Elections locales et régionales : L’inévitable report

La tenue des élections locales et régionales n’est plus d’actualité.  Reportés en décembre 2017 à avril 2018, ces rendez-vous de proximité tendent vers un nouveau décalage. Les préparatifs de la  présidentielle y sont pour quelque chose.

« A ma connaissance,  aucune date n’a été retenue pour les élections locales et régionales. Jusqu’ à preuve du contraire, c’est l’élection présidentielle qui est à l’ordre du jour », répond brièvement la chargée de communication du ministère de l’Administration territoriale.  Prévues pour le mois d’avril, suite au report de  décembre, les élections locales et régionales ne semblent plus être la priorité. « La priorité aujourd’hui c’est l’élection du 29 juillet. Un chronogramme a même déjà été publié », conclut Madame Camara FataMaiga. En effet, un calendrier détaillé a été rendu public le 15 mars par le gouvernement. La mobilisation pour occuper le palais de Koulouba bat son plein au niveau des partis et mouvements à connotation  politiques et certaines personnalités ont même déjà été investies par leur parti pour le grand rendez-vous à venir.

Au regard de cette atmosphère, les élections locales, pour les conseillers de cercle,  régionales, pour les conseillers régionaux, et communales partielles pour les maires ne pourront se tenir qu’après la présidentielle. Selon Amary Traoré, Vice-président en charge de la communication de la CENI, la structure n’a reçu aucune information  relative aux échéances locales et régionales. « Nous ne pouvons, au moment où je vous parle, ni infirmer ou confirmer la tenue  de ces élections », souligne-t-il. Le nouveau cap fixé, « c’est la présidentielle, qui est la priorité maintenant. On ne nous a rien dit par rapport aux élections locales et régionales », précise-t-il. « Nous étions prêt à superviser. Les démembrements ont tous été mis en place. Mais, tant que l’activité n’a pas lieu, nous ne pouvons rien faire», insiste le chargé de communication de la  CENI.

L’intérêt et les enjeux de la présidentielle prennent le pas sur ceux  des  locales et des régionales. Tenir à date le scrutin évitera de tomber dans un vide constitutionnel. Il reste pour autant qu’en dehors des communales partielles, dans 59 communes,  les élections des conseillers des cercles seront une nouveauté. Les électeurs auront en effet à élire au suffrage universel direct  leurs représentants. Le report, incontournable, permettra aussi aux nouvelles collectivités des régions de Ménaka et Taoudéni de participer à ces scrutins de proximité. A Ménaka, depuis deux semaines, les populations de 22 fractions et de 7 villages dénoncent d’ailleurs leur non prise en compte dans le découpage administratif du cercle

Cycle électoral sur fond d’embûches et d’incertitudes au Mali

Pour éviter une nouvelle crise politique, un large accord est nécessaire sur les meilleures conditions possibles d’organisation des élections.

Le Mali entre dans un cycle électoral avec les élections locales et régionales prévues pour le 17 décembre prochain. L’annonce de la date des élections locales et régionales fait entrer le pays dans un cycle électoral marqué par des incertitudes, notamment liées à l’insécurité persistante et à la polarisation de la scène politique. Au-delà du résultat des élections, ces scrutins – et par extension les élections présidentielles de 2018 – sont confrontées à plusieurs risques qui doivent être atténués.

Les élections locales et régionales doivent designer les présidents des régions et des cercles (subdivisions administratives) et le maire du district de Bamako. Elles doivent être couplées avec les élections communales partielles dans les 59 localités où, pour des raisons de sécurité, le vote n’a pas pu avoir lieu en novembre 2016.

Ces élections constituent un pan important dans la mise en œuvre du dispositif de réforme institutionnelle prévu par l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale. Cet accord a été signé en 2015 entre le gouvernement malien et certains groupes armés du Nord du pays.

Pour la première fois au Mali, les présidents de région et de cercle seront élus directement par les électeurs

Pour la première fois au Mali, les présidents de région et de cercle seront élus directement par les électeurs. Par le passé, ils étaient élus indirectement par des conseillers communaux. La réforme préconisée par l’accord de paix vise, à terme, à renforcer les pouvoirs des présidents de région.

Or, la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), signataire de l’Accord de paix, dans un communiqué publié le 28 octobre, s’est opposée à la tenue de ces élections en dénonçant une initiative unilatérale du gouvernement. Alors même que ces élections concourent à la prise en compte de revendications politiques de la rébellion armée de 2012, la CMA estimait dans un communiqué, qu’il faudra mettre en œuvre certains réformes politiques préalables, inscrits dans l’Accord de paix, notamment « l’opérationnalisation des Autorités Intérimaires, l’organisation du retour des réfugiés/déplacés, la révision des listes électorales, la relecture des lois portant libre administration et code des Collectivités Territoriales et bien d’autres aspects y afférents ».

L’opposition politique malienne estime quant à elle qu’en plus du contexte sécuritaire volatile, les conditions matérielles d’un scrutin crédible ne sont pas réunies. Elle réclame en outre l’audit du fichier électoral avant les élections.

La CMA – formée pendant le conflit de 2014 – s’oppose aux élections du 17 décembre

Cette situation est révélatrice des distensions et des contradictions qui entourent les élections à venir, et rappelle que la tension n’est pas véritablement retombée depuis le débat autour de la révision constitutionnelle avortée de juin 2017En termes de sécurité, l’assassinat du conseiller du chef de village dans la région de Mopti, le 7 novembre, et celui du chef du village de Kerena dans le cercle de Douentza, en novembre dernier, illustrent la montée de la violence dans les luttes pour la chefferie locale. Les  groupes terroristes, y compris le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, menacent également la bonne tenue du vote dans les zones où ils sont actifs.

En outre, le pays reste confronté à la croissance des réseaux criminels qui se livrent à toutes sortes d’exactions, allant des braquages sur les axes routiers aux vols de bétail dans les régions du Nord et du Centre.

Les élections au Mali sont également confrontées à plusieurs défis opérationnels. Il s’agit notamment de la présence de l’administration sur toute l’étendue du territoire et du retour des réfugiés et des déplacés. Malgré la signature de l’APR dernier, selon le Haut commissariat des réfugiés (HCR), on dénombrait toujours près de 143 103 réfugiés et 58 594 déplacés internes à la fin juin 2017. En 2013, toujours selon le HCR, ils étaient 167 000 réfugiés et 283 000 déplacés.

L’opposition politique malienne estime que les conditions matérielles d’un scrutin crédible ne sont réunies

Ces élections à venir font planer le risque d’une crise institutionnelle. Le président Ibrahim Boubacar Keïta, estimant que l’opposition ne peut accéder au pouvoir par la voie électorale, la soupçonne de chercher à rendre impossible l’organisation des élections  être associée à la gestion du pouvoir dans le cadre d’un éventuel gouvernement de transition. L’opposition quant à elle, estime que le président de la République et le gouvernement veulent utiliser le contexte sécuritaire comme prétexte pour rester au pouvoir au-delà du mandat constitutionnel.

Il est peu probable que d’ici les élections de décembre 2017 des avancées significatives puissent être enregistrées au plan sécuritaire. La tenue des élections régionales et locales constitue donc un test en prélude à la présidentielle et aux législatives de 2018. La création d’un cadre inclusif est nécessaire pour que les acteurs politiques, la société civile, et les signataires de l’Accord de paix de 2015 discutent et s’entendent sur les meilleures conditions possibles pour les élections – qui seront inévitablement viciées, mais peuvent toujours être crédibles. Alternativement, ils pourraient s’entendre sur un report. Un point de vue partagé est sans aucun doute l’une des meilleures garanties pour que les parties ne profitent pas des insuffisances liées aux élections pour contester les résultats.

Un arrangement politique de ce type avait permis, en 2013, à la suite de la crise multidimensionnelle malienne et de l’intervention franco-africaine, la tenue du scrutin présidentielle. Cette crise était survenue avec la rébellion armée de 2012 et la transition politique à Bamako, après le coup d’état de la même année. Un processus similaire pourrait voir le pays aller de l’avant – même si le rythme est lent.

Ce parallèle rappelle, en définitive, le peu d’évolution de la situation politique et sécuritaire du Mali depuis cette période.  

Cet article est d’abord paru sur le site de l’Institut d’études de sécurité.

CMA : Appréhensions face à la loi portant Code des collectivités

Le 14 septembre, la loi portant Code des collectivités territoriales a été adoptée par l’Assemblée nationale, puis promulguée par le Président de la République. Une exigence de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali est « la mise en place d’une architecture institutionnelle fondée sur les collectivités territoriales » pour « assurer une meilleure gouvernance ». Mais la CMA et la Plateforme ne semblent pas être satisfaites de ses dispositions. Ilad Ag Mohamed, porte-parole de la CMA explique au Journal du Mali leurs appréhensions.                     

Quelles sont les innovations qu’apporte la nouvelle loi et que lui reprochez-vous ?

On parle d’un Conseil régional élu au suffrage universel direct. Mais cette innovation n’est pas conforme à l’Accord, qui dit que la région est dotée d’une Assemblée régionale dont le Président est élu au suffrage universel direct. Il y a un autre article extrêmement important de l’Accord qui ne figure  pas dans le texte, celui qui stipule que le Président est le chef de l’Exécutif régional et de l’administration. Cela veut dire que, désormais, les anciennes prérogatives du Gouverneur sont transférées au Président de l’assemblée. Le Gouverneur, qui est le représentant de l’État, aura juste  un contrôle de légalité a posteriori. Voila ce que nous dénonçons.

En plus de l’élection du Président du Conseil régional, il y a l’appui-conseil, les 30 % du budget national et d’autres dispositions…

Nous ne rentrons pas dans tous les détails de la loi, nous parlons de sa colonne vertébrale. Ce que je viens de dénoncer vide l’Accord de sa substance. Il ne faut pas oublier que l’Accord est en train de consacrer une libre administration tendant à une régionalisation, où les collectivités s’administrent librement, avec une faible implication de l’État.

Avez-vous été consultés avant  que la loi ne soit adoptée ?

Oui, mais en réalité ce sont des consultations mises en scène. On a fait des réunions avec le gouvernement au stade d’avant-projet et formulé nos remarques. La Commission d’écoute de l’Assemblée nous a envoyé une convocation, mais nous n’étions pas prêts. Entretemps, elle nous a convoqués pour le 16, alors que  la loi a été votée le 15. Le travail que le gouvernement est en train de faire, d’une manière générale, dans la mise en œuvre de cet Accord, n’est pas consensuel. On a l’impression qu’il a le souci de faire passer ce qu’il veut.

Puisque la loi a été votée, puis promulguée, qu’allez-vous faire ?

On va continuer à dénoncer. Ce qui est sûr, c’est que la mise en œuvre de l’Accord sera entamée. Il était censé poser les bases d’un État nouveau. Nous assistons à  un échec de la révision de la Loi fondamentale. Il ne faut pas s’attendre à ce que l’Accord évolue alors qu’il est au ralenti sur le plan politico-institutionnel. Nous pensons que ce sont des volets qui doivent aller ensemble. Mais nous allons continuer à discuter avec le gouvernement.

 

Sidi Mohamed Diawara (MJP Mali) : « Les difficultés risquent d’affecter la qualité des élections »

Le 17 décembre prochain est la date retenue pour les scrutins couplés des élections locales. Un défi qui reste à relever, compte tenu des conditions matérielles difficiles. Nous avons recueilli l’avis de Sidi Mohamed Diawara, expert en promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance.

Que pensez-vous de la date du 17 décembre pour la tenue des communales dans les 59 communes restantes, l’élection des conseillers de cercle et les régionales ?

Le gouvernement veut éviter d’entrer dans une année critique, avec des élections locales qui devaient se tenir il y a bien longtemps, la présidentielle et les législatives. Cela risque d’être difficile à gérer pour un ministère qui a des problèmes de ressources, pas seulement financières, mais également techniques, tout comme pour les préfets et sous-préfets. Je comprends qu’on veuille coûte que coûte tenir les communales restantes et les régionales. C’est un effort louable. Le délai de convocation du collège électoral est respecté, comme celui de dépôt des candidatures. Mais je ne suis pas sûr que les partis soient prêts. Deuxième problème : entre le 1er octobre et le 31 décembre, la révision de la liste électorale est un travail technique dirigé par les représentants de l’Etat. Ce qui signifie 2 ou 3 tâches importantes à gérer en même temps, quand on sait que ces administrateurs n’ont pas toujours les ressources pour faire le travail et que les partis politiques sont rarement en mesure de désigner leurs représentants aux commissions de révision. Ces difficultés risquent d’affecter la qualité des élections.

Est-il quand même indispensable de tenir ces délais ?

Les délais de convocation sont des délais légaux, qui ne peuvent être changés par l’administrateur. Si on ne les respecte pas, on viole la loi. Mais souvent on s’entend pour violer la loi, ce qui ne fait pas honneur au pays.

Est-il impérieux de tenir ces élections pour boucler le cycle électoral post-crise ?

Il était déjà souhaitable qu’après la présidentielle se tiennent les communales. Mais les échéances ont été repoussées pour diverses raisons, justifiées ou non. Si on pouvait en finir avec ces élections en 2017, ce serait une bonne chose. Mais une chose est de tenir une élection, une autre est de bien le faire. Le souci devrait être d’organiser de bons scrutins. Lorsqu’une élection est mal tenue, les conséquences peuvent être plus graves que le report en tant que tel.

Peut-on encore mieux préparer ces élections ?

Il y a toujours cette possibilité. Il faut aboutir à un consensus politique, éclairé par des informations techniques. On pouvait aussi peut-être reporter ces élections à l’année prochaine et les coupler davantage.