David Dembélé : « Nos révélations sont basées sur des faits, des documents, après des mois d’enquête »

Après les révélations de l’enquête des journalistes David Dembélé et Boubacar Dicko, à partir des documents SwissLeaks, qui révèlent l’existence de sept comptes bancaires offshore détenus par la Conférence épiscopale du Mali (CEM) chez la banque HSBC de Genève, des réactions négatives ou mettant en doute les affirmations des deux journalistes n’ont pas manqué de suivre. David Dembélé a expliqué au Journal du Mali ses motivations, son travail durant cette enquête ainsi que la situation qui prévaut dans la gestion financière de la CEM.

Avez-vous délibérément voulu sortir cette enquête sachant que l’Archevêque Jean Zerbo était nommé cardinal ?

Beaucoup de gens font le lien entre la sortie de cet article et la nomination comme cardinal de l’archevêque Jean Zerbo. Cette enquête a commencé plusieurs mois avant sa nomination, et lui-même ne savait pas qu’il serait nommé cardinal. Pour preuve, lors de la dernière rencontre que nous avons eu, avec mon collègue Dicko, avec l’archevêque Jean Zerbo, je lui ai demandé si le Mali pourrait avoir un jour un cardinal, parce que au-delà de ces questions sur les comptes offshores, nous avions avec l’archevêque des échanges très cordiaux. Il m’a répondu que ce n’était pas possible vu la minorité des chrétiens au Mali, que la nomination d’un cardinal respecte la dimension, la représentativité des chrétiens dans le pays. Il ne savait donc pas qu’il allait être nommé. C’est une semaine après cette entrevue qu’il a été nommé. Ça a été une véritable surprise pour lui. Donc, c’est vraiment un concours de circonstances, car nous avions déjà prévu de publier cet article la semaine qui a suivi sa nomination.

Donc, contrairement à ce que dit le communiqué de la CEM et le ministre du Culte qui a eu des propos très durs envers votre collègue et vous, il n’y a pas eu volonté de nuire au futur Cardinal Zerbo ?

Pas mal de réactions que j’ai lu sur les réseaux sociaux et pas mal d’appels téléphoniques vont dans ce sens. L’archevêque et ses collaborateurs savent eux-mêmes que nous ne savions pas qu’il allait être nommé, donc ce n’est pas du tout un calcul visant à nuire à Mgr Jean Zerbo. Je comprends la réaction du ministre elle aurait pu être plus sobre.

Comment en êtes-vous venu à enquêter sur les comptes offshore de la CEM ?

Le clergé au Mali a toujours géré ses comptes comme bon lui semble. Sa gestion financière a toujours été opaque. Il n’y a pas de transparence mais les fidèles n’ont pas le courage non plus de réclamer cette transparence, de demander des comptes. Je suis ces pratiques depuis longtemps. Je travaille dans un consortium ( International Consortium of Investigative Journalists – NDLR ) qui traitent des fuites comme les Panama Papers ou Swissleaks. Dans les scandales de ce genre, on dispose de nombreux documents. Pour l’affaire Swissleaks, ces documents très volumineux sont tombés entre les mains du Journal Le Monde. Ils ont été envoyés au niveau du consortium qui a des collaborateurs classiques dans différents pays. Ce sont donc les documents et données du Mali que je traite et j’essaie d’en tirer la substance. J’émets une hypothèse d’enquête et c’est sur cette base que je me lance. Quand j’ai vu la CEM sur cette liste noire, je me suis tout de suite demandé pourquoi elle était dans cette liste-là et ce qu’elle avait à faire avec de l’argent caché en Suisse. C’était ma seule motivation, j’ai travaillé sur ce cas de façon méthodique, en fonction des priorités et de la consistance des éléments que j’avais. L’article expose des faits, il donne la parole aux intéressés, questionne sur la provenance de ces fonds et pourquoi ils ont été mis à l’abri.

Votre enquête porte sur des malversations entre 2002 et 2007, mais qu’en est-il aujourd’hui ?

À partir des documents disponibles, nous avons constaté qu’entre 2006 et 2007, ces comptes ont disparu et les documents établissent que l’argent a été partagé entre 3 personnes. Quand l’actuel gestionnaire des finances de la CEM, Noël Somboro, nous dit que ces comptes n’existent pas, les bras nous en tombent, parce que nous avons essayé de faire une simulation sur ces comptes avec l’aide d’un journaliste du site d’information Médiapart, qui nous a aidé sur ce plan et il s’est avéré que ces comptes existent encore à la HSBC. Maintenant sont-ils crédités et de combien, ça reste un mystère.

Vous êtes vous-même chrétien, vous faites partis d’une paroisse à Bamako, avez-vous observé un changement dans le train de vie de ces personnes, une certaine opulence ?

C’est le sentiment de pas mal de chrétiens. On les voit souvent avec des grosses cylindrées, ils sont dans le confort. Il y a pas mal de réactions sur le niveau de vie des prêtres et on se demande d’où vient l’argent. Ce n’est pas un problème pour moi mais je me dis que l’argent recueilli auprès des fidèles devrait être géré dans la transparence et un compte-rendu effectif pourrait être établi s’il y avait cette volonté de transparence.

Vous décrivez l’un des protagonistes de cette affaire, Cyprien Dakouo, comme le « point focal » de la gestion de ces comptes offshore, dont la gestion financière de la CEM était décriée, pouvez-vous approfondir ?

On trouve cette confirmation auprès du personnel actuel, des gens qui nous ont parlé en off, qui ont vraiment souhaité garder l’anonymat, ils disent que Dakouo tripatouillait les comptes et on nous a confié que quand son successeur, l’abbé Somboro, est arrivé, il n’y avait plus rien. Ce dernier a dû relancer les finances de l’église à son arrivée. Il se dit dans le milieu des prêtres qu’il est parti sur la pointe des pieds parce qu’il a été viré. Pas mal de gens s’interrogent sur le pourquoi de son départ. Ça ne semble pas dû à sa volonté d’aller étudier en France. La réalité est cachée.

Quelles ont été les réactions suite à la publication de cet article, au sein des fidèles de l’église du Mali ?

Certains m’ont félicité pour avoir eu le courage de publier une enquête comme ça. C’est comme si une partie de la communauté s’attendait à des révélations et une autre partie, constituée de tous ceux qui bénéficient de ces financements, de ce système, ne voulait pas en entendre parler. Suite à l’article, les bailleurs de la CEM pourraient être amenés à exiger plus de transparence dans la gestion financière de la CEM. Du coup ça pourrait menacer certains projets qui étaient en cours.

Avez-vous été soumis à des pressions voir des menaces après la publication de votre enquête ?

J’ai eu 2 à 3 appels qui sont assimilables à cela. Une personne de mon entourage a aussi été appelée par des proches de l’archevêque pour lui demander que je cesse ces affirmations gratuites. Mais quel intérêt aurais-je à sortir des informations non vérifiées ? nos révélations sont basées sur des faits, des documents, après des mois d’enquête. Je mesure les conséquences de cette enquête mais je n’ai fait que mon travail. Les gens ne voient pas cela, ils voient juste le superficiel, même des journalistes ont eu des réactions spontanées négatives en se basant juste sur le titre de l’article, après l’avoir lu ils sont revenus sur ces réactions.

Qu’attendez-vous comme suite à la publication de votre enquête ?

Encore une fois, il n’y a aucune volonté de cabale, en tant que chrétien je souhaiterais avoir plus de transparence, pas seulement pour moi mais aussi pour toute la communauté catholique qui se pose des questions sur ce que l’église reçoit et sur ce qui est fait de leur argent. C’est un exercice de transparence à portée de main que le clergé peut saisir pour rassurer les fidèles. Ce qui m’a beaucoup frustré c’est de voir le nom de la CEM sur cette liste noire, c’est surtout ça le souci.