Fahad Ag Almahmoud : « Nous ne pouvons pas accepter que cette tendance prenne le contrôle de la Plateforme »

La Plateforme des Mouvements du 14 juin 2014 d’Alger, partie signataire de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale est depuis quelques semaines sujet à des dissensions internes.  Le dernier acte de discorde était le retour au CSA du secrétaire général du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) en lieu et place de son secrétaire permanent. Fahad Ag Almahmoud, secrétaire général du GATIA, membre de la Plateforme, explique les points d’achoppements.

Qu’est-ce qui explique les dissensions au sein de la Plateforme ?

Après la signature de l’Accord en 2015, on nous a communiqué le nombre des représentants de la Plateforme au sein du Comité de suivi de l’Accord (CSA). Il y a eu un tiraillement entre le secrétaire général du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), Ahmed Ould Sidi Mohamed et  son secrétaire permanent.  Nous, nous avons estimé à juste titre que le secrétaire permanent nous est plus utile que le secrétaire général, vu l’âge de ce dernier, ses problèmes de santé et sa lucidité. Nous avions donné la liste mais quelques temps après il écrit au CSA pour dire qu’il conteste. Le CSA a estimé que la Plateforme a donné une liste et il a été prié de sortir de la salle en 2016. Entre temps, il y a eu un problème d’humeur entre la branche MAA de Tombouctou et celle de Gao. Cette dernière a écrit au CSA pour lui demander d’enlever le secrétaire permanent. Le président du CSA a donné une suite favorable à cette missive, or qu’en 2016, la demande avait été déboutée. Et cela,  sans donner aux parties concernées une marge de manœuvre suffisante à fin de parvenir à un compromis.  Au sein aussi de la Plateforme et de la CMA il y a des mouvements qui ont des liens avec des groupes terroristes et d’autres qui n’en ont pas et qui les combattent comme nous. C’est en fonction de cela que défendons ou pas. C’est ce qui a créé notre proximité avec la tendance de Moulaye Ahmed Ould Moulaye Reggani (secrétaire permanent), car  nous pensons que l’autre de Gao est complètement sous les ordres de la CMA.  Nous ne pouvons pas accepter que cette tendance prenne le contrôle de la Plateforme.  Ce vieux a vécu 35 ans en Mauritanie et n’a aucune attache militaire chez nous.

Que comptez-vous faire ?

Nous ne comptons plus être assimilés à des gens qui n’ont pas le même agenda que nous. Nous tous faisons partie de la Plateforme originelle. Chacun de nous est là parce qu’il représente des hommes en armes. On ne peut pas faire sortir celui qui représente ces hommes  et amener quelqu’un qui ne représente personne. Je ne peux pas comprendre que le président (Algérie) du président du CSA (Ahmed Boutache) ait été obligé de démissionner il y a quelques  semaines parce qu’il est inapte, et que, dans le même temps, ce dernier veuille que nous acceptions une personne tout aussi inapte. Nous comptons entreprendre tout ce qui rendra audible notre mécontentement.

Ces dissensions ont –elles un lien avec Me Harouna Touré que vous récusez?

Tout le monde sait depuis très longtemps que Me Harouna Touré est au service de la CMA. Nous ne partageons plus les mêmes valeurs. Il n’est plus notre porte-parole  et même la CMFPR a officiellement écrit au président du CSA et à la communauté internationale pour leur dire qu’il ne les  représente plus. Lui et ce vieux sont tous au service d’une certaine partie obscurantiste de la CMA.

 

Me Harouna Toureh : « Personne ne peut changer la direction du CMFPR en conférence de presse »

Désavoués par certains membres de la CMFPR (Coordination des mouvements et forces patriotiques de résistance), Me HarounaToureh, peu bavard dans les médias, a bien voulu nous accorder un entretien. Il y évoque cette sortie médiatique et les derniers développements de l’affaire Sanogo et co-accusés.

Journal du Mali : Des membres de la CMFPR ont lors d’une conférence de presse déclaré ne plus vous reconnaitre comme Président. Comment appréciez-vous cette sortie ?

La Coordination des Mouvements et Forces Patriotiques de Résistance (CMFPR) n’est ni une société anonyme ni une association de droit. C’est un mouvement armé organisé en coordination autour des hommes et des combattants qui portent des armes. Personne ne peut en changer la direction par une assemblée générale ou une conférence de presse, parce qu’elle n’a pas été mise en place lors d’une assemblée générale ou d’une conférence de presse organisée à Bamako.

Vous représentez donc toujours la CMFPR ?

C’est fini, c’est écrit, c’est dans le marbre jusqu’à la fin du processus né de l’Accord de Paix. Les auteurs de ces dénigrements et diffamations n’en sont pas à leur première tentative d’éviction de ma personne.

Il y a plusieurs CMFPR. Laquelle présidez-vous ?

La CMFPR est l’organisation politico-armée que j’ai l’honneur de diriger. Cette organisation comme la CMA et la Plateforme, a connu une dissidence, qui a créé la CFMPR2, qui a rejoint le MNLA. La CMFPR2 a également a connu une dissidence, la CMFPR3, dirigée par un magistrat. Moi je dirige la chapelle CMFPR. Ceux qui nous agressent  régulièrement appartiennent à la CMFPR3 et ne partagent pas notre vision d’un Mali pour tous.

Dans leur réquisitoire, ils vous accusent d’entretenir des liens flous avec la CMA et avancent que vous vous êtes trouvés en même temps à New-York…

Je n’étais pas à New-York et je n’ai pas de relations floues avec la CMA. La CMA est une Partie de l’Accord et nous avons pour mission, à la Plateforme, de nous rapprocher de toutes les Parties afin de mettre en œuvre l’Accord. N’oubliez pas que la CMA et la Plateforme, entre autres, parlent au nom des mêmes populations. J’étais en vacance avec ma famille à Washington, car cela fait plus de trente ans que je pars en vacances à l’étranger en fin d’année.

Vous aviez demandé une liberté conditionnelle pour Sanogo et ses co-accusés. Deux l’ont obtenu, les autres non. Comment interprétez-vous cette décision ?

Les avocats du Général Amadou Aya Sanogo ont à plusieurs reprises demandé sa libération provisoire, avant le procès qui a été ajourné et après l’ajournement du procès, sans succès. Le vendredi 26 janvier 2018, deux de ses co-accusés ont été mis en liberté provisoire sans contrôle judiciaire. En tant qu’avocat, cette décision me réjouit, d’abord parce qu’elle est légitime et conforme à la loi, ensuite parce qu’elle concerne de valeureux officiers supérieurs de notre armée, en quête de crédibilité et de réhabilitation. J’aime répéter que l’État du Mali ne respecte pas l’indépendance de la justice et s’immisce trop souvent dans ses affaires. Il contrôle la main et la conscience de certains magistrats, lesquels, par une crainte injustifiée, s’abstiennent de prendre courageusement les décisions qui les honorent et honorent leur noble métier.

Le Général Sanogo et ses co-accusés sont arbitrairement détenus, car le délai légal de détention, trois ans en matière criminelle, est largement dépassé (Article 135 du Code de procédure pénale). Le Général Sanogo a été placé en détention le 27 novembre 2013. Depuis, il s’est écoulé quatre ans et deux mois. La preuve de l’arbitraire est incontestable.

Quelles sont les voies de recours ?

Le recours devant la Cour Suprême est exercé. Mais si elle est dans la même posture et le même état d’esprit que le juge d’instruction ou le président de la chambre d’accusation, la réponse sera la même. Le pouvoir judiciaire n’arrive pas, hélas, à conquérir son indépendance, garantie par la Constitution. Il dépend beaucoup trop du politique et s’intéresse peu à la primauté de la règle de droit. Nous envisageons de saisir la Cour des Droits de l’Homme de la CEDEAO pour faire constater et condamner cette détention arbitraire. Nous, juristes, ne nous satisfaisons pas de cette  situation, surtout de la part d’un État.

Pourquoi ce procès traine-t-il tant ?

Il faut poser la question au Procureur général de la Cour d’appel de Bamako, c’est lui qui a la charge de son organisation.

 

Les autorités intérimaires mettent Gao en colère

La mise en place des autorités intérimaires doit avoir lieu cette semaine à Tombouctou et à Gao. la Plateforme devrait assurer la présidence de la région de Gao, mais dans la cité des Askia, cette décision passe mal. Les populations, pour la plupart, déplorent de ne pas avoir été consultées et ne sont pas prêtes à se laisser imposer la Plateforme. Elles souhaitent que le futur président soit déterminé par des élections ou choisi par eux-mêmes.

Depuis dimanche dernier, soit deux jours après les conclusions de la réunion de haut niveau du Comité de suivi de l’Accord (CSA), les mouvements de résistance civile et les associations de Gao sont en effervescence, mobilisés contre la décision qui impose la Plateforme à la présidence de la région. « Pendant la crise nous nous sommes défendus sans demander l’aide de personne, ni de la Plateforme, ni de la CMA, cette dernière était d’ailleurs l’occupant. Aujourd’hui, on vient nous imposer la Plateforme, mais qu’est-ce qu’elle a fait pour nous libérer, rien ! c’est nous-même qui nous sommes libérés. On ne voit pas pourquoi les autorités maliennes s’entêtent à ce que les autorités intérimaires soient pilotées ici à Gao par la Plateforme qui n’est pas représentative de la communauté », assène Moussa Boureima Yoro, coordinateur des mouvements de résistance civile de Gao, qui compte quelques milliers de membres à travers la région de Gao.

La Plateforme, un conglomérat de groupes d’autodéfense politico-militaires pro-gouvernementaux héberge dans ses composantes le CMFPR (coordination des mouvements et Front patriotique de résistance), qui a un passif à Gao. Issu des différents mouvements de résistance de la région, qui se sont réunis pour le mettre en place durant la crise, Ce mouvement leur aurait tourné le dos. « Le CMFPR et ses dirigeants ont fini par écarter tous les dirigeants de la communauté et s’allier aux Arabes et aux Touaregs qui nous ont occupés. Ils décident entre eux et prennent toutes les décisions de la mise en œuvre de l’Accord », poursuit Moussa Boureima Yoro.

Bien qu’il y ait eu des élections communales à Gao, le gouvernement justifie la mise en place des autorités intérimaires par l’absence d’une autorité chargée de diriger la région et non la commune. Les jeunes de Gao répondent qu’ils peuvent organiser des élections au niveau régional, et précisent qu’auparavant, «  il n’y a jamais eu d’élections régionales, ça n’existait pas ».

Pour le moment, les jeunes de Gao ne sont pas descendus dans la rue pour protester, mais les rencontres entre les différents mouvements de résistance civile et associations se multiplient, face à l’urgence de la situation. « Les gens n’ont pas encore agi mais ils sont remontés par cette décision. C’est quelque chose qui s’est préparé à Bamako et qu’on va parachuter sur nous. S’ils veulent mettre des autorités intérimaires, qu’ils le fassent à Kidal, à Taoudenni, à Ménaka mais pas à Gao. On nous impose cette décision avec des gens que l’on n’aime pas, des personnes qui ne sont pas représentatives de la région, pourquoi veut-on nous mettre ces gens-là ? Est-ce qu’on nous a vendu ? est-ce que la région de Gao ne serait plus une partie du Mali ? est-ce qu’on veut nous imposer l’Azawad pour que ce soit coûte que coûte notre référence ? s’interroge le coordinateur des mouvements de résistance civil, qui ajoute, « pour l’instant nous sommes en consultation, nous attendons de voir ce qu’ils vont poser comme action, nous poserons les nôtres et nous verrons. Notre réplique sera à la hauteur de leurs actions, c’est tout ce que je sais ».

Signe d’une rupture consommée avec le gouvernement, la campagne de préparation de la Conférence d’entente nationale qui a débuté hier à Gao, les mouvements de résistance n’y étaient pas conviés, ils ont pu finalement y participer après une intervention musclée d’un de leurs camarades. Un avant-goût du bras de fer en train de se mettre en place avec les autorités maliennes, à un moment où les autorités intérimaires et le MOC sont enfin sur les rails.

La CMFPR fait une mise au point

Après avoir parlé des grandes lignes du processus qui a aboutit à  la création de la coordination, le président de Ganda-Izo Ibrahim Kantao, a également évoqué les difficultés de la coordination. La CMFPR annonce avoir appris « avec une grande stupéfaction que certains de ses membres se sont rendus à  Alger pour des pourparlers directs avec les mouvements rebelles de l’Adrar des Ifogas ». Pour la coordination, cette participation est faite en violation des principes de concertations de pourparlers inclusifs de paix et de consensus établis depuis Ouaga par la CMFPR en vertu de la Résolution 2100 des Nations Unies. La CMFPR a déclare que les participants à  ces pourparlers ne la représentent pas. M. Kantao a saisi l’occasion pour rappeler que « Me Harouna Touré n’était qu’un de ses portes paroles et qu’à  ce titre, il ne peut engager la coordination. Toute déclaration de sa part pour écrire et paraphée par les responsables des mouvements et associations membres est nulle et nul effet ». « Pour mettre fin à  toute cacophonie, depuis le 14 janvier Me Harouna Touré n’est plus le porte parole de la CMFPR. En attendant la restructuration complète, M. Ibrahim Abba Kantao a été désigné pour assurer la présidence de la coordination a indiqué pour sa part, le Pr Younoussa Touré, sécrétaire général de Ganda-Koy. « En dénonçant les pourparlers d’Alger, cela ne signifie pas que nous sommes contre l’implication de l’Algérie dans la gestion de la crise » a t-il poursuivi. « A l’heure ou toutes les organisations et sensibilités du Nord, en concertation avec les populations à  la base sont en train d’élaborer de façon unanime un projet de plateforme de revendication, cette initiative travestit les efforts en cours et met en péril la cohésion recherchée » ont souligné les responsables. Ils ont invité « les membres, qui partagent l’esprit de Ouaga à  le faire prévaloir en toute circonstance, pour la cohésion de la coordination et dans l’intérêt de la paix et de la sécurité au Mali ».