Économie numérique : Impulser la dynamique

Le Mali ne se développera pas sans les technologies de l’information et de la communication (TIC). C’est la conviction de nombreux acteurs et celle des autorités, qui semblent avoir pris la mesure de l’enjeu. Pourtant, malgré l’existence d’une politique nationale en la matière et une stratégie de mise en œuvre, le secteur peine à s’épanouir. Manque de vision claire ou mauvaise coordination des actions et des structures d’encadrement, les obstacles sont encore nombreux pour impulser une véritable économie numérique.

« Le Mali tarde à développer l’économie numérique par qu’il y a un problème de leadership et de vision. Les politiques n’ont pas les mêmes visions que les techniciens », affirme M. Hamed Salif Camara, directeur général de l’Agence des technologies de l’information et de la communication (AGETIC). En effet, ce serait plus un manque de convergence entre les techniciens, chargés  de mettre en œuvre la politique nationale des TIC ainsi que sa stratégie, jugées plutôt « bonnes », et les politiques qui expliquerait l’absence de mise en œuvre. Il importe donc de « repenser la stratégie », estime M. Camara.

Parmi ces changements stratégiques, la récente création d’un ministère de l’Économie numérique, associée à la prospective, est saluée comme une avancée. Parce qu’auparavant ce ministère, qui était lié à la communication, donnait plus de place à la « communication gouvernementale », relève M. Camara.

Pour développer le secteur économique autour du développement des outils technologiques, il faut prendre un certain nombre de mesures, parmi lesquelles celle qui consiste à assurer davantage la connectivité du Mali, le développement des infrastructures de communication et la dématérialisation de certaines tâches, ce qui pourrait apporter des recettes supplémentaires au pays, assure le responsable de l’AGETIC.

Changer de dynamique

Si le secteur a besoin d’une dynamique nouvelle, il est réel que « de plus en plus d’entrepreneurs se lancent dans ce domaine », constate M. Mohamed Kéïta, directeur de l’incubateur Impact Hub. Une dynamique enclenchée depuis quelques années qui n’occulte pas cependant les difficultés, au nombre desquelles les questions de financement et les ressources humaines. Parce que développer un projet dans le numérique nécessite des compétences qui ne sont pas toujours disponibles au Mali, déplore M. Keïta. Parmi les profils recherchés, il y a notamment les développeurs, pour développer des applications et concevoir les sites internet, entre autres. Ce facteur indispensable constitue « un gros blocage, même plus que le financement », ajoute M. Keïta.

Cet engouement pour le numérique se fait aussi souvent, malheureusement, au détriment des besoins réels du marché. En effet, certains entrepreneurs se lancent et  développent des solutions « dont personne ne veut », déplore M. Keïta. Sur le plan institutionnel, si la création du ministère de l’Économie numérique et d’une direction dédiée constitue un début, sur le plan des initiatives les entrepreneurs « restent sur leur faim », note M. Keïta.

Cette absence d’impact résulte, selon les acteurs, d’un manque de coordination et même d’une confusion des rôles entre les différentes structures de l’administration.  Créées par l’État lui-même, elles « se chevauchent et marchent les unes sur les autres, ce qui crée une cacophonie énorme en matière de développement des technologies, de services à l’administration et de services aux usagers », regrette le directeur général de l’AGETIC.

 Cette « structure mère en matière de technologies », qui a succédé en 2005 à la Mission pour les nouvelles technologies de la communication, a bénéficié des réalisations de cette mission, ajoute M. Camara de l’AGETIC. Cependant, l’un des projets-phares de cet ancêtre n’a pu encore être traduit en réalité.

C’est ainsi qu’en 2000 « les autorités ont lancé un projet de connexion des 703 communes du Mali. De 2000 à maintenant, les ressources n’ont pas suivi, les moyens n’ont pas été mis en place, la stratégie de connectivité n’a pas été développée, le renforcement des capacités n’a pas été fait et le recrutement conséquent non plus ». Ainsi, cette vision assez révolutionnaire n’a donc pu être mise en œuvre faute de moyens.

Car il ne sert à rien d’avoir « une multitude d’acteurs de la même administration avec des missions similaires et des projets similaires pour les mêmes populations », déplore le responsable de l’AGETIC. Les ressources de l’État sont donc gaspillées et le manque de coordination persiste. Ce qu’il faudrait, c’est une « vision d’ensemble », afin que les structures soient complémentaires. Enfin, comme dans tous les secteurs, en matière de développement les actions doivent s’inscrire dans la durée et se réaliser selon un long processus, qui dépasse celui de l’action politique.

Des actions sur la durée

Le Mali pourrait se passer rapidement de l’aide budgétaire s’il développait l’économie numérique, affirment les spécialistes. Le développement des outils technologiques peut permettre de recouvrer le maximum de ressources, de lutter efficacement  contre la corruption et de créer la transparence et la traçabilité des processus.

Si l’on regarde ce qui est vraiment possible, l’État malien peut aller beaucoup plus loin que cela. Encore faut-il faire du numérique une priorité absolue, d’autant que ce domaine est transversal. Parler du numérique, c’est parler simplement de développement. Toutes les technologies du « futur » ont une application dans chaque domaine de la société, comme la santé, les transports ou l’économie tout court. L’une des pistes à explorer par les autorités passe par la fiscalité des entreprises du numérique, auxquelles les gouvernants doivent accorder une attention particulière. En plus de ces actions, les dirigeants doivent soutenir « la formation de talents » et investir dans la recherche et le développement afin que le Mali puisse promouvoir ses innovations et déposer des brevets pour être en pointe. Les ressources humaines de qualité, le cadre réglementaire et le financement sont donc les leviers sur lesquels doivent s’appuyer les autorités pour booster le secteur.

Un secteur privé crucial

L’État doit mettre en place les conditions nécessaires à l’épanouissement du secteur privé, mais c’est ce dernier, véritable créateur de richesses, qui doit s’investir le plus possible. Regrettant que la plupart des projets soient gérés par des sociétés étrangères, le directeur général de l’AGETIC estime que le secteur devrait être mieux organisé. « Les jeunes entreprises doivent se mettre ensemble. Alors seulement elles offriront de meilleurs services ».

Le rôle de satisfaction des besoins du marché qui incombe au secteur privé peut être accompli à travers l’utilisation par « les grandes structures de ces technologies ». Ces grandes entreprises doivent donc collaborer avec les start-up qui développent les solutions innovantes afin de mettre en œuvre « la co-création », ajoute M. Keïta, le responsable d’Impact Hub.

Les types de collaborations que permet la technologie peuvent par exemple permettre à des institutions bancaires, à travers une réflexion avec des start-up, d’étendre leurs activités sur des parties du territoire où elles ne disposent pas de représentations physiques. Cette digitalisation des services favorisera ainsi l’inclusion financière et contribuera à la sécurité des transactions.

Dans le même sens, ces offres innovantes peuvent permettre d’accroître la transparence dans certaines actions publiques, comme par exemple les subventions. La technologie blokchain est à cet effet la solution idéale pour que les vrais bénéficiaires des subventions reçoivent de façon effective la quantité qui leur est destinée. Un gage de fiabilité, qui rend ce genre de circuit infalsifiable, en garantit la transparence et évite les détournements, fréquents dans ce domaine. Il faut donc encourager cette forme de collaboration avec les grandes structures et les organisations de développement.

Malgré les défis, les perspectives sont bonnes dans le secteur des technologies, qui se développe, estiment les acteurs. Mais les  efforts  pour rendre  plus accessible la technologie internet doivent se poursuivre, notamment au niveau de la desserte et des coûts. Ce qui aboutira à un meilleur ancrage de l’utilisation de ces technologies par le plus rand nombre.

Le numérique est un outil indispensable pour que les missions régaliennes de l’État soient menées à bien, assurent ses acteurs. « La dynamique va se poursuivre, mais il faut l’accompagner », conclut M. Keïta.

L’AGETIC forme des agents du G5 Sahel

19 agents du G5 Sahel ont bénéficié d’une formation en informatique délivrée par l’AGETIC pour leur permettre de mieux communiquer avec leurs voisins. Objectif,  optimiser la communication pour mieux coordonner leurs actions des différents pays dans la lutte contre le terrorisme.

La Force Conjointe du G5 Sahel prend corps. Après l’inauguration du quartier général de la force par le président IBK à Sévaré, 19 militaires maliens ont bouler en fin de semaine dernière une formation spécialisée sur les outils de transmission pour la force sahélienne. Outiller ces militaires pour qu’ils puissent mieux communiquer avec leur homologues des autres pays de la force, et ainsi permettre une meilleure coordination dans la lutte contre le terrorisme, tel était le principal objectif de cette formation qui s’est déroulée en deux volets. « Nous avons d’abord initié ces militaires à l’informatique de base lors du premier volet, avec traitement de texte, après nous avons effectué un test, à la suite de laquelle neuf agents ont été retenus, et ils ont bénéficié d’une formation plus pointue » explique Massa Souleymane Sidibé, responsable en charge de la formation des agents de transmission du G5 Sahel.

Les militaires formés ont assuré par la voix de leur porte-parole que cette formation leur sera d’une inestimable aide dans la lutte contre les djihadistes. « Cela nous servira grandement pour nos missions futures » assure Sissoko Makan.

« Nous avons été contacté par le Général Didier Dacko, pour installer des équipements automatiques, nos ingénieurs ont donc mis en place un réseau sécurisé, ces installations sont couronnées par une formation de certains éléments. D’abord dans l’utilisation de ces outils et aussi dans la maintenance », détaille Hamed Salif Camara, Directeur général de l’AGETIC.

 

AGETIC, la formation pour leitmotiv

Depuis le début de l’année 2017, l’Agence des technologies et l’information et de la communication (AGETIC) a entrepris un grand chantier de renforcement des capacités, d’abord de ses agents, puis de tous les acteurs des TIC des structures étatiques et parapubliques, faisant de la formation un axe fort de ses missions.

« Nous avons fait des formations sur la conception d’application, de design de sites web, etc… Puis, avec la création il y a peu du département de cybersécurité, nous avons entrepris de renforcer les ingénieurs et les administrateurs réseaux avec une formation dispensée par un expert français et qui a été ouverte au public », explique Hamed Salif Camara, directeur général de l’AGETIC. Une occasion qui a permis aux initiateurs de se rendre compte de l’existence d’une demande assez importante de formation, les ingénieurs qualifiés de la place éprouvant le besoin de s’adapter aux évolutions de leur secteur.

D’autres modules sont prévus et dans le cadre d’un partenariat avec un prestataire local, l’AGETIC va former son personnel afin d’avoir à l’interne des développeurs et de se doter de ressources humaines compétentes pour développer des logiciels, faire des sites web ou travailler sur la cybersécurité. Depuis le début de l’année, plusieurs centaines d’agents de l’État ont été formés à l’utilisation des produits que l’AGETIC est désormais en mesure de proposer, tels qu’une application de gestion de courrier qui est en cours d’implémentation.

La question de la sécurité est également un axe central dans la politique de formation de la structure. « Nous venons de terminer une session avec les agents des ministères pour leur apprendre les bons réflexes sur, par exemple, quelle attitude adopter quand on se rend compte qu’on est victime d’une attaque informatique pour éviter de contaminer les autres personnes qui sont dans le même réseau », conclut Hamed Salif Camara.

 

3 questions à Hamed Salif Camara, Directeur général de l’AGETIC

En tant que nouveau directeur de l’AGETIC, quelles sont vos priorités? 

Il faut renforcer les capacités d’intervention de l’AGETIC tant sur le plan organisationnel que fonctionnel. La priorité est la modernisation de l’administration malienne et pour ce faire, il nous faut concevoir d’abord la cartographie de Bamako appelée « Base Map » qui sera mutualisée entre l’ensemble des acteurs de l’administration et du secteur public. Ensuite, il s’agira de l’étendre à l’ensemble du territoire afin d’atteindre progressivement la mise en place du concept de « Smart City » en droite ligne avec le Plan Mali Numérique 2020.

Plusieurs projets sont en cours dont la fameuse fibre optique. Où en est-on ?

Les travaux sont terminés et une réception provisoire avec quelques réserves a été prononcée le 10 juin 2015. Un important volet de formation a été effectué en local en mars 2015 puis en Chine en juillet 2015. Elle a concerné douze d’agents dont cinq de l’AGETIC. Ces réalisations ont contribué à améliorer l’efficacité et la modernité de l’administration par des échanges d’informations sur un support de transmission fibre optique.

Quelles sont les perspectives dans la promotion des TIC au Mali ?

Elles ont pour noms, investissement soutenu, formation appropriée en ressources humaines et capacité à les maintenir dans l’administration, construction du siège de l’AGETIC et mise en œuvre de Mali Numérique 2020 après adoption par le Gouvernement. De grands chantiers nous attendent à court, moyen et long termes.