La crise au centre du Mali ou les larmes du Yamé

Il est aujourd’hui inutile de faire la genèse du conflit dans la région de Mopti ; par contre, il est utile que l’on se souvienne que le conflit s’est véritablement installé dans cette partie du Mali suite à des assassinats ciblés sur des personnalités connues et reconnues. Ce que les autorités ont considéré comme un incendie d’une chaumière se transforme inexorablement, au gré des évènements, en un inextinguible feu de brousse. Désormais, même les larmes du Yamé n’arrivent plus à contenir cette tragédie qui, si elle n’est pas circonscrite à temps, conduit à une catastrophe aux conséquences incalculables. Qu’est-ce qui arrive au peuple de Yambo Ouologuem ? d’Amadou Hampaté Bâ ? de Nagabanou Tembely ? Qu’est-ce qui arrive au patrimoine de l’UNESCO ? Qu’est-ce qui arrive à cette partie du Mali qui reste, je continue de le croire, un modèle vibrant de notre vivre-ensemble ?

« La première victime de la guerre, c’est la vérité », disait Kipling. Au Mali, nous avons évité de voir cette réalité en face pour nous contenter de considérer l’assassinat de Théodore Somboro comme un vulgaire fait divers. Que l’on se souvienne ! C’est à partir du macabre sort qui a été réservé à cette personnalité connue, reconnue et respectée du Pays Dogon que l’on a vu naître des milices dans le centre du pays. Non pas par soif de vengeance, mais pour empêcher que des hommes se réclamant de l’époque de l’Inquisition  ne viennent détruire ce que construisirent, des siècles entier, parfois au prix du sacrifice ultime, des générations entières de célébrités, d’humbles et d’anonymes. Ainsi, au lieu de chercher à éteindre le petit feu de paille, des intellectuels, des parlementaires, des manipulateurs professionnels, des sangsues et autres pêcheurs en eaux troubles ont pactisé, au su et au vu de tout le monde, avec le Diable pour tirer les ficelles de ce que les adeptes des raccourcis ont tôt fait de désigner par conflit ethnique. C’est la pire idiotie qu’il me soit donné d’entendre depuis que je suis sur cette terre des hommes.

Leurs sordides manœuvres rappellent une certaine Blitzkrieg expérimentée par les nazis au siècle dernier et, bien avant ces derniers, par un certain Samory Touré qui ne voulait laisser aucune possibilité aux colonnes du capitaine Gouraud de le marquer à la culotte.

Qu’il soit dit à haute et intelligible voix que les intellectuels et autres notabilités sur lesquels on pouvait logiquement compter ont été, pour l’essentiel, des traîtres à la cause du vivre ensemble et de la convivialité qui constituent le ciment de la nation malienne.

Les solutions à la petite semaine sorties de leurs cervelles de moineau sont pires que le problème qu’ils feignent de résoudre. La preuve, c’est qu’ils s’évertuent à éteindre un début d’incendie avec du kérosène, la main sur le cœur, comme pour proclamer urbi et orbi leur bonne foi.

Le Septentrion malien passe à la trappe ; le centre préoccupe puisqu’il constitue le dernier verrou avant le Sud. Avant Bamako. Il faut se secouer et comprendre, sans tarder, que « l’enfer a déjà ouvert ses portes, libérant les créatures les plus ignobles, les plus hideuses et les plus corrompues » qui n’auront de cesse de s’attaquer aux fondements de notre nation, ainsi que l’écrirait Carl Zuckmayer dans son injonction.

 

Les réseaux sociaux, la mauvaise communication, les fake news et autres prophéties de cassandre

 

Comme dirait Umberto Ecco : « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles ».

Le communicologue que je suis serait malhonnête de nier le fabuleux apport des nouveaux médias à la société de l’information et du savoir. Toutefois, je m’interroge à haute voix : avons-nous bien approprié ces outils ? En faisons-nous le meilleur usage possible ?  Donnons-nous seulement la peine de regarder chez nos voisins pour copier les meilleures pratiques ? Il va sans dire que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », et dans un Mali en proie à un conflit asymétrique, les conséquences sont des plus désastreuses. Du jour au lendemain, nous avons vu pousser, comme des champignons, des experts dignes des professeurs de Harvard. Ils enseignent tout. Ils connaissent tout. Certains ont été invités à la table de Jésus et du prophète Mohammed (PSL). D’autres, dépositaires de la science infuse, ont décliné un rendez-vous avec Dieu le Père préoccupés qu’ils avaient à réaliser un Facebook live ou quelque autre prestation sur Whatsapp ou Instagram. Au bout du coup, leurs prestations qui étaient supposées compétiter aux Grammy Awards ne se réduisent qu’en une litanie de vulgaires injures, dénigrement, déni de la réalité et chapelet de haine et de peur.

Pendant que nous excellions dans l’autodénigrement, dans l’autoflagellation et dans l’autodestruction, les terroristes, eux, n’ont pas perdu du temps. Ils ont instauré dans nos différents terroirs si paisibles des khalifats qui distillent la terreur, la méfiance et la peur de l’autre. Ces bandits qui ne sont en réalité que des vestiges archéologiques sortis des sarcophages sans âge ne respectent qu’une seule loi, la leur : l’obscurantisme, la barbarie et le goût du sang des innocents.

En voilant nos faces pour ne pas voir la réalité et en nous terrant dans nos conforts égoïstes, nous nous sommes rendus complices d’une œuvre satanique de démolition de notre civilisation. Par la même occasion, nous avons amplifié l’audience des radios « mille collines » et journaux de l’époque de la ruée de l’or sur le nouveau continent où les caïds étaient « Wanted alive or dead ». Face à certains des idéologues de l’ombre de ce conflit de la bêtise, Goebbels le tribun et Hitler le manipulateur apparaissent comme de vulgaires apprentis sorciers qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez.

 

La théorie du complot, les stratégies terroristes, les irresponsabilités notoires…

 

Ceux-là que nous avons applaudis il y a peu comme de véritables sauveurs sont aujourd’hui hués. Le bouc émissaire idéal est tout trouvé. Des manifestations sont courantes pour désavouer la force Barkhane, les éléments de la MINUSMA ainsi que toutes les forces étrangères présentes au Mali qui cristallisent la colère et le courroux du citoyen. On en vient à plaindre tous ces couples qui ont gentiment prénommé leurs rejetons Damien Boiteux, François Hollande par respect pour leur sacrifice et par admiration pour leur sens de l’Etat. Je ne peux être suspecté de défendre quelque force étrangère sur le sol malien, mais en même temps, il m’est difficile de ne pas constater que, de plein gré, nous avons accepté de planter des tiges dans nos yeux. Aujourd’hui, je ne sais pas s’il faut en pleurer ou en rire mais nos autorités d’alors savaient pertinemment que dans un monde capitaliste, aucun pays n’engage son armée dans un autre pays pour des raisons humanitaires. Aucun chef d’Etat lucide ne peut accepter de sacrifier des femmes et des hommes pour sauver un pays fut-il menacé de disparition par une horde de djihadistes moyenâgeux. Qu’on se le tienne pour dit : les raisons de toute intervention sont d’abord et avant tout économiques. Quelques fois, nous sommes même obligés d’accepter la main tendue du diable pour souffler un peu en attendant la tornade. Au Mali, la mission salvatrice espérée nous a réveillés avec des bombes et des coups de canon. Non pas sur les terroristes seulement mais également sur des innocents qui n’ont rien demandé.

Quant à la force de l’ONU, nous ne pouvons pas cracher dessus mais de ma modeste mémoire d’homme, je ne connais pas deux pays au monde où les casques bleus ont pu assurer la protection des populations. Ces derniers ont toujours un sacré alibi pour regarder les populations se massacrer entre elles en arguant du fait qu’ils n’ont pas un mandat pour tirer sur des méchants or « pour un soldat qui se bat, la différence entre la réussite et l’échec, c’est sa capacité à s’adapter à son ennemi », affirme Sutherland.

Si cette dernière règle n’est pas respectée, tout le reste n’est qu’inflation sur les produits de premières nécessités accessibles seulement aux gros salariés. Avec toutes les forces présentes au Mali, même les prostituées ont augmenté leur tarif.

Et pour mieux comprendre l’intervention de toutes ces armées étrangères au Mali, il faut simplement recourir au « triangle dramatique » ou « triangle de Karpman ». Ce triangle est un « des jeux psychologiques » de manipulation de la communication. Comme explique son auteur dans son article Fairy Tales and Script Drama Analysis, ce jeu malsain met en évidence un scénario relationnel typique entre victime, persécuteur et sauveur. Mettant l’homme face à sa destinée pour mieux contrôler, la communication est perturbée lorsque les protagonistes adoptent ces rôles plutôt que d’exprimer leurs émotions et leurs idées.

 

Pour mieux expliquer, nous pouvons faire appel à certains auteurs à l’instar de Sandrine Gelin et Khuê-Linh Truong, André Moreau, Pierre Agnese et Jérôme Lefeuvre qui se sont penchés sur le sujet. Nous caricaturons ici leur enseignement selon les rôles de la victime, du sauveur et du persécuteur.

La victime attire le sauveur qui veut la sauver. C’est donc un rôle de choix pour attirer l’attention sur soi quand on sait bien en jouer. C’est un rôle qui appelle quelqu’un à être persécuteur, une attente qui sera remplie ou non par l’entourage. Le plus souvent, la victime a un problème de dépendance.

La position de la victime est « Pauvre de moi ! » La victime se sent victimisée, opprimée, impuissante, sans espoir, honteuse et semble incapable de prendre des décisions, de résoudre des problèmes, de prendre plaisir à la vie ou d’obtenir des idées. La victime, si elle n’est pas persécutée, cherchera un persécuteur et également un sauveur qui sauvera la journée, mais perpétuera également les sentiments négatifs de la victime.

 

Le sauveur a un rôle très gratifiant d’un point de vue narcissique mais qui place l’autre en incapacité. Il attend un persécuteur pour justifier son existence et une victime à sauver. L’entourage pourra suivre ou ne pas suivre dans cette pièce de théâtre.

La ligne du sauveur est « Laissez-moi vous aider ». Un facilitateur classique, le sauveur se sent coupable s’il / elle ne va pas à la rescousse. Cependant, son sauvetage a des effets négatifs : il garde la victime dépendante et donne à la victime la permission d’échouer. Les avantages découlant de ce rôle de sauvetage sont que l’attention du sauveur à lui-même est supprimée. Quand il / elle concentre son énergie sur quelqu’un d’autre, cela lui permet d’ignorer sa propre anxiété et ses problèmes. Ce rôle de sauvetage est également très important, car leur intérêt principal réside dans l’évitement de leurs propres problèmes déguisés en préoccupation pour les besoins de la victime.

Le persécuteur ou bourreau agit sur la victime. Si le persécuteur tente de nouer cette relation avec une potentielle victime, celle-ci pourra réagir différemment : adopter une position de victime ou ne pas se laisser faire.

Le persécuteur insiste : « Tout est de votre faute. » Le persécuteur contrôle, blâme, critique, oppressant, est en colère, fait preuve d’autorité, est rigide et supérieur.

Ces lignes dignes de célèbres psychothérapeutes peuvent expliquer la situation actuelle. Chacun peut considérer les autres acteurs comme il veut mais l’évidence est que le Mali est dans la position de la Victime. Et, c’est mortifère et absolument contre-productif d’autre plus que la victime semble ne pas réaliser son vrai statut et continue de faire comme si de rien n’était.

 

Le piège communautaire…

 

C’est la dernière trouvaille des bienpensants ; ils ont vite fait d’opposer Dogons et Peulhs ; Bambara et Peulhs ; Dogons, Bambara, Bozo et Peulhs…. Et que sais-je encore !comme si, du jour au lendemain, l’architecture civilisationnelle bâtie au fil des âges pouvait s’écrouler aussi facilement qu’un château de cartes. Les ennemis de notre peuple sont à l’œuvre ; il ne faut leur donner ni arguments ni minutions pour les conforter dans leur entreprise de destruction. Il nous faut puiser des ressources insoupçonnées enfouies en chacun de nous pour faire échec à leur basse manœuvre. Chacun de nous est Peulh, Dogon, Bozo, Bamabara, Sonrhaï, Touareg… et ce brassage est notre meilleur argument pour mettre en déroute les ennemis déclarés de notre pays. Secouons-nous un peu ; transcendons nos intérêts immédiats et pensons à notre pays et, en toute simplicité, les solutions sauterons à nos yeux. Quelle que soit l’issue de la crise au centre du Mali, elle interpellera notre capacité à gérer efficacement les conflits qui jalonneront la marche de l’Etat-Nation que nous sommes, que personne ne nous conteste mais que des entités malintentionnées voudraient voir mise à mal sur l’autel de leur sombre dessein. Plaise à Dieu, le Mali sera le cimetière des aventuriers !

 

Drissa KANAMBAYE,

Université Catholique de Louvain (Belgique)

Centre du Mali : Après la reconnaissance des exactions, quelles actions ?

Pour la première fois depuis le début des opérations  anti-terroristes de l’armée dans le centre du pays, il y a trois ans, un ministre de la Défense admet l’implication de militaires dans des exactions contre des civils. 25 Peuls arrêtés  par les FAMAs à Nantaka et Kobaka, dans la région de Mopti, le 13 juin,  auraient été exécutés. Une enquête a été ouverte. Qu’y aura-t-il après ?

25 morts. C’est le  nombre de civils peuls  découverts dans trois fosses communes à Nantaka et Kobaka, le 15 juin, dans la région de Mopti. Les premières allégations des associations peules Tabital Pulaaku et Kisal ont vite attiré l’attention. Le ministre de la Défense a, dans un premier temps, nié toute implication des forces armées maliennes, avant de se raviser. Si cette tragédie est au devant de la scène aujourd’hui, d’autres accusations et enquêtes sont restées jusque-là sans suite.

Que s’est-il passé ?

« En réalité, le 13 juin, l’armée a traversé le fleuve à partir de Mopti. Quelques véhicules et des camions. Ils ont encerclé le village de Nantaka, qui est dans le même secteur que Kobaka. Ils ont fait du porte à porte et arrêté tous les hommes, avant de les transporter dans leur base, non loin de là », raconte Abdarahmane Diallo, Secrétaire administratif de l’association peule Tabital Pulaaku. Il dénonce  ce qu’il qualifie de « tentative d’épuration ethnique » et non de lutte contre le terrorisme.  « Quand ils sont  arrivés  à leur base, les hommes des autres ethnies : Sonrhai, Tamacheq, Bozo, ont été libérés, mais ils ont gardé au moins 25 Peuls. Le lendemain de la fête, le vendredi, ils les ont exécutés et enterrés à la va vite dans une petite forêt, dans trois fosses », accuse-t-il.

Les habitants d’un hameau à proximité, ayant entendu des  coups  de feu, se sont rendus sur les lieux et ont découvert trois  fosses contenant respectivement 13, 7 et  5 corps. « Au moment où je vous parle, l’armée s’en prend à tout Peul dans le centre. Que ce soit dans le Delta, à Koro ou à Douentza, c’est exactement la même chose. On ne cherche même pas à savoir ce que vous avez fait », s’indigne Abdarahmane Diallo.

L’envoi par le ministre de la Défense d’une mission conduite par le chef d’État-major général des Armées a abouti à un communiqué, le 19 juin, qui confirme « l’existence de fosses communes impliquant certains personnels FAMAs dans des violations graves ayant occasionné la mort d’hommes à Nantaka et Kobaka, dans la région de Mopti ». Tiena Coulibay instruit en même temps au Procureur militaire d’ouvrir une enquête et « réitère sa détermination et sa ferme volonté à lutter contre l’impunité », engageant les FAMAs au strict respect des Droits de l’Homme.

Flambée de réactions

Les réactions des organisations de droits de l’homme et de la communauté internationale n’ont pas tardé. Deux jours après, le Canada, les États-Unis et l’Union Européenne ont exprimé leur profonde inquiétude face à ces « exécutions extrajudiciaires ». « Les États Unis restent profondément préoccupés par la détérioration de la situation au Mali et dans la région du Sahel », indique le communiqué du Département d’État. Quant à l’Union Européenne, elle « salue l’ouverture de l’enquête judiciaire et  l’engagement des autorités maliennes, au plus haut niveau, à lutter contre l’impunité ».  La MINUSMA a, lors de son point de presse du 21 juin, informé « d’une enquête spéciale ». Le 26 juin, la mission des Nations Unies a rendu publiques les conclusions de l’enquête lancée après  la mort de civils à la foire de Boulkessy, le 19 mai, et souligné que « des éléments du bataillon malien de la Force conjointe du G5 Sahel ont sommairement et/ou arbitrairement exécuté 12 civils au marché de bétail de Boulkessy ». L’expert indépendant de l’ONU sur la situation de droits de l’homme au Mali, Alioune Tine, est arrivé à Bamako et doit se rendre au centre du pays.

« C’est un grand pas. Nous espérons qu’il y aura des sanctions contre les auteurs de ces crimes… Avec les réactions de la communauté internationale nous espérons une suite », se réjouit Hamadoun Dicko, Président de la jeunesse de Tabital Pulaaku. Selon lui, les pressions ont été déterminantes, mais il dit craindre d’autres abus vers Diafarabé, où « les femmes n’osent même plus chercher du bois ».

Dans un environnement où sévissent éléments terroristes et dissensions communautaires, « prudence est mère de sureté ». C’est ce que pense Me Moctar Mariko, Président de l’Association malienne des droits de l’homme. « Il y a de fortes  présomptions contre l’armée malienne. Nous avons recueilli des déclarations, mais il faut rester très prudents et attendre que les enquêtes annoncées soient effectives ».

L’omniprésence ces derniers mois de la « question peule », les accusations d’exactions et les conflits avec les Dozos dans le centre alertent au plus haut niveau. Pour le leader de la jeunesse de Tabital Pulaaku, les autorités doivent envisager dans l’urgence une solution, faute de quoi le pire est à craindre. « S’ils continuent comme ça, beaucoup vont se dire : mieux vaut être djihadiste, pour avoir une arme », prévient-il. Le ressentiment se nourrit de la collusion supposée entre FAMAs et Dozos. Le 23 juin, des chasseurs (Dozos) attaquent le village de Koumaga, dans le cercle de Djenné. 16 morts sont recensés, selon le gouvernement, alors que des responsables de Tabital Pulaaku parlent d’une cinquantaine.

Des cas dans le silence

Selon Corinne Dufka, directrice adjointe de Human Rights Watch pour l’Afrique de l’Ouest, dans un article du Monde publié le 20 juin, « depuis 2017, plus de sept fosses communes contentant les corps d’une soixantaine d’hommes qui auraient été  tués par l’armée malienne au cours d’opérations antiterroristes » ont été documentées. « Mais aucune de ces révélations n’a abouti en justice », déplore-t-elle.  

A Douentza, selon un animateur d’une radio locale, le 9 juin, un véhicule militaire venu en renfort à Boni saute sur une mine. Trois bergers étaient à proximité. Ils auraient été tués. « L’un était un conseiller du hameau de Dalla. Quand le  maire a appris sa mort, il en a été attristé. Si mon parent est tué comme ça et que je vois des gens mal intentionnés, est-ce que je les signalerai aux militaires ? Non ! C’est ça qui aggrave la situation », témoigne-t-il. Selon un rapport de l’organisation International Alert sur le Sahel, publié le 27 juin, « l’expérience ou la perception d’abus commis par les autorités gouvernementales, souvent en toute impunité, a engendré des frustrations dont profitent les extrémistes violents ».

Le sentiment d’abandon de l’État et les violences infligées par les terroristes  finissent par se  traduire en  interrogations. « Pourquoi ils ne se sont pas occupés de nous pendant trois ans ? Mon père, chef de village de Dogo,  a été tué en 2015 par ces terroristes. Combien d’imams, des chefs de villages, ont été exécutés sans que nous entendions le gouvernement ou Tabital condamner ? », se plaint Issa Dicko, natif de Youwarou. « A chaque fois que l’armée arrête des terroristes, les gens font de cela un scandale, mais qui a une seule fois condamné les tueries de ces terroristes ? », ajoute-t-il, estimant que tout ce qui se passe vise « à nous détourner du problème du Nord ». Pour Madame Diarra Tata Maiga, Présidente de la société civile de Mopti et de l’ONG ODI Sahel, « la situation dans le centre est triste. Nos véhicules sont garés, les gens sont en train de mourir, mais à Bamako on nous parle d’élection ».

Que faire ?

« Il faut éviter l’amalgame, sensibiliser, pour que la confiance renaisse. Un miliaire doit sécuriser tout le monde », préconise Hamadoun Dicko. La formation sur les droits humanitaires doit être accentuée. « Il faut renforcer la capacité des militaires maliens. Tous n’ont pas encore compris qu’il y a une ligne rouge à ne jamais franchir », précise Me Moctar Mariko.

En attendant les conclusions de l’enquête sur  ces fosses communes,  le sujet reste sensible en cette veille de l’élection présidentielle. Cette rarissime reconnaissance   suffira-t-elle à calmer les tensions ?  

Honorable Youssouf Aya : « Nous nous glissons malheureusement vers une guerre ethnique sans précédent »

Élu de Koro, l’Honorable Youssouf Aya dresse un tableau sombre de la situation qui prévaut dans son cercle.

Koro a été endeuillé par des affrontements intercommunautaires il y a deux semaines. La situation a-t-elle évolué ?

Je dirais qu’il n’y a pas eu de changement. La situation s’est complètement détériorée depuis trois semaines. Les associations communautaires comme Guina Dogon ou Tabital Pulaku ont toujours été présentes. Avec les élus, des forums sont organisés pour favoriser le dialogue. Mais, franchement, rien n’a changé. Depuis 2012, des hommes armés ont profité du fait que l’Est de Koro, une zone très vaste, soit démuni de toute présence militaire et s’y sont installés. Des conflits, que je considère comme mineurs, existaient déjà entre les Peuls et les Dogons. Au départ, le modus operandi était djihadiste : brûler les églises, frapper ceux qui boivent de l’alcool… Ces groupes ont par la suite beaucoup recruté parmi les Peuls. De fait, les Dogons ont conclu que ce ne sont pas des djihadistes qui les attaquent mais plutôt des Peuls. La tension est montée crescendo, jusqu’à l’évènement de Diougani, où les djihadistes ont assassiné un chasseur très influent. Une expédition punitive a ensuite été menée par des Dogons sur un village peul, ce qui a entrainé de nombreux morts. Il y a des Dogons et des Peuls partout et les personnes qui meurent ont une famille. Les deux communautés, dans les différents villages, sont obligées de s’impliquer dans le conflit, qui vient de s’étendre jusqu’à Koro. Nous glissons malheureusement vers une guerre ethnique sans précédent, ce qui est très inquiétant.

Les Peuls accusent le gouvernement d’armer les Dogons …

Une situation aussi complexe est un terrain propice à toutes les interprétations, mais je n’ai aucune information attestant que le gouvernement ait armé les Dogons. Là où les chasseurs opèrent, il n’y a pas d’armée. Je ne vois donc pas comment le gouvernement pourrait leur donner des armes. Je ne veux pas parler en son nom, je ne sais pas ce qui se passe au niveau de l’Exécutif, mais je refuse de croire à ces allégations.

Vous avez, avec d’autres élus de la région, rencontré le Premier ministre le 17 mars. Qu’est-il sorti de vos échanges ?

Nous lui avons dit que nous appelions le gouvernement à quadriller le terrain à travers l’armée malienne et pour qu’il accompagne les associations qui initient le dialogue. Il nous a dit qu’il était parfaitement d’accord avec notre approche et assuré que tout serait fait afin que le terrain soit occupé par les Famas. Mais sur la durée, le temps d’affiner les contours. En tant que chef du gouvernement, il a affirmé être prêt à accompagner toutes les initiatives.

Les dogons prennent les armes pour leur défense

 

Le mouvement« Dan Na Amba Sagou » (Confier le territoire aux chasseurs), veut faire entendre sa voix. N’étant manifesté d’aucune motivation indépendantiste ou terroriste, le mouvement plaide pour la sécurité dans le plateau Dogon.

Crée il y’a quatre ans déjà, le mouvement dit œuvrer pour la sécurité sur le plateau Dogon. « Nous ne sommes pas en sécurité, personne ne dort, à chaque fois des gens viennent commettre des assassinats et ils s’en vont sans être inquiétés. C’est le même constat qu’on observe à Bankass, à Bandiagara et à Koro » précise Boureima Sagara, coordinateur du mouvement. C’est donc un groupe d’auto-défense pour la quiétude du peuple dogon qui s’est formé en réction à l’insécurité galopante. « Nous défendons farouchement notre territoire » continue t-il. Composé d’un millier d’hommes, selon Sagara, le groupe dispose de certaines armes mais pas d’un arsenal important. « Nous n’avons pas d’arme comme il le faut mais nous en avons quelques une ». C’est pour cette raison que les combattants ont adressé une correspondance au préfet pour l’installation de camps dans les trois zones précitées et Douentza.

« Nous souhaitons des camps militaires dans les quatre cercles, bien équipés en matériels ou des armements adéquats pour mieux sécuriser nos populations au Pays Dogon, car à chaque réveil du matin, nous retrouvons des corps tués par des bandits armés qui sont les djihadistes » peut-on lire dans le communiqué.

Le mouvement entend très prochainement faire une déclaration officielle pour bénéficier d’une reconnaissance de la part de la communauté internationale.

 

Nord : les Dogons entrent dans la danse

3568 kilomètres avalés en dix jours. l’association Ginna Dogon («Â grande famille dogon ») avait des choses à  raconter après son long périple dans les trois régions du Nord du Mali. Une mission composée du président de l’association Mamadou Togo et de plusieurs adjoints, destinée à  manifester sa solidarité à  ses cousins du septentrion, à  s’enquérir de la situation sur le terrain et à  s’entretenir avec les différentes parties prenantes. Des chrétiens toujours présents Aux dires des conférenciers, le cousinage à  plaisanterie a été la porte d’entrée des Dogons dans cette zone o๠l’on ne plaisante plus beaucoup. Sur le terrain, Ginna Dogon aurait constaté la présence de chrétiens qui pratiquent toujours leur religion. Selon les membres de l’association, les groupes amés islamistes ne comprennent pas qu’un pays à  95% musulman comme le Mali refuse d’instaurer la charia. Son application est selon eux non négociable. Retour des services de l’Etat ? Dans ses recommandations, Ginna Dogon a suggéré à  l’Etat d’engager un dialogue direct avec les occupants pour un retour à  la normalité, et de prendre des dispositions afin d’alléger les souffrances des populations. En ce sens l’association a manifesté une grande envie de voir le retour des opérateurs de télécommunication ainsi que les services de l’Etat. La division du Mali n’a pas été évoquée au cours des discussions. Selon le président Mamadou Togo, il y a un grand espoir de régler ce conflit de manière pacifique et l’Etat à  un grand rôle à  jouer pour que le Mali tourne cette page sombre de son histoire.

Littérature : Bakary Kamian fait l’apologie des « Dogons »

l’ouvrage de plus de 400 pages retrace l’histoire de la résistance des Dogons à  la pénétration française et met en exergue la culture de ce peuple, sa bravoure, son refus de la domination étrangère et son sens élevé du patriotisme. Comparant son livre à  un serpent de mer, l’auteur relève qu’on sait o๠commence l’œuvre sans savoir o๠elle prend fin. En plus du Mali, indique-t-il, le livre s’adresse au Burkina Faso, à  la Côte d’Ivoire, au Ghana, au Niger et au Nigéria. Pour le professeur Filifing Sacko, lecteur du livre, le livre fait l’histoire coloniale française en Afrique à  un moment donnée. Selon plusieurs points de vue, l’ouvrage participe à  la renaissance culturelle du Mali en particulier et de l’Afrique d’une manière générale. A travers cet ouvrage, Bakary Kamian semble mieux faire que Marcel Griaule dont l’œuvre a pourtant contribué à  faire connaà®tre les Dogons à  travers le monde. Le livre ainsi présenté « exhume la quintessence de la culture de l’Etre dogon ». Notons que le Pr Bakary kamian a accompli de nombreuses actions en faveur du développement de notre pays et de l’émancipation des peuples. Né en 1928 à  San dans la Région de Ségou, le professeur Bakary Kamian est le premier Africain agrégé en géographie de l’Université de la Sorbonne (France). Il a été professeur censeur du lycée Askia Mohamed de 1959 à  1963, puis directeur général de l’Ecole normale supérieure (ENSUP). Entre 1967 et 1968, il a travaillé à  la présidence de la République du Mali avant d’entamer une longue carrière de fonctionnaire international à  l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). l’universitaire et chercheur a reçu plusieurs distinctions honorifiques : Commandeur de l’Ordre national de la Guinée Conakry en 1979, Commandeur de l’Ordre national du Lion du Sénégal la même année, Commandeur de l’Ordre national du mérite de la France en 2003 et Commandeur de l’Ordre national du Mali en 2008. Membre d’honneur de la Société de géographie de France, il est officier des palmes académiques de France depuis 2003. Le livre, imprimé par « Bittar Impressions », est disponible dans les librairies de Bamako au prix de 10 000 Fcfa.

8e édition du forum des peuples,l’expérience étendue à Bandiagara !

Depuis 2002, les mouvements sociaux maliens et africains vont a contre courant des sommets du G8. A chaque réunion des 8 pays les plus riches du monde, un contre-sommet est organisé sur place. D’année en année, plusieurs pays d’Afrique et d’ailleurs pérennisent leur participation. Cette année près de 700 participants sont venus de la sous région et de l’Europe. Après Siby I et II, Kita, Fana, Gao, Sikasso et Koulikoro C’’est la capitale des plateaux dogon qui accueille la 8e édition du forum des peuples. Les participants du Sénégal, du Burkina Faso, du Niger, de Mauritanie, de la Guinée, de Côte d’Ivoire, de Belgique et de France se sont donnés rendez vous dans les falaises de Bandiagara. Trois thématiques seront développées pendant le forum. Il s’agit de « La politique et modèle de développement en Afrique », « les problématiques d’accès aux services sociaux de base » et « le monde rural et l’environnement ». En choisissant la ville ancienne de Bandiagara, les organisateurs du forum entendent préserver les acquis des foras passés. Selon eux, les précédentes éditions ont permis une prise de conscience des différentes populations sur l’idée du mouvement altermondialiste. A Bandiagara la société civile est encore plus présente dans les discussions selon Mme Barry Aminata Touré. « je me réjouis d’écouter un maire militant », a lancé la coordinatrice du forum des peuple au lancement des activités de la rencontre. Pour le maire de la ville, le forum est une opportunité d’affaireS pour la ville dans la mesure o๠Bandiagara regorge de plusieurs sites touristiques. Les centaines de participants pourront ouvrir la voie aux touristes, a-t-il martelé. Housseyni Saye, le maire rentrant a tout de même déploré le retard de sa commune en matière de développement. Pour lui, sa commune connaà®t toujours des problèmes d’approvisionnement en eau potable malgré l’ancienneté de la ville (deuxième ville érigée en cercle il y a plus de 50 ans). Il a promis une véritable politique de développement. Un forum soucieux des peuples Pendant les discussions, un accent sera mis sur les conditions de vie des populations. A quelques jours du mois de ramadan, le prix des denrées de première nécessité a déjà  grimpé. Le forum demande d’entrée de jeu des mesures pour diminuer le prix matières de grande consommation. La « fâcheuse » question de la privatisation des sociétés nationales et de licenciement des travailleurs, l’éternelle question des migrations…bref, rien ne sera oublié à  Bandiagara. Le forum des peuples formulera des recommandations pour influencer les décisions du G8 qui se réunit à  l’Aquila en Italie. Depuis sa création, le forum des peuples se considère comme un contre pouvoir au G8 et au G20. Il s’acharne contre le modèle néolibéral. Aujourd’hui il a l’adhésion de plusieurs altermondialistes du Nord. Les réflexions sont menées entre peuples du Nord et du Sud. Tous clament « qu’un autre monde est possible ». et pour cela il faut rebâtir le monde en fonction d’un nouveau modèle. Celui calqué sur les idées des peuples. Les peuples d’ici et d’ailleurs. C’’est pourquoi depuis sa première édition, le forum des peuples va de ville en ville.