Région de Mopti : La pieuvre Katiba Macina

« Le gouvernement travaille à stabiliser la situation sécuritaire dans la région centre du pays », affirmait le Président IBK, en évoquant la situation préoccupante au centre du Mali, à la tribune des Nations-Unies, le 19 septembre dernier. Pourtant, cette situation sécuritaire, qui n’a jamais vraiment été traitée, a empiré et permis à la Katiba Macina d’étendre sa mainmise sur la majeure partie des cercles de la région de Mopti.

Là-bas, des hommes armés à moto traquent et exécutent les agents de l’État ou les chefs de villages, kidnappent ceux qui ne veulent pas adhérer à leur mouvement, interdisent fêtes et baptêmes, soumettent la population à leur charia, imposent leur loi dans une grande partie des territoires enclavés de la région centre. « Si ce que vous entreprenez ne leur plaît pas, ils viennent vous stopper, vous bastonnent et personne ne réagit. Personne ne parle, par crainte d’être éliminé. Ça nous tient dans la peur. Ils sont les chefs ici, cela ne fait aucun doute ! », témoigne un habitant du cercle de Tenenkou.

Au fil des témoignages, on comprend vite que pour les habitants, la situation a empiré. Par manque de représailles, les djihadistes en toute impunité ont intensifié leurs actions. « Pour nous, l’État a démissionné laissant le champ libre aux djihadistes qui peuvent imposer leur loi », déplore ce commerçant de la ville de Tenenkou.

Les maîtres du centre En l’espace de quelques années, les hommes d’Amadou Kouffa, ont pu conquérir à peu près tous les territoires du Macina qu’ils revendiquent, sans réelle opposition ou résistance. « Quand ils se déplacent, ils sont généralement par 2, sur 3 ou 4 motos, et quand vous voyez 6 motos ou plus, ça veut dire qu’il va y avoir une attaque », décrit ce même commerçant. Pour lui, il ne fait aucun doute que la ville de Tenenkou, le coeur, la capitale du Macina, est visée par Kouffa et ses hommes. « On reçoit souvent des menaces, comme pour la Tabaski, mais les FAMA sont présents donc ils ne font rien. La vie continue, mais la psychose est là », assure-t-il. « Ils sont quasiment partout, c’est vrai », confirme cet enseignant de la ville, « ils ont quadrillé tous les cercles. Nous avons pensé qu’avec la crue des eaux ils ne pourraient pas se mouvoir. Mais nous avons constaté depuis quelques mois qu’ils ont même des pirogues et des pinasses à moteur. Ils interviennent et stoppent les gens même sur le fleuve  », poursuit-il.  « Dans les petits villages et les hameaux, ils viennent pendant la foire. Ils ne veulent pas voir de femmes mêlées aux hommes, dans les voitures ou les pirogues et les cravachent si elles ne sont pas voilées. Il y a des femmes qui se voilent chez nous, mais c’est devenu une obligation, avec des châtiments corporels si on ne s’y soumet pas. Ce n’est pas possible ! », s’agace ce chef de famille.

Depuis quelques mois, dans de nombreux cercles de la région de Mopti, la charia est appliquée à des degrés divers, de gré ou de force. « Souvent, vers le crépuscule, ils sortent et prennent les gens en otage dans les mosquées. Sous la contrainte de leurs fusils, ils font leurs prêches pour forcer les gens à les suivre, à faire ce qu’ils veulent. Même les grands marabouts sont agressés, comme celui de Dialloubé. Tout ça effraie les gens ! », explique un agent de santé du cercle de Youwarou, l’un des seuls corps de fonctionnaires de l’État à être autorisé par les djihadistes à circuler et travailler librement.

Une armée immobile Plusieurs personnes de la région confirment cette injonction générale à des pratiques plus rigoristes de l’islam. Seules les grandes villes où les forces de l’armée malienne sont cantonnées sont épargnées, alors qu’à quelques kilomètres, en brousse, la réalité est toute autre. « L’armée reste cantonnée en ville et ne patrouille pas aux alentours, car on lui a donné la consigne ferme de ne bouger que sur instruction. Et les instructions ne viennent pas », poursuit notre agent de santé. « Je pense que c’est dû aux complicités des djihadistes avec la population. Il suffit qu’un véhicule militaire sorte en brousse pour que l’information soit donnée et que les djihadistes placent des engins explosifs sur les routes. L’armée malienne a beaucoup souffert de ça dans le cercle de Tenenkou. Elle a enregistré beaucoup de morts », ajoute-t-il.

Les effectifs et les véhicules militaires peu adaptésà la réalité du terrain, face à des hommes armés à moto qui peuvent disparaître dans les brousses parmi les populations, sont pointés du doigt par de nombreux habitants, mais aussi un certain manque de volonté politique. « Si l’armée faisait ses patrouilles au niveau des hameaux, des villages, peut-être qu’ils cesseraient. Mais ils ne le font pas. À mon avis, jusque-là, on a pas vraiment voulu chasser les djihadistes de ces zones. Dans le Macina, à Diabaly, Diafarabé, Dogo, etc., on sait exactement ou se trouve les djihadistes. Les gens là-bas peuvent vous dire où ils sont », indique cet habitant de Mondoro dans le cercle de Douentza.

Une katiba en évolution Dans ce contexte où l’État est faiblement présent, les habitants de la région de Mopti sont partagés entre le recours à la force pour chasser les djihadistes et l’organisation de cadre de concertation pour discuter avec eux. « Il faut que l’on identifie leurs chefs et que l’on s’assoit pour discuter. La plupart de ces hommes sont des chômeurs. Il faut créer de l’emploi, si chacun a de quoi vivre, sans quémander ou voler, ils cesseront tout ça. En attaquant, on risque de tuer des innocents. L’État tirera sur ses propres enfants et ce n’est pas une solution », avance cet élu du cercle de Youwarou.

Toujours est-il que prochainement seront déployées dans la région, les forces de la Minusma et du G5 Sahel. Rien de nature à inquiéter les hommes de Kouffa aux dires de certains. «  La mise en place du G5 Sahel coïncide un peu avec la mise en place du G5 des djihadistes », lance le Dr Bréma Ély Dicko, chef du département sociologie-anthropologie de l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako et fin connaisseur de la région. « On assiste à une évolution dans les modes opératoires. Les djihadistes sont en train d’aller vers la deuxième étape de leur implantation, qui consiste à inviter les populations à aller vers des pratiques plus rigoristes de l’islam. Vers un islam fondamentaliste. Ce ne sont plus seulement les représentants de l’État qui sont menacés, mais les populations locales, sommées de pratiquer un islam pur, débarrassé de tout syncrétisme. C’est ce que l’on voit notamment à Kouakourou et à Dialloubé », explique le chercheur, qui avoue ne pas entrevoir de portes de sortie à cette situation critique, et qui craint que la logique du tout militaire, sans appui des populations, ne parvienne à venir à bout d’un phénomène désormais bien enraciné.

 

 

Tenenkou : 5 morts et 7 blessés

La déclaration commune ayant sanctionné la réunion de haut niveau entre les Bambara et peuls, tenue le 25 juillet dernier à Dioura, n’a pas pu empêcher les tueries fratricides entre Bambara cultivateurs et peuls éleveurs à Karéri dans le cercle de Tenenkou. Le bilan officiel d’un nouvel affrontement fait qui s’est déroulé le samedi dernier fait état de 5morts et 7 blessés.

Les participants à la rencontre du 25 juillet avaient convenu de renforcer les dispositifs de concertation entre les différentes communautés par la mise en place des commissions de veilles à Nampala, Dioura et Tenenkou, pour éviter les cas de vols de bétails, sources de conflits entre les différentes communautés, mais ces disposition n’auront pas permis d’anéantir la capacité de nuisance des bandits armés. Selon des sources locales, ces nouveaux affrontements seraient encore partis d’un vol de bétails. Les voleurs poursuivis par des Bambaras ont ouvert le feu sur eux. « il s’agit plutôt de bandits armés que de voleurs. Ils veulent mettre le chaos partout dans notre localité en semant les troubles entre les Bambaras et les Peuls qui ont toujours vécu ensemble en parfaite symbiose. Mais on se laissera pas faire », explique un élu local.

Dans un communiqué, le gouvernement tout en apportant son soutien aux familles des victimes, a annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire pour identifier et interpeller toutes les personnes impliquées dans ces actes de violences et la mise en place des forces de défense et de sécurité pour éviter d’autres cas similaires et prendre toutes les dispositions pour un traitement diligent des blessés. Après avoir rencontré les élus et les personnes ressources de Tenenkou, le premier ministre a décidé d’envoyer une délégation composée de membres du gouvernement, de députés et de notabilités. Il faut également souligner, qu’en mai dernier, cette même localité a connu des affrontements meurtriers entre Bambaras et Peuls faisant 24 morts et 5 blessés.

Centre du Mali : le péril peul

Le 18 juin dernier, à la veille de l’anniversaire de la signature de l’Accord de paix, un appel téléphonique à l’AFP, va mettre en ébullition les médias et les rédactions nationales. Un nouveau groupe armé ethnique, l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (ANSIPRJ), fort de 700 combattants, tous Peuls, est créé par un obscur tamasheq d’adoption peule, Oumar Aldjana. Ce groupe semble résulter de toutes les frustrations accumulées à travers les décennies par cette communauté, et qui se sont soldées, en mai dernier, par des dizaines de morts, dans le cercle de Tenenkou.

Au centre du Mali, la compétition autour des terres arables et des ressources génère chaque année des conflits récurrents, entre éleveurs et agriculteurs. « Ils saisissent les tribunaux, où les jugements s’éternisent, les problèmes au fil des années viennent s’accumuler, c’est un embouteillage de conflits non résolus », explique Amadou Modi Diall, président de l’association peule Dental Pulaaku. Ces conflits répétitifs, non solutionnés, génèrent une grande frustration de part et d’autre. « Ils se considèrent d’une certaine manière comme des citoyens de seconde zone », ajoute Bréma Ély Dicko, anthropologue-chercheur, à l’université des lettres et des sciences humaines de Bamako.

Facteurs aggravants

Cette mauvaise gouvernance n’est pas l’unique facteur de révolte. La dégradation de l’environnement a rendu la vie des éleveurs difficile et beaucoup d’entre eux doivent nourrir leur famille mais aussi leur cheptel, là où la nature y pourvoyait auparavant. De plus, la plupart ne sont pas éduqués, mais tous ont été à l’école coranique et connaissent beaucoup plus la terminologie religieuse que les cours de l’école classique. « Le taux d’alphabétisation est faible, la démocratie, le civisme, les partis politiques, sont des notions éloignées là-bas. C’est un facteur de divergence et d’incompréhension », déplore Amadou Diall. Dans ce climat de frustration, il n’est pas étonnant que les prêches d’un prédicateur comme Hamadoun Kouffa, chef du Front de libération du Macina (FLM), séduise dans une communauté ou l’islam est un socle important. « Kouffa a été une sorte de guide, ils l’ont suivi car c’est le seul qu’ils aient entendu », indique encore Amadou Diall.

Entre djihadisme et banditisme 

Dans le cercle de Tenenkou, de Macina, de Niono, jusqu’en Mauritanie, opère une nébuleuse de groupuscules armés, qui profitent de la faible présence de l’État pour se venger sur tout ce qui le représente, le considérant comme une force d’oppression. « Kouffa est passé dans presque toutes les mosquées de tous les villages, c’est le « Haïdara du centre » !  Il fait ses prêches en peul, une langue parlée par tous dans la zone, bozos, bambaras ou dogons. Quand on parle de djihadistes peuls, ce ne sont donc pas forcément que des Peuls », explique Bréma Ely Dicko. Dans cette nébuleuse, on trouve des hommes du FLM, et une majorité de personnes frustrées ou lésées par trop d’injustice, qui ne cherchent pas forcément la radicalisation. «  Quand vous regardez, toutes les personnes qu’ils ont tuées sont des représentants de l’État. Ils n’ont pas tué des gens parce qu’ils ne priaient pas, ils n’ont pas été dans les églises pour les fermer », explique ce membre d’une association peule. Certains d’entre eux sont des anciens du MUJAO, qui suite au coup d’État ont dévalisé les garnisons, permettant aux populations de s’emparer des armes pour se défendre du racket, des voleurs, ou se faire justice. « Oumar Aldjanna parle de 700 combattants, mais dans ces zones, il est en effet facile d’en trouver 700, les gens étant armés et mécontents contre l’État », déclare ce gendarme sous anonymat.

Le cas Aldjannah

Le 18 juin, suite à l’annonce faite par Oumar Aldjanna, Amadou Diall a décroché son téléphone pour l’appeler : « je lui ai dit de stopper, de revenir, mais il n’a rien voulu entendre. Oumar était membre de notre association, il s’occupait de la communication. Il était là tous les jours. Sa démarche est une déviance par rapport à ce que nous prônons. Nous, nous voulons la paix », confie-t-il. D’origine touarègue de la tribu Daoussac du coté paternel et peul par sa mère, Oumar Aldjanna a grandi dans le Macina et a vécu les conflits fonciers entre transhumants et paysans. Pendant la crise, il se rebelle et entre au MNLA. À la fin du conflit, il passera quelque temps au camp de réfugiés de Mbéra en Mauritanie. De retour à Bamako, il s’engage dans le secteur associatif, pour les droits de sa communauté. « J’ai rarement vu une personne aussi engagée que lui. Au début, il ne voulait pas d’engagement armé. Jusqu’à l’attaque de Maleimana (3 mai 2016), son discours, c’était de faire quelque chose pour les Peuls », se souvient Bréma Ely Dicko.

Prime à la kalachnikov

Pour les gens qui l’ont bien connu, le basculement vers le combat armé n’est pas totalement une surprise. « Son action, c’est une façon de pousser l’État à s’intéresser à la question peule. Je ne pense pas qu’ils mettront leurs menaces à exécution. Ils sait qu’au Mali, il y a une « prime à la kalachnikov », ajoute un proche. Selon eux, prendre les armes, comme les autres mouvements, c’est un moyen de  trouver des interlocuteurs. « C’est l’opportunité d’intégrer le processus de DDR (Désarmement, démobilisation et réintégration). Il veut aussi s’y engouffrer car c’est un gâteau dans lequel chacun pourra avoir une part », résume Bréma Dicko.

Oumar Aldjanna confiait en début d’année regretter que les Peuls ne soient pas associés à l’Accord de paix et aux patrouilles mixtes. Pour lui, cela aurait été l’occasion de réparer les injustices. En attendant, c’est dans la clandestinité et le combat armé qu’il semble vouloir agir, même si la communauté qu’il défend ne lui reconnaît pas cette légitimité, lui qui n’est pas totalement peul. Néanmoins, si son mouvement n’est pour l’instant qu’une braise, elle se trouve dans un environnement, le centre du Mali, hautement inflammable. « On risque d’assister à une guerre asymétrique, qui visera les sous-préfets, les gendarmes, les fonctionnaires. Si l’État s’assume, le problème peut être résolu, avec plus de justice. Il faut situer les responsabilités, que les bourreaux puissent reconnaître leurs torts et quand ils feront ça, les victimes pourront pardonner au fil du temps. Car, il y a beaucoup d’Oumar Aldjana aujourd’hui, qu’on ne voit pas, qui ne parlent pas, mais qui n’attendent qu’une occasion pour rendre cette situation explosive », conclut Bréma Ely Dicko.

Forum de Nampala reporté, calme précaire à Kareri

À Kareri, dans le cercle de Tenenkou, tout le monde reste dans l’expectative après les affrontements intercommunautaires qui ont endeuillé cette partie du pays. Le forum qui devait se tenir à Nampala a finalement été reporté à début juin.

L’orage des affrontements intercommunautaires passé, il règne dans le cercle de Tenenkou un calme relatif. Au lieu du forum à Nampala prévu, une rencontre a eu lieu à Kareri du 20 au 24 mai, en présence du ministre de la Solidarité, de l’action humanitaire et de la reconstruction du nord, Hamadoun Konaté, du ministre de la Décentralisation et de la réforme de l’État, Mohamed Ag Erlaf, du ministre de la Réconciliation nationale Zahabi Ould Sidi Mohamed et du ministre de la Défense, Tiéman Hubert Coulibaly, des deux députés élus à Ténenkou, Abderrahmane Niang et Amadou Cissé et du maire de Kareri. Joint par Journal du Mali, le maire de Kareri, Mamadou Coulibaly explique que rien n’a été décidé à cette rencontre à laquelle environ 200 personnes ont pris part, et que les participants ont tous jugé nécessaire que « tout le monde déposé et rendent les armes. » Mais, déplore-t-il, « ce n’est toujours pas le cas. » À l’en croire, des assaillants auraient attaqué des jeunes à la recherche de paille à 15 km au sud du village de Maleimana, dans la commune de Kareri, il y aurait eu un mort et un jeune aurait été enlevé. « C’est l’armée malienne, en patrouille dans la zone, qui aurait retrouvé le corps du jeune tué », poursuit-il. Interrogé, le lieutenant-colonel Souleymane Maïga, chef de la direction de l’information et des relations publiques des armées (Dirpa), affirme que l’armée a retrouvé le corps d’un jeune homme âgé d’environ 20 ans, qui s’appelle Mohomodou Coulibaly, après une attaque non loin de Maleimana. La gendarmerie de Tenenkou a ouvert une enquête. Le maire de Nampala, Baba Brahima Bâ, n’a pas confirmé ces informations qu’il dit avoir, tout de même, reçues samedi : « On ne sait plus ce qui est vrai ou faux. Je ne saurai me prononcer là-dessus. »

Dans cette zone, le calme précaire qui règne semble fragile. Tous les espoirs se fondaient sur la tenue du forum qui devait se tenir à Nampala. Selon nos informations, il aura lieu les 2 et 3 juin prochains. Son report tiendrait au fait que le budget de l’évènement n’était pas bouclé.

Conflits communautaire : 3 questions à Ibrahim Maïga, chercheur à l’institut ISS Africa

Quelle est votre lecture des conflits dans la région de Mopti ?

Le prisme ethniciste peut être une dimension de ces conflits, mais à mon avis on est face à de vieilles rancœurs qui, avec la criminalité, se sont accentuées au fur et à mesure des expropriations ou des changements climatiques. Ces conflits sont plus violents aujourd’hui car on est dans une situation post-2012, où on peut se procurer très facilement des armes.

Les djihadistes sont-ils aussi un facteur déclencheur ?

La venue du Front de libération du Macina a contribué à exacerber les tensions entre les deux les communautés. Ce groupe djihadiste a une notion particulière du foncier et estime que la terre appartient à Dieu, et que le bétail peut passer partout. Il n’y a plus d’expropriation, plus d’interdiction. Une partie des populations adhère à ce discours parce que le FLM leur rend justice.

Quel est le poids de ces mouvements dans la zone ?

Il est difficile de faire la différence entre les actes de banditisme, de vengeance et les actes terroristes parce que les trois se chevauchent. Un collègue chercheur sur ce sujet parle de « coup d’état social », c’est-à-dire des gens qui, dans un certain contexte sont marginalisés, pensent que c’est le moment de prendre leur revanche. Il est facile de dire que c’est un acte terroriste alors qu’il s’agit peut-être d’un conflit entre chefs de village, entre deux communautés, etc

Conflits communautaires : Terre, eau, djihadisme et déni de justice

Depuis 3 mois, la tension et la paranoïa ont envahi le cercle de Ténenkou opposant deux de ses principales communautés, les Peuls et les Bambaras, dans des conflits sanglants où les réflexes communautaires prennent le dessus, nourris par des rancunes anciennes. Les attaques qui succèdent aux représailles ont occasionné une trentaine de morts. Ces évènements tragiques ne sont pas inédits dans la région, mais la nouveauté réside dans leur proportion et leur degré de violence. Et cela a de quoi inquiéter.

Les médias se font faits écho de ces conflits sous l’angle ethnique. Pourtant, ces communautés vivent ensemble depuis des décennies. «  Il faut faire très attention en parlant de confrontation Peuls-Bambaras. Dans cette zone toute personne qui pratique l’agriculture est assimilée aux Bambaras. Dans les faits ils peuvent être Bozos, Dogons, ou Sénoufos, mais du moment qu’ils pratiquent l’agriculture, on les appelle Bambaras. Faire cette opposition, c’est voir ces évènements seulement d’un point de vue ethnique », explique Naffet Keïta, anthropologue. Dans la région de Mopti, ou la terre et l’eau sont des ressources précieuses, ces conflits souvent très meurtriers ont toujours eu lieu entre agriculteurs, éleveurs et pêcheurs. Il suffit parfois d’une victime pour qu’un conflit interpersonnel dégénère en conflit communautaire.

Un conflit ancien pour la terre et l’eau

Dans la région de Mopti, dont l’activité agricole, pastorale et piscicole est le moteur socio-économique, les tensions et les compétitions autour des ressources naturelles sont fréquentes. Le delta intérieur du fleuve Niger, qui fait vivre plus d’un million de personnes, est exploités tour à tour par les pêcheurs, les éleveurs et les agriculteurs pour en consommer et exporter les ressources. Des conflits pour la terre et l’eau peuvent subvenir si cette chaîne est enrayée par l’un des exploitants.

Dans ces zones, le droit coutumier s’oppose souvent au droit moderne, créant des désaccords qui peuvent se transformer en conflits violents. L’absence de lois écrites en la matière permet à certains de tourner le sens des coutumes, de les interpréter seulement dans le sens de leurs intérêts. Ces conflits naissent souvent entre le propriétaire d’une portion de terre (le dioro en langue peule) et son locataire (souvent éleveur) au sujet du paiement des redevances. « Pour chaque tête de bœuf qui rentre dans les pâturages, l’éleveur doit payer une somme au dioro. D’abord symbolique, cette redevance s’est instituée. Les prix peuvent fluctuer fortement », explique cet habitant de la commune de Dioura. Dépassement des limites d’un terrain, occupation non autorisée d’une parcelle, transformation d’un pâturage en champ, refus du droit de passage des animaux, dégâts des champs, revendication de propriétés coutumières, autant de conflits qui opposent éleveurs aux agriculteurs et qui viennent s’amasser en dossier dans les tribunaux. Le manque de justice, la corruption, ou les abus fréquents commis par les forces de sécurité souvent à la solde des dioros, ont cristallisé les rancœurs. « Sur le terrain, les communautés pensent que ce sont les représentants de l’État qui exacerbent les conflits. Un contentieux qui a éclaté depuis quelques années peut se retrouver toujours non traité au niveau du tribunal. Chaque année, les juges appellent les partis et chacun vient avec des millions pour pouvoir gagner. Donc ces conflits ne sont pas tranchés et sont une manne financière pour certains au niveau de la justice ou la gendarmerie. Mais les rancunes, elles, s’accumulent », explique Naffet Keïta.

Beaucoup, désabusés par l’administration et les forces de sécurité, face à l’injustice et aux abus, peuvent être séduits par les thèses islamistes. « Les djihadistes ne sont pas considérés comme des fous par tout le monde dans la région de Mopti. Les gens, de façon très informelle, vous disent qu’ils en connaissent, qu’ils disent la vérité. Ils passent en quelque sorte pour des apôtres d’une certaine justice sociale qu’ils basent sur l’Islam. Les gens qui sont en souffrance pensent dans ce cas qu’ils peuvent apporter une certaine réponse », explique Ibrahim Maïga, chercheur à l’institut ISS Africa.

Djihadistes, bandits et compagnie

Le mouvement djihadiste qui fait parler le plus de lui dans la région est le Front de libération du Macina (FLM) du prédicateur Amadou Kouffa, qui a obtenu une certaine audience nationale au moment où le Haut Conseil islamique s’était ligué contre le Code de la famille en 2009 et lors de la prise de Konna. Avec la création d’Ansar Dine, il a tissé des liens avec Iyad Ag Ghaly. Pour les services maliens, la menace des « gens du Macina » est à tempérer. « Ce n’est pas une katiba en tant que telle, ce sont des petits talibés qui vont au gré de leurs intérêts, ils ne sont pas structurés militairement contrairement aux autres katibas djihadistes ». La région où le FLM opère est fortement islamisée depuis le règne théocratique de Sékou Amadou, le fondateur de l’Empire du Macina. On y trouve nombre de médersas et d’écoles coraniques. Tous les évènements de la vie sociale sont liés aux préceptes religieux. Dans ce contexte, la volonté d’Amadou Kouffa d’imposer sa vision de la religion semble difficile, car son interprétation du Coran n’est pas plus légitime que celle de ceux qui habitent la zone. Mais leurs trafics d’armes contribuent à en accentuer la prolifération, « ce qui permet de donner plus de relief aux conflits intercommunautaires », ajoute Naffet Keïta.

Avec la crise de 2012, les activités génératrices de revenus ont diminué et nombre de gens se sont essayés au banditisme, profitant de l’absence des forces de sécurité. Conséquence, chaque village à son propre groupe d’autodéfense, organisé par les grandes familles locales. « Ce sont les jeunes d’une communauté qui se rassemblent de façon spontanée, pour la plupart des anciens mercenaires ou de la police islamique. À la fin de la guerre, ils sont revenus, n’ont pas été réinsérés, et se sont donc lancés dans la criminalité et le banditisme », explique le commandant Modibo Namane Traoré. Pour les services maliens, cette situation est jugée très préoccupante : « il faudrait les intégrer dans les forces armées, car ils sont sans travail et désœuvrés. Leurs cheptels ont été décimés ou sont morts de faim ou de soif, ils n’ont plus rien », ajoute une source membre des forces de sécurité.

Aujourd’hui, contrôler ces conflits intercommunautaires entre nomades et sédentaires  semble complexe, dans ces vastes zones ou l’absence d’État laisse libre cours aux règlements de comptes, au banditisme et au djihadisme.

Forum de la paix et de la réconciliation à Nampala

Pour tenter de mettre un terme à ces affrontements récurrents, une mission gouvernementale s’est rendue dans la région de Mopti et a pris contact avec les communautés concernées et les autorités locales. Après de nombreux échanges, elle a obtenu l’adhésion des communautés bambara et peule à la paix et la réconciliation. Sous l’initiative de la commune de Karéri, un forum se tiendra les 20 et 21 mai dans la ville de Nampala, dont 80 % des victimes peuls sont issues, pour sceller la paix. 400 personnes y sont attendues, dont le ministre de la Réconciliation nationale, et les autorités et élus locaux. La signature d’un accord entre l’État et les communautés, qui pourrait faire l’objet de sanctions s’il n’était pas respecté, est l’objectif visé. Le ministre de la Défense, Hubert Tiéman Coulibaly, a décidé l’envoi prochain d’un détachement de l’armée dans la zone, pour protéger les populations. Pour Naffet Keïta, le problème des conflits communautaires dans la région de Mopti ne pourra cependant pas être réglé complètement ainsi. « Ce problème aurait dû être réglé depuis la dernière conférence des bourgoutières (zones inondables – ndlr). On pouvait s’attendre à ces évènements. Tant qu’on ne videra pas les différents contentieux au niveau des tribunaux et au niveau des gendarmeries, ça repartira. Il faut que les cas soient jugés pour établir qui a raison et qui a tort et que l’État accompagne les différentes communautés dans la modernisation de leurs gestions de l’espace ressource ».