Commune de Dioungani : Les Chrétiens pris pour cible

Il est 14h30 quand, dans une cacophonie motorisée, 12 hommes armés convergent vers l’église catholique du village de Douna, chef-lieu de la commune de Dioungani, dans le cercle de Koro. Aux cris d’Allah Akbar, ils s’élancent en direction du bâtiment religieux. Les villageois comprennent vite ce qui va se passer et rentrent se cloîtrer chez eux. Nous sommes le vendredi 6 octobre, une date que la population et la communauté chrétienne de Douna n’oublieront pas. Deux longues heures d’une séquence violente et choquante, mais qui dans la commune, ces 8 derniers mois, est loin d’être inédite.

Une poignée d’hommes a pris position sur les principaux axes menant à l’église, tandis que d’autres escaladent le bâtiment et entreprennent méthodiquement de casser la croix en béton équipée d’un haut-parleur qui trône sur le toit. Elle finit par dégringoler et se briser au sol, accompagnée de clameurs de satisfaction. « Une femme est sortie et a essayé de leur faire entendre raison. Ils l’ont battue ! Malgré les coups, elle leur a dit qu’elle préférait être tuée que de ne rien dire. L’un des hommes a pris son coupe-coupe et lui a tailladé le bras », se remémore un habitant de Douna qui tient à garder l’anonymat. Une fois le lieu de culte décapité de son symbole, les hommes pénètrent dans l’église et rassemblent tout ce qu’ils peuvent : meubles, crucifix, portrait de la Vierge, effigie de Jésus, rideaux, nappe d’autel. Ils jettent le tout sur le sol en un grand tas. « Avec de l’essence, ils y ont mis le feu. Tout a flambé. Ils ont pris leur temps », témoigne un autre villageois. Les flammes ont déjà bien noirci les murs de l’église et calciné ce qui s’y trouvait, quand les profanateurs quittent le village en trombe, criant à la population abasourdie qu’il est interdit désormais d’y prier.

Malgré la destruction de nombreuses antennes-relais dans la commune, où plusieurs villages sont coupés du monde, la nouvelle se propage comme une traînée de poudre. 24 h plus tard, un contingent de l’armée malienne se rend sur place, inspecte l’église, fait une ronde, puis s’en retourne à sa base de Koro. À Douna, l’attaque a surpris, comme dans la paroisse de Barapeli, dont le petit village dépend. L’effroi a saisi les communautés qui redoutent que les djihadistes ne mettent en péril la présence chrétienne dans la commune.

Actes antichrétiens en augmentation « C’est la cinquième communauté visée », souligne un élu de la commune, « les djihadistes veulent imposer leur loi. Ils brûlent les églises et veulent chasser les Chrétiens ». « Depuis quelques mois, ils interdisent toutes les activités religieuses chrétiennes. Si ce n’est pas respecté, ils menacent de revenir pour sévir plus fort », confirme l’Abbé Edmond Dembélé, Secrétaire général de la Conférence épiscopale du Mali.

C’est le 15 avril dernier, lors de la nuit de Pâques, qu’une première attaque contre une église chrétienne est signalée à Didia, un village de la commune de Dioungani. Là-bas, les djihadistes ont intimé aux Chrétiens du village de ne plus sonner la cloche et de ne plus se rassembler. Le 15 août, ils s’en prennent au village de Djanwelli, dans la même commune, avec un procédé particulier. « Ils ont rassemblé Chrétiens et Musulmans sur la place publique et ont prêché le coran durant 3 heures, avant de leur ordonner de ne plus jouer du tam-tam et de ne plus chanter pendant la prière », raconte un commerçant du cercle de Koro. Le 26 août, c’est l’église du village de Bodwall qui est attaquée. « Ils ont voulu casser la cloche de la petite église, mais ils n’ont pas réussi. Alors, ils sont allés au hangar à palabre des Dogons et leur ont dit de dire aux Chrétiens de détruire leur église », poursuit le commerçant. Le 19 septembre dernier, ils défoncent les portes de l’église de Dobara, toujours dans la commune de Dioungani, rassemblent à l’extérieur tout ce qu’ils peuvent y trouver et y mettent le feu, avant de menacer de mort tous ceux qui dorénavant viendraient y prier.

Chasser les Chrétiens Dans l’importante paroisse chrétienne de Barapeli, qui s’étend sur 8 150 km², forte de 45 églises et de plus de 130 communautés dynamiques qui n’hésitent pas à bousculer les prêtres pour l’apostolat (propagation de la foi), on ne comprend pas pourquoi ces attaques visent seulement la commune de Dioungani. « La cohabitation entre Chrétiens et Musulmans était bonne. Dans les différentes fêtes religieuses, ils se rendaient mutuellement visite. Depuis l’arrivée des djihadistes, les choses ont changé. Certains, à l’est de Barapeli, pensent qu’il y a plus d’églises que de mosquées », relève un habitant. Une affirmation plausible pour ce prélat de la paroisse : « il est vrai que ces hommes armés, quand ils sont venus à Douna, ont dit à certains musulmans, « ils ont des églises partout et vous vous n’avez même pas assez de mosquées », et ils ont ordonné à ces gens d’en construire. En se basant là-dessus, on peut se dire que, peut-être, le dynamisme de nos communautés fait qu’ils pourraient se sentir un peu menacés », avance-t-il.

Une autre raison est évoquée par cet employé d’une ONG locale, qui rappelle que depuis des mois les djihadistes, au nom de l’Islam, ont interdit le tabac ainsi que les boissons alcoolisées. « À Douna, il y a deux églises. Ils ont seulement attaqué celle des Catholiques, pas celle des Protestants. L’église catholique a été attaquée parce que la consommation d’alcool n’y est pas prohibée alors que les Protestants l’interdisent. Dans le village, il y avait un maquis à côté de l’église attaquée. Après l’avoir saccagée, les djihadistes sont partis trouvés des consommateurs là-bas. Il y en avait deux, un Dogon et un Peul. Ils les ont frappé, ont bandé les yeux du Peul et sont partis avec. On a plus de nouvelles depuis », ajoute-t-il.

Pour l’Abbé Edmond Dembélé, la consommation d’alcool reste une explication négligeable. « Ce n’est pas seulement du côté des Catholiques, les adeptes de la religion traditionnelle, partout sur le territoire du Mali, sont aussi des consommateurs d’alcool. Je pense qu’il y a d’autres explications un peu moins sommaires ».

Dans les villages attaqués de la commune de Dioungani, désormais les Chrétiens font profil bas. Ils ne vont plus prier à l’église, conscients que ces lieux de culte sont devenus une cible privilégiée des djihadistes. « Nous leur avons dit de ne pas aller y prier pour leur sécurité et parce qu’il y a eu une forme de profanation de ces lieux de culte. Pour nous Chrétiens, ce qu’il s’est passé, ce sont des blasphèmes contre Dieu, Sa parole et Son église. Les fidèles sont inquiets. On est passé à un cran supérieur. Ils ne savent pas si demain ils se lèveront sur leur pied. Mais ils ne souhaitent pas partir, parce que le Mali est un pays laïc, que c’est leur village et qu’ils espèrent que des solutions seront trouvées et que le calme et la cohabitation pacifique qui régnait jusqu’ici reviennent », explique un curé.

À Douna, les blessures du 6 octobre mettront beaucoup de temps à se refermer. Pour les Chrétiens les plus âgés du village, qui ont vu la communauté se constituer, l’église se bâtir, ces images indicibles, ne pourront jamais être effacées.