France – Mali : les conséquences de la dénonciation de la convention fiscale

Le 5 décembre 2023, le Mali a dénoncé la convention fiscale qui le liait à la France depuis le 22 septembre 1972. Une convention qui visait à éviter notamment la double imposition des personnes et des entreprises dans chacun des deux États. La fin de cette convention fait donc de lourdes conséquences pour certains.

Dans un communiqué conjoint, les deux gouvernements du Mali et du Niger ont dénoncé les conventions tendant à éviter la double imposition signées respectivement entre le Mali et la France le 22 septembre 1972 et entre le Niger et la France en 1965. Les deux pays dénoncent l’attitude hostile du gouvernement français et le déséquilibre découlant de ces conventions « causant un manque à gagner important » pour eux. Cette dénonciation intervient dans un contexte de tension exacerbée entre la France et ces pays, réunis depuis le 16 septembre 2023 au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES) avec le Burkina, qui a lui aussi dénoncé en août 2023 une convention de même type signée avec la France en 1965.

Ces conventions de non double imposition visent en principe à éviter la double imposition sur le même revenu ou les mêmes actifs pour une personne ou une entreprise résidant dans l’un des pays. Un outil qui permet donc a priori de faciliter le développement des échanges internationaux et de favoriser les investissements, notent les spécialistes.

Pour le Mali et le Niger, ces conventions, qui visaient à renforcer les liens de coopération, ne répondaient plus à leurs objectifs et n’étaient plus compatibles avec la défense des intérêts de leurs peuples. En décidant de mettre fin à ces conventions dans « un délai de trois mois », le Mali et le Niger entendent « préserver les intérêts des deux pays ».

Démarche politique ?

Aux termes de l’article 44 de la Convention fiscale Mali – France, à partir du 1er janvier de la sixième année suivant l’entrée en vigueur de la convention, celle-ci peut être dénoncée par l’un ou l’autre Gouvernement entre le 1er janvier et le 30 juin de chaque année, par notification écrite transmise par la voie diplomatique. La convention cessera alors de s’appliquer à partir du 1er janvier de l’année suivante. La dénonciation de la convention ayant été communiquée courant décembre semble donc être hors de l’intervalle temporel prévu par le dispositif, relèvent les spécialistes. Son effectivité à partir de janvier 2024 pose donc problème d’après eux.

S’il semble logique que des conventions qui ont plus de 40 ans d’existence fassent l’objet de relecture, la démarche choisie par le Mali et le Niger, dont les conventions n’ont pas été signées aux mêmes dates, interroge. Pour certains observateurs, elle relève plus d’une démarche politique que d’une mesure fiscale ou économique. Mais cette dénonciation pourrait être un couteau à double tranchant pour les deux pays. En effet, les investisseurs potentiels pourraient se demander s’ils ne seraient pas doublement imposés en y investissant. Pourtant, la possibilité de revoir certaines dispositions de l’accord qui ne correspondaient plus à la réalité, existait, selon les observateurs. Elle aurait pu permettre aux différentes parties de prendre des dispositions afin de communiquer sur des situations précises, d’échanger des informations ou encore de prendre des décisions concernant les contribuables, personnes physiques ou morales.

Outre le ralentissement des installations réciproques d’entreprises dans les pays, suite à des conditions qui n’inciteraient pas les investisseurs, la fin de cette convention pourrait impacter les particuliers. Pour les Maliens, visiblement plus nombreux à s’installer en France que les ressortissants français au Mali, les bénéficiaires de rentes viagères ou les étudiants recevant de l’argent de leurs proches installés au Mali, dont les revenus n’étaient pas taxés, pourraient perdre ce privilège en raison de la fin de la non double imposition. La fin de la convention impliquera aussi la fin de la coopération en matière fiscale ainsi que dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale.

Faibles impacts ?

La conséquence principale et la plus immédiate d’une telle dénonciation est l’application sans restriction des règles de droit commun, en l’occurrence les dispositions du Code général des impôts (CGI) aux contribuables percevant des revenus dans l’un et l’autre des États parties, note Fatoumata Diarra, fiscaliste. Ainsi, en ce qui concerne le Mali, vont s’appliquer pleinement les dispositions de l’article 44 du CGI qui dit : « sous réserve des dispositions des conventions internationales dûment ratifiées par le Mali et relatives aux non doubles impositions, l’impôt est dû à raison des bénéfices réalisés au Mali par les personnes physiques ou morales y exerçant une activité, quel que soit leur statut juridique et quelle que soit la validité des opérations réalisée au regard de la législation autre que fiscale ».

Face au constat que la législation fiscale malienne réduit les bénéfices passibles de l’impôt à ceux réalisés dans les entreprises exploitées au Mali, ainsi que ceux dont l’imposition est attribuée au Mali par une convention internationale relative aux non doubles impositions, « concernant cet impôt en particulier, la convention a eu probablement peu d’impact sur les recettes fiscales, à l’exception notable de la situation des compagnies aériennes de l’un et de l’autre État ». L’article 12 de la convention Mali – France dit que les revenus provenant de l’exploitation en trafic international de navires ou d’aéronefs ne sont imposables que dans l’État contractant où se trouve le domicile fiscal de l’entreprise.

Par contre, les redevances et autres rémunérations de prestations de services échappaient, du fait de l’application de la convention, à la retenue à la source applicable suivant le droit commun (au taux effectif actuel de 15%). Ainsi, avec la dénonciation de la convention, ces exemptions sont supprimées.

Dans la pratique, malgré la dénonciation, la convention devrait continuer à produire effet en ce qui concerne les revenus dont le fait générateur est antérieur à l’effectivité de la dénonciation. En clair, en ce qui concerne les redevances et rémunérations de prestations de services, les revenus inscrits au crédit des comptes de résidents français jusqu’au 31 décembre 2023 ne devraient supporter aucune retenue à la source au Mali, même si le paiement effectif des revenus concernés intervient dans les années à venir.

Revoir toutes les conventions

Dans la foulée de la dénonciation de cette convention fiscale entre le Mali et la France, certains observateurs ont attiré l’attention sur le contenu des différentes conventions que notre pays a signées. En effet, outre la France, le Mali a diverses conventions avec d’autres pays, dont la Tunisie, le Maroc, la Russie, Monaco ou encore les pays membres de l’UEMOA.

Si l’on peut signaler les incohérences et l’inadaptation des dispositions de cette convention aux réalités actuelles, il faut regarder au-delà et revoir toutes les conventions qui lient le Mali à d’autres pays pour remettre au centre la sauvegarde de nos intérêts économiques, suggère un analyste.

Il faut signaler qu’il existe dans plusieurs conventions d’investissement dans les domaines des mines, du pétrole ou des infrastructures des clauses de stabilisation qui garantissent les avantages fiscaux, en dérogation aux règles existantes, consentis aux sociétés au moment de la signature des conventions. Des dispositions qui protègent les investisseurs contre d’éventuels changements des règles applicables. Ces dispositions pourront-elles servir pour protéger des effets de la dénonciation ? C’est l’une des interrogations posées par les observateurs. Des réponses pourraient découler des éclairages futurs que les autorités fiscales devront apporter sur les conséquences de la dénonciation.

Certains acteurs du secteur minier suggèrent ainsi qu’en lieu et place d’exonérations fiscales l’État prévoie des investissements pérennes, issus des revenus de l’exploitation. Des investissements durables qui pourront servir les communautés après l’arrêt des exploitations.

Air France : la reprise des vols au Mali attendra

Oui et finalement non. Air France ne reprendra pas ses vols en direction de Bamako demain vendredi 13 octobre. Mardi, la compagnie aérienne annonçait recommencer à desservir le Mali « en coordination avec les autorités maliennes », avec trois vols hebdomadaires à compter. Ces vols vendus par Air France ne seraient plus assurés par des avions de la compagnie, mais par « un Boeing de la compagnie portugaise Euro Atlantic Airways », spécialisée dans la location d’appareils à des compagnies tierces, a précisé un porte-parole d’Air France à l’AFP. Toujours auprès de l’AFP, la compagnie a précisé que la reprise était « reportée jusqu’à nouvel ordre». Le ministère des Transports a alors expliqué dans un communiqué daté d’hier 11 octobre que la demande de reprise d’Air France était en cours d’examen et que « les vols d’Air France demeurent suspendus pendant cette procédure d’examen ». Le colonel Drissa Koné, directeur général de l’Agence nationale de l’aviation civile (Anac) qui avait donné son aval aurait été limogé selon plusieurs informations, mais aucune annonce officielle n’a été faite à ce sujet. Contacté, un responsable du ministère des Transports oriente vers les prochains communiqués du conseil des ministres pour confirmation ou non. Depuis que le ministère français des Affaires étrangères a placé tout le Mali en zone rouge début août, il est techniquement impossible pour la compagnie de se rendre au Mali. « Selon cette classification, il est déconseillé aux ressortissants français, y compris au personnel navigant des compagnies aériennes, de se rendre dans le pays. Le Burkina Faso qui était également concerné par la suspension des vols a fait de la déclassification du pays en zone rouge une condition préalable à la reprise des activités de la compagnie. Pour rappel, le 7 août dernier Air France avait suspendu ses 7 vols hebdomadaires vers le Mali, justifiant cette décision par le « coup d’État au Niger » et « la situation géopolitique » au Sahel. Cette suspension avait ensuite été prolongée à plusieurs reprises. Après la suspension des liaisons Paris-Bamako par Air France, les autorités maliennes avaient décidé, le 11 août, d’annuler l’autorisation de la compagnie d’exploiter cette ligne qualifiant la suspension de « manquement notoire » aux termes de l’autorisation d’exploitation accordée à la compagnie.

Suspension de visas pour la France : des étudiants maliens dans le désarroi

La France a suspendu début août la délivrance des visas pour les ressortissants du Mali, du Burkina Faso et du Niger en raison de la crise diplomatique qui sévit entre elle et ces trois pays. Cette décision impacte des étudiants maliens qui s’apprêtaient à aller poursuivre leurs études dans l’Hexagone.

« J’avais postulé à Campus France. J’avais fait toutes les démarches et j’avais eu une acceptation. Il ne me restait plus qu’à faire la demande de visa. Mais avec la situation géopolitique tout est chamboulé », se désole un étudiant malien qui a requis l’anonymat.

« Cela a commencé en août quand ils ont fermé le centre Capago (Centre de délivrance des visa français, Ndlr). Nous étions en attente de voir l’évolution de la situation. Mon rendez-vous était prévu vers fin août et j’avais pratiquement rassemblé tous mes documents. Malheureusement, il y a eu cette décision et je n’ai pas pu faire la demande », raconte-t-il, déplorant « une année de perdue » pour les étudiants en raison de la rentrée qui a déjà eu lieu en France. Selon une source à l’ambassade de France au Mali, des discussions sont en cours au sein de certains ministères français pour alléger la mesure de suspension pour les étudiants et les artistes. Des arbitrages sont attendus, assure-t-elle.

L’AEEM s’implique

Depuis le début cette situation, l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) a mené des démarches auprès des autorités françaises présentes au Mali et des maliennes pour tenter de trouver des solutions pour les étudiants maliens concernés.

« Au niveau du Bureau de coordination nationale, comme démarche nous avons entrepris des demandes au niveau des autorités françaises d’ici pour voir la possibilité pour nos étudiants d’avoir accès au visa dans d’autres pays, comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Malheureusement, nos démarches ont été vaines », explique Alfousseyni Niamassé Dissa, Secrétaire à l’Information du Bureau national de l’AEEM.

À l’en croire, ne pouvant rien face à ce problème diplomatique, le Bureau s’est appesanti auprès des autorités éducatives sur les mesures à prendre pour le bien-être des étudiants maliens déjà présents sur le sol français et l’orientation des autres bénéficiaires de la Bourse d’excellence vers d’autres pays.

Appelant les autorités à tirer leçon de ce cas de figure, l’AEEM estime qu’il est temps pour le Mali d’investir massivement dans la formation sur le territoire malien. « Le fait d’envoyer des Maliens étudier à l’extérieur est une bonne chose, mais le fait aussi de créer les conditions nécessaires ici au Mali pour leur permettre d’exploiter le génie en eux ne pourrait être que bénéfique », plaide Alfousseyni Niamassé Dissa.

Suspension de visas : le Mali applique la réciprocité à la France

Nouvel épisode de tension entre la France et le Mali. La France a suspendu en début de semaine la délivrance de ses visas après avoir placé le 7 août tout le Mali, y compris Bamako, en zone rouge, « formellement déconseillée » aux voyageurs, au risque d’enlèvement et d’insécurité de manière générale. Capago qui est le centre de dépôt de visa est par ailleurs fermé. Selon une source diplomatique française, tout rendez-vous fixé après le 3 août ne sera pas honoré et les personnes seront remboursées. Hier mercredi dans la soirée, le ministère des Affaires étrangères a décidé d’appliquer la réciprocité. Il a donc décidé de suspendre à son tour la délivrance de visas, jusqu’à nouvel ordre, par les services diplomatiques et consulaires du Mali en France.

D’une source diplomatique, les services consulaires français à Bamako ont traité en 2022, 22 000 demandes de visa et donné 12 000 réponses positives. Par ailleurs, environ 7 000 Français vivent au Mali dont 5 500 Franco-Maliens.

Pour rappel, les relations entre le Mali et la France se sont fortement détériorées depuis mai 2021 et la prise de pouvoir du Colonel Assimi Goita. En 2022, l’ambassadeur de France a été expulsé, les médias français RFI et France24 suspendus, Barkhane et Takuba poussés vers la sortie. Il faut également noter l’arrêt des activités des ONG fonctionnant sur financement français. La France de son côté a retiré plusieurs de ses coopérants et arrêté des projets de développement.

Dans le Sahel, au-delà du Mali, la tension entre la France et ses anciennes colonies ne cesse de s’accentuer et touche aujourd’hui le Burkina Faso et le Niger, tous actuellement dirigés par des gouvernements de transition. Sur le site internet de Capago, prestataire traitant les demandes de visa de France, où cette suspension de visa a été émise, Paris a également suspendu la délivrance de visas par ses services au Burkina. Air France a de son côté suspendu ses vols vers le Mali et le Burkina Faso jusqu’au 11 août inclus.

Niger : Mohamed Bazoum appelle à l’aide, échec de la mission de la CEDEAO

Le coup d’Etat au Niger pourrait avoir des conséquences « dévastatrices » pour le monde et faire passer la région du Sahel sous « influence » de la Russie, via les « mercenaires » du groupe Wagner, a écrit le président déchu Mohamed Bazoum dans une tribune parue jeudi dans le Washington Post. « J’appelle le gouvernement américain et l’ensemble de la communauté internationale à aider à restaurer l’ordre constitutionnel », écrit-il, « à titre d’otage ». Tard jeudi, dans un communiqué lu à la télévision, les militaires du CNSP ont dénoncé « les accords de coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense avec la France ». La France a un contingent de 1500 militaires déployés au Niger. Le CNSP a aussi promis une « riposte immédiate » à « toute agression » de la part d’un pays de la CEDEAO, hors  membres « amis » suspendus (Mali, Burkina Faso, Guinée) eux aussi dirigés par des militaires.

Arrivée jeudi à Niamey pour trouver une sortie de crise au Niger, la délégation de la CEDEAO conduite par l’ancien président du Nigeria Abdulsalami Abubakar est repartie quelques heures plus tard, sans avoir rencontré le chef du CNSP. Le président du Nigeria Bola Tinubu, aussi président en exercice de la CEDEAO qui se montre intransigeant avait toutefois demandé à la délégation, de « tout faire » pour trouver une « résolution à l’amiable ». L’organisation, qui a notamment suspendu les transactions financières avec le Niger, a dit se préparer à une opération militaire, même si elle a souligné qu’il s’agissait de « la dernière option sur la table ». Les chefs d’état-major de la CEDEAO sont réunis à Abuja jusqu’à vendredi. Plusieurs armées ouest-africaines, dont celle du Sénégal, se disent prêtes à intervenir si l’ultimatum n’est pas respecté dimanche.

Niger : l’Occident veut conserver son dernier allié au Sahel

3ème coup d’État au Sahel depuis 2020, après le Mali et le Burkina Faso, et 4ème en Afrique de l’Ouest avec la Guinée, le renversement du Président Mohamed Bazoum au Niger, le 26 juillet 2023, passe mal dans la communauté internationale. Dans ce pays, considéré comme le dernier allié de l’Occident dans la région, la pression des puissances occidentales s’accentue pour une réhabilitation sans délai du Président déchu.

Le coup d’État au Niger suscite depuis une semaine une vague de condamnations à travers le monde. En première ligne contre le coup de force du Général Abdourahamane Tchiani, à l’heure où nous mettions sous presse certains pays occidentaux brandissaient la menace de suspension de leur coopération et/ou soutenaient les sanctions et les efforts de la CEDEAO et de l’Union Africaine pour un retour à l’ordre constitutionnel.

La France, qui a une présence militaire importante au Niger, où sont stationnés 1 500 militaires dans le cadre de la nouvelle formule de Barkhane après le retrait de l’opération du Mali, a annoncé le 29 juillet suspendre, avec effet immédiat, « toutes ses actions d’aide au développement et d’appui budgétaire, demandant le « retour sans délai à l’ordre constitutionnel nigérien autour du Président Mohamed Bazoum, élu par les Nigériens ».

La veille, le Secrétaire d’État américain Antony Blinken avait assuré du « soutien indéfectible » de Washington au Président déchu et souligné que le renversement de son pouvoir remettait en cause des centaines de millions de dollars d’aide américaine au profit du peuple nigérien.

À l’instar de la France, les États-Unis disposent de près d’environ un millier de militaires au Niger et surtout de deux bases aériennes, l’une à Niamey et l’autre à Agadez, dans le nord du pays, équipée de drones et faisant office de pivot pour l’armée américaine. Les Etats-Unis ont évacué le personnel non nécessaire de leur ambassade. Le président Joe Biden a appelé jeudi 3 août à la libération immédiate du président Mohamed Bazoum.

Par ailleurs, l’Allemagne, dont l’armée possède aussi une base militaire dans la capitale nigérienne, qui lui sert de plateforme pour le retrait de ses forces du Mali et où opèrent actuellement une centaine de soldats, a apporté son « plein soutien à l’évolution démocratique du Niger ».

« Avec l’Union européenne, nous avons soutenu le gouvernement civil et restons persuadés que seul un gouvernement démocratique pourra apporter des réponses aux défis du pays », a martelé Annalena Baerbock, la Cheffe de la diplomatie allemande.

Dans la foulée, Joseph Borell, Chef de la diplomatie européenne, a assuré de son coté que l’Union Européenne « ne reconnait pas et ne reconnaitra pas » les autorités issues du putsch du 26 juillet. L’institution a en outre décidé de la suspension, avec effet immédiat, de toute aide budgétaire et de toute coopération dans le domaine sécuritaire avec le Niger.

CEDEAO – Coups d’État : le tournant Niger ?

Le renversement du pouvoir du Président Mohamed Bazoum au Niger, le 26 juillet 2023, 4ème coup d’État en Afrique de l’Ouest en 3 ans, plonge la région dans un climat de tension exacerbé par les prises de positions tranchées de certains dirigeants vis-à-vis des nouvelles autorités de Niamey. La CEDEAO, soutenue par une grande partie de la communauté internationale, se montre intransigeante sur un retour immédiat à l’ordre constitutionnel dans le pays. Alors que l’ultimatum donné aux militaires du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) prend fin ce dimanche, les jours prochains  s’annoncent incertains au Niger et dans le Sahel.

Tolérance zéro. C’est le maitre-mot des chefs d’États de la CEDEAO face au putsch du Général Abdourahamane Tchiani, 59 ans, chef de la garde présidentielle du Niger depuis 2011, devenu le nouvel homme fort du pays depuis le 28 juillet 2023. Pour joindre l’acte la parole, les dirigeants ouest-africains n’ont pas hésité le 30 juillet, lors d’un sommet extraordinaire de la CEDEAO, à prendre de sévères sanctions contre les militaires nigériens du CNSP.

Déclarant prendre toutes les mesures au cas où les exigences de la Conférence des Chefs d’États ne seraient pas satisfaites dans un délai d’une semaine pour assurer le rétablissement de l’ordre constitutionnel en République du Niger, ce qui n’exclut pas un usage de la force, ils ont décidé de la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la CEDEAO et le Niger et de la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les États membres et Niamey.

Outre ces sanctions, les Chefs d’États de la CEDEAO ont également décidé du gel des avoirs de la République du Niger dans les banques centrales de la BCEAO, de celui de toutes les transactions de service, y compris les services publics, ainsi que des avoirs de l’État du Niger et des entreprises publiques et parapubliques logées dans les banques commerciales, de la suspension du Niger de toutes les formes d’assistance financière et de transactions avec toutes les institutions financières, notamment la BIDC et la BOAD, et de l’interdiction de voyage et du gel des avoirs des officiers militaires impliqués dans la « tentative de coup d’État ».

Bola Tinubu, le Président « anti-putsch »

S’il y a un signal fort que la CEDEAO veut désormais envoyer dans la sous-région, c’est l’image d’une institution forte qui ne laissera plus le champ libre aux renversements de pouvoirs démocratiquement installés.

Dès son arrivée à la tête de l’institution sous-régionale, le 9 juillet dernier, le Président nigérian Bola Tinubu, qui a affiché son intransigeance face aux auteurs de coups d’État, avait donné le ton. « Nous ne permettrons pas qu’il y ait coup d’État après coup d’État en Afrique de l’Ouest », avait-il martelé devant ses pairs pour sa première prise de parole en tant que nouveau leader de la communauté. L’un des premiers dirigeants du continent à condamner officiellement le coup d’État contre Mohamed Bazoum, Tinubu, « homme à poigne », est connu pour ses phrases « choc ». Le 30 juillet, à l’ouverture du Sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la situation politique au Niger, le septuagénaire n’y est pas allé de main morte. « L’un de nous est retenu en otage par sa garde présidentielle. Quelle calamité (…). C’est une insulte pour chacun de nous. Nous devons agir fermement pour restaurer la démocratie », a lâché le Président de la plus grande économie du continent, arrivé au pouvoir en mai dernier après avoir remporté dès le premier tour la présidentielle de février 2023.

Le 31 juillet, le chef d’État-major des armées du Nigéria, Christopher Musa, a réitéré sur un média étranger cette position. « Nous allons faire exactement ce que dit le Président Nous sommes prêts et dès que nous recevrons l’ordre d’intervenir nous le ferons. Nous sommes absolument sûr de réussir », a-t-il affirmé.

Des mots à l’action, le Chef d’État nigérian, et par ricochet toute la CEDEAO, est attendu au tournant sur le dossier nigérien. Même s’il semble résolument engagé dans une voie de réhabilitation de son homologue déchu, certains analystes soutiennent que Bola Tinubu court le risque de devenir un « tigre de papier », fort sur le discours mais peu influent et pragmatique en réalité. D’autant que les conséquences sécuritaires d’une intervention pourraient s’avérer dramatiques. Les groupes terroristes Boko Haram, État islamique ou encore JNIM pourraient profiter du chaos ambiant pour asseoir leurs emprises et étendre l’hydre terroriste à d’autres pays de l’organisation.

Issues incertaines

Avant la fin de l’ultimatum de la CEDEAO, le 6 août 2023, des actions sont en cours pour une solution à la crise politique au Niger. Après l’échec de la médiation tentée par le Président béninois Patrice Talon, c’est Mahamat Idriss Déby, Président de la Transition au Tchad, qui s’est rendu dans le pays et a rencontré les principaux protagonistes. Mais les lignes n’ont pas bougé suite à cette visite. Une nouvelle délégation de l’instance sous-régionale est depuis ce mercredi à Niamey pour tenter de trouver une issue pacifique.

En attendant de voir ce qu’il pourra se passer à partir de la semaine prochaine et l’expiration de l’ultimatum « ouest-africain », les analystes avancent plusieurs scénarios pour la suite des évènements au Niger. Allant de l’organisation d’un « coup d’État contre le coup d’État » à une intervention militaire de la CEDEAO avec des pays africains comme le Tchad et soutenue par les Européens, en passant par le soutien à un mouvement populaire de protestation interne contre le coup d’État ou encore des négociations avec les militaires du CNSP pour l’instauration d’une transition, les options sont aussi diverses que risquées pour la stabilité du pays et de la région.  Les militaires qui ont renversé Mohamed Bazoum ont envoyé une délégation conduite par le numéro 2 du CNSP, le général Salifou Mody au Mali et au Burkina le 2 août pour rencontrer les autorités de la transition. Les échanges ont porté sur le renforcement de la coopération sécuritaire notamment alors que les chefs d’état-major de la CEDEAO sont réunis à Abuja au Nigéria au même moment pour plancher sur une éventuelle intervention militaire. La Côte d’Ivoire a déjà fait savoir qu’elle enverrait des troupes si l’intervention était actée.

Incidences sur le Mali ?

Bien avant que le Niger ne tombe dans le cercle des pays de la CEDEAO qui sont dans une rupture de l’ordre constitutionnel, l’institution sous-régionale avait commencé par remettre la pression sur les pays en transition dans l’espace communautaire. Elle prévoyait d’envoyer le Président béninois Patrice Talon au Mali, au Burkina Faso et en Guinée pour relancer le dialogue au plus haut niveau avec leurs autorités respectives, en vue du respect des délais impartis aux transitions. Un nouveau sommet allait d’ailleurs être consacré début août à la situation dans ces 3 pays, selon une source proche de la CEDEAO, comme nous l’évoquions dans notre numéro précédent.

Les évènements au Niger vont-ils amener la CEDEAO, qui n’excluait d’ailleurs déjà pas de nouvelles sanctions, à durcir sa position vis-à-vis des autorités de transition maliennes quant au respect du chronogramme arrêté selon laquelle le pouvoir devrait être remis aux civils en février 2024 ?

Les relations entre le Mali, le Burkina Faso et la CEDEAO semblent à nouveau se dégrader. En réaction aux décisions de la Conférence des Chefs d’États de la CEDEAO du 30 juillet, les deux pays ont indiqué dans un communiqué conjoint le 31 juillet 2023, refuser d’appliquer ces « sanctions illégales, illégitimes et inhumaines contre le peuple et les autorités nigériens ».

« Les gouvernements de Transition du Burkina Faso et du Mali avertissent que toute intervention militaire contre le Niger s’assimilerait à une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali », poursuit par ailleurs le communiqué, dans lequel les deux pays préviennent aussi qu’une intervention militaire contre le Niger entrainerait leur retrait de la CEDEAO et l’adoption de « mesures de légitime défense en soutien aux Forces armées et au peuple du Niger ».

« La CEDEAO, avec le leadership de Bola Tinubu, ne comptait pas tolérer le non-respect du chronogramme de la Transition au Mali et une éventuelle nouvelle prolongation. Avec la nouvelle donne, le cas du Niger et la position des militaires au pouvoir au Mali, elle voudra prendre des mesures pour un retour dans les délais à l’ordre constitutionnel dans le pays, y compris de nouvelles sanctions », glisse un observateur.

Abdramane Niama Togora : « L’arrêt n’a pas beaucoup impacté le monde humanitaire »

Il y a maintenant plus de six mois que l’aide publique française au développement a été suspendue au Mali. Cela a-t-il eu un impact sur le monde humanitaire ? Abdramane Niama Togora, Coordinateur national des sites de déplacés internes à la Direction nationale du Développement social répond à nos questions.                                                   

Quel est votre constat sur le fonctionnement des ONG humanitaires qui bénéficiaient de l’appui de la France depuis l’arrêt des financements de l’AFD au Mali ?

Suite à l’arrêt des activités des ONG qui opéraient sur financement français, nous avons tout de suite fait une évaluation et il s’est avéré qu’il y en avait à l’époque une vingtaine. Mais très peu opéraient dans le monde humanitaire, dans lequel nous évoluons. Il y avait des programmes dont les sources de financement étaient variées, donc, du coup nous n’avons pas constaté d’arrêt d’ONG qui avaient un financement français. D’autres partenaires financiers se sont proposés pour soutenir celles qui opéraient dans le monde humanitaire.

Quelle a été votre stratégie pour éviter tout impact ?

Après la décision, on a tenu une réunion rapidement avec OCHA, le Bureau de  coordination des affaires humanitaires des Nations unies au Mali pour évaluer l’impact que cela pouvait avoir. Il s’est trouvé qu’il y avait très peu d’impact. Nous évoluons dans un système de clusters, c’est-à-dire si un acteur se trouve dans l’incapacité de soutenir une population malgré ses engagements, un autre acteur  peut se positionner pour combler le vide. C’est avec ce système qu’on a vraiment pu soutenir les populations qui étaient dans le besoin suite à l’arrêt des financements français.

Quelles sont les ONG qui bénéficiaient de ces financements ?

Les financements étaient surtout orientés vers des ONG qui étaient là généralement pour soutenir les collectivités dans les actions de développement, comme la réalisation d’infrastructures communautaires ou des activités sociales.

Quel sont les rapports actuels entre l’État et les ONG ?

Ces ONG continuent d’évoluer. Récemment, on a une réunion de coordination autour des sites de Bamako, où il y a beaucoup d’ONG qui ont des staffs français et qui ont leur siège social en France. Mais ce n’est pas un problème, parce que les ONG sont là pour soutenir le gouvernement dans la protection générale de sa population. Il n’y a pas de rapport ambigu. Ces ONG continuent d’évoluer normalement, même si certaines ont quand même dû libérer un certain nombre de personnes parce qu’à leur niveau le recrutement est lié à des financements.

Olivier Dubois : « Impossible de leur échapper »

La liberté n’a pas de prix. Olivier Dubois savoure cette assertion. Libéré le 20 mars dernier, après 711 jours de captivité passés aux mains du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, il renoue depuis avec les siens. Dans cette longue interview, le journaliste, ancien collaborateur du Journal du Mali qui se décrit comme une tête chercheuse en mouvement, répond à nos questions sur ses conditions de détention et ses perspectives.

Pouvez-vous revenir sur votre enlèvement, le 8 avril 2021. Comment cela s’est-il passé ?

Le 8 avril 2021, je prends un avion Sky Mali pour Gao. J’arrive sur les coups de 11h. Souleymane, mon contact, est là pour m’accueillir et m’emmène à l’hôtel Askia. Nous allons passer deux heures là-bas, puis il va aller chercher à manger. Moi, je prépare mes questions. Je dois interviewer un cadre du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans. Mais une demi-heure avant de partir, Souleymane (un infirmier qui était en lien avec un terroriste) reçoit un coup de fil et me dit : « écoute, je devais venir avec toi initialement, mais ils ne veulent plus que je vienne, tu dois y aller seul ». J’avoue qu’à ce moment-là je suis désemparé. J’ai envie de tout annuler parce que ce n’est pas ce qui était prévu. Ça ne devait pas se passer comme ça. Je redemande à Souleymane si avec cette nouvelle situation je peux leur faire confiance, s’il faut annuler ou pas. Il me dit non ça va, il est sûr qu’il n’y aura pas de problème. De toute façon, le cadre que je dois voir a le diabète et doit recevoir une piqûre pour cela directement après notre entretien, ajoute-t-il.

Il dit qu’il doute vraiment qu’il puisse m’arriver quelque chose. Donc on part dans sa voiture, je pense en périphérie de Gao, où on doit avoir cette rencontre avec les moudjahidines. Ils arrivent dans un pick-up couleur sable à notre niveau. Je me souviens d’avoir ouvert la portière, de m’être tourné vers Souleymane, de lui avoir dit « tu es mon dernier filet de sécurité ». Je sors et me dirige vers le pick-up. Je monte à l’intérieur et nous partons. On va rouler avec les moudjahidines, dont trois derrière, armés. On va rouler 5 voire 10 minutes puis on va croiser un autre pick-up de la même couleur, avec des personnes à l’intérieur qui ressemblent vraiment à celles avec lesquelles je suis.

Moi, je suis concentré sur mes questions, sur cette interview. On me dira un jour après que nous avons été pris en chasse par le pick-up que nous avons croisé et que des coups de feu ont été échangés. Moi je n’ai rien entendu personnellement. Tout ce que je sais, c’est qu’à un moment l’un des hommes à l’arrière a tapé sur la voiture pour dire au chauffeur d’accélérer. Pendant quatre heures, nous allons rouler tambour battant jusqu’à la région de Kidal. Une fois là-bas, je suis avisé que je suis maintenant leur otage. La longue période qui va durer presque 2 ans commence à ce moment-là.

Qu’avez-vous ressenti les premières heures après votre enlèvement ?

Je me souviens d’avoir été traversé par plusieurs sentiments. Premièrement un sentiment d’injustice, parce que j’avais préparé l’interview, j’avais eu leur accord, j’avais  eu une lettre d’invitation et je me retrouvais kidnappé. J’ai donc ressenti un fort sentiment d’injustice, puis ensuite un sentiment un peu étrange, comme si j’étais abasourdi. Cela mêlé à de la peur. Je me dis qu’est-ce qu’il va se passer maintenant? Dans deux jours, je suis censé prendre l’avion de Gao pour revenir à Bamako. Je comprends à ce moment-là que je ne serais pas dans cet avion. Donc comment réagiront mes proches, ma famille? Même si à ce moment-là, je me dis que les choses vont s’arranger, que c’est juste que cette katiba n’est pas au courant que je devais interviewer un cadre. Donc j’ai des sentiments ambivalents, confus, qui font que durant cette première nuit de captivité je ne dormirai pas du tout.

Vous avez déclaré ne pas avoir été maltraité. Ce traitement vous a-t-il surpris ?

Globalement, je n’ai pas été maltraité. Je n’avais pas un harassement quotidien physique ou des choses comme ça. Il y a eu des épisodes difficiles, mais est-ce que j’étais surpris? Je dirais non. Non, pas vraiment, parce que vous comprenez aussi que quand vous êtes avec eux, ils suivent le Coran, et le Coran est clair en ce qui concerne les prisonniers. Pour eux, si vous ne causez pas de problèmes, il y a pas de raisons qu’ils vous en causent. Maintenant, si vous en causez, là il peut se passer des choses difficiles. Mais j’aimerais ajouter aussi que c’est surtout une affaire d’hommes, dans le sens où ça dépend des moudjahidines que vous avez avec vous. Je suis tombé sur des moudjahidines qui pouvaient être mauvais, sur d’autres qui étaient indifférents, sur d’autres qui étaient respectueux. Ça dépend vraiment de cela. Mais oui, globalement, je peux dire qu’il n’y a pas eu de maltraitance et je pense que c’est premièrement parce que ce sont des musulmans et deuxièmement parce que vous avez aussi pour eux une certaine valeur. Leur but c’est quand même de tirer quelque chose de vous. Comme je disais à mon partenaire, le Sud-Africain Gerco Van Deventer (Enlevé en 2017) qui était avec moi en détention, nous avons une marge. Vous êtes un infidèle pour eux, c’est entendu, mais vous êtes aussi un prisonnier, un investissement. Vous êtes quelqu’un dont ils veulent tirer quelque chose et cela vous donne une marge, qui n’est pas grande, qui n’est pas confortable, mais si vous savez jouer avec cette marge vous pouvez globalement traverser cette page de captivité avec moins de difficultés.

Mais vous étiez tout de même enchainé…

Oui, tout à fait, vous êtes enchainé parce que vous êtes prisonnier. Durant mes presque deux années de captivité, j’étais enchainé tous les jours. À un moment beaucoup plus que d’habitude. On va dire qu’entre le 8 juillet 2021 et le 2 février 2022 j’étais enchainé nuit et jour, que ce soit à un arbre, une grande jante de camion. Vous êtes enchainé, ça c’est clair. Et ils le justifient par le fait que de toute façon vous êtes un prisonnier et que vous pouvez potentiellement vous évader. Donc par sécurité, surtout la nuit, vous devez être enchaîné. Après, si vous vous comportez mal, comme ça m’est arrivé, vous êtes enchainé nuit et jour. Moi j’étais enchainé principalement aux jambes. Ils ont des niveaux d’enchainement. J’ai vu d’autres prisonniers qui étaient enchainés du cou au poignet, autour de la taille et après aux jambes. Un peu comme les prisonniers qu’on pouvait voir à Guantanamo (Prison militaire américaine à Cuba).

Vous avez fait trois tentatives d’évasion qui ont toutes échoué. Après la dernière, avez-vous perdu espoir ?

Sur les tentatives d’évasion, les deux premières ont été annulées de mon fait. C’est à dire que je quittais le camp, je faisais quelques kilomètres et, pour différentes raisons, je revenais. La plupart du temps, c’était par manque d’eau ou encore parce que j’avais mal jugé le terrain. Pour la troisième tentative, je pars dans la nuit et ils me récupèrent vers midi le lendemain. Ça m’a porté un coup le fait de me faire attraper. Et ce désir de m’échapper va vraiment s’éteindre en décembre 2021. J’étais détenu dans une sorte de prison à ciel ouvert et puis il y a ces deux jeunes Touaregs qui vont s’évader, comme je l’ai fait, et qui vont être récupérés le lendemain. Ils sont ramenés enchaînés. Et là je me suis dit que ce n’était pas possible. Moi j’ai tenté, j’ai raté, et eux qui connaissent le terrain ont raté aussi. On ne peut pas leur échapper, me suis-je dit. C’est quasiment impossible de leur échapper.  Et là je dois penser à une autre stratégie, parce que je me dis à ce moment-là que l’évasion n’est pas la solution.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez appris à la radio le départ de la Force Barkhane du Mali ?

Je me dis que je suis laissé seul. Ça va être très compliqué pour moi d’être libéré, et là, oui, j’ai quand même eu une perte d’espoir. Mais après il faut savoir que dans cette situation-là l’espoir, c’est quand même quelque chose qui vous maintient et il est très important de trouver d’autres voies pour raviver cet espoir. Mais je dois avouer que sur le coup, quand j’ai su à la radio que la France se retirait du Mali, ça m’a touché. J’ai commencé à douter d’une libération prochaine et je me dis que le temps allait être long.

Étiez-vous tenu au courant des négociations en cours pour votre libération ?

Durant ma captivité, j’ai eu très peu d’informations concernant une négociation entre le GSIM et la France. Les moudjahidines vous gardent dans le flou. Ils ne vont pas vous mettre au courant étape par étape de ce qui se passe. Seul moment où je comprends qu’il y a des négociations, c’est en novembre 2021. Parce qu’ils viennent me voir pour tourner une vidéo preuve de vie. On me dit qu’ils sont en train de discuter avec les français et que ces derniers demandent cette vidéo. Mais je n’étais pas tenu au courant de ce qui se passait.

Vous êtes journaliste et vous étiez à l’intérieur du groupe. Des dispositions particulières ont-elles été prises pour que vous n’ayez pas accès à des informations sensibles ?

Je ne sais pas si ce sont des dispositions, je dirai plutôt des précautions, mais ils savaient que j’étais journaliste. Durant le premier mois de ma captivité, par exemple, le groupe qui me surveillait, composé de 5 jeunes, avait ordre de ne pas discuter avec moi, de ne pas répondre à mes questions. Pendant une bonne partie de la première année, c’était difficile pour moi d’obtenir des stylos et du papier pour écrire quoi que ce soit. Ils n’aiment pas vous voir écrire. Donc oui, je pense que mon statut de journaliste pouvait poser des problèmes et en même temps ça m’a permis d’établir quelque chose avec eux. Ils ont compris que je voulais comprendre, ils ont compris que je voulais faire comprendre aux autres qui ils sont et ce qu’ils font. Cela a pris du temps, mais, pour répondre à la question, la majeure partie de cette détention s’est faite dans une relative méfiance par rapport à mon statut de journaliste.

Durant votre captivité, vos ravisseurs ont-ils essayé de vous convertir ?

Oui, bien sûr, ils ont essayé de me convertir. Mais je crois que c’est l’un des buts des moudjahidines quand vous êtes leur prisonnier. J’ai demandé à partir de novembre 2021 à lire le Coran et cela a accéléré cet état de fait. J’ai eu beaucoup de débats, beaucoup de discussions. On venait me voir pour me parler de l’Islam, m’encourager et me convaincre de devenir musulman.

Cela a-t-il marché ?

Non, je ne me suis pas converti. Ils n’ont pas réussi à me convertir.

Avez-vous pu communiquer avec eux, créer des liens ?

C’était l’un de mes buts. Je suis à l’intérieur, je me suis résigné à ma condition de prisonnier. Je me dis Olivier tu es journaliste, tu es à l’intérieur, tente de comprendre ce qui se passe, observe, parle, essaie de ramener un maximum d’informations. Pour cela, il faut créer des liens. Il y a la barrière de la langue évidemment : la plupart d’entre eux ne parlent que tamasheq et arabe. Certains parlent français, mais c’est quand même difficile. Donc j’ai essayé d’établir des liens, de discuter avec eux, ça n’a pas été facile. La lecture du Coran à aider un petit peu à briser la glace. Oui, des liens ont pu être créés malgré ces différentes barrières, le fait que je ne sois qu’un infidèle, le fait que je ne parle pas forcément la langue et le fait que je sois journaliste.

Vous les appelez moudjahidines, pourquoi ?

Ils détestent qu’on les appelle des terroristes. Ils ne se considèrent pas comme des terroristes et j’utilise le terme moudjahidines parce que c’est le terme qu’ils utilisent et qui est peut-être le plus fidèle à ce qu’ils sont. C’est l’habitude que j’ai eu ces deux dernières années et c’est vrai qu’au lieu de mettre djihadistes, quoique djihadistes soit plus précis, plus vrai, je les appelle plutôt moudjahidines.

Certains otages développent un syndrome de Stockholm avec leurs ravisseurs. Cela a-t-il été votre cas ?

C’est difficile de répondre à cette question, compliqué de faire une sorte d’auto diagnostic psychologique. Mais bon, si on reprend ce qui est le syndrome de Stockholm, en gros partager après un certain temps les points de vue de ses ravisseurs et éprouver une sorte de sympathie, voire d’affection, pour eux, ce n’est pas mon cas. Ce qui m’a fait résister et aider à traverser ces presque deux années, c’est justement quelque part en m’appuyant sur moi-même, en développant un programme qui me renforçait  mentalement et physiquement, en faisant appel à des choses que j’aimais, que je savais faire et qui me faisaient du bien. Donc je n’étais pas vraiment sur leur tempo. Et puis j’ai continué à être un journaliste quand j’étais à l’intérieur. L’idée n’était pas de partager leur point de vue, mais d’interroger leur vision. Ça m’a préservé de ça. Après, c’est une question de temps. Deux ans c’est beaucoup, mais est-ce qu’on développe un syndrome de Stockholm en deux ans, je ne sais pas. J’étais par exemple avec un Sud-Africain (Gerco Van Deventer) qui lui était depuis plus de cinq ans leur otage. Lui pourrait répondre à cette question mieux que moi. Mais voilà, j’ai mis des garde-fous pour justement me préserver de ça et je pense que ça a marché.

Votre libération a été un regain d’espoir pour la famille de ce Sud-Africain, qui a depuis lancé un nouvel appel à sa libération…

Alors oui, j’ai entendu et vu cet appel, qui a été lancé par sa femme. Je l’ai rencontrée pour lui donner des informations. J’ai passé plus d’un an et demi avec lui. Et je continue de mon côté à travailler à sa libération. Nous nous étions promis cela, d’ailleurs. Celui qui sortait en premier devait aider l’autre. Du moins joindre la famille de l’autre et lui donner des nouvelles. Je pense que quelque part ça a dû motiver sa famille à faire ce message. Maintenant je pense qu’elle est mobilisée sur son cas depuis un certain temps. Moi, ce que je peux apporter maintenant ce sont des informations par rapport à ce qu’on a vécu ces deux dernières années et peut-être les aiguiller un petit peu. J’espère que mes contributions pourront les aider.

Vous avez été déplacé de nombreuses fois. Avez-vous une idée du lieu où vous étiez retenu en captivité ?

Nous avons été déplacés de nombreuses fois et, quand vous êtes en captivité, à un moment vous commencez petit à petit à essayer de savoir où vous êtes. Dans quelle direction vous allez. Vous suivez le soleil, si vous avez une montre, vous commencez à calculer les distances par rapport au temps, donc j’ai une idée de là où j’étais détenu. J’ai la certitude que je suis resté dans la région de Kidal lors de mes presque deux ans de captivité.

Dans quel état d’esprit étiez-vous au moment de votre libération ?

Je dirais d’abord qu’il y a la joie, bien évidemment, d’être libéré. Après, vous êtes déboussolé, parce qu’il faut savoir que les cinq derniers jours vous passez par différentes émotions. Vous êtes excité par la possibilité de cette liberté, elle semble toute proche. En même temps vous avez passé deux ans en captivité, vous avez des réflexes, vous avez une adaptation, vous avez une façon de vivre, vous vous êtes habitué à ça. Donc ça ne s’arrête pas du jour au lendemain. Moi, je me suis senti libre au moment où je suis sorti du véhicule des moudjahidines et que j’ai vu au loin deux militaires français, je me suis dit ça y est, c’est fait. Et puis après tout va très vite, vous prenez l’avion, vous arrivez sur Niamey et puis vous revoyez une ville, plein de monde, des journalistes, des flashes et des caméras. Vous êtes déboussolé. Je dirais heureux, déboussolé et très fatigué.

Aujourd’hui, libre, que ressentez-vous, qu’allez-vous faire ?

Ma priorité au jour d’aujourd’hui, c’est prendre du repos, de me reconnecter avec ma famille et puis petit à petit de tourner la page de ces deux dernières années. Après on verra. Il faut aller de l’avant. Il n’y a rien de déterminé pour le moment. Il y a des possibilités, on verra, mais ce n’est pas ma priorité pour l’instant.

Savez-vous dans quelles conditions vous avez été libéré ?

Non, je n’en sais pas plus que vous. Quand j’étais là-bas, on ne m’a pas informé des contreparties de ma libération. Ce qu’on m’a dit lorsque j’ai été libéré, c’est que l’un des grands acteurs sont les autorités nigériennes, qui ont vraiment permis cette libération. Après, quelles sont les conditions de cette libération, qu’est ce qui a été donné aux moudjahidines? Je n’en sais rien. Nous ne le saurons peut-être jamais.

Le Premier ministre de transition Choguel Kokala Maïga a assuré que le Mali avait joué un rôle…

Oui, j’ai entendu la déclaration du Premier ministre Choguel Kokala Maïga. Moi, personnellement, je ne connais pas tous les acteurs qui ont participé à ma libération. Ce que je sais, c’est que durant les premiers mois de ma captivité le Mali a joué un rôle. En tout cas, il y aurait eu des contacts avec mes ravisseurs pour tenter de négocier, de faire quelque chose. Après, ce que ça a donné, est-ce que ça a continué jusqu’au bout, je ne sais pas? Mais j’étais détenu en territoire malien, dans la région de Kidal, donc il ne me semble pas non plus impossible de penser que le Mali a joué un rôle dans ma libération, je ne sais pas dans quelle proportion.

Vous avez un lien particulier avec le Mali, comptez-vous y retourner vous installer ?

Le Mali, c’est quelque chose d’important pour moi. Parce que ce sont six ans de vie professionnelle, six ans de vie familiale à Bamako. On reste souvent rarement autant de temps dans un pays que l’on n’aime pas. Je dirais que les deux dernières années de captivité n’ont pas altéré cela. J’aime le Mali, je m’y sentais bien avec ma famille. Maintenant, est-ce que je vais y retourner pour m’y installer? C’est trop tôt pour le dire. J’ai été libéré il y environ une quinzaine de jours. Je suis maintenant en France, j’ai besoin de repos, j’ai besoin de me reconnecter puis j’ai besoin après de planifier mon futur. Moi je suis journaliste et travailler comme journaliste étranger au Mali est devenu un peu compliqué. C’est un pays que j’aime beaucoup, bien qu’il me soit arrivé ce qui m’est arrivé. C’est un peu trop tôt pour répondre à cette question, pour moi en tout cas, mais il est clair que oui, c’est quelque chose à quoi je devrai songer prochainement.

Olivier Dubois : 23 mois de captivité

Ce 8 mars, cela fait 23 mois que le journaliste français Olivier Dubois est retenu en otage par le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. Enlevé à Gao le 8 avril 2021, le journaliste est apparu dans deux vidéos, deux preuves de vie, en mai 2021 et en mars 2022. Olivier Dubois, père de deux enfants et ancien collaborateur du Journal du Mali est le journaliste français dont la détention est le plus longue depuis 30 ans. Dans une récente interview accordé à un média français, Abou Obeiba Youssef al-Annabi, le chef d’Aqmi a confirmé que son groupe détenait le journaliste et était ouvert à la « discussions ».

ONU : le Mali récuse le statut de porte plume de la France

Dans une lettre adressée le 1er mars à Pedro Comissario Afonso, président en exercice du Conseil de sécurité, le gouvernement de transition récuse le statut de porte-plume de la France sur toutes questions examinées par le Conseil de sécurité concernant le Mali. Les portes plumes sont chargées de rédiger les projets de résolution et de déclaration auprès du conseil de sécurité. D’après le document, la France a porté la plume sur tous les sujets concernant le Mali au Conseil de sécurité depuis décembre 2012. Au sein du conseil de sécurité, ce rôle est généralement dévolu à la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. En août 2022, le Mali a porté plainte auprès du Conseil de sécurité pour actes d’agression, de subversion, de déstabilisation et de violation de l’espace aérien malien par des aéronefs des forces armées françaises.

Aminata Dramane Traoré : « l’ONU est aux ordres des membres du Conseil de sécurité et non à l’écoute des peuples souverains »

Sociologue, écrivaine, militante altermondialiste, Aminata Dramane Traoré a plusieurs cordes à son arc et autant de combats à mener. Depuis toujours, ou presque, elle questionne le pré-établi, pousse l’analyse et dénonce au besoin. Ses prises de position vont de la dénonciation de la politique française en Afrique au néolibéralisme ou encore aux questions des droits des femmes. Toujours avec l’intensité qui la caractérise, l’ancienne ministre de la Culture répond à nos questions.

Le Mali célèbre ce 14 janvier la « Journée nationale de la souveraineté retrouvée ». Estimez-vous que nous le pays a vraiment recouvré sa souveraineté ?

J’ai pris part à la mobilisation du 14 janvier 2022 parce qu’indignée par les sanctions infligées à notre pays par la CEDEAO et l’UEMOA. C’est un combat d’avant-garde, en raison de l’importance stratégique des enjeux de souveraineté de nos jours. Ils sont politiques, géopolitiques, militaires, sécuritaires, mais aussi économiques, sociaux, culturels et écologiques. Un jalon important vers l’affirmation de notre souveraineté a donc été franchi ce jour-là. La souveraineté étant une quête de tous les jours, les acquis doivent être entretenus et consolidés. Tel est le sens à donner à la « Journée nationale de la souveraineté retrouvée ».

Dans cette quête de souveraineté, les autorités de la Transition ont pris de nombreuses décisions qui ont créé des tensions avec certains partenaires, notamment la France ou certains voisins. Cette quête doit-elle être aussi conflictuelle ?

La conflictualité de cette quête ne dépend pas que du Mali. Elle rend compte de la volonté de puissance de la France dans ses anciennes colonies d’Afrique, ainsi que des failles dans la coopération sous-régionale, bilatérale, multilatérale et internationale. Notre pays est un véritable cas d’école.

Le Mali redéfinit ses alliances dans une période très polarisée, notamment par la guerre en Ukraine. Comment tirer son épingle du jeu dans cette situation ?

La guerre en Ukraine jette une lumière crue sur les buts des guerres des temps présents, dont celle qui a été imposée au Mali au nom de « l’anti-terrorisme ». Je n’ai pas cessé, dès 2012, de contester et de déconstruire ce narratif français à la lumière de ce que je sais des interventions militaires étrangères. J’ai exprimé mon désaccord en ayant à l’esprit ce qui s’était passé en Irak et surtout en Libye. Alors comment choisir son camp entre des puissances qui s’autoproclament « démocratiques » et les autres (Chine, Russie, Turquie), qu’elles considèrent comme autocratiques parce qu’elles n’adhèrent pas à leurs principes politiques ? C’est le non alignement qui nous sied le mieux pour nous frayer notre propre voie, conformément aux besoins de nos peuples qui n’en peuvent plus des fausses promesses de développement, de démocratie et de gouvernance.

Vous avez symboliquement été candidate au poste de Secrétaire général de l’ONU. Selon vous, pourquoi la réunion demandée par le Mali en août dernier concernant un soutien présumé de la France aux terroristes n’aboutit-elle pas ?

Permettez-moi de rappeler d’abord que cette candidature symbolique au poste de Secrétaire général des Nations-Unies, auquel les femmes étaient invitées à se présenter, était l’occasion pour moi de rappeler que la crise de la démocratie libérale est stratégique. Le fait d’être homme ou femme à ce poste ne fait pas de différence dans l’ordre congénitalement injuste et violent du capitalisme. L’ONU est aux ordres des membres du Conseil de sécurité et non à l’écoute des peuples souverains.

Il n’y a de ce fait rien d’étonnant au mépris avec lequel la demande du Mali a été traitée au sujet d’une réunion autour d’une question qui fâche la France et perturbe ses alliés occidentaux. C’est pour cette raison que je souligne dans la vidéo que je consacre à l’ONU que la réforme dont elle a besoin va bien au-delà de la représentation de ses membres au Conseil de sécurité. Sa mission est à repenser à la lumière des crises qui s’amoncellent et s’aggravent, du fait de la loi du plus fort qui est la règle du jeu.

L’affirmation de la souveraineté du Mali ou d’un nouveau narratif du pays ne passe-t-elle pas aussi par la rupture des relations diplomatiques avec la France, accusée par les autorités de soutenir les terroristes ?

Ces relations sont à repenser et à refonder en se respectant et en s’écoutant mutuellement sur tous les sujets, y compris ceux qui fâchent comme le soutien de la France aux terroristes. En s’y refusant, Paris conforte l’idée selon laquelle elle est au-dessus du droit international, qu’elle prétend défendre, et aggrave la crise de confiance qui remonte aux premières heures de l’Opération Serval, suite à l’interdiction de l’accès à Kidal aux FAMa.

Qu’avez-vous ressenti à l’annonce du départ des soldats français du pays ?

Bien entendu un sentiment de fierté. La guerre dite « anti-djihadiste » étant sous nos cieux une nouvelle étape de l’impérialisme et de la recolonisation par l’intervention militaire.

Mais la situation sécuritaire ne s’est guère améliorée depuis…

Il en est ainsi parce le diagnostic est erroné. Les conséquences sont érigées en causes. Nombreux sont les analystes avisés qui rappellent que le terrorisme est un mode opératoire et non un ennemi spécifique. Le phénomène prend de l’ampleur au fur et à mesure que les mécanismes du pillage de nos richesses, du délitement du lien social et de la destruction de l’environnement s’accentuent au profit des banques, des grandes entreprises et de leurs actionnaires. L’ennemi principal est, en somme, le néolibéralisme, que nos élites s’interdisent de nommer pour ne pas scier la branche de l’arbre sur laquelle elles sont assises.

Des discours anti politique française se font de plus en plus entendre au Sahel, mais dans des pays qui ont en commun d’être dirigés par des militaires. Cette dynamique pourra-t-elle être maintenue après le retour à l’ordre constitutionnel ?

Les discours anti politique française ont largement contribué à l’éveil des consciences et à la libération de la parole. Ils ont également alerté la France sur l’impérieuse nécessité de changer son fusil d’épaule. Les dirigeants qui succéderont aux militaires se rabaisseront aux yeux de leurs concitoyens et des opinions publiques en jouant au béni-oui-ouisme.

Selon certains analystes, les raisons profondes de la crise au Mali sont d’abord économiques. Partagez-vous cette analyse ?

Ces analystes ont parfaitement raison. Je dis la même chose sans pour autant être sur la même longueur d’onde que la plupart d’entre eux, parce qu’il y a économie et économie. Pour moi, il ne s’agit pas d’approfondir les politiques néolibérales au nom d’une prétendue intégration dans l‘économie mondiale. Il s’agit, à la lumière des inégalités entre Nations et à l’intérieur de chaque pays, de réinventer l’économie afin qu’elle devienne une réponse à la faim, à la soif, à la peur et à la haine. L’état actuel des vieux pays industrialisés, comme celui des émergents, en pleine tourmente, invite à méditer sur ce que « développer économiquement » veut dire.

Pour atteindre notre souveraineté, nous avons donc besoin de transformer notre économie ? Par quoi cela passe-t-il selon-vous ?

C’est une excellente question dont nous devons nous saisir toutes et tous et à tous les niveaux. La tâche est colossale et exaltante. J’abonde dans le sens de Kako Nubukpo, Commissaire de l’UEMOA, qui plaide pour la révision de fond en comble des accords de libre-échange entre l’UE et les ACP (pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique), du néoprotectionnisme et du « juste échange ». Il faut dans cette perspective (la liste n’est pas exhaustive) : une pensée économique et politique autonome, nourrie des enseignements de ces 62 ans d’essais de développement, la confiance en nous-mêmes et en les autres, la solidarité, dont le patriotisme économique est l’une des clés. On achète et on consomme Malien et Africain au lieu de continuer à importer tout et n’importe quoi, dont les restes des consommateurs des pays « émergés » ou « émergents ». Il faut une intégration sous-régionale basée non pas sur la compétition à mort mais sur la conscience de notre communauté de destin et des valeurs que nous avons en partage. Les femmes et les jeunes doivent être les fers de lance de cette quête d’alternatives.

Le Mali est aussi un pays de paradoxes, « une population pauvre assise sur des richesses ». Est-ce à cause des politiques menées depuis l’indépendance, qui n’étaient pas assez ambitieuse ?

Les régimes successifs n’ont pas manqué d’ambition. Ils ont rarement eu les marges de manœuvre nécessaires. La Première République a été torpillée et farouchement combattue par la France parce que le Président Modibo Keita avait opté pour la souveraineté en vue d’un développement conforme aux intérêts supérieurs des Maliens. Les régimes suivants ont été contraints et obligés par les institutions de Bretton Woods à désétatiser, en faisant du secteur privé, dont les tenants et les aboutissants échappent totalement aux Maliens ordinaires, le moteur du développement. L’immense majorité de nos élites refusent d’admettre que le capitalisme malien et africain gagnant est sans issue.

Vous menez aussi depuis plusieurs années un combat pour les femmes. Que pensez-vous du mouvement féministe au Mali, qui semble se développer ?

Le mouvement de libération des femmes africaines, dont les Maliennes, souffre, à bien des égards, comme le processus de développement, des mêmes stigmatisations, du mimétisme et de la volonté de rattrapage de l’Occident. Le prix à payer est considérable aux plans économique, social, culturel, politique et écologique. Nous sommes de grandes consommatrices d’idées, de biens et de services. La question des postes et des places dans un tel système est, de mon point de vue, secondaire. Hommes ou femmes, notre capacité d’analyse des faits, de propositions d’alternatives et d’anticipation est défiée comme jamais auparavant.

D’où vient votre engagement pour tous les combats que vous menez ?

Ma mère, Bintou Sidibé, m’a marquée par sa conception du monde et des relations humaines. C’est ce qui me pousse à m’emparer de tout ce qui peut contribuer à les améliorer au niveau local (le pavage de mon quartier, la conception d’un marché malien des produits faits main), à investir dans la défense des droits des migrants et des réfugiés (Migrances) et dans celle de notre pays et de l’Afrique, partout où l’on tente de nous piétiner, de nous humilier.

Burkina Faso : le gouvernement souhaite le départ de l’ambassadeur de France

D’après plusieurs médias internationaux tels Jeune Afrique ou Le Monde, les autorités burkinabés auraient demandé dans une note à la France de rappeler Luc Hallade, son ambassadeur en poste dans le pays. Mais pour l’heure, le gouvernement de transition n’a pas officiellement communiqué dessus et selon des médias l’ambassade de France se refuse également à tout commentaires. Le diplomate Luc Hallade, est l’ambassadeur de la France au Burkina Faso depuis le 08 juillet 2019. Il y a quelques semaines, il avait été reçu en audience par le 1er Ministre burkinabè Apollinaire KYELEM. Le représentant français avait déclaré à l’issue de l’entretien ne pas vouloir rentrer chez lui rapidement. début de juillet 2022, Luc Hallade avait indiqué dans une correspondance aux députés français que la crise sécuritaire au Burkina est « en réalité, une guerre civile ; une partie de la population se rebelle contre l’État et cherche à le renverser. » Quelques jours après, lors de la commémoration de la fête nationale française à Ouagadougou, le diplomate s’en est encore pris à certains internautes qu’il a qualifiés « d’idiots utiles » qui accusent sans preuves son pays engagé dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Suite à ces propos tenus, certains citoyens avaient demandé son
expulsion.

Olivier Dubois : 20 mois de captivité

Aujourd’hui, jeudi 8 décembre 2022, cela fait vingt mois que le journaliste français, Olivier Dubois, est retenu par un groupe terroriste après avoir été enlevé à Gao le 8 avril 2021. Depuis son enlèvement il y a 609 jours, Olivier Dubois est apparu dans deux vidéos diffusées par ses ravisseurs, dans lesquelles il explique lui-même être détenu par le Jnim. Les autorités maliennes et françaises ont indiqué à plusieurs reprises être pleinement mobilisées pour sa libération, tout en rappelant la nécessité d’une grande discrétion sur les actions pouvant être entreprises. Pour les 18 mois de son enlèvement, le 8 octobre, quarante rédacteurs en chef des principaux médias français ont signé un appel à ne pas l’oublier, ont demandé aux autorités françaises de poursuivre et surtout d’intensifier leurs efforts pour le libérer. D’autres journalistes sont également retenus en otage depuis plusieurs mois, notamment Moussa Dicko et Hamadoun Nialibouly dont les familles n’ont plus de nouvelles.

 

 

Interdiction des ONG aux financements français : une décision aux grandes conséquences

Déjà fragilisées par l’insécurité depuis 2012, les ONG au Mali doivent désormais exercer sans financement français. Une décision du gouvernement malien en riposte à l’annonce par la France d’arrêter son Aide publique au développement (APD) à destination du Mali.

Expulsion de l’ambassadeur de France, départ de Barkhane, plainte à l’ONU… Les relations entre le Mali et la France sont très compliquées depuis plusieurs mois. Ce que certains estimaient être une brouille passagère, qui ne conduirait pas au divorce, s’étend désormais aux ONG bénéficiant de financement français, y compris humanitaires. Le 16 novembre, Paris a annoncé arrêter son Aide publique au développement au Mali, estimant que les conditions n’étaient plus réunies pour la poursuite des projets. Les autorités françaises avaient maintenu cependant l’aide d’urgence et l’action humanitaire.

La réaction des autorités maliennes n’a pas tardé. Dans un communiqué daté du 21 novembre, le gouvernement de la transition a interdit, « avec effet immédiat », toutes les activités menées sur son sol par des ONG opérant sur financement ou avec l’appui matériel ou technique de la France, y compris dans l’humanitaire.

« La décision de la France, prise depuis février 2022, ne suscite aucun regret, d’autant plus qu’elle contribue à la restauration de notre dignité bafouée par une junte française spécialisée, d’une part, par l’octroi d’aide déshumanisante pour notre peuple et utilisée comme moyen de chantage des gouvernements et, d’autre part, dans le soutien actif aux groupes terroristes opérant sur le terrain malien », fustige-t-on dans le communiqué signé par le Premier ministre par intérim, le Colonel Abdoulaye Maïga. D’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Mali a reçu 121 millions de dollars américains, soit environ 77 milliards de francs CFA d’aide publique au développement de la part de la France en 2020. Selon des données de l’ambassade de France non actualisées, entre janvier 2013 et septembre 2017 le montant des octrois de la France au Mali, au travers de l’Agence française de développement (AFD), s’est élevé à 310 milliards de francs CFA.

Conséquences

Avant même les annonces officielles, Coordination Sud, un collectif d’une trentaine d’ONG françaises de solidarité internationale, avait fait part de son inquiétude quant aux conséquences qu’aurait l’arrêt des financements pour la population, les organisations de la société civile malienne, ainsi que ses propres organisations, dans une lettre du 15 novembre adressée aux autorités françaises.

« Alors que 7,5 millions de personnes ont besoin d’assistance, soit plus de 35% de la population malienne, et que le Mali est en 184ème position sur l’Indice de développement humain, la suppression de ces financements entrainera l’arrêt d’activités essentielles, voire vitales, menées par les organisations de la société civile malienne et internationale au profit de populations en situation de grande fragilité ou de pauvreté. Ces populations se retrouvent ainsi encore plus vulnérables à la violence et à l’influence des parties en conflit », indique-t-on dans la lettre. Selon une source française, l’aide humanitaire de la France s’élève à 9 millions d’euros, soit un peu plus de 5 milliards de francs CFA. En mai dernier, la France a paraphé une aide de 2, 625 milliards de francs CFA destinée aux populations vulnérables du Mali. Un financement alloué à trois projets. Le premier sera porté par le Programme alimentaire Mondial, pour un montant de près de 1,640 milliards de francs CFA, le deuxième par l’ONG Première Urgence internationale et le troisième par l’ONG Solidarités internationales.

« Il y aura quelques impacts à court terme, c’est sûr. Si on prend par exemple le Conseil régional de la région de Mopti, c’est une institution qui fonctionne à peu près à 70% sur financement de l’AFD. Ça veut dire que les activités de ce Conseil régional vont s’arrêter à un niveau très élevé. Plusieurs projets qu’ils ont initiés seront stoppés. Il en sera de même dans la région de Kayes, où beaucoup d’associations et de petites ONG nationales sont financées par des fonds français. Cela aura pour conséquences de mettre certains jeunes au chômage », analyse Adama Diongo, Porte-parole du Collectif des associations des jeunes de la région de Mopti.

Amadou Touré, juriste et collaborateur du cabinet FSD Conseils, va plus loin, expliquant que dans une grande partie du territoire, où « l’État malien brille par son absence », seules les actions d’ONG permettent aux populations d’avoir accès à un certain nombre de services sociaux de base, notamment la santé, en assurant la continuité du service des quelques centres de santé existants.

« En outre, les ONG viennent en aide à ces populations par des activités de micro finance, afin de leur permettre d’avoir une autonomie financière, singulièrement les femmes. En filigrane, les ONG œuvrent aussi pour le retour de la paix, de la cohésion sociale et de la prévention des conflits communautaires, tout ce qui peut aider l’État du Mali dans sa politique sectorielle de réconciliation, d’où plusieurs conséquences à prévoir si la décision est appliquée avec rigueur », craint-il.

Arrêts

Certaines organisations non gouvernementales ont déjà annoncé arrêter leurs activités  pour se conformer à la décision du gouvernement malien. Il s’agit par exemple de l’ONG Santé Diabète et de son Centre Médico-Social, ainsi que de d’’AVSF (Agronomes et Vétérinaires sans frontières). Cette dernière, présente au Mali depuis 1983, soutient les éleveurs transhumants, les agropasteurs sédentaires, les familles paysannes et leurs organisations pour sécuriser l’accès à l’alimentation et créer des revenus dans des régions difficiles et dans les zones rurales.

Avec « Trois Frontières », l’un des projets qu’elle exécute au Mali et qui couvre également le Burkina Faso et le Niger, l’ONG appuie depuis 2018 des organisations paysannes en leur donnant des équipements, de l’aliment bétail, des poissons, etc. Le projet appuie également des investissements communaux sur la base du PDSEC (Eau, santé, éducation, formation).

« Dans les régions du Nord du Mali (Tombouctou, Taoudéni et Gao), environ 35 000 personnes ont eu accès à la santé humaine et animale au travers de la mise en place d’équipes mobiles de santé mixtes. Ainsi, 24 000 personnes ont accès à l’eau pour leurs ménages et leurs élevages et environ 50 000 personnes ont pu développer leurs activités agricoles (productions végétales et animales) », estime un agent de l’ONG basé dans la région de Gao.

Selon ce dernier, l’un des rares humanitaires qui a accepté de répondre à nos questions sous anonymat, leurs activités sont totalement suspendues du fait que le projet est à 100% financé par l’AFD. « Je suis impacté par l’arrêt, de même que les organisations paysannes que nous appuyons, ainsi les investissements dédiés aux collectivités. Le projet couvre 6 cercles frontaliers : Gao et Ansongo pour la région de Gao, Gourma Rharouss pour Tombouctou et Koro, Bankass et Douentza pour Mopti. Dans chacun des cercles d’intervention toutes les communes sont bénéficiaires », explique-t-il.

Partagé entre inquiétudes pour les populations bénéficiaires du projet et esprit de patriotisme, il ajoute : « personnellement, malgré que cela me mette au chômage, je soutiens la décision du gouvernement malien. La France fait du chantage et il ne faut pas céder à ce chantage ».

Les autorités de la Transition ont conforté leur décision en adoptant lors du Conseil des ministre du 23 novembre un projet de décret pour interdire « avec effet immédiat » toutes les activités menées par les associations, les Organisations non gouvernementales et assimilées opérant sur le territoire malien sur financement, ou avec l’appui matériel ou technique, de la France. Une mesure qui concerne aussi bien les associations nationales ordinaires et les associations signataires d’accords-cadres avec l’État que les associations étrangères et les fondations.

« Le Gouvernement s’engage à évaluer au niveau interministériel et au niveau des Gouverneurs de Région et du District de Bamako les effets de la décision sur les populations, afin de prendre les dispositions nécessaires pour les accompagner », promet-on dans le communiqué du Conseil des ministres.

Résilience

Redouté par les agents des ONG soucieux de leurs emplois, la question de l’impact sur les populations se pose également. « Pour le cas spécifique du pays dogon, l’insécurité a fait que les ONG ont quitté la zone il y a plus de 5 ans. Donc la population s’est déjà adapté à l’absence d’ONG et de projets financés par tous les pays. En tant que ressortissant de la zone, ce dont je suis au courant c’est que le financement français en pays dogon est en bonne partie un financement privé. Des ONG françaises financées par des fonds publics y sont, mais ce sont surtout les initiatives privées d’associations françaises qui sont les plus nombreuses. Je pense que cette décision de l’État ne concerne pas ces financements privés », explique Adama Diongo.

De même que lui, Djibrilla Abdoulaye, acteur de la société civile de Gao, estime que depuis 2012 « les gens du Nord ont adopté une résilience face à la souffrance. Ce sont les autres qui crient toujours devant le moindre effet. J’ai vu récemment les Bamakois se plaindre du prix du carburant, qui avait atteint 800 francs. Au même moment, on l’achetait à 1000 francs ici à Gao sans faire trop de bruit », dit-il.

Ces propos sont appuyés par l’agent de l’AVSF qui insinue, en outre, que la suspension de l’aide française aura plus d’impact sur les acteurs politiques et humanitaires que sur les plus vulnérables. Et pour cause : « une grande partie des actions destinées aux plus vulnérables sont détournées par certains acteurs humanitaires. Malheureusement, ce sont des miettes qui arrivent à ces pauvres. À regarder le mode de vie richissime de certains de nos amis humanitaires, on voit bien cette dimension de détournements. Dans ce lot, on a malheureusement aussi certains élus, des notables et l’administration », assure-t-il.

Un autre aspect tendant à minimiser l’impact de l’arrêt de l’aide française est que plusieurs ONG bénéficiant de l’appui de fonds publics français disposent d’autres sources de financements. Ce qui leur permettra de continuer à exercer sur le sol malien. Comme c’est le cas de l’ONG Médecins du Monde Belgique, qui, après avoir suspendu ses activités le 22 novembre, « par mesure conservatoire vu qu’elle était bénéficiaire d’un financement français », a annoncé, via une lettre au Gouverneur de la région de Gao le 24 novembre, vouloir reprendre ses activités dans la région sans financement français.

« Les vrais perdants seront nous, les Maliens qui évoluent dans les ONG 100% financées par l’AFD et qui nous retrouverons sans doute très prochainement au chômage. Reste à voir comment le gouvernement compte compenser cela », se questionne l’agent de l’AVSF.

Soumaïla Lah : « Je ne vois aucun pays membre, permanent ou non, convoquer la réunion »

Alors qu’a débuté la 77ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies à New-York, quelles chances a la plainte du Mali contre la France d’y être débattue ? Soumaïla Lah, Secrétaire permanent du Centre d’études et de réflexions au Mali (CERM) répond.

Pensez-vous que la réunion d’urgence demandée par le Mali à l’ONU pourra aboutir ?

Je ne vois pas la plainte déboucher sur une réunion d’urgence pour diverses raisons. La première est qu’aucun membre du Conseil de sécurité ne la convoquera. Si la Chine, qui avait la présidence au moment de l’introduction de la plainte, ne l’a pas fait, ce ne sont sûrement pas la France, les États-Unis ou la Grande Bretagne qui le feront. De surcroît, maintenant la France assure la présidence.

La Russie, considérée comme un allié stratégique du Mali, ne le fera pas pour des raisons diplomatiques. Et elle sent qu’on la soupçonne d’être derrière la plainte. Les pays membres non permanents ne demanderont pas la convocation de la réunion pour des raisons diplomatiques et stratégiques. La plupart n’ont pas de liens assez forts avec le Mali pour froisser une puissance comme la France ou ses alliés.

Deuxièmement, le Mali a introduit cette plainte, en sachant qu’il y avait très peu de chances qu’elle aboutisse, plus dans une dynamique de dénonciation et d’attaque ciblée. Elle tend à décrédibiliser l’action ou la présence militaire française dans le Sahel. C’est une pression et de la communication pour attiser le sentiment anti français.

La France assure la présidence tournante du Conseil de sécurité. Est-ce une entrave ?

Oui et non. La France ne va pas faciliter les choses puisque la plainte est faite contre elle mais chaque pays membre permanent a la latitude de demander cette réunion. Chaque pays s’inscrit dans une ligne géopolitique et géostratégique particulière, il pèse le pour et le contre. Mais la France n’a pas la latitude de bloquer la réunion.

Le Mali peut-il étaler à l’ONU les preuves qu’il dit détenir ?

C’est une possibilité, mais pour des questions aussi sensibles, je ne le vois pas étaler ses preuves dans un discours. L’objectif stratégique est de porter la discussion dans un cadre très restreint, au Conseil de sécurité. C’est un pari risqué, parce que l’autre partie va forcément vouloir produire des contre-preuves. Et, de fil en aiguille, on va se retrouver avec des escalades sans fin et une crise diplomatique qui finira par faire atteindre aux différents protagonistes le point de non retour. Des propos très forts seront tenus à l’encontre de la France, mais étaler des preuves, je ne le pense pas.

Mali : 62 ans après, une nouvelle indépendance ?

Depuis Modibo Keïta, le Mali n’a jamais autant semblé prendre son destin en main qu’en ces temps de transition. À coup de déclarations et de décisions fortes, les autorités actuelles imposent leur marque. Ces actions font-elles écho à celles des premières heures de l’indépendance?

« L’histoire ne se répète pas, mais parfois elle rime », a écrit l’essayiste américain Mark Twain. Le 15 août dernier, après 9 années d’intervention au Mali, le dernier contingent de l’armée française a quitté le pays, comme ce fut le cas le 5 septembre 1961, jour où le dernier soldat colonial français quitta le pays indépendant, à quelques jours près, depuis moins d’un an. Malgré des époques et des contextes différents, beaucoup ont ressenti un sentiment de souveraineté retrouvée. « Ce 22 septembre est une date commémorative de ce passé glorieux retrouvé, car elle est exceptionnelle en termes de restauration et de renforcement de la souveraineté, de la dignité, de la fierté, de l’honneur et surtout de l’unité du peuple », certifie Younouss Soumaré, Secrétaire général du Collectif pour la défense des militaires.

Le ton avait été donné le 25 septembre 2021 à l’ONU par le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, habillé pour l’occasion comme Modibo Keïta. Il avait listé dans son discours ce qu’il affirmait être les nouvelles aspirations du peuple malien. À savoir : « le Mali nouveau n’acceptera pas qu’on puisse nous imposer des agendas, qu’on puisse nous imposer notre propre agenda, nos priorités, qu’on puisse nous imposer des diktats », a rappelé le 6 septembre au Togo, Abdoulaye Diop, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, lors de la 3ème réunion du Groupe de suivi et de soutien à la Transition au Mali. À ces déclarations s’ajoutent, entre autres, les expulsions du représentant de la CEDEAO, Hamidou Boly (25 octobre 2021), de l’ambassadeur de France au Mali, Joël Meyer (31 janvier 2022) et du porte-parole de la Minusma, Olivier Salgado (20 juillet).

Fanfaronnades

Des décisions jugées « fortes », mais dans lesquelles ne se « retrouve pas », El Hadj Baba dit Sandy Haïdara, 1er Vice-président de l’US-RDA, parti du père de l’indépendance.

« Modibo Keïta a obtenu l’indépendance et a demandé aux militaires français de sortir de notre pays sans pourtant rompre ses relations ni avec la France ni avec les États-Unis. Il est resté dans une diplomatie constructive, sans fanfaronnade. Comme on le dit, un tigre n’a pas besoin de proclamer sa tigritude. Il se fait respecter par son comportement », explique M. Haïdara, selon lequel le moment de l’indépendance n’a rien à voir avec aujourd’hui.

Pour lui, « on ne peut pas vouloir l’unité africaine, se dire panafricain et être en désaccord avec tous les pays africains. Malheureusement, c’est ce qui se passe actuellement », regrette-t-il.

A contrario, pour le Dr Abdoulaye Amadou Sy, Président de l’Amicale des ambassadeurs et consuls généraux du Mali, « sur le plan diplomatique, au niveau africain, les actions phares qui sont portées par les autorités maliennes sont effectivement acceptées et admirées par une grande partie de la population africaine. Les populations aspirent à l’indépendance et à la souveraineté, de ce fait, elles aiment les dirigeants qui refusent de vivre une politique de soumission. Cela, on l’a senti en 1960 et on le ressent aujourd’hui ».

Du chemin à faire

Si, sur le plan politique, le Mali se présente comme appliquant une souveraineté retrouvée, sur le plan socio-sécuritaire il y a encore du chemin à faire. Rien que dans le cercle d’Ansongo, des sources locales font état d’une centaine de civils tués depuis début septembre. La situation est telle que, dans un message vocal récent, le Général El Haji Ag Gamou a appelé les habitants des localités concernées à quitter les villages reculés pour les grandes villes, pour leur sécurité.

Sur le plan social, « il faut que les responsables arrivent à lutter contre la misère. Il faut que les gens arrivent à circuler dans leur pays pour montrer qu’ils sont indépendants, à manger à leur faim et à boire à leur soif », s’exclame le Dr Sy.

Pour cela, il va falloir trouver des nouveaux paradigmes pour atteindre la souveraineté alimentaire, selon l’économiste Modibo Mao Makalou. « 62 ans après les indépendances, l’Afrique continue à importer un tiers de la nourriture qu’elle consomme, alors qu’elle possède 60% des terres arables au monde, a la population la plus jeune du monde ainsi que beaucoup de ressources hydriques et hydrauliques. Elle possède beaucoup de soleil aussi. Il va falloir tirer profit de tout cela et moderniser nos systèmes de production agricole pour ne pas continuer à dépendre de la pluviométrie, comme nous le faisons à 90% du temps actuellement », explique-t-il.

Mali – France : deux militaires français arrêtés à Bamako puis relâchés

Deux militaires français, détachés auprès de l’ambassade de France à Bamako, ont été arrêtés jeudi 15 septembre dans la capitale malienne avant d’être par la suite libérés. Selon des sources, les deux hommes ont été arrêtés alors qu’ils effectuaient une « mission de reconnaissance » aux abords de l’école française Les Écrivains situé au quartier Ouolofobougou pour mettre à jour un plan d’évacuation éventuel des ressortissants français du Mali. Contacté, l’ambassade de France à Bamako a reconnu un « bref incident ». Selon des informations qui ont circulé, le consulat avait fermé ses portes et arrêté les opérations consulaires au profit des Maliens suite à l’incident. Mais une source à l’ambassade de France précise plutôt que cet arrêt était dû à un problème technique intervenu au même moment chez Capago, le prestataire de visas de l’ambassade.

ONU : une 77ème session de l’assemblée générale mouvementée

En prélude à la 77e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui se tiendra du 12 au 27 septembre 2022 à New-York. Un sommet extraordinaire de la CEDEAO sur le Mali, la Guinée et le Burkina Faso sera organisé au siège de l’ONU entre les chefs d’Etat de l’organisation sous régionale. Au même moment, la prochaine bataille de la guerre diplomatique qui oppose Français et Maliens se jouera-t-elle à New York ?

Les dirigeants de la Cédéao vont se réunir une fois encore, lors de la 77e session de l’ONU à New York, lors d’un sommet extraordinaire. Ils doivent débattre de la situation des trois pays membres de la CEDEAO, qui traversent une période transition dirigée par des militaires. Selon une source proche de la représentation de la CEDEAO au Mali, ce sera aussi l’occasion de se pencher sur la saisine du Mali du Conseil des sécurité de l’ONU en date du 16 août 2022, afin de réclamer une réunion d’urgence sur la situation au Mali. En effet, un bras de fer entre le Mali et la France se poursuit à New York, au siège des Nations unies. Bamako a saisi le Conseil de sécurité de l’ONU, affirmant détenir des preuves d’un soutien de Paris aux groupes terroristes. Le ministre des Affaires étrangères du Mali, Abdoulaye Diop, a écrit le 15 août au Conseil de sécurité des Nations unies afin de réclamer une réunion d’urgence sur la situation dans son pays. Dans sa lettre, le chef de la diplomatie multiplie les accusations envers la France et ses soldats – dont les derniers ont officiellement quitté le territoire malien le 15 août, date du départ du dernier soldat français au Mali après neuf ans d’engagement contre les djihadistes.

Le Mali a officiellement demandé au Conseil de sécurité de l’ONU une réunion d’urgence pour faire cesser ce qu’il présente comme « les actes d’agression » de la France sous forme de violations de sa souveraineté, de soutien apporté selon lui aux groupes djihadistes et d’espionnage. De graves accusations qui interviennent après de longs mois d’escalades des tensions entre les deux anciens pays alliés dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Le Mali n’a toujours pas reçu de réponse à cette demande et depuis le 1er septembre, la France assure la présidence tournante du Conseil de sécurité. La Russie, un des soutiens du Mali s’est inquiétée dans une lettre en date du 5 septembre au secrétaire général de l’ONU de n’avoir pour l’instant reçu aucun visa des États-Unis pour l’Assemblée générale de l’ONU de sa délégation menée par le ministre des Affaires étrangères, selon l’AFP. En plus de la saisine du Conseil de sécurité par le Mali, la crise en Ukraine risque une fois encore de faire monter la tension entre la Russie et les pays Occidentaux soutenant l’Ukraine, dans cette guerre déclenchée le 24 février 2022.

 

 

Intervention française au Mali : une fin au goût très amer

Arrivée en « sauveur » à Konna, le vendredi 11 janvier 2013, l’Armée française a discrètement quitté ce lundi 15 août 2022 le Mali, dans la poussière du désert de Gao. Mettant fin à neuf ans de coopération dont l’épilogue sonne comme une défaite.

L’idylle aura duré neuf ans. Après des premières années de bonheur, de gros nuages ont commencé à s’amonceler autour du couple Mali – France. Un premier coup d’État, le 18 août 2020, n’avait pas porté atteinte à cette relation, qui avait connu, certes, des bas, mais jamais assez importants pour la remettre en cause. Il aura fallu attendre un second coup, le 24 mai 2021, et le début de la « rectification » de la transition pour que la situation change rapidement. Tensions politiques, déclarations tapageuses des deux côtés, recours à Wagner selon plusieurs pays occidentaux, ce que le gouvernement malien réfute toujours, parlant d’instructeurs russes, ont, entre autres choses, conduit au divorce. Consommé depuis février 2022, il est officiel depuis le 15 août 2022. Les derniers soldats de Barkhane ont quitté le Mali, mettant ainsi fin à neuf années de présence militaire française dans le pays, débutée en janvier 2013 par l’opération Serval, remplacée par Barkhane en août 2014. Près de 125 000 soldats français ont servi au Sahel, selon des données avancées par Florence Parly, alors ministre des Armées, en février dernier. N’ayant pas réussi à éradiquer le terrorisme au Mali, l’intervention française a été pour de nombreux analystes un échec. Pis, les autorités maliennes accusent désormais officiellement la France de complicité avec les terroristes. Dans un courrier adressé au Conseil de sécurité des Nations unies le 15 août, le ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, accuse la France de « violations répétées de l’espace aérien malien » et de «fournir des renseignements» à des groupes terroristes, auxquels l’Hexagone aurait également livré des armes et des munitions. Des accusations dont le chef de la diplomatie malienne assure détenir les preuves. Elles donnent plus d’éclairage aux conclusions de l’Armée malienne suite à l’attaque de Tessit du 7 août dernier (42 morts et 22 blessés). Une note publiée le 8 août par sa cellule de communication indique que « les terroristes ont bénéficié d’un appui majeur et d’une expertise extérieure », sans préciser toutefois d’où et de la part de qui. Même après le départ des forces françaises, le bras de fer va donc se poursuivre entre le Mali et la France. Sur le terrain des Nations unies, où les deux pays avaient déjà eu des confrontations et où le discours du Premier ministre Choguel Maïga à la tribune de l’ONU, le 25 septembre 2021, avait été un élément déclencheur des lendemains qui déchantent entre les deux pays. Une source française nous a confié que Paris, ainsi que la représentation française à l’ONU s’activaient déjà par rapport aux accusations, sans plus de détails. Mais déjà, ce mercredi 17 août, l’ambassade de France au Mali a réagi sur ses comptes facebook et twitter assurant que la France n’a jamais « soutenu directement ou indirectement ces groupes terroristes qui demeurent ses ennemis désignés sur l’ensemble de la planète ». Dans sa lettre, le Mali demande à la France de cesser « immédiatement ses actes d’agression », et, qu’en cas de persistance, le Mali se réserve le droit de faire usage de la légitime défense.
«Problème kidalois
»
 Un point de non-retour semble être atteint entre les deux autorités, alors que les relations étaient précédemment relativement bonnes. Autre temps, autre contexte, autres acteurs. Le 2 févier 2013, le Président français d’alors, François Hollande, s’était offert un bain de foule, accueilli en grande pompe à Bamako. Sur la place de l’Indépendance, lors de son discours, il avait assuré : le Mali « va connaître une nouvelle indépendance, qui ne sera plus cette fois la victoire sur le système colonial, mais la victoire sur le terrorisme, sur l’intolérance et sur le fanatisme ».
Mais, après cet épisode heureux, même si les parties évitaient de faire part de leurs états d’âmes publiquement, la question de Kidal aura toujours été une épine dont personne n’aura jamais vraiment su se départir.
Lors de la libération de Kidal, l’opinion malienne n’a pas digéré le fait que les soldats français soient entrés dans la ville sans aucun militaire malien à leurs côtés. Le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga a d’ailleurs révélé que le Colonel Assimi Goita faisait partie des soldats auxquels l’entrée à Kidal avait été refusée.
« Il faut reconnaître que Serval est arrivé à un moment assez critique. À cette période, il y avait une colonne de djihadistes qui descendait vers le sud après l’occupation des régions du nord. L’opération Serval a permis de stopper ce processus, mais il était convenu que l’armée malienne reprenne le dessus et, dès le départ, le fait de ne pas avoir accès à la ville de Kidal avait déjà posé un problème », rappelle l’analyste Boubacar Salif Traoré, Directeur d’Afriglob Conseil.
Toute comme lui, Dr. Amidou Tidiani, enseignant-chercheur à l’Université Paris-13 trouve que l’opération Serval a été couronnée d’une pleine réussite. Du fait qu’elle a été une intervention ponctuelle qui visait une cible précise, identifiée et déterminée entre les parties malienne et française.
« Par contre, avec le passage à Barkhane, la France a changé la nature, les objectifs, le périmètre et les moyens de l’opération, qui est passée d’une intervention à une présence. Les objectifs français n’étaient plus ceux du Mali. Au même moment, la menace contre laquelle la France est intervenue se propageait et le « problème kidalois », qui, pour le Mali, a été l’élément déclencheur de l’instabilité, a été considéré dans le cadre de Barkhane comme une opportunité », explique Dr. Amidou Tidiani, selon lequel « le schisme entre autorités maliennes et françaises est né de cet élément et s’est exacerbé avec l’arrivée de Takuba, un conglomérat de forces spéciales répondant à un vieux rêve européen qui vise à rendre opérationnelle une Europe de la défense face aux nouvelles menaces venant de la Russie, de la Turquie et éventuellement de la Chine ».
« Cet agenda n’était pas celui du Mali. C’est pourquoi, alors que l’armée française parlait de réussite, les Maliens, qui voyaient leur pays sombrer, ne comprenaient pas. En réalité, ce qui se jouait au Mali dépassait les enjeux liés à la sécurité et à la stabilité du pays. Pour la sécurité et la stabilité du Mali, les 9 ans de présence française sont globalement un échec, mais du point de vue du renforcement militaire de la France (et de l’Europe) dans le monde, c’est une réussite », assure-t-il.
En outre, certains observateurs reprochent à l’Armée française de n’avoir pas atteint ses objectifs : « permettre au pays de recouvrer son intégrité territoriale » pour Serval et « lutter contre le terrorisme » en ce qui concerne Barkhane. Et, malgré sa présence, le terrorisme s’est métastasé au centre et au sud du Mali.
« Il a été dit que Barkhane allait permettre à l’armée malienne de se reconstruire de manière convenable. Mais, au fur et à mesure, on s’est aperçu qu’il y avait toujours des non dits dans ses opérations. Et beaucoup de zones d’ombre questionnent les Maliens : on ne connaissait pas le déroulement des certaines opérations et on ne dissociait pas le plan militaire du plan politique français », explique Boubacar Salif Traoré, faisant référence à des propos « déplacés » tenus par le Président français à l’encontre de la transition malienne.
Plusieurs bavures de l’armée française ont également contribué à tenir son image dans le pays. En octobre 2017, l’une de ses opérations a conduit à la mort de 11 militaires maliens retenus en otages par un groupe terroriste, présentée d’abord comme une opération ayant permis de neutraliser plusieurs terroristes par la France, qui se « refusait » à commenter la « propagande djihadiste» alors que des informations faisaient état de bavure. C’est le gouvernement malien qui confirmera la mort des soldats lors de cette opération, près de 15 jours après. De même, en septembre 2020, des tirs de sommation de soldats français sur un bus ont coûté la vie à un civil à Gao et, en janvier 2021, selon l’ONU, « 19 civils réunis pour un mariage près de Bounty ont été tués par une frappe militaire de la force Barkhane ».
Par ailleurs, l’intervention française a également eu des côtés positifs. À Konna, dans la région de Mopti, une rue porte toujours le nom de Damien Boiteux, le premier soldat français mort au Mali, et témoigne de l’importance de l’assaut des forces spéciales du COS (Commandement des opérations spéciales) de Serval, en 2013.
Barkhane, qui l’a remplacé, a permis de « neutraliser » plusieurs cadres d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) (dont son chef emblématique, Abdelmalek Droukdel, et son chef militaire, Bah Ag Moussa) et des cadres de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) (en particulier Adnan Abou Walid al-Sahraoui, « émir » de l’EIGS).
«La France n’est pas partie»
Avec 5 100 hommes au plus fort de son engagement, 3 drones, 7 avions de chasse, 19 hélicoptères, 6 à 10 avions de transports tactiques et stratégiques, 260 véhicules blindés lourds, 360 véhicules logistiques et 210 véhicules blindés légers, la France avait mis les gros moyens et, après son départ, certaines zones doivent être réoccupées. « Quoiqu’il en soit, elle était un gros dispositif avec de nombreux hommes et  du matériel assez impressionnant. D’où l’étonnement des populations quant au fait qu’elle n’ait pas eu beaucoup de succès. Forcément, un vide sera créé et ce vide va être comblé par l’armée malienne, qui fait déjà un travail remarquable », analyse Boubacar Salif Traoré.
Alors que la France a annoncé son départ, l’enseignant-chercheur Dr Amidou Tidjani, aussi avocat au Barreau de Paris, n’en est pas convaincu. « La France n’est pas partie et elle n’a pas l’intention de partir. Elle restera en embuscade en espérant un pro français aux affaires à Koulouba pour revenir », dit-il. Les soldats qui ont quitté le Mali se sont redéployés au Niger, où le gouvernement a accepté de les accueillir.
Vide sécuritaire
Dans certaines régions, dont Ménaka, où étaient présents les soldats français, les terroristes gagnent du terrain et étaient à la date du 16 août « très proches de la ville », selon des sources locales. D’où la nécessité de combler le vide.
« Il faudrait une force intégrée au niveau africain pour coordonner la lutte contre le terrorisme du Mali jusqu’au Cameroun, une riposte transnationale face à une menace transfrontalière, comme le disait Amadou Toumani Touré. Mais, aujourd’hui, cela paraît peu réalisable. Dans ces conditions, la seule alternative c’est le renforcement de l’armée malienne par des moyens de surveillance, des moyens d’intervention rapide et la construction d’un État fort », plaide Dr Amidou Tidiani.
Pour combler le vide sécuritaire, le gouvernement malien s’emploie à occuper les anciens camps de l’armée française. En outre, le 9 août, il a réceptionné de nouveaux moyens aériens. Sur un autre plan, l’intégration sur une période de 2 ans de 26 000 ex combattants des mouvements rebelles et d’autodéfense est annoncée. « Il y a plusieurs stratégies qui sont en cours d’élaboration, mais, à mon avis, il faut déjà identifier des zones prioritaires. Aussi, comme on le conseille en diplomatie, il faut veiller à la classification des partenaires, comme la Russie qui se manifeste de plus en plus. Mais cela ne suffira pas. Il faut d’autres partenaires, comme l’Algérie, qui est impliquée. Ainsi sera comblé le vide laissé par les forces françaises », soutient Boubacar Salif Traoré.

Barkhane : les derniers soldats de la force ont quitté le Mali

Barkhane au Mali, c’est désormais officiellement terminé. Le dernier contingent de la force a quitté le pays aujourd’hui. Hier dimanche 15 aout 2022, une grande manifestation a été organisé par la société civile à Gao. Les manifestants réclamaient le départ sous 72h de Barkhane. 

Après neuf années sur le sol malien, débuté par l’opération Serval en janvier 2013 puis remplacé par Barkhane en août 2014, le dernier contingent de soldats français a quitté le Mali ce lundi vers 11h, ce qui met fin officiellement à la présence militaire française dans le pays. Après des mois de tension politique, la France qui au plus fort de son engagement avait environ 5 000 éléments déployés au Mali a annoncé en février dernier la fin de sa présence militaire. Avant cette annonce officielle de l’état-major français, des habitants de Gao, où Barkhane occupait encore sa toute dernière base ont manifesté pour réclamer le départ sous 72 heures de la force. Ils reprochaient à la force cette insécurité grandissante dans le pays. Le porte-parole des manifestants Abdoul Karim Maiga s’est réjoui de ce départ assurent que leurs efforts ont porté fruit.

Même si beaucoup d’observateurs estiment que l’opération Barkhane a été un échec, le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées françaises a réfuté ce constat lors d’une audition devant le Sénat début août. Il a notamment avancé les succès qui ont permis de neutraliser des chefs terroristes comme Abou Walid Al-Sahraoui de l’Etat Islamique, mais l’insécurité est aujourd’hui tout de même généralisée. La force française Barkhane avait déjà transféré aux Forces armées maliennes les bases de Ménaka, de Tessalit, de Kidal, de Tombouctou et de Gossi, tous dans le nord du pays. Le départ de la base de Gao aujourd’hui était la dernière étape, elle signe la fin de l’opération Barkhane au Mali.

G5 Sahel : l’impasse

Selon la règle de la présidence tournante, après le Tchad, le Mali devait prendre la tête du G5 Sahel en février dernier, à l’issue de la 8ème Conférence des chefs d’État. Mais le Colonel Assimi Goïta n’est toujours pas en poste. Les relations avec la France et de l’Union européenne, premiers partenaires de l’organisation sahélienne, ne sont plus au beau fixe. Le pays n’est plus non plus aligné avec les autres de la CEDEAO, et, au sein même du G5 Sahel, des brouilles sont perceptibles, notamment avec le Niger, avec lequel il y a eu des passes d’armes. En attendant, le Président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno joue les prolongations. L’avenir de la Force conjointe demeure flou au regard de l’évolution sociopolitique et géopolitique au Sahel.

En février dernier, les Présidents du Niger, du Tchad et de la Mauritanie ont participé à un mini-sommet du G5 Sahel à l’Élysée, à l’invitation du Président français nouvellement réélu Emanuel Macron. L’avenir de la Force Barkhane, ainsi que les problèmes sécuritaires au Sahel y ont été discuté, sans les deux autres membres du G5 Sahel, le Mali et le Burkina Faso, suspendus des instances de l’Union africaine à la suite de coups d’État. Cela annonçait déjà l’impasse que traverse cette organisation sahélienne, célébrée en grande pompe en 2014, qui devait assurer la sécurité et le développement à la région mais qui, au final, est toujours une Arlésienne.

Aujourd’hui, le G5 Sahel traverse une crise institutionnelle sans précédent et aux implications multiples. Pour la première fois, il ne tiendra pas sa Conférence des chefs d’État. Initialement prévue pour février dernier, elle devait porter le Colonel Assimi Goïta à la tête du G5 Sahel, en remplacement du Général tchadien Mahamat Idriss Déby Itno. Pas évident au regard de la relation du Mali avec ses voisins et avec une partie de la communauté internationale.

Relations compliquées

« Cela semble évident : personne ne va accepter que le Mali prenne la présidence du G5 Sahel », déclare le Dr. Marc-André Boisvert, chercheur postdoctoral au Centre Franco Paix de l’Université de Québec à Montréal. Au regard des relations internationales « compliquées » du pays, il estime qu’il sera très difficile pour le Mali de rassembler au sein du G5 Sahel.

Les relations entre le Mali et certains de ses voisins, et également certains partenaires financiers, sont aujourd’hui très tendues. Ces fractures découlent entre autres de plusieurs déclarations très peu diplomatiques entre le Mali et son voisin nigérien, et ce n’est toujours pas la désescalade. La Mauritanie a aussi fortement réagi après la disparition de certains de ses ressortissants sur le sol malien. Pour apaiser la situation, et alors que le Mali essaye de se tourner vers le port de Nouakchott pour contourner les sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA, un cadre a été créé pour faire la lumière sur ces disparitions. Bamako a également eu plusieurs passes d’armes avec Paris, dont le paroxysme a été le renvoi de l’ambassadeur français et le retrait de la Force Barkhane. La Banque mondiale a suspendu ses décaissement au profit du pays et l’Union européenne ses missions d’entrainement et de formation en raison de la présence présumée de mercenaires russes de la société de sécurité privée Wagner.

Le point qui dérange le plus est celui de la relation exécrable du Mali avec la France, tête de proue de l’Alliance Sahel, une coalition internationale de 25 partenaires qui finance des projets de développement dans les pays membres du G5 Sahel. Sur les « 22 milliards d’euros d’engagements financiers pris » par l’Alliance Sahel et « plusieurs milliers de projets », le trio en tête de la répartition des fonds est la Banque Mondiale, la France et l’Union européenne. « Si l’on considère que le refus de passer la présidence du G5 Sahel s’explique par le fait que le Mali soit dirigé par un régime militaro-civil suite à un coup d’État militaire, il est difficile de comprendre la présidence tchadienne, vu que ce pays vit sous un régime militaro-militaire suite au décès du Maréchal Idriss Déby Itno. Le G5 Sahel dépend fondamentalement de certaines puissances internationales, de telle sorte qu’il ne peut se permettre d’emprunter un chemin qui déplairait à celles-ci, même si pour cela il faut tordre le cou aux règles de fonctionnement interne de l’organisation », explique Moussa Djombana, analyste géopolitique et sécuritaire.

Dans sa radioscopie du G5 Sahel cinq ans après sa création, publiée en 2019, le spécialiste du Sahel Nicolas Desgrais explique que « lors de la Conférence des chefs d’État de février 2017, le Président tchadien Idriss Déby aurait reconnu lui-même les difficultés rencontrées par son pays pour assumer ses responsabilités » dans un contexte de tensions provoquées par l’élection présidentielle de 2016 et « aurait proposé de passer la main à son homologue malien avant la fin du mandat de deux ans qui était alors en vigueur. Par la même occasion, les chefs d’État décidèrent de limiter la durée de la présidence en exercice à une seule année ».

Il poursuit n’avoir trouvé « aucune disposition dans les textes du G5 Sahel prévoyant l’absence provisoire ou la suspension d’un des États membres. Les décisions devant être prises par consensus, il est dès lors difficile d’imaginer comment les instances du G5 Sahel pourraient fonctionner dans le cas précis d’une absence de participation d’un des États membres ». Pour Nicolas Desgrais, « ce sont les relations interpersonnelles entre les chefs d’États qui emportent bien souvent la décision et témoignent des rapports de force au sein de l’organisation ». Ce qui semble être le cas au sein du G5 Sahel aujourd’hui.

À la croisée des chemins

Créé en 2014, le G5 Sahel devait faire une réalité du Nexus sécurité – développement de ses cinq pays membres. Et cela demeure toujours un mirage. Si un certain impact des projets de développement, à travers l’Alliance Sahel, est visible, la capacité de l’organisation à ramener la sécurité dans le Sahel se fait toujours attendre. Sa Force conjointe (FC – G5 Sahel), créée en 2017 à cet effet, n’a toujours pas atteint sa plénitude opérationnelle, faute de moyens financiers.

C’est pourquoi le G5 Sahel demande depuis sa création de passer sous le chapitre VII de la Charte de l’ONU. « Cette demande a deux effets principaux. D’abord, elle autorise de recourir à la force armée, normalement interdite en droit international. Dans le cas présent, cela n’a aucune importance, car les membres du G5 Sahel sont libres de recourir à la force sur leur territoire. Ensuite, elle entrainera la mise en œuvre d’un budget dédié à l’ONU. C’est ce que cherchent les États membres du G5 Sahel. Ils disposent déjà de financements bilatéraux et de contributions volontaires d’États étrangers, mais un mandat de l’ONU, accompagné de la création d’un Bureau d’appui permettrait de disposer d’un budget régulier », explique un doctorant en droit international requérant l’anonymat.

Mais plusieurs États membres du Conseil de sécurité, notamment les Etats-Unis et le Royaume Uni, refusent toujours de voir passer le mandat du G5 Sahel sous le chapitre VII de l’ONU. « Ils préfèrent conserver un financement par contributions bilatérales, avec la possibilité de les réduire ou de les augmenter selon l’évolution de la situation politique. La Force conjointe du G5 Sahel a été accusée d’exactions sur des civils et des doutes existent quant à la possibilité qu’elle mette en œuvre le cadre de conduite relatif aux droits de l’Homme et au droit humanitaire imposé par l’ONU. Tous ces éléments remontent globalement à l’année 2021. Avec le déploiement de Wagner, selon les États occidentaux, il y a peu de chances qu’une telle décision ait lieu en 2022 », poursuit le doctorant.

Au regard de l’évolution sociopolitique et géopolitique de la région, l’avenir du G5 Sahel demeure incertain. Pour Moussa Djombana, afin de survivre, l’organisation sahélienne doit être plus ouverte au changement, en vue de mieux s’adapter aux réalités multiformes de l’espace sécuritaire de la région. « Les pays composant cette organisation mutent rapidement et le G5 Sahel, au niveau politique, ne parvient pas à s’adapter, faisant laisser peser des craintes pour sa survie. Aujourd’hui, c’est le Mali qui s’oriente vers la Russie en ce qui concerne la coopération bilatérale militaire. Demain, cela pourrait être le Burkina Faso ou la Mauritanie. Soit le G5 Sahel s’adaptera aux contingences actuelles de la région, soit il mourra de sa belle mort.»

Pour le Dr. Marc-André Boisvert, il est plus qu’urgent d’avoir un leadership fort à la tête du G5 Sahel. « Il faudrait que le G5 Sahel devienne l’outil de cinq pays qui se seront entendus sur comment prendre le volant et comment diriger cette organisation ». En attendant que ce jour soit, le G5 Sahel est aujourd’hui le G3 Sahel, avec le Niger, le Tchad et la Mauritanie. Le Mali et le Burkina sont pour le moment sur le banc de touche.

Royal Air Maroc renforce son offre entre la France et l’Afrique

La compagnie marocaine qui dessert 29 destinations africaines met en place des vols à tarifs préférentiels au départ de la France et à destination de l’Afrique.

  • Mise en place d’une grille tarifaire incitative pour les vols reliant la France aux destinations africaines
  • Le thème de l’Afrique au cœur de l’expérience d’accueil offert aux passagers

 

La compagnie marocaine qui dessert 29 destinations africaines met en place des vols à tarifs préférentiels au départ de la France et à destination de l’Afrique.

Dans un contexte de reprise soutenue de l’activité aérienne, Royal Air Maroc met en place des vols à tarifs préférentiels au départ de la France et à destination de l’Afrique, avec des billets aller-retour démarrant au prix de 370 euros. La compagnie marocaine dessert 29 destinations africaines au départ de 8 villes françaises.

Si en 2019, plus de 20 millions de passagers ont voyagé en avion entre la France et l’Afrique, les deux années suivantes marquées par une pandémie sans précédent, ont empêché des millions d’Africains du Monde de retrouver leurs proches.

Alors que les indicateurs sanitaires poursuivent leur amélioration globale et qu’un retour à la normale se profile à l’horizon, Royal Air Maroc remet en service de nouvelles lignes, de nouveaux horaires, à des tarifs avantageux, et opérés dans le strict respect des mesures sanitaires, afin de permettre au plus grand nombre de voyager aisément entre l’Europe et l’Afrique.

Royal Air Maroc offre par ailleurs à ses passagers une expérience unique qui fait ressentir l’Afrique dès l’instant où l’on monte à bord de l’avion. Les repas à bord sont composés en puisant dans le meilleur des cultures africaines. Une grande partie du personnel navigant déployé sur les routes africaines est originaire de ces régions et se fera un plaisir de partager avec les voyageurs sa connaissance du continent. Les voyageurs bilingues auront également le plaisir d’entendre leur langue maternelle dans les annonces faites en cabine, par exemple sur les vols vers le Sénégal, où les annonces sont faites en Français et en Wolof.

Pour rappel, Royal Air Maroc est la compagnie africaine la mieux implantée sur le continent européen, avec 37 métropoles européennes desservies, et de multiples possibilités d’interconnexion dans le monde. Au départ de Paris, Nantes, Bordeaux, Montpellier, Lyon, Toulouse, Marseille ou Strasbourg, il est possible de rejoindre, en quelques heures seulement, 29 destinations africaines.

Royal Air Maroc partenaire de l’alliance oneworld

Grâce à la qualité de ses prestations et la fiabilité de sa flotte, Royal Air Maroc est, depuis 2020, membre de l’alliance oneworld, un réseau mondial qui regroupe 13 compagnies aériennes. Tous ses membres s’engagent à fournir des services premium à leur clientèle et tout un éventail de privilèges, comme le cumul et l’échange de miles dans le cadre d’un programme de fidélité. Aux côtés de partenaires iconiques comme American Airlines, British Airways et Cathay Pacific, Royal Air Maroc ouvre à oneworld les portes de l’Afrique et permet à ses passagers de profiter de tarifs préférentiels et de synergies intéressantes entre les compagnies, implantées dans plus de 1 000 aéroports dans le monde.

46 destinations en Afrique

 

Abidjan Dakhla Nador
Accra Douala Niamey
Agadir N’Djamena
Alger Fés Nouakchott
Al Hoceima Freetown Ouagadougou
Bamako Guelmim Ouarzazate
Bangui Kinshasa Oujda
Banjul Laâyoune Pointe-Noire
Beni-Mellal Lagos Praia
Bissau Le Caire Rabat
Bouarfa Libreville
Brazzaville Lomé Tanger
Casablanca Luanda Tétouan
Conakry Malabo Tunis
Cotonou Marrakech Yaoundé
Dakar Monrovia Zagora

Sécurité : les autorités de transition invitent la France à retirer sans délai les forces Barkhane et Takuba du Mali

Après l’annonce du retrait des troupes françaises et étrangères engagées dans Takuba du Mali, le gouvernement transition a mis 24h pour réagir. Les autorités disent prendre « acte de la décision unilatérale des autorités françaises en violation des accords liant la France et le Mali et impliquant d’autres partenaires ». Dans le même communiqué, le gouvernement rappelle que les résultats obtenus par les austérités françaises n’ont pas été satisfaisants ni en 2013 avec l’opération Serval, ni en 2016 avec Barkhane. Alors que les président français Emmanuel Macron parle de 4 à 6 mois pour un retrait des troupes, les autorités de transition par le biais de ce communiqué invitent la France à retirer sans délai les forces Barkhane et Takuba du territoire national, sous la supervision des autorités maliennes. A Bruxelles, en plein sommet UA-UE, le président français Emmanuel Macron a réagi : « nous avons annoncé la réarticulation du dispositif et il s’appliquera en bon ordre afin d’assurer la sécurité de la mission des Nations Unies et de toutes les forces déployées au Mali. Je ne transigerai pas une seconde sur leur sécurité « .

Jean François Camara : « l’essentiel de la lutte doit se faire par l’armée malienne »

Retrait de Barkhane et des forces européennes du Mali, capacité de l’armée malienne à prendre pied sur le terrain, Jean François Camara, enseignant-chercheur à l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako répond à nos questions.

Quelles peuvent-être les implications du retrait des forces françaises et européennes du Mali?

Éventuellement, il peut y avoir des conséquences, parce que l’on ne maîtrise pas tout. Je suis sceptique par rapport à cette question. Si la France décide de se retirer, je doute que les Forces armées puissent occuper effectivement la place qu’elles occupaient. Nous avons des échos que le Mali a signé des accords de défense avec la Russie dont on ne sait pas si elle prendra cette place.

Le sommet du G5 Sahel à Paris tenu en l’absence du Mali et du Burkina, pourrait-il avoir des conséquences sur la cohésion entre les pays?

 Par rapport à la cohésion, cela peut être problématique. Parce que le Mali et le Burkina ne peuvent pas être ignorés alors que ce sont les deux Etats vraiment concernés. Je pense que les deux Etats ont été consultés, même s’ils n’ont pas fait le déplacement. Il y a trop de confusion autour du G5, et pas de cohésion autour de ses objectifs. Les 3 frontières (Mali, Burkina Faso et Niger) devraient mettre en place une synergie capable de répondre aux attentes de la population dans la lutte contre le terrorisme, cela n’a pas été fait. Des décisions ont été dictées et ne sont pas adaptées au contexte de la lutte. En amont les trois Etats devraient mettre en place des stratégies cohérentes permettant de lutter contre le terrorisme. Il n y a pas assez de connexion militaire entre eux. Sans cela les questions militaires seront vouées à l’échec.

 L’armée malienne semble monter en puissance, a t-elle les moyens aujourd’hui de lutter efficacement contre les terroristes?

 Oui on en parle, mais à elle seule elle ne peut pas. Elle doit être appuyée par une autre puissance militaire. Elle a besoin d’être épaulée sur le plan logistique, des formations. Mais ce qui doit être compris, l’essentiel de la lutte doit se faire par l’armée malienne.

 Quel bilan pouvons-nous tirer de la présence française au Mali? 

 Le bilan est très mitigé parce que si l’on observe depuis le début, la sécurité ne s’est pas vraiment améliorée, au point que les populations se demandent s’il n ya pas connivence entre l’armée française et les terroristes. Notre armée doit compter sur elle-même, nous avons des hommes valables bien formés, ils doivent le prouver.

C’est elle qui doit être au front pour combattre les terroristes.

Barkhane – Takuba : chronique d’un départ annoncé

L’expulsion de l’ambassadeur français au Mali décidée par les autorités de la transition le 31 janvier 2022 a marqué un tournant dans les relations diplomatiques, déjà tendues depuis plusieurs mois, entre Paris et Bamako. Elle a suscité beaucoup de réactions dans l’opinion publique française et obligé l’État français à accélérer sa décision sur l’avenir de son engagement militaire au Mali, où, en plus de Barkhane, la France assume le commandement de la force européenne Takuba. Face à une situation de plus en plus « intenable », Paris et ses partenaires européens envisagent sérieusement un retrait militaire définitif du Mali, tout en restant engagés dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.

« Nous devons constater que les conditions de notre intervention, qu’elle soit militaire, économique et politique, sont rendues de plus en plus difficiles. Bref, on ne peut pas rester au Mali à n’importe quel prix », a déclaré la ministre française des Armées, Florence Parly, le 29 janvier, au lendemain d’une réunion de l’Union européenne au cours de laquelle la situation au Mali a été évoquée.

« Nous voulons tous poursuivre ce combat. Nous sommes unis par rapport à cet objectif, il nous faut donc désormais en déterminer les nouvelles conditions », a-t-elle poursuivi, deux jours avant l’expulsion de Joël Meyer, l’ambassadeur français en poste au Mali, considérée par plusieurs candidats à la présidentielle française comme une humiliation.

Il n’en fallait pas plus pour remettre sur la table la question de la présence française au Mali, 9 ans après le début de son intervention, d’abord avec Serval, puis Barkhane. Le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, a assuré le 1er février que la situation ne pouvait pas rester en l’état et que d’ici la mi-février la France allait travailler avec ses partenaires pour « voir quelle est l’évolution de notre présence sur place et pour prévoir une adaptation ».

Un débat sera également organisé au Parlement français d’ici la fin de la session en cours, à la fin du mois de février, pour évoquer l’engagement militaire de la France au Mali, a annoncé le 2 février le Premier ministre Jean Castex.

Options 

Les options pour Paris vont d’un maintien avec une réorganisation, à un départ définitif ou à un transfert des troupes vers un autre pays du Sahel. « Pour moi, la première option pour la France pourrait être de réduire davantage sa présence au Mali, en laissant seulement quelques détachements à Gao. La deuxième serait de concentrer l’essentiel de ses forces au Niger, notamment dans la région du Gourma, et de continuer à mener des opérations dans la zone des trois frontières, avec les renseignements américain et nigérien, et la coalition des forces du G5 Sahel », avance le Dr. Abdoulaye Tamboura, géopolitologue, qui par ailleurs n’est pas convaincu que la France décidera de quitter définitivement le Mali.

Pour Moussa Djombana, analyste géopolitique et sécuritaire, « l’équation est très complexe pour la partie française qui sans nul doute, si elle devait quitter le Sahel, le ferait malgré elle, la mort dans l’âme ».

« Logiquement, si on s’en tient aux précédentes déclarations du Président Macron, la France doit s’assumer, être conséquente avec elle-même et s’en aller du Mali. Cependant, les intérêts des États n’étant pas à occulter, quitter le Mali reviendrait à abdiquer face à la Russie et à livrer le Mali sur un plateau d’or à Poutine. Pris sous cet angle, vu la rivalité entre l’Europe et la Russie, je vois mal la France et ses alliés européens s’en aller aussi facilement », analyse-t-il.

En revanche, selon Dr. Aly Tounkara, Directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), « il est fort probable qu’on assiste dans les semaines à venir à un retrait définitif de la présence militaire française au Mali et même de la Task Force Takuba ». Pour lui, l’avenir de la France sur le plan militaire au Mali s’inscrit clairement dans le court terme.

Rester au Sahel… mais où ?

Comme l’ont affirmé à plusieurs reprises les autorités françaises, un désengagement français du Sahel, où le pays combat le terrorisme, n’est pas envisagé. La France étudie donc la possibilité de poursuivre la lutte anti-terroriste dans la région depuis un autre pays au cas où elle devrait quitter le Mali.

Le Niger, un pays au cœur du Sahel et dont la gouvernance est stable, apparait comme la destination vers laquelle les troupes françaises pourraient se replier. La ministre française des Armées, Florence Parly, s’y est d’ailleurs rendue le 3 févier pour discuter de l’évolution du dispositif militaire français au Sahel.

« L’opération Barkhane doit être revue de fond en comble et il nous faut probablement nous replier sur le Niger et bâtir un modèle dans lequel nous serons en capacité d’intervenir en cas d’urgence », a suggéré le 3 février l’ancien ministre français de la Défense Hervé Morin. D’après l’état-major français, qui a tenu un débriefing avec des journalistes sur la question, le départ de Barkhane du Mali n’est pas vu comme un problème, puisque la lutte contre les groupes terroristes se poursuivra depuis Niger. Le même précise que la coopération militaire entre les FAMa, Barkhane et Takuba sur le terrain ne reflète pas les tensions diplomatiques. L’armée française a annoncé que du 1er au 6 février, une opération menée par les militaires maliens et Takuba a permis de neutraliser une trentaine de terroristes dans la zone des trois frontières. Toutefois, la tension diplomatique entre les deux pays, les problèmes avec Takuba et aussi la présence sur le terrain de « sociétés privées », confirmée par Vladimir Poutine le 7 février poussent la France à regarder vers le Niger.

« Les hautes autorités nigériennes ayant de bons rapports avec les autorités politiques françaises, un redéploiement de Barkhane sur ce pays est envisageable et pourrait susciter moins de remous qu’au Mali. Il est donc évident que Niamey symbolise la survie et l’avenir de Barkhane au Sahel », pense pour sa part Moussa Djombana.

Pour autant, selon cet analyste, un éventuel redéploiement de Barkhane et de la Task Force Takuba au Niger ne se fera pas sans obstacles. « En général, une partie des opinions publiques est contre la présence militaire française au Sahel. Malgré les bonnes dispositions d’esprit des autorités nigériennes, si l’opinion publique nationale évolue fortement contre ce projet, les dirigeants, pour ne pas prendre de risques, pourraient reculer et opposer une fin de non-recevoir à la poursuite de la mission de Barkhane et Takuba sur le sol nigérien », avise celui qui pointe également des « difficultés matérielles » de redéploiement et un « changement obligatoire dans la stratégie opérationnelle globale » de la mission dans la bande sahélienne.

À côté de l’alternative d’un redéploiement vers le Niger, Dr. Abdoulaye Tamboura pense que la France pourrait également se replier sur certaines bases, notamment dans la région des pays du Golfe de Guinée, en Côte d’Ivoire, au Bénin ou au Sénégal, qui sont également confrontés aux menaces terroristes.

« La France peut essayer de réorganiser ses troupes dans les pays qui font l’objet d’attaques sporadiques de la part des djihadistes. La région du Golfe de Guinée peut constituer aussi une zone stratégique pour elle », indique le géopolitologue, qui relève par ailleurs, dans ce cas, des difficultés logistiques pour mener des opérations dans le Sahel. « L’essentiel de l’effectif de la Force Barkhane va être réparti entre la Côte d’Ivoire et le Niger, deux pays qui restent très fidèles à l’engagement français dans le Sahel. Mais, au-delà de cet engagement, ce sont des intérêts géostratégiques et géopolitiques qui seront préservés », renchérit le Dr. Tounkara.

Takuba, lendemains incertains

L’avenir de la force européenne pilotée par la France et mise en place en 2020 pour l’épauler dans son combat contre le terrorisme au Mali est plus que jamais incertain. Sur demande insistante du gouvernement malien de transition, le Danemark a décidé le 27 janvier dernier de retirer ses troupes, récemment déployées.

« Les militaires au pouvoir ont envoyé un message clair et ont réaffirmé que le Danemark n’était pas le bienvenu au Mali. Nous ne l’acceptons pas et pour cette raison nous avons décidé de rapatrier nos soldats », avait déclaré Jeppe Kofod, le ministre danois des Affaires étrangères, après une réunion au Parlement. Le mardi 1er février, la Norvège a suivi en renonçant à l’envoi d’un contingent militaire qui devait intégrer la force Takuba, faute d’accord avec les autorités maliennes. « À compter d’aujourd’hui, il n’est pas d’actualité d’envoyer une force norvégienne au sein de la force Takuba », a clairement indiqué le ministre norvégien de la Défense.

D’autres pays européens, à l’instar de la Hongrie, du Portugal, de la Roumanie et de la Lituanie, qui seraient dans l’attente d’un feu vert de Bamako pour envoyer leurs contingents, reverraient leur position vu le contexte actuel tendu entre la France et le Mali. L’Allemagne, de son côté, va soumettre la question de l’avenir de son engagement au Mali à son Parlement au mois de mai, a annoncé dans une interview le 2 février la ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock.

« L’avenir de la Task Force Takuba est très sombre. Beaucoup de pays contributeurs ont commencé à hésiter, notamment ceux qui ont un mandat en cours d’acceptation. Beaucoup vont clairement décliner l’envoi de leurs troupes », glisse Dr. Aly Tounkara.

« Mais, dans le même temps, il semble que l’approche privilégiée par les autorités maliennes consiste à faire venir d’autre pays contributeurs, qui dépendraient de l’État du Mali et non de la France comme cheffe de file de ces armées partenaires. Ce scénario pourrait faire prendre la mayonnaise, mais dans le long terme. À court terme, dans un esprit de cohérence, les autres pays présents dans la force Takuba pourraient également suivre la France dans son probable retrait définitif du Mali », poursuit-il.

Par ailleurs, selon une source diplomatique, quelles que soient les décisions prises par la France et ses partenaires européens, elles auront un impact sur l’ensemble des missions présentes sur place au Mali, notamment la MINUSMA et la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM). « La France pourrait mettre un frein à l’EUTM, qui est chargée de la formation de nos militaires, dont la présidence est tournante entre les pays de l’UE. Elle pourrait essayer de convaincre ses partenaires pour qu’ils arrêtent la mission, alors que c’est une mission très bénéfique pour nos militaires », craint Dr. Tamboura.

En attendant l’issue des discussions et les prochaines décisions que pourraient prendre la France et ses partenaires sur l’avenir de leur engagement militaire au Mali et au Sahel, l’hypothèse d’un retrait pur et simple de la Force Barkhane et de la Task Force Takuba est sérieusement envisagée, selon des sources proches du dossier.

Les modalités d’un tel retrait sont sur la table des consultations que Paris est en train de mener avec les pays européens et africains engagés dans la lutte contre le terrorisme au Mali et également en discussion au sein de l’état-major de l’armée française.

Le sujet devrait également être évoqué à Bruxelles, lors du sommet Union européenne – Union africaine, prévu les 17 et 18 février 2022, où, selon une source bien introduite, Emanuel Macron pourrait annoncer le retrait de la France du Mali et une adaptation du dispositif militaire.

Olivier Dubois : 10 mois de captivité

Le journaliste français Olivier Dubois, ancien collaborateur du Journal du Mali est détenu depuis 10 maintenant. Enlevé à Gao le 8 avril 2021 alors qu’il était en reportage, les proches sont depuis sans nouvelles du reporter de 47 ans, correspondant de Libération  et de Jeune Afrique dans le pays. Il est apparu dans une vidéo début mai 2021 dans laquelle il dit être aux mains du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM), un groupe terroriste dirigé par Iyad Ag Ghaly. Même si et le Mali et la France se sont discrets sur la question, les deux autorités assurent travailler pour parvenir à sa libération.

Mali : la France envisage sérieusement un retrait de Barkhane

La question d’un retrait de Barkhane et de Takuba du Mali a été clairement mise sur la table aujourd’hui lors d’un briefing de l’armée française confie des médias. Le départ de Barkhane du Mali n’est pas vu comme un problème opérationnel puisque selon l’armée la lutte contre le terrorisme se poursuivra du Niger. Paris souhaite en effet se replié vers le Niger qui parmi les pays qui font face au terrorisme est celui qui n’a pas connu de coup d’Etat, et semble la meilleure alternative. La ministre des Armées de France était à Niamey le 3 février pour discuter de cette éventualité et des modalités. Les tensions diplomatiques et les joutes verbales entre le Mali et la France amènent cette dernière à envisager son retrait du Mali. Toutefois, selon les échos du briefing de l’armée francaise, la coopération militaire entre les FAMa, Barkhane et Takuba sur le terrain ne reflètent pas les tensions diplomatiques entre les deux pays.

Dr. Abdoulaye Tamboura : « L’heure doit être à la désescalade »

Les autorités maliennes ont pris la décision le 31 janvier 2022 d’expulser du Mali l’ambassadeur français Joël Meyer, suite aux propos « hostiles et outrageux » tenus par le chef de la diplomatie française, Jean-Yves le Drian. Dans cet entretien, Dr. Abdoulaye Tamboura, géopolitologue, livre son analyse de la situation tendue entre Bamako et Paris.

Comment analysez- vous cette décision d’expulsion ?

À ce que je sache, c’est la première fois qu’un ambassadeur est expulsé du Mali. C’est une décision historique. Cela veut tout simplement dire que les États ne sont plus comme lors de la période coloniale. Les États d’aujourd’hui défendent leurs intérêts et le Mali est appelé à défendre les siens. Si la France veut coopérer avec le Mali, il faut que cela soit dans un cadre gagnant-gagnant. Toutefois, je pense que cela aurait été encore mieux de s’expliquer davantage entre les deux pays. Les propos du ministre français des Affaires étrangères sur les autorités maliennes sont scandaleux et indécents et n’encouragent pas la bonne entente. Mais La France et le Mali doivent s’asseoir et discuter réellement sur les points de divergences.

Quelles pourraient être les conséquences de cette décision?

Elles ne seront que néfastes pour les deux pays. Quand on regarde l’implication de la France au Mali, à travers la force Takuba et l’EUTM, son rôle est très important, même s’il y a des critiques sur la manière dont les Français évoluent sur le territoire du Mali. Mais la diplomatie sert à cela, à parler avec tout le monde, même avec ses propres ennemis. Au même moment, les autorités maliennes ne doivent pas être guidées par des discours populistes ou nationalistes. L’heure doit être à la désescalade. Il ne faut pas qu’on aille plus loin. La France n’a pas intérêt à abandonner la lutte terroriste au Mali. Sur le plan diplomatique, à l’échelle mondiale, elle a du poids par rapport au Mali. J’espère qu’elle ne va pas lui mettre des bâtons dans les roues. Pour éviter cela, le Mali doit aussi user de ses canaux diplomatiques pour faire se départir la France de son attitude hautaine. Sur le plan européen, il y a quand même un risque d’effet domino envers le Mali, parce que l’Europe est solidaire de la France.

Comment expliquer la dégradation graduelle des relations entre la France et le Mali ?

C’est à partir du 2ème coup d’État que les relations se sont dégradées entre les deux pays. Depuis que Bah N’daw et Moctar Ouane ont été arrêtés, la France n’a jamais plus considéré comme légitimes les autorités de la transition.

Diplomatie : le Mali expulse l’ambassadeur de France

Le Mali a décidé d’expulser l’ambassadeur de France dans le pays. La décision du gouvernement a été notifiée à Joel Meyer ce lundi 31 janvier à la suite d’une convocation du ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop. Le diplomate français a 72h pour quitter le territoire national. Cette mesure comme le précise un communiqué du gouvernement fait suite aux propos hostiles et outrageux tenus récemment par le ministre français des Affaires étrangères et à la récurrence de tels propos par les autorités françaises. Jean Yves Le Drian a récemment qualifié les autorités de la transition de « junte illégitime » qui prend des « décisions irresponsables ». C’est un nouvel épisode des tensions franco-maliennes déjà très vives ces derniers mois.