Baba Dakono : « Les prémices d’une crise n’indiquent pas forcément sa matérialisation »

Alors que l’élection présidentielle approche, les tensions entre l’opposition et le gouvernement vont croissant. L’interdiction de la marche de la Coalition pour l’alternance et le changement et la volonté de l’État de faire respecter l’état d’urgence semble être les principaux points de discorde. Baba Dakono, chercheur à  l’antenne de Bamako de l’Institut d’étude de sécurité, analyse les risques de crise post-électorale.

Que pensez-vous des préparatifs de l’élection présidentielle du 29 juillet ?  

Le scrutin présidentiel de 2018 est envisagé dans un contexte particulier. Trois points méritent une attention particulière. D’abord la présence des agents électoraux et du matériel de vote sur l’ensemble du territoire n’est pas garantie. Les nouvelles cartes d’électeurs ne seront disponibles qu’en juin, laissant seulement quelques semaines au gouvernement pour leur distribution. Sans oublier qu’avec les premières pluies les routes sont impraticables dans de nombreuses localités, créant ainsi un défi logistique supplémentaire.

Ensuite, vu contexte sécuritaire, la présence effective des représentants de l’administration (préfets et sous-préfets), qui doivent organiser les opérations de vote, n’est pas assurée dans de nombreuses localités du nord et du centre. Ce qui va entraver le déroulement du scrutin. Il faut également ajouter qu’avec la relecture de la Loi électorale le gouvernement envisage de produire de nouvelles cartes biométriques pour remplacer les cartes Nina (numéro d’identification nationale), utilisées depuis 2013. Les nouvelles dispositions permettent, en cas de force majeure, l’utilisation de la carte Nina quand les nouvelles sont indisponibles. Si cette mesure tend à prévenir des difficultés logistiques, elle rappelle tout le défi opérationnel lié au scrutin du 29 juillet.

Enfin, le calendrier de cette élection correspond à une période où de nombreux électeurs, notamment en milieu rural, sont préoccupés par les activités agricoles et accordent peu d’importance à une élection. Ainsi, en plus des menaces sécuritaires, la mobilisation pourrait être très réduite.

C’est toute la difficulté d’organiser la présidentielle du 29 juillet qui soulève des inquiétudes sur la capacité des acteurs du processus électoral à surmonter les difficultés. Sans visibilité sur les actions menées et celles envisagées pour une élection acceptable par les parties prenantes, il est difficile d’éluder les hypothèques sur ce scrutin.

On entend parler de plus en plus de possibilité de crise post-électorale.  L’atmosphère tendue ne l’annonce-t-elle  pas déjà ?

Une crise électorale naît du concours de certaines circonstances, dont la méfiance entre les acteurs et l’instrumentalisation du contexte. Les violences liées aux élections peuvent intervenir avant, pendant ou après elles. L’inquiétude ne doit pas porter uniquement sur la période post-électorale, mais sur toutes les étapes du processus.

C’est dire que les prémices d’une telle crise existent depuis les débats autour de la révision constitutionnelle avortée de juin 2017, dans un contexte de tensions et d’escalade verbale. Actuellement, les clivages entre partisans du Président sortant, Ibrahim Boubacar Keïta, et opposants cristallisent l’attention, dans une atmosphère tendue. Les opposants sont convaincus que les attentes déçues des Maliens par l’actuel président offrent un terrain politique favorable à l’alternance. A contrario, le camp de l’actuel président, jugeant son bilan positif, estime pouvoir remporter l’élection en dépit de la situation décrite par l’opposition. Les récentes déclarations  de l’opposition, comme celles de la majorité, sur la probabilité d’une victoire dès le premier tour attestent du sentiment que chaque  camp entretient. Les récentes manifestations de l’opposition visent d’ailleurs à démontrer l’impopularité de l’actuel président.

Dans un contexte post électoral, si, en 2013, les résultats ont été acceptés sans heurts, il n’est pas évident que ce soit le cas cette année, tant certains candidats sont convaincus de leur victoire et déterminés à la faire accepter. Toutefois, les prémices d’une crise n’indiquent pas forcément sa matérialisation. Il est donc urgent de créer les conditions pour l’acceptation d’un scrutin imparfait et des résultats qui y découleront.

Est-ce que l’emploi par un grand nombre d’acteurs, nationaux comme internationaux  du terme de crise post-électorale, n’est pas un facteur de conditionnement du peuple malien ?

C’est possible, mais cela ne doit pas occulter les risques, qui sont réels. Nous sommes dans un contexte de fragilité et les conséquences d’une crise politique au Mali peuvent être désastreuses pour le pays et pour toute la région sahélienne.

Quelles sont les solutions  aujourd’hui pour éviter les risques ?

Le plus important est de pouvoir identifier tous les risques liés à ce processus électoral. Quand ils sont connus, il est plus facile de les contenir. Ensuite, il est utile de rappeler la nécessité d’un cadre de dialogue inclusif sur les conditions d’organisation du scrutin. Il existe un cadre de concertation gouvernement – partis politiques, mais cela fait deux mois que ce comité ne s’est pas réuni. La majorité et l’opposition s’en rejettent la faute. Il est important, voire primordial, qu’aujourd’hui ce cadre se réunisse et que le dialogue s’ouvre aux autres parties prenantes, comme la société civile et les groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation.

La certification des résultats de l’élection par l’ONU, demandée par l’opposition, n’est-elle pas aussi une  option pour éviter les contestations et les violences ?

Je pense que les Nations unies ont mis fin à ce débat en estimant que la situation ne s’y prêtait pas. 

Procès Simone Gbagbo : la course d’obstacles

S’achemine-t-on vers une impasse dans le procès de Simone Gbagbo, ancienne Première dame ? La question se pose depuis que la défense de l’accusée exige la comparution en tant que témoins, de hautes personnalités du pays.

Condamnée une première fois à 20 ans de prison en 2015, pour des faits « d’atteinte à la sûreté de l’État», Simone Ehivet Gbagbo, 68 ans, est depuis le 31 mai 2016, à nouveau devant la Cour d’assises d’Abidjan. L’ex-Première dame est cette fois poursuivie pour son implication présumée dans des « crimes contre l’humanité et crimes de guerre » perpétrés lors de la crise post-électorale de décembre 2010 à avril 2011, dont le bilan est de 3 000 morts, selon les chiffres officiels. Après plusieurs reports, ce procès pourrait être bloqué par la multiplication des obstacles de procédures.

Difficile équation

La défense de Simone Gbagbo veut voir témoigner à la barre des per- sonnalités politiques et militaires du pays. Et non des moindres ! Au nombre de celles-ci, les anciens Premiers ministres Jeannot Ahoussou Kouadio et Guillaume Soro, l’ancien ministre Charles Diby Koffi, et les Généraux Philippe Mangou, ex-chef d’État-major, Edouard Kassaraté, ex-patron de la Gendarmerie nationale, et Brindou Mbia, Directeur général de la Police nationale. Une requête à laquelle il sera difficile d’accéder, quand on sait que Guillaume Soro est l’actuel président de l’Assemblée nationale, Charles Diby celui ’ ’ du Conseil économique et social, et les généraux Mangou et Kassaraté, respectivement ambassadeurs au Gabon et au Sénégal.

Procédure en cause

Pour la défense de Simone Gbagbo, le témoignage de ces personnalités est essentiel pour la « manifestation de la vérité». « Voulons-nous que le procès se poursuive ou pas ? Si nous voulons que ce procès continue, il faut que les acteurs des faits viennent. », estime Me Ange Rodrigue Dadjé, l’un des avocats de l’ex-Première dame. Dans un communiqué publié le mercredi 26 octobre, le Procureur général, Ali Yéo, faisait savoir que « ces personnes auraient dû être citées par acte d’huissier, avant l’ouverture des débats. Faute de l’avoir fait dans les formes et délais prescrits par la loi, les avocats de Mme Gbagbo ne pouvaient pas demander à la Cour de réparer, aujourd’hui, ce qui a été une omission de leur part». Cela dit, c’est finalement la date du mercredi 16 novembre qui a été retenue pour la comparution en tant que témoins des personnalités réclamées par la défense de Simone Gbagbo. Reste à savoir si des chefs d’institutions, ambassadeurs, et autres ministres répondront présents…