, la corruption. Quand les forces de l’ordre prennent des djihadistes ou des bandits, il suffit qu’ils versent de l’argent pour qu’on les relâche. Les gens collaboraient avec l’armée et la gendarmerie avant, mais c’est un marché lucratif et ce sont ces mêmes autorités qui, après avoir relâché les bandits ou djihadistes, leur disent que c’est un tel qui a donné l’information. Ensuite, ils sont assassinés. Même si je vois un bandit, je ne dirai rien parce que je sais qu’après il viendra me tuer ! », résume Amadou, journaliste à Douentza, qui ajoute sur la foi de renseignements de terrain, que si l’État ne fait rien, « il va y avoir une révolte social. Les gens s’organisent et s’arment. Ça peut éclater à tout moment ». Pour Sidi Cissé, qui faisait partie du groupe d’auto-défense de la ville de Douentza en 2012 et qui a eu à négocier avec les djihadistes durant cette période, la situation actuelle est vraiment déplorable. « Après la crise, l’État est revenu mais ça continue. On tue froidement des gens, on les harcèle, malgré la présence de la gendarmerie et de la MINUSMA. Ça ne se passait pas comme ça même durant la crise », témoigne-t-il. « Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour arrêter ça. Est-ce que c’est l’État qui a failli ? Est-ce que ce sont les forces de l’ordre ? », s’interroge-t-il.

Sur le retour, nous dépassons Sévaré. Sur la route qui mène à Bamako, il n’est pas rare de croiser des pickup aux couleurs camouflage, transportant 5 ou 6 militaires casqués et bien armés. Ils finissent par disparaître de notre rétroviseur. De Mopti à Douentza jusqu’à Tombouctou, ils ont aussi disparus. Comme si la ville de Mopti était un point, une ligne charnière au-delà de laquelle la sécurité n’existe plus.