Kouakourou : Résister ou se soumettre ?

À Kouakourou dans la région de Mopti, depuis plus de trois semaines, la population est cloîtrée, prise dans l’étau que resserrent peu à peu les djihadistes, qui occupent la forêt, empêchant quiconque d’entrer ou de sortir par voie terrestre ou fluviale. La présence passive de l’armée, dans une zone où les relations entre djihadistes et populations sont souvent complexes, exacerbe les tensions dans ce terroir où la loi du plus fort a le plus souvent cours.

« Dans tout Kouakourou, vous ne trouverez personne pour vous dire ce que nous vivons sur le terrain », affirme, méfiant, Moussa Kondo, ex-élu de la ville. Dans cette commune du cercle de Djenné, balayée par une crise sans précédent, le mot d’ordre est de se taire. « On parlera quand la situation sera meilleure », assure Kondo, même si les choses vont de mal en pis, comme la foire du village, activité économique principale de ce chef-lieu, qui depuis 3 semaines n’a plus ouvert ses portes. Et s’il n’y avait que ça. Les djihadistes, en représailles, ont brûlé les principaux moyens de subsistance du village, enlevé le cheptel et détruit plusieurs périmètres rizicoles. « Il y a vraiment un blocus là-bas , il ne peuvent ni entrer ni sortir, ni aller aux champs, les animaux de labours ont éte emmenés. Comme le blocus ne date pas de très longtemps, apparemment ils parviennent à s’auto-suffire. Même sur le fleuve quand vous essayez de passer pour aller à Mopti, les djihadistes interceptent les pirogues et les font retourner. Ils sont en état de siège ! », explique un habitant d’une commune voisine du cercle de Djénné. Kouakourou est en crise et la population en résistance. Les hommes patrouillent dans les rues, dans un climat de tension permanente qui redouble une fois la nuit tombée. « Tout le village est sur le pied de guerre. Tous les jeunes sont sortis, avec des gourdins, des haches, des harpons, des fusils de chasse. C’est inédit ! Nous faisons avec les moyens du bord, nous gérons ça à notre manière. Nous pensons que ça pourra marcher », lâche Moussa Kondo, la voix lasse, fatigué de rester en alerte de longues heures jusqu’à l’aube.

« Tout le village est sur le pied de guerre. Tous les jeunes sont sortis, avec des gourdins, des haches, des harpons, des fusils de chasse »

Les djihadistes, installés depuis 2015 dans la forêt voisine de Korori, ont fait récemment monter d’un cran la rigueur de leur charia, en exigeant des femmes et des filles qu’elles portent le voile. « Ils ont commencé à frapper les femmes qui n’obtempéraient pas, et pas seulement à Kouakourou. Ici, c’est principalement un village bozo, des pêcheurs, et à présent ils ne veulent plus que les femmes pêchent et ils les battent. Les hommes se sont révoltés et tout est parti de là », explique Abdramane Diallo, natif de la commune et membre de l’association Tabitaal Pulaaku, qui suit la situation de très près. « Les gens disent que les djihadistes sont des Peuls mais il y a plusieurs ethnies parmi eux, ils parlent la langue c’est vrai mais c’est la langue que tout le monde parle ici. Ils sont en armes, entraînés et capables du pire. Les villageois pensaient pouvoir leur tenir tête seuls, puis ils ont fait appel à l’armée, qui est venue et repartie, pour revenir encore. Les contingents sont là, ils campent et il ne se passe rien », déplore Abdramane Diallo.

Photo : AF 2014

Résister ou se soumettre « Les militaires sont avec nous et le village est mobilisé. Nous sommes derrière l’État », lance Moussa Kondo avec conviction. Pourtant, certains pointent du doigt l’inaction manifeste des forces de sécurité. « Elles sont en ville, mais il n’y a pas de patrouilles. Les djihadistes sont à quelques kilomètres et elles n’y vont pas. Rien ne bouge, rien ne change, le village est toujours sous embargo », confie une source sous anonymat.

« Là-bas, l’armée est plus le problème que la solution »

Pour Abdramane Diallo, la présence de l’armée dans la zone cause problème : « L’armée malienne n’est pas là-bas et quand elle vient c’est pour de timide opération coup de poing et puis elle s’en va, ça aggrave la situation car les djihadistes sont fâchés de savoir que les habitants ont fait appel à l’armée. Vous savez, avant qu’elle ne vienne, la population souhaitait négocier. Les djihadistes connaissent les villageois, ils cohabitent depuis deux ans. Généralement, ce sont des enfants du terroir, qui sont nés ou ont grandi ici. L’armée malienne doit soit jouer son rôle régalien, et les chasser, soit partir, et laisser la population transiger. Là-bas, l’armée est plus le problème que la solution ».

Pour certains, une autre solution serait le retour du maire de Kouakourou, parti au Hadj et bloqué à Bamako sans possibilité de pouvoir regagner son village.  « Il sait comment négocier avec les djihadistes et a compris qui si on ne se mêlait pas de leurs affaires, on pouvait vivre tranquille. Mais c’est aussi un problème politique », poursuit Abdramane Diallo, « l’opposant au maire de Kouakourou, qui voulait sa place, est celui qui a mobilisé pour mettre sur pied cette résistance ».

Pour la population de Kouakourou, comme des communes des cercles de la région de Mopti, sous la férule des djihadistes, l’avenir est chargé d’incertitudes. Il n’existe en tout et pour tout que deux possibilités, résister ou se soumettre. Par manque d’État, la seconde solution est souvent jugée plus salutaire. « Tout le monde les rejette, personne n’est d’accord avec eux, mais ils s’imposent avec leurs armes. Il n’y a pas d’État. Ceux qui sont censés le représenter ne font que passer et ne posent aucun acte pour nous sortir de nos problèmes. Que voulez-vous faire, à part négocier ? », interroge un habitant du cercle de Mopti, qui ne voit malheureusement pas, dans l’état actuel des choses, d’autre choix.

 

Charia : Une réalité malienne

Le 16 mai dernier à Taghlit, entre les localités d’Aguelhoc et Tessalit, une femme et un homme auraient été lapidés par des islamistes qui leur reprochaient d’avoir violé la charia, la loi coranique, parce qu’ils vivaient en concubinage. La véracité de ce triste évènement, relayé par les médias nationaux et internationaux, reste à démontrer, certains affirmant même avoir vu quelques jours plus tard la jeune femme vivante à Aguelhoc. Pour autant, la rumeur de cette lapidation, inédite depuis les jours sombres de la crise de 2012, pose la question de la présence de ces forces djihadistes dans certaines zones du pays qui échappent toujours aux forces maliennes et étrangères, et de leur capacité à faire peser leur vision étriquée de la loi divine sur le caractère laïc du pays, s’ils parvenaient à propager leur foi rigoriste.

« Oui la charia est appliquée dans certaines zones de la région de Kidal ! », déclare sans ambages Abinaje Ag Abdallah, maire d’Aguelhoc. « Ils interdisent l’alcool, les cigarettes. Il faut s’acquitter de la zakat (l’aumône). Ils font appliquer toute la charia qui est de leur portée et on constate de plus en plus qu’ils ont le contrôle de certaines localités », ajoute-t-il. À Taghlit, Abeïbara, au nord et nord-est de la région de Kidal, dans la région de Tombouctou, Taoudéni, Ségou, Mopti, nombreux sont ceux qui attestent de la présence des islamistes dont les forces se sont redéployées et contrôleraient des zones entières qui échappent aux autorités. Dans ces zones désertées par la République, où même parfois les groupes armés ne vont pas, les djihadistes à moto font respecter leurs lois, maintenant les populations dans la crainte. « Aujourd’hui, dans la région de Kidal, de Gao ou de Tombouctou, les campagnes sont occupées par des groupes terroristes. Dans la zone de Ménaka, il y a le groupe d’Adnane Abou Walid al-Sahraoui qui se renforce jour après jour. Au nord de la région de Kidal, trois katibas appliquent la charia partout dans les brousses, même à Tinzawatène. Dans la zone de Gao à Almoustarat, il y a l’armée mais il y a aussi des djihadistes en ville qui prêchent le djihad ouvertement le soir dans la mosquée, pendant que l’armée est dans la caserne », confie ce cadre militaire du MNLA qui a eu maintes fois maille à partir avec les djihadistes.

Dans certains villages, ces groupes ont imposé leur charia aux villageois qui ne sont plus autorisés à pratiquer certaines coutumes devenues « haram ». « Il faut les écouter et faire ce qu’ils disent, ça s’est sûr ! », lâche cet employé du CICR de la région de Kidal. « Quand nous partons en mission dans ces zones, on retrousse nos pantalons au-dessus des chevilles, on ne fume pas, on se tient éloignés des femmes et on évite d’y aller avec des véhicules arborant le logo du CICR, parce que les gens considèrent la croix comme un signe chrétien. On doit se conformer, c’est automatique », poursuit-il.

 Vivre sous la charia Dans ces zones, la peur tient les populations qui redoutent de se voir infliger ces actes barbares que les islamistes considèrent comme les punitions issues de la charia : couper la main du voleur, lapider des coupables d’adultère, sanctionner par le fouet les libertins. Ces pratiques qui ont eu cours au nord du Mali durant la crise, ont normalement cessé depuis 2013 et la fin de l’occupation. « Les mains coupées pour un voleur, les coups de fouets, c’est très rare depuis 2012, parce que les gens se sont conformés à leur loi. Mais si tu commets un acte contraire à la charia, ils vont prendre les choses en main et t’envoyer un message par un intermédiaire pour te convoquer. Dans un premier temps, ce sera une mise en garde. Donc, après cet avertissement, soit tu quittes la ville, soit tu t’y conformes. Si tu continues, ils vont appliquer sur toi le châtiment de la charia. Ça se passe comme ça. Ils ont des informateurs dans tous les villages, donc les gens sont tenus dans la crainte et font ce qu’on leur dit », affirme cet habitant de Kidal.

Pour la majorité des musulmans, il est difficile de s’opposer à la charia, les thèses prônées par les islamistes ne séduisent pas les populations maliennes très attachées à la tolérance et éloignées de l’application qu’en font les salafistes. « La population ici est à 100 % musulmane. Elle ne peut pas réprouver la charia en tant que telle, mais les gens disent que ce n’est pas la méthode. La plupart des chefs djihadistes, ce sont des Algériens, des Mauritaniens, des gens qui viennent d’ailleurs. On a nos propres imams et marabouts qui nous expliquent la religion, alors pourquoi nous conformer à des gens qui amènent une doctrine venue d’ailleurs ? Avec les attaques, les attentats suicides, les gens ne sont pas avec eux mais ils sont contraints d’observer ou d’adhérer par la force », explique ce journaliste de Douentza. « Si leur but est de créer une république islamique, notre histoire et nos croyances sont trop anciennes pour que ça marche. Ils ne peuvent pas venir comme ça imposer ça chez nous ! », s’exclame-t-il.

 Frapper les fourmilières djihadistes Par leurs diktats religieux, les djihadistes, sous l’impulsion du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, tentent de tisser une toile pour le moment encore disparate. Leur mobilité et leur capacité à se fondre au sein des populations les rendent insaisissables, leur permettant de perdurer et d’imposer par la force leurs préceptes religieux. « Si l’autorité de l’État s’étendait à l’ensemble du territoire, l’État pourrait être interpellé en cas d’application de la charia. Mais c’est l’Occident qui a dit « je m’installe dans le nord ». Barkhane est là-bas, la MINUSMA est là-bas. Cette zone dans laquelle s’est produite la lapidation n’est pas sous contrôle de l’armée malienne », objecte un officiel malien. Cependant, la force française, devenue elle aussi la cible privilégiée des djihadistes, semble inefficace à pouvoir stopper cet état de fait.

« Depuis 2015, les opérations terroristes ne visent pas à faire la guerre. Ils font des opérations de récupération de matériel, ils se réorganisent et se renforcent. Ils ont récupéré, depuis fin 2016, plus de 30 pick-up, des armes et des munitions. À Taoudéni, ils ont des bases fixes, ils créent des souterrains, y mettent des groupes électrogènes, des citernes d’eau pour 2 mois ou 3 mois, tout pour vivre et tu ne vois rien. Ils attendent que l’armée malienne se remette en place, que le désarmement soit effectif après ils vont occuper les campagnes, et nous, nous restons là, à compter ce qu’ils ont récupéré », s’emporte cet officier du MNLA. « Les djihadistes ont très bien compris comment les forces françaises fonctionnent. C’est une armée conventionnelle, avec des véhicules vieillissants, peu rapide. Au moindre mouvement ils bougent à moto. À chaque fois que tu pars vers l’est, ils partent vers l’ouest et vice-versa », poursuit-il. « Il faut créer des unités d’élite contre les terroristes, former des gens en local et intervenir avec l’appui aérien français. Pour cela, il faut plus de confiance entre les différents acteurs, arrêter les hostilités, suivre l’Accord de paix, reconstituer l’armée et envoyer des militaires appuyés par des forces locales. Il n’y a pas d’autres solutions, sinon on retournera à la situation de 2012 ». Un avis partagé par cette source sécuritaire malienne, qui estime que « la lutte antiterroriste demande la complicité et l’aide des populations locales, du renseignement, puis une connaissance du terrain. Malheureusement, ni les forces étrangères ni l’armée malienne n’ont cela ».

Dans la région de Kidal, certains ont commencé à se résigner à un retour des djihadistes. « C’est Iyad le commandant de bord à Kidal. Il détient toujours la réalité du terrain. C’est pour cela que les gens ne dénoncent pas. Si tu dénonces, demain tu seras le seul perdant. Barkhane, malgré l’arrivée du nouveau président français, ne fera rien pour nous, la MINUSMA non plus. Donc on se tient à carreau », résume, philosophe, ce commerçant de la région. Seul répit provisoire mais attendu, le ramadan, période de trève où les djihadistes suspendent leur activité, pour s’adonner pleinement à la religion. Mais d’autres en redoutent déjà la fin. « Beaucoup de gens ont peur qu’après le ramadan il y ait une grande offensive. C’est très possible avec tout le matériel que les djihadistes ont obtenu dans leurs attaques à Almoustarat et ailleurs au Mali et au Niger. Ils ont à peu près les mêmes moyens qu’avant l’intervention de Serval ».

 

Au centre du Mali, c’est le Far west…

Cette nuit-là, Ibrahima Maïga, s’est couché tôt, harassé par une journée de travail bien remplie passée entre Sévaré et Ngouma. Vers 2h du matin, dans un sommeil profond, il sent qu’on le secoue. Grognant, il lance son bras pour chasser l’importun, un objet froid et métallique stoppe la course de sa main le faisant sortir d’un coup de sa torpeur. Une puissante lumière l’éblouit, une torche fixée sur un fusil que braque sur lui une silhouette noire, un homme, portant un treillis de l’armée de terre. Un autre, derrière lui, s’active bruyamment à retourner ses affaires. « J’ai d’abord cru que c’était des militaires qui avaient besoin d’essence », raconte Ibrahima, animateur radio à Ngouma, assis sur un petit tabouret de bois dans la pénombre d’une arrière salle de la radio FM de Douentza. « Ils m’ont dit qu’ils voulaient de l’argent, mais je n’avais rien ! ». Les deux hommes fouillent la pièce puis s’en vont, laissant Ibrahima tremblant de peur. Vingt minutes plus tard, une fusillade éclate, un cri perce la nuit, des moteurs démarrent en trombe, puis plus rien. Ce soir-là, les bandits sont repartis avec un butin 5 millions de francs CFA et un véhicule. Nul ne sait d’où ils sont venus, qui ils étaient, mais dans la 5e région du Mali, cette scène tragique fait désormais partie du quotidien. Incursion au cœur de la région de Mopti, véritable « Far west » malien.

La route qui mène à Douentza, chef-lieu du cercle aux portes de la région Nord du Mali, est chaotique et défoncée, comme oubliée des pouvoirs publics. Les trous et crevasses y côtoient les sparadraps de goudron, ralentissant considérablement la progression des véhicules. Sur cet unique axe qui mène à la ville, on peut ne pas croiser âme qui vive pendant des kilomètres. Dans cette zone de la région de Mopti, règne un anarchique chaos où seul prévaut la loi du plus fort résultant de la faible présence ou de l’absence totale d’institutions gouvernementales. Ici, la peur ne semble pas changer de camp, les groupes armés sévissent et les citoyens fatalistes craignent chaque jour pour leurs vies et leurs biens. « Si tu as une arme, c’est toi qui fait la loi, c’est toi qui dirige ! On est confronté à ce problème d’insécurité, surtout dans le secteur nord et est du cercle. Il y a les djihadistes réunis en plusieurs groupuscules, des groupes armés peuls qui s’affrontent dans des règlements de compte pour l’argent, le bétail ou l’accès aux terres arables, et le banditisme, avec les ex-combattants des mouvements armés qui, au sortir de la crise, ont gardé leurs armes et sèment la terreur », explique Amadou, un journaliste local, qui depuis ces dernières années, observe une situation qui ne cesse de se dégrader.

Bien que les langues à Douentza se délient difficilement, au gré des rencontres, force est de constater que le problème d’insécurité dans la zone est complexe. « Certains sont en train de se venger pour ce qui s’est passé il y a des années. Les gens qui ont pris les armes, des Peuls pour la plupart, ont rejoint les islamistes pour être protégés et se faire justice. Il y a eu beaucoup de chefs de village attaqués ou tués, même des imams. On les soupçonne de parler avec les autorités, d’être des complices de l’État, donc on les élimine. Pour sauver ta peau, si tu ne fais pas partie de ces groupes, tu dois donner quelque chose, un garçon, de l’argent, du bétail, tout ce que tu as. Ils ont les armes et font comme bon leur semble », déplore l’animateur radio Ibrahima Maïga.

La tentation djihadiste Avant la crise de 2012, des prêcheurs comme Amadoun Kouffa, un prédicateur peul fondateur du Front de libération du Macina, groupe djihadiste qui sévit dans la région, ont silloné la zone pour le compte de la secte Dawa, prônant une ré-islamisation de la population. « Ils viennent à plusieurs en moto et bien armés. Ils parlent de la défense de l’Islam et nous disent de refuser tout ce qui n’en fait pas partie. Ces prêcheurs racontent ce que les éleveurs peuls veulent entendre, que l’Islam interdit de payer le droit d’accès aux pâturages qui autrement peut se négocier à des centaines de milliers de francs CFA. Ils adhèrent à ces groupes aussi pour ça. Beaucoup les ont rejoint dans le Macina », explique Issa Dicko, frère d’Amadou Issa Dicko, chef du village de Dogo, assassiné par les djihadistes en 2015.

Écoles fantômes et maires en fuite Dans ces zones reculées, désormais sous la coupe des prêcheurs, l’éducation nationale est délaissée au profit de l’éducation coranique. « Ces communautés ne sont pas prises en compte dans le système éducatif national », dénonce pour sa part, Ibrahima Sankaré, secrétaire général de l’ONG Delta Survie, qui a mis en place des écoles mobiles pour ramener les enfants en classe. « La communauté peule de ces zones est réfractaire à l’école formelle pour des raisons moins féodales que religieuses. Pour eux, s’ils mettent leur enfant à l’école française, il ira en enfer », explique Ibrahima Maïga, qui cite le cas du village de Tanan, à 60 km de Douentza où depuis 2006, aucune classe n’est ouverte, « même les portes et les fenêtres ont fini par être emportées »…

Si dans beaucoup d’endroits l’école est en panne, d’autres représentations étatiques comme les mairies sont aussi visées. Dans la ville de Kéréna, située à une trentaine de kilomètres de Douentza, les « occupants » comme ils sont aussi appelés ici, ont interdit à tous ceux qui travaillent à la mairie d’habiter la commune, sous peine de mort. Depuis ces derniers ont fui. « Durant les élections communales, les gens étaient angoissés et vivaient dans la peur d’une attaque », se rappelle Sidi Cissé, enseignant à Douentza. Le nouveau maire de Kéréna, Hama Barry, n’a pu exercer son mandat ne serait-ce qu’un jour. Il a dû se réfugier à Douentza avec son adjoint pour sa sécurité. Plusieurs parmi la population l’ont suivi. Le vieil homme est aujourd’hui méfiant, car dit-il, « ici on ne sait pas qui est qui ». Après maintes discussions, il accepte une rencontre. À côté de lui, son adjoint affiche un perpétuel sourire et un regard inquiet durant la courte entrevue qu’il accorde au Journal du Mali. « Je vais bientôt retourner à Kéréna, tout va bien, ce ne sont que quelques querelles », se borne-t-il à dire en pulaar, pour éluder les questions trop précises, avant de saluer chaleureusement et de prendre congé.

Peur sur la ville À Douentza, l’omerta règne aussi. L’assassinat d’une parente de l’ancien adjoint au maire de Kéréna, froidement abattue à son domicile, à moins de 200 mètres du camp de la MINUSMA, il y a quelques mois, a marqué les esprits et imposé de facto le silence. « Ceux qui ont fait ce coup ont réussi. Ils ont fait en sorte que tous sachent que même à côté des forces de l’ordre, on n’est pas sécurisé », explique cet autre élu, également forcé à l’exil. Ce qu’ils veulent, ces groupes l’obtiennent avec leur fusil ou à la pointe de leur couteau, celui qui n’est pas d’accord avec eux ne peut que se taire. « Les gens ont peur. Ils ont peur pour leur vie. Moi qui vous parle, je me suis un peu trop avancé dans cette conversation. Je n’ai rien dit mais j’en ai déjà trop dit », ajoute-t-il, assis dans son salon, où trône sur le mur derrière lui, un portrait le représentant arborant l’écharpe aux couleurs du drapeau national. Triste rappel d’une fonction aujourd’hui vide de sens.

Cette peur ambiante freine les populations dans leur désir de collaborer avec les autorités. « Les gens veulent collaborer mais ils ne sont malheureusement pas protégés en retour », affirme Madame Diarra Tata Touré, membre active de la société civile et secrétaire générale de l’ONG ODI Sahel, à Sévaré. « Il y a le laxisme de la gendarmerie, la corruption. Quand les forces de l’ordre prennent des djihadistes ou des bandits, il suffit qu’ils versent de l’argent pour qu’on les relâche. Les gens collaboraient avec l’armée et la gendarmerie avant, mais c’est un marché lucratif et ce sont ces mêmes autorités qui, après avoir relâché les bandits ou djihadistes, leur disent que c’est un tel qui a donné l’information. Ensuite, ils sont assassinés. Même si je vois un bandit, je ne dirai rien parce que je sais qu’après il viendra me tuer ! », résume Amadou, journaliste à Douentza, qui ajoute sur la foi de renseignements de terrain, que si l’État ne fait rien, « il va y avoir une révolte social. Les gens s’organisent et s’arment. Ça peut éclater à tout moment ». Pour Sidi Cissé, qui faisait partie du groupe d’auto-défense de la ville de Douentza en 2012 et qui a eu à négocier avec les djihadistes durant cette période, la situation actuelle est vraiment déplorable. « Après la crise, l’État est revenu mais ça continue. On tue froidement des gens, on les harcèle, malgré la présence de la gendarmerie et de la MINUSMA. Ça ne se passait pas comme ça même durant la crise », témoigne-t-il. « Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour arrêter ça. Est-ce que c’est l’État qui a failli ? Est-ce que ce sont les forces de l’ordre ? », s’interroge-t-il.

Sur le retour, nous dépassons Sévaré. Sur la route qui mène à Bamako, il n’est pas rare de croiser des pickup aux couleurs camouflage, transportant 5 ou 6 militaires casqués et bien armés. Ils finissent par disparaître de notre rétroviseur. De Mopti à Douentza jusqu’à Tombouctou, ils ont aussi disparus. Comme si la ville de Mopti était un point, une ligne charnière au-delà de laquelle la sécurité n’existe plus.

 

 

 

Deux membres d’Ansar Dine Macina arrêtés à Bamako

Deux hommes appartenant au mouvement Ansar Dine du Macina du prédicateur radical Amadou Kouffa ont été arrêtés le week-end dernier dans une mosquée à Bamako. Accusés de terrorisme, ils sont pour l’heure entre les mains la Sécurité d’État (SE)

Dimanche 18 décembre, dans une mosquée à Banankabougou en commune VI du district de Bamako, les agents de la sécurité d’État ont procédé à l’arrestation de deux éléments importants de la mouvance islamiste du Macina. Il s’agit de Boubacar Cissé alias Boury, âgé d’une quarantaine d’années et commerçant à Mopti et de Souleymane Barry. Le premier réputé très proche d’Amadou Kouffa, jouait surtout le rôle de logisticien auprès du mouvement. Il leur fournissait des panneaux solaires, des pièces détachées de moto et de voitures et des denrées alimentaires. En plus de cela, il fournissait également des informations et assurait la médiation d’otages locaux enlevés par les disciples du prédicateur. Le second, dans la cinquantaine, est un maitre coranique, radicalisé par les discours enflammés de Kouffa, cadre d’une secte à Mopti, il utilisait ses prérogatives pour le recrutement et l’endoctrinement de jeunes talibés.

En représailles des ces arrestations, le même jour, le groupe a attaqué un poste de gendarmerie situé à Saye dans le cercle de Macina, tuant un gendarme et blessant un autre.

 

Prison de Niono, et de deux !

Dans la nuit de lundi à mardi, des assaillants ont attaqué la prison de Niono, situé à 350 km de Bamako. Plusieurs dizaines de prisonniers en ont profité pour s’échapper.

Il était aux alentours d’une heure quinze du matin quand des hommes armés vêtues de boubous et de tenues militaires ont pris d’assaut la maison centrale d’arrêt de Niono, blessant au passage deux gardiens et permettant la fuite de 90 détenus. L’un des gardiens blessés a par la suite succombé à ses blessures. Selon des témoins, les assaillants criaient Allah Akbar et étaient spécifiquement venus pour libérer un de leur frère d’arme détenu. Ils en ont profité pour ouvrir en grand les portes et laisser tous les autres prisonniers s’échapper.

Après la fin de leur mission commando, les bandits se sont éclipsés vers Molado où ils ont disparus. « Des dizaines de prisonniers se sont évadés. L’armée a réussi à en reprendre certains et poursuit les autres » a déclaré le porte-parole du ministère de la Défense, Abdoulaye Sidibé. L’attaque n’a pas encore été revendiquée mais les soupçons se portent sur le Front de Libération du Macina dirigé par Amadou Kouffa. Prêcheur radical, qui prône le djihad et l’application de la charia sur toute l’étendue du territoire. Il serait le principal allié d’Iyad Ag Aly, chef d’Ansar Dine au centre et au sud du pays.

Le modus operandi de l’attaque ressemble beaucoup à une autre qui s’est déroulée un mois plus tôt à Banamba et qui avait la même visée : libérer des combattants. Malheureusement pour eux, les personnes en question avaient été déplacés vers un autre endroit plus sûr. Ansar dine qui avait revendiqué la tentative, a par la suite fait la promesse de libérer tous leurs frères et qu’aucune fortifications ne leurs résisteraient.

 

Centre du Mali : le péril peul

Le 18 juin dernier, à la veille de l’anniversaire de la signature de l’Accord de paix, un appel téléphonique à l’AFP, va mettre en ébullition les médias et les rédactions nationales. Un nouveau groupe armé ethnique, l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (ANSIPRJ), fort de 700 combattants, tous Peuls, est créé par un obscur tamasheq d’adoption peule, Oumar Aldjana. Ce groupe semble résulter de toutes les frustrations accumulées à travers les décennies par cette communauté, et qui se sont soldées, en mai dernier, par des dizaines de morts, dans le cercle de Tenenkou.

Au centre du Mali, la compétition autour des terres arables et des ressources génère chaque année des conflits récurrents, entre éleveurs et agriculteurs. « Ils saisissent les tribunaux, où les jugements s’éternisent, les problèmes au fil des années viennent s’accumuler, c’est un embouteillage de conflits non résolus », explique Amadou Modi Diall, président de l’association peule Dental Pulaaku. Ces conflits répétitifs, non solutionnés, génèrent une grande frustration de part et d’autre. « Ils se considèrent d’une certaine manière comme des citoyens de seconde zone », ajoute Bréma Ély Dicko, anthropologue-chercheur, à l’université des lettres et des sciences humaines de Bamako.

Facteurs aggravants

Cette mauvaise gouvernance n’est pas l’unique facteur de révolte. La dégradation de l’environnement a rendu la vie des éleveurs difficile et beaucoup d’entre eux doivent nourrir leur famille mais aussi leur cheptel, là où la nature y pourvoyait auparavant. De plus, la plupart ne sont pas éduqués, mais tous ont été à l’école coranique et connaissent beaucoup plus la terminologie religieuse que les cours de l’école classique. « Le taux d’alphabétisation est faible, la démocratie, le civisme, les partis politiques, sont des notions éloignées là-bas. C’est un facteur de divergence et d’incompréhension », déplore Amadou Diall. Dans ce climat de frustration, il n’est pas étonnant que les prêches d’un prédicateur comme Hamadoun Kouffa, chef du Front de libération du Macina (FLM), séduise dans une communauté ou l’islam est un socle important. « Kouffa a été une sorte de guide, ils l’ont suivi car c’est le seul qu’ils aient entendu », indique encore Amadou Diall.

Entre djihadisme et banditisme 

Dans le cercle de Tenenkou, de Macina, de Niono, jusqu’en Mauritanie, opère une nébuleuse de groupuscules armés, qui profitent de la faible présence de l’État pour se venger sur tout ce qui le représente, le considérant comme une force d’oppression. « Kouffa est passé dans presque toutes les mosquées de tous les villages, c’est le « Haïdara du centre » !  Il fait ses prêches en peul, une langue parlée par tous dans la zone, bozos, bambaras ou dogons. Quand on parle de djihadistes peuls, ce ne sont donc pas forcément que des Peuls », explique Bréma Ely Dicko. Dans cette nébuleuse, on trouve des hommes du FLM, et une majorité de personnes frustrées ou lésées par trop d’injustice, qui ne cherchent pas forcément la radicalisation. «  Quand vous regardez, toutes les personnes qu’ils ont tuées sont des représentants de l’État. Ils n’ont pas tué des gens parce qu’ils ne priaient pas, ils n’ont pas été dans les églises pour les fermer », explique ce membre d’une association peule. Certains d’entre eux sont des anciens du MUJAO, qui suite au coup d’État ont dévalisé les garnisons, permettant aux populations de s’emparer des armes pour se défendre du racket, des voleurs, ou se faire justice. « Oumar Aldjanna parle de 700 combattants, mais dans ces zones, il est en effet facile d’en trouver 700, les gens étant armés et mécontents contre l’État », déclare ce gendarme sous anonymat.

Le cas Aldjannah

Le 18 juin, suite à l’annonce faite par Oumar Aldjanna, Amadou Diall a décroché son téléphone pour l’appeler : « je lui ai dit de stopper, de revenir, mais il n’a rien voulu entendre. Oumar était membre de notre association, il s’occupait de la communication. Il était là tous les jours. Sa démarche est une déviance par rapport à ce que nous prônons. Nous, nous voulons la paix », confie-t-il. D’origine touarègue de la tribu Daoussac du coté paternel et peul par sa mère, Oumar Aldjanna a grandi dans le Macina et a vécu les conflits fonciers entre transhumants et paysans. Pendant la crise, il se rebelle et entre au MNLA. À la fin du conflit, il passera quelque temps au camp de réfugiés de Mbéra en Mauritanie. De retour à Bamako, il s’engage dans le secteur associatif, pour les droits de sa communauté. « J’ai rarement vu une personne aussi engagée que lui. Au début, il ne voulait pas d’engagement armé. Jusqu’à l’attaque de Maleimana (3 mai 2016), son discours, c’était de faire quelque chose pour les Peuls », se souvient Bréma Ely Dicko.

Prime à la kalachnikov

Pour les gens qui l’ont bien connu, le basculement vers le combat armé n’est pas totalement une surprise. « Son action, c’est une façon de pousser l’État à s’intéresser à la question peule. Je ne pense pas qu’ils mettront leurs menaces à exécution. Ils sait qu’au Mali, il y a une « prime à la kalachnikov », ajoute un proche. Selon eux, prendre les armes, comme les autres mouvements, c’est un moyen de  trouver des interlocuteurs. « C’est l’opportunité d’intégrer le processus de DDR (Désarmement, démobilisation et réintégration). Il veut aussi s’y engouffrer car c’est un gâteau dans lequel chacun pourra avoir une part », résume Bréma Dicko.

Oumar Aldjanna confiait en début d’année regretter que les Peuls ne soient pas associés à l’Accord de paix et aux patrouilles mixtes. Pour lui, cela aurait été l’occasion de réparer les injustices. En attendant, c’est dans la clandestinité et le combat armé qu’il semble vouloir agir, même si la communauté qu’il défend ne lui reconnaît pas cette légitimité, lui qui n’est pas totalement peul. Néanmoins, si son mouvement n’est pour l’instant qu’une braise, elle se trouve dans un environnement, le centre du Mali, hautement inflammable. « On risque d’assister à une guerre asymétrique, qui visera les sous-préfets, les gendarmes, les fonctionnaires. Si l’État s’assume, le problème peut être résolu, avec plus de justice. Il faut situer les responsabilités, que les bourreaux puissent reconnaître leurs torts et quand ils feront ça, les victimes pourront pardonner au fil du temps. Car, il y a beaucoup d’Oumar Aldjana aujourd’hui, qu’on ne voit pas, qui ne parlent pas, mais qui n’attendent qu’une occasion pour rendre cette situation explosive », conclut Bréma Ely Dicko.

Bankass : Peuls et sédentaires fument le calumet de la paix

Dans le cercle de Bankass, un forum intercommunautaire qui a eu lieu lundi 06 juin, a permis de dégeler le climat entre les différentes communautés.

Le forum intercommunautaire a réuni plus de 300 personnes à Bankass (cercle de Mopti), où depuis septembre 2015, les Peuls et les communautés Bobo, Dogon, Dafing et Samogo nourrissent des rnacoeurs les uns envers les autres. Avec en toile de fond un climat de suspicion sur les liens supposés entre les Peuls et les djihadistes. Selon Allaye Guindo, maire RPM de Bankass, tout a commencé l’année dernière lorsque les communautés sédentaires ont accusé les Peuls d’héberger les djihadistes se réclamant du Front de Libération du Macina (FLM) d’Amadou Kouffa, sur les collines où ils font le pâturage, notamment pendant l’hivernage. Il n’y a pas eu d’affrontements entre les différentes communautés, mais, si l’on en croit le maire, un chef de village, un gendarme et un garde ont été tués.

Cette année encore, l’hivernage approchant, les Bobo dans le cercle de Tominian, les Dafing et Samogo ont fait part de leur inquiétude de voir les peuls hébergés les djihadistes sur les collines. De leur côté, les Peuls opposent un démenti catégorique. La rencontre du lundi 06 juin, entre les différentes communautés, avec la présence du ministre de la Réconciliation nationale, Zahabi Ould Sidi Mohamed, de celui du Sport Housseyni Amion Guindo (originaire de Bankass) et du représentant du ministère de l’Administration territoriale, visait surtout à ramener la paix et dégeler le climat dans les communes. Les différentes communautés ont accepté de vivre ensemble, et de dénoncer tout ce qui est suspect. Il a aussi été décidé de la création d’un comité dans chaque commune dont le rôle sera de recueillir les informations reçues des populations, avant de les faire remonter aux maires, préfets et gouverneurs.

 

Conflits communautaire : 3 questions à Ibrahim Maïga, chercheur à l’institut ISS Africa

Quelle est votre lecture des conflits dans la région de Mopti ?

Le prisme ethniciste peut être une dimension de ces conflits, mais à mon avis on est face à de vieilles rancœurs qui, avec la criminalité, se sont accentuées au fur et à mesure des expropriations ou des changements climatiques. Ces conflits sont plus violents aujourd’hui car on est dans une situation post-2012, où on peut se procurer très facilement des armes.

Les djihadistes sont-ils aussi un facteur déclencheur ?

La venue du Front de libération du Macina a contribué à exacerber les tensions entre les deux les communautés. Ce groupe djihadiste a une notion particulière du foncier et estime que la terre appartient à Dieu, et que le bétail peut passer partout. Il n’y a plus d’expropriation, plus d’interdiction. Une partie des populations adhère à ce discours parce que le FLM leur rend justice.

Quel est le poids de ces mouvements dans la zone ?

Il est difficile de faire la différence entre les actes de banditisme, de vengeance et les actes terroristes parce que les trois se chevauchent. Un collègue chercheur sur ce sujet parle de « coup d’état social », c’est-à-dire des gens qui, dans un certain contexte sont marginalisés, pensent que c’est le moment de prendre leur revanche. Il est facile de dire que c’est un acte terroriste alors qu’il s’agit peut-être d’un conflit entre chefs de village, entre deux communautés, etc

Conflits communautaires : Terre, eau, djihadisme et déni de justice

Depuis 3 mois, la tension et la paranoïa ont envahi le cercle de Ténenkou opposant deux de ses principales communautés, les Peuls et les Bambaras, dans des conflits sanglants où les réflexes communautaires prennent le dessus, nourris par des rancunes anciennes. Les attaques qui succèdent aux représailles ont occasionné une trentaine de morts. Ces évènements tragiques ne sont pas inédits dans la région, mais la nouveauté réside dans leur proportion et leur degré de violence. Et cela a de quoi inquiéter.

Les médias se font faits écho de ces conflits sous l’angle ethnique. Pourtant, ces communautés vivent ensemble depuis des décennies. «  Il faut faire très attention en parlant de confrontation Peuls-Bambaras. Dans cette zone toute personne qui pratique l’agriculture est assimilée aux Bambaras. Dans les faits ils peuvent être Bozos, Dogons, ou Sénoufos, mais du moment qu’ils pratiquent l’agriculture, on les appelle Bambaras. Faire cette opposition, c’est voir ces évènements seulement d’un point de vue ethnique », explique Naffet Keïta, anthropologue. Dans la région de Mopti, ou la terre et l’eau sont des ressources précieuses, ces conflits souvent très meurtriers ont toujours eu lieu entre agriculteurs, éleveurs et pêcheurs. Il suffit parfois d’une victime pour qu’un conflit interpersonnel dégénère en conflit communautaire.

Un conflit ancien pour la terre et l’eau

Dans la région de Mopti, dont l’activité agricole, pastorale et piscicole est le moteur socio-économique, les tensions et les compétitions autour des ressources naturelles sont fréquentes. Le delta intérieur du fleuve Niger, qui fait vivre plus d’un million de personnes, est exploités tour à tour par les pêcheurs, les éleveurs et les agriculteurs pour en consommer et exporter les ressources. Des conflits pour la terre et l’eau peuvent subvenir si cette chaîne est enrayée par l’un des exploitants.

Dans ces zones, le droit coutumier s’oppose souvent au droit moderne, créant des désaccords qui peuvent se transformer en conflits violents. L’absence de lois écrites en la matière permet à certains de tourner le sens des coutumes, de les interpréter seulement dans le sens de leurs intérêts. Ces conflits naissent souvent entre le propriétaire d’une portion de terre (le dioro en langue peule) et son locataire (souvent éleveur) au sujet du paiement des redevances. « Pour chaque tête de bœuf qui rentre dans les pâturages, l’éleveur doit payer une somme au dioro. D’abord symbolique, cette redevance s’est instituée. Les prix peuvent fluctuer fortement », explique cet habitant de la commune de Dioura. Dépassement des limites d’un terrain, occupation non autorisée d’une parcelle, transformation d’un pâturage en champ, refus du droit de passage des animaux, dégâts des champs, revendication de propriétés coutumières, autant de conflits qui opposent éleveurs aux agriculteurs et qui viennent s’amasser en dossier dans les tribunaux. Le manque de justice, la corruption, ou les abus fréquents commis par les forces de sécurité souvent à la solde des dioros, ont cristallisé les rancœurs. « Sur le terrain, les communautés pensent que ce sont les représentants de l’État qui exacerbent les conflits. Un contentieux qui a éclaté depuis quelques années peut se retrouver toujours non traité au niveau du tribunal. Chaque année, les juges appellent les partis et chacun vient avec des millions pour pouvoir gagner. Donc ces conflits ne sont pas tranchés et sont une manne financière pour certains au niveau de la justice ou la gendarmerie. Mais les rancunes, elles, s’accumulent », explique Naffet Keïta.

Beaucoup, désabusés par l’administration et les forces de sécurité, face à l’injustice et aux abus, peuvent être séduits par les thèses islamistes. « Les djihadistes ne sont pas considérés comme des fous par tout le monde dans la région de Mopti. Les gens, de façon très informelle, vous disent qu’ils en connaissent, qu’ils disent la vérité. Ils passent en quelque sorte pour des apôtres d’une certaine justice sociale qu’ils basent sur l’Islam. Les gens qui sont en souffrance pensent dans ce cas qu’ils peuvent apporter une certaine réponse », explique Ibrahim Maïga, chercheur à l’institut ISS Africa.

Djihadistes, bandits et compagnie

Le mouvement djihadiste qui fait parler le plus de lui dans la région est le Front de libération du Macina (FLM) du prédicateur Amadou Kouffa, qui a obtenu une certaine audience nationale au moment où le Haut Conseil islamique s’était ligué contre le Code de la famille en 2009 et lors de la prise de Konna. Avec la création d’Ansar Dine, il a tissé des liens avec Iyad Ag Ghaly. Pour les services maliens, la menace des « gens du Macina » est à tempérer. « Ce n’est pas une katiba en tant que telle, ce sont des petits talibés qui vont au gré de leurs intérêts, ils ne sont pas structurés militairement contrairement aux autres katibas djihadistes ». La région où le FLM opère est fortement islamisée depuis le règne théocratique de Sékou Amadou, le fondateur de l’Empire du Macina. On y trouve nombre de médersas et d’écoles coraniques. Tous les évènements de la vie sociale sont liés aux préceptes religieux. Dans ce contexte, la volonté d’Amadou Kouffa d’imposer sa vision de la religion semble difficile, car son interprétation du Coran n’est pas plus légitime que celle de ceux qui habitent la zone. Mais leurs trafics d’armes contribuent à en accentuer la prolifération, « ce qui permet de donner plus de relief aux conflits intercommunautaires », ajoute Naffet Keïta.

Avec la crise de 2012, les activités génératrices de revenus ont diminué et nombre de gens se sont essayés au banditisme, profitant de l’absence des forces de sécurité. Conséquence, chaque village à son propre groupe d’autodéfense, organisé par les grandes familles locales. « Ce sont les jeunes d’une communauté qui se rassemblent de façon spontanée, pour la plupart des anciens mercenaires ou de la police islamique. À la fin de la guerre, ils sont revenus, n’ont pas été réinsérés, et se sont donc lancés dans la criminalité et le banditisme », explique le commandant Modibo Namane Traoré. Pour les services maliens, cette situation est jugée très préoccupante : « il faudrait les intégrer dans les forces armées, car ils sont sans travail et désœuvrés. Leurs cheptels ont été décimés ou sont morts de faim ou de soif, ils n’ont plus rien », ajoute une source membre des forces de sécurité.

Aujourd’hui, contrôler ces conflits intercommunautaires entre nomades et sédentaires  semble complexe, dans ces vastes zones ou l’absence d’État laisse libre cours aux règlements de comptes, au banditisme et au djihadisme.

Forum de la paix et de la réconciliation à Nampala

Pour tenter de mettre un terme à ces affrontements récurrents, une mission gouvernementale s’est rendue dans la région de Mopti et a pris contact avec les communautés concernées et les autorités locales. Après de nombreux échanges, elle a obtenu l’adhésion des communautés bambara et peule à la paix et la réconciliation. Sous l’initiative de la commune de Karéri, un forum se tiendra les 20 et 21 mai dans la ville de Nampala, dont 80 % des victimes peuls sont issues, pour sceller la paix. 400 personnes y sont attendues, dont le ministre de la Réconciliation nationale, et les autorités et élus locaux. La signature d’un accord entre l’État et les communautés, qui pourrait faire l’objet de sanctions s’il n’était pas respecté, est l’objectif visé. Le ministre de la Défense, Hubert Tiéman Coulibaly, a décidé l’envoi prochain d’un détachement de l’armée dans la zone, pour protéger les populations. Pour Naffet Keïta, le problème des conflits communautaires dans la région de Mopti ne pourra cependant pas être réglé complètement ainsi. « Ce problème aurait dû être réglé depuis la dernière conférence des bourgoutières (zones inondables – ndlr). On pouvait s’attendre à ces évènements. Tant qu’on ne videra pas les différents contentieux au niveau des tribunaux et au niveau des gendarmeries, ça repartira. Il faut que les cas soient jugés pour établir qui a raison et qui a tort et que l’État accompagne les différentes communautés dans la modernisation de leurs gestions de l’espace ressource ».