Roland Pourtier : « En Afrique subsaharienne, l’alternative à la démographie galopante, c’est le préservatif ou la Kalachnikov »

Fin juillet à Ouagadougou, les parlementaires des 15 pays de la Cedeao se sont engagés à réduire de moitié le nombre d’enfants par femme. La question démographique est un défi crucial pour l’avenir de l’Afrique, dont la population atteindra 25% du total mondial en 2050. Roland Pourtier, Professeur émérite à la Sorbonne et auteur du livre « Afrique noire. Héritages et mutations », s’est entretenu avec Journal du Mali sur cette question sensible, comme l’a prouvé la polémique sur les propos du Président Macron lors du dernier G20.

 L’explosion démographique sera-t-elle un avantage pour l’Afrique à l’avenir ?

C’est un défi majeur. Certains pensent que l’Afrique pourrait bénéficier de ce que l’on appelle le dividende démographique, comme l’Asie au cours des 3 dernières décennies, avec une classe d’âge active très importante par rapport aux dépendants. Seulement, les pays qui ont bénéficié de ce dividende ont tous réalisé leur transition démographique, sans exception. On ne voit pas comment l’Afrique pourrait faire autrement. Aujourd’hui, l’indice synthétique de fécondité (ISF) est encore de 5 à 6 enfants par femme (6,5 enfants au Mali), on est dans des records mondiaux. En continuant comme cela, on va droit dans le mur.

 Quel impact a cette surnatalité sur les pays d’Afrique subsaharienne ?

15 à 20 millions de jeunes arrivent sur le marché du travail et il n’y a pas d’emplois. 90 % sont dans le secteur informel ou au chômage. Ce sont des situations qui ne peuvent pas durer et qui vont se terminer en catastrophe. Ces jeunes n’ont que deux échappatoires : la migration qui est devenue un problème extrêmement préoccupant dans les relations entre l’Europe et l’Afrique et qui ne peut que s’accentuer. Quand on fait des enquêtes auprès des jeunes scolarisés, on est étonné de voir le pourcentage considérable de jeunes qui voient comme avenir l’émigration, partir en Europe ou en Amérique. L’autre échappatoire, c’est que ces jeunes peuvent être sensibles aux discours de ce que l’on appelle les entrepreneurs de guerre, milices, groupes armés. Ils vont se créer une sorte de statut social que la société n’a pas été capable de leur donner. Cela entraîne tous les excès et toutes les déstabilisations qu’on peut observer dans de nombreux pays, le Sahel étant en quelque sorte aux avant-postes de cette situation. J’ai une phrase un peu brutale pour synthétiser cela : en Afrique subsaharienne, l’alternative à la démographie galopante, c’est le préservatif ou la Kalachnikov. C’est donc assez terrible.

Une révolution contraceptive, la baisse drastique du taux de fécondité et le développement peuvent-ils endiguer ce boom démographique ?

La révolution contraceptive n’a pas eu lieu en Afrique tropicale et c’est un impératif. Il faut absolument ralentir le plus possible cette explosion démographique pour éviter de se retrouver dans des situations totalement ingérables dans les décennies qui viennent. Cette révolution contraceptive doit venir en accompagnement d’autres mesures favorables au développement et à la croissance de l’économie. Il ne faut pas oublier le volet démographique comme on a tendance à le faire. Depuis quelques années, la conscience de cet impératif démographique est devenue très forte en Europe, mais malheureusement pas encore dans les pays africains.

 Quels sont les obstacles à des mesures de régulation ? 

Certains ont conservé une mentalité nataliste, comme à l’époque où il y avait une très forte mortalité infantile et juvénile. Ces conditions ont complètement changé, mais les mentalités n’ont pas vraiment suivi. Il y a aussi peut-être une volonté de rattrapage de la période de déclin démographique durant l’esclavage et la première phase de la colonisation. Certains disent plus on sera nombreux, plus on sera forts. Les Chinois disaient la même chose dans les années 60, avant de comprendre qu’il fallait une politique très rigoureuse pour stopper la croissance démographique. Les élites africaines ne sont pas encore dans cette optique mais il va falloir qu’ils y aillent parce que sinon, ils ne vont pas s’en sortir.

 Pourquoi la question démographique est-elle toujours très sensible à aborder ? Est-ce dû à une peur des conséquences notamment migratoire, à la peur d’un « péril noir » ?

La sensibilité sur cette question est un héritage de la colonisation. La vision asymétrique de l’histoire est toujours extrêmement prégnante dans les mentalités et dans les positionnements politiques. Du côté européen, il est vrai que l’arrivée importante de flux migratoires économiques a créé des problèmes qui seront de plus en plus insolvables s’il n’y a pas un encadrement de cette immigration. La situation de l’Italie devient très difficile et on ne peut pas continuer à fermer les yeux. S’il n’y a pas d’efforts consentis en faveur du développement, on ne voit pas comment on pourrait ralentir cette pression migratoire et ce « péril noir » vécu par une partie de l’opinion en Europe. C’est l’un des défis les plus complexes des relations euro-africaines.

 

Démographie: un homme sur 4 sera africain en 2050

La Terre comptera 9,6 milliards d’habitants en 2050. Un homme sur 4 sera africain, la Chine et l’Inde cumuleront 3 milliards d’habitants et la population du Nigéria aura dépassé celle des Etats-Unis. Voilà , entre autres chiffres décoiffants, ce que dévoile le rapport « Révision 2012 des perspectives de la population mondiale », présenté jeudi 13 juin à  New York par les Nations Unies. En dressant un tableau de la population mondiale pour le siècle à  venir, cette étude met en lumière un spectaculaire basculement démographique à  l’échelle de la planète. Et il n’y a plus aucun doute désormais que l’Afrique y tiendra une place conséquente. La population mondiale actuelle devrait augmenter de près d’un milliard au cours des douze prochaines années et passer de 7,2 à  8,1 milliards d’habitants en 2025. Et en 2050 les hommes seront 9,6 milliards, estime l’ONU. « Bien que la croissance démographique mondiale ait ralenti dans son ensemble, ce rapport nous rappelle que certains pays en développement, notamment en Afrique, sont encore en croissance rapide », a déclaré Wu Hongbo, le sous-secrétaire général aux affaires économiques et sociales. Le Nigeria devant les Etats-Unis L’Afrique sera responsable de la moitié de l’augmentation de la population mondiale d’ici à  2050. Le nombre d’africains pourrait ainsi plus que doubler d’ici le milieu du siècle et atteindre 2,4 milliards contre 1,1 milliard aujourd’hui. L’ONU avance même le chiffre de 4,2 milliards d’habitants en Afrique à  l’horizon 2100. Quoi qu’il en soit, ces prévisions confirment que le continent jouera un rôle moteur dans l’évolution et la distribution de la population mondiale au cours du siècle. Symbole de cette montée en puissance, le Nigeria fait désormais figure de futur géant mondial. Sa population pourrait dépasser celle des Etats-Unis avant 2050. Et à  la fin du siècle, le pays le plus peuplé d’Afrique pourrait commencer à  rivaliser avec la Chine pour le titre de deuxième pays le plus peuplé… du monde. Le rapport annonce, en outre, que la RD Congo, le Niger, l’Ethiopie, la Tanzanie et l’Ouganda seraient suceptibles de dépasser les 200 millions d’habitants en 2100. Cette croissance démographique vertigineuse varierait néanmoins notablement en fonction des taux de fécondité prévus dans les prochaines années. « Le rythme actuel de baisse de la fécondité dans de nombreux pays africains pourrait être plus rapide ou plus lent que ne le suggère cette expérience historique », explique John Wilmoth, directeur de la division de la population à  l’ONU. « De petites différences dans la trajectoire de la fécondité au cours des prochaines décennies pourraient avoir des conséquences majeures sur la taille de la population, sa structure et sa distribution sur le long terme » ajoute le fonctionnaire international. La prévision moyenne table sur un taux de fécondité, qui passera, en Afrique, de 4,9 enfants par femme sur la période 2005-2010 à  3,1 en 2045-2050, pour atteindre enfin 2,1 en 2095-2100. L’écart entre les fourchettes hautes et les fourchettes basses, qui correspond à  un demi-enfant de plus ou de moins par femme par rapport à  la moyenne, impliquerait ainsi une variation de 600 millions d’habitants d’ici à  2050 et potentiellement de 3,2 milliards d’ici à  2100. L’Inde n°1, l’Europe rétrécit De façon plus globale, la plus grande part de la croissance démographique se réalisera, sans surprise, dans les régions en développement qui passeront de 5,9 milliards en 2013 à  8,2 milliards d’habitants en 2050. L’Inde deviendra le pays le plus peuplé du monde et dépassera la Chine autour de 2028. Les deux mastodontes auront alors des populations de l’ordre de 1,45 milliard de personnes. L’Europe connaitra, quant à  elle, un déclin conséquent, avec une diminution de 14 % de sa population le long du siècle, quand le reste du monde (hors Afrique) grandira de 10%. La fécondité de presque tous les pays européens est maintenant en dessous du seuil de remplacement de la population à  long terme (autour de 2,1 enfants par femme en moyenne). Après un 20ème siècle, qui a connu la baisse le plus rapide de la mortalité dans l’histoire humaine, l’espérance de vie à  la naissance ne cessera pas d’augmenter. Au niveau mondial, l’ONU prévoit un âge moyen de 76 ans autour de 2050 et de 82 ans en 2100. Dans les Pays les moins avancés (PMA), qui comprennent de nombreux pays africains, l’espérance de vie à  la naissance, estimée à  58 ans sur la période 2005-2010, devrait bondir jusqu’à  environ 70 ans en 2050. Cette hausse, couplée à  un déclin de la fécondité, devrait faire du vieillissement de la population un processus planétaire. Si le phénomène frappera particulièrement les pays développés, o๠l’on s’attend à  une proportion de personnes âgées deux fois plus grande que celle des enfants (32 contre 16% ) en 2050, l’Afrique n’y échappera pas non plus.