Ce que les Maliens retiennent de 2018

À quelques heures de la fin d’année, les Maliens confient au Journal du Mali ce qu’ils ont retenus de 2018.

Abbé Thimotée Diallo, curé de la Paroisse de Badalougou

 


Le pays a été profondément marqué par les élections. Avant, pendant et après. J’ai assisté à beaucoup de rencontres, au niveau de la société civile. J’ai reçu beaucoup de personnalités, de la société civile, des partis, pour présenter leurs projets ou avoir des bénédictions. Avant les élections, c’était la grande peur. On se demandait si elles allaient avoir lieu. Mais Dieu merci les choses se sont passées relativement bien. On ne s’attendait pas à ce que cela se passe comme ça. Beaucoup de gens étaient pessimistes. Avant les élections, c’était la grande peur. L’après élection, on y est encore avec l’opposition qui ne reconnaît pas le régime. Mais plusieurs associations et personnes, ainsi que les leaders religieux s’investissent pour la paix.


Komba Koné, sage-femme

2018 a été une année très difficile. Sur le plan financier d’abord. En tant que salariée, nous n’avons rien pu économiser. Personnellement, j’ai consommé mon salaire jusqu’au dernier sou. Impossible de compter sur quelqu’un d’autre. Si ton voisin vit la même situation que toi, comment lui demander quoi que ce soit? Les produits sont devenus de plus en plus chers, avec chaque jour des augmentations. Le riz, les condiments tout est cher. Si vous êtes mère de famille, vous comprenez aisément ce que cela représente. Aussi, sur le plan sécuritaire, la situation n’a cessé de se dégrader. Difficile même d’avoir une once de sérénité.
Du coup pour 2019, j’espère que le pays sera plus apaisé. Que les autorités pensent aux travailleurs et les payent convenablement. Parce que pour lutter efficacement contre la corruption, il faut revaloriser la situation salariale des travailleurs. Nous sommes submergés de travail, mais nous gagnons très peu, comparativement aux homologues de la sous-région. Il faut penser aux travailleurs.


Koniba Samaké, Juriste


Je dirais que l’évènement qui m’a beaucoup marqué au cours de l’année 2018, c’est la situation des étudiants, particulièrement ceux de la faculté de droit privé. Cette année au cours même des examens, il y a eu des affrontements entre les membres de l’AEEM, ce qui a impacté la qualité des examens. Les étudiants étaient déjà dans la salle en train de traiter les sujets quand les affrontements ont éclaté. Certains étaient paniqués au point où ils n’ont pas pu terminer ou traiter efficacement les sujets. Cela est très triste pour le pays, surtout quand on sait que l’avenir repose sur la jeunesse. C’est vraiment une situation qui m’a beaucoup touchée.
L’évènement positif que je retiens est le don d’ordinateurs que l’État a fait aux étudiants. J’ai une amie qui était vraiment dans le besoin et elle en a bénéficié parce que son nom figurait parmi les récipiendaires. Même si l’université malienne est souvent taxée d’ « inutile », c’est une preuve que la compétence paye quand on est sérieuse.

Maitre Amadou Tiéoulé Diarra, Avocat

 


Ce qui m’a surtout marqué en 2018 c’est qu’il y a eu une recrudescence des tueries à l’endroit des forces armées, mais la conviction chez eux d’un idéal de défense de la patrie est restée malgré tout. Si nous voyons le nombre de soldats mort dans la défense de la patrie publié par l’ONU et la Minusma, cela pouvait donner lieu à une défection. Mais au lieu de cela, les forces armées se sont convaincu que seule la défense de la patrie peut sortir le Mali de cette situation malgré les distorsions entre la classe politique. Cela est à saluer. Il y a une explication à cela. Est-ce que c’est parce que nos forces armées ont été bien équipées qu’ils n’ont pas peur d’affronter les ennemis ou c’est la conviction de la défense du territoire national ? Je pense que les deux réponses sont liées parce que les équipements font l’armée et évidemment les forces armées ont une conviction de défense des frontières du pays.
En dehors de cela, l’autre évènement, c’est la grève de la magistrature pendant deux mois et 15 jours où ceux qui sont censés rendre la justice au nom de l’Etat et pour les citoyens ont cessé de travailler. Beaucoup de citoyens qui attendaient les réponses judiciaires à leurs plaintes et à leurs préoccupations sont restés pendant deux mois et demi dans cette situation, ce qui a aggravé leur situation sociale, leur situation pécuniaire, et même leur situation d’individu tout court, étant créancier des droits de l’homme.
Il y a aussi un autre aspect que nous devons ajouter. C’est celle de la quête du pouvoir entre la majorité et l’opposition qui a émaillé pratiquement le deuxième semestre de l’année. Ce qui fait qu’en dernière instance, on constate qu’il n’y a pas de contribution majeure pour l’édification du pays en dehors du pouvoir. Nous aurions souhaité voir la question de la paix et de la sécurité au Mali réunir tous les partis même quand on n’est pas au pouvoir. Malheureusement, cette question de la paix ou de la reconstruction même du Mali se pose aujourd’hui en termes de quête du pouvoir. C’est ça un peu le drame.

Ibrahima khalil ben Mamata toure, Juriste-fiscaliste

Ce que je retiens de façon générale de cette année 2018, c’est le blocage de notre pays à travers plusieurs événements. L’insécurité avec son cortège de morts un peu partout et principalement au centre et au nord du Mali qui sont de véritables bourbiers. Pis, la crise du centre prend des connotations ethno-communautaire ce qui est dangereux pour une République. En second lieu, l’organisation d’une élection présidentielle bâclée avec une fraude généralisée et un bourrage des urnes qui ramollissent considérablement la démocratie.

Les résultats issus de cette élection ont creusé un grand fossé politique avec des contestations suivies de répression violente et d’arrestation extrajudiciaire notamment des enlèvements d’opposants.

Les nombreuses grèves, celles des magistrats, des enseignants, des cheminots…
L’absence de dialogue et l’indifférence du Président de la République à prendre à bras le corps les problèmes du pays,ce qui m a terriblement marqué pendant que des tensions naissaient, je n’ai pas senti le leadership du Président a parler avec son peuple pour l’apaisement.

Nouhoun Cissé, Spécialiste en Développement durable

 

2018 fût une année de plusieurs maux au Mali et pratiquement sur tous les plans.
Sur le plan sécuritaire, les attaques et enlèvements ne cessent de croître que ça soit en milieu rural ou urbain.
Le conflit intercommunautaire qui se passe au centre a fait oublié celui de la rébellion ou du djihadisme séparatiste du Nord. Les populations locales sont laissées à leur sort sans soutien aucun. Elles ne savent même plus en qui faire confiance.
Sur le plan économique, rien ne va plus, seul en milieu urbain, les gens s’accrochent un peu avec les activités commerciales, chose qui rapporte peu de nos jours avec la cherté de la vie. En milieu rural avec la multiplication d’attaques et braquages, les forains se réservent de toutes activités. Ils se font dépouiller de tout ce qu’ils ont comme ressources et ne peuvent plus financer leurs propres activités.
Sur le plan politique, le gouvernement a montré ses limites. Des grévistes à tous les niveaux que ça soit le secteur public ou privé. Les questions que je me pose sont les suivantes : Qui a réellement réélu IBK ? Sur quel bilan ?
À peine réélu, les problèmes surgissent de tous les côtés, tout le monde veut aller en grève.
Partant de cette analyse, est ce que c’est le peuple qui a réellement réélu le président et pour quelle fin ?
Par rapport à l’opposition, ils me font rire pour ne pas dire pleurer, je les trouve aussi incapables que le gouvernement. Ils sont opposants d’intérêt personnel et non d’intérêt public. Ils ne savent que dénigrer et semer la terreur, mais jamais la solution aux problèmes. Je suis déçu de leur chef de file, selon l’histoire de 100 millions qu’il aurait donné à un arnaqueur pour que lui et sa bande puissent voter pour lui, je me réserve du titre chef de religieux ou guide islamique pour ces genres d’opportuniste. Niafunké que je connais bien dont il est l’élu, ces 100 millions pouvaient apporter beaucoup dans le cadre du développement. Ils sont combien qui n’ont pas encore de l’eau potable ni de soin dans ledit cercle ?
Que des jeux d’intérêts au Mali et le pire, c’est l’entrée de soi-disant musulmans dans ce jeu.

 

Alhamdou Ag Illyene : ancien ambassadeur du Mali au Niger

 


Il y a une seule chose qui m’a marquée au Mali cette année : c’est la résilience du peuple malien face aux difficultés. Parce que, ce que n’est pas tout le monde qui peut vivre ce que nous avons vécu et être encore là. Tous ces morts, toutes ces attaques sont des difficultés et malgré cela nous sommes restés un peuple résilient. J’espère que cette capacité de résilience va nous permettre de sortir de la crise, parce que quand vous subissez des chocs et que vous arrivez à les surmonter, c’est que que après vous pouvez les résoudre.

An III de l’Accord pour la paix : L’opinion de quelques Maliens

A l’occasion des trois ans de la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, quelques Maliens se prononcent sur sa viabilité. Nombre d’entre eux sont très critiques envers ce texte, qui devait ramener la quiétude.

El Hadj Bamoussa Touré, coordinateur des chefs de quartier de Bamako : « On ne peut pas mettre un peuple d’accord s’il n’en a pas la ferme volonté »

L’Accord est une œuvre humaine et donc ses insuffisances. Mais elles sont tellement minimes qu’elles ne doivent pas nous empêcher de le réaliser dans l’intérêt supérieur de la Nation. Il nous revient de nous faire violence pour nous l’approprier, l’appliquer et réunir les conditions pour qu’il devienne réalité. C’est aux Maliens qu’il revient de lui donner son vrai contenu, la volonté de réussir la réconciliation nationale. On ne peut pas mettre un peuple d’accord s’il n’en a pas la ferme volonté.

Mohamed Ould Mahmoud, porte-parole de la CMA : « La déception est grande par rapport à la mise en œuvre »

C’est le seul accord qui nous lie au Mali. Il y a des engagements, sur les plans politique, sécuritaire, économique et même culturel. Il y a des problèmes dans la mise en œuvre. Le contexte aussi a changé, au centre et dans les attentes par rapport à l’Azawad. Il faut le réactualiser et l’adapter, mais il reste valable. L’instabilité du gouvernement ne nous a pas permis d’avancer. L’Accord souffre dans sa dimension politique. On devrait avoir au moins la régionalisation, qui consacre l’autonomie de gestion et la responsabilisation des populations locales. La déception est grande par rapport à la mise en œuvre.

Bocary Tamboura, animateur : « Chacun s’occupe de ses affaires et attend que tout soit résolu »

La situation que nous vivons prouve que l’Accord n’a pas été mis en œuvre. S’il avait été respecté et que les groupes armés avaient été désarmés, ce qui se passe au centre du pays ne serait pas arrivé. Ceux auxquels on avait promis l’intégration sont laissés pour compte. Au centre, on profite des ambiguïtés pour agir. Il y a une grande déception. L’accord sera valable si les parties prenantes accélèrent sa mise en œuvre. Chacun s’occupe de ses affaires et attend que tout soit résolu. Ceux qui sont en haut, dans de bonnes conditions, ne savent pas comment les gens souffrent ici. Ils n’ont pas le souci de la population.

Fatoumata Aliou Maiga, étudiante : « Chaque jour, des personnes sont tuées au nord »

Cet accord n’est qu’un papier. Il n’y a pas eu d’avancée. Chaque jour, des personnes sont  tuées au nord. Les choses ont empiré. Ceux qui sont au gouvernement sont complices de ceux qui font des bêtises sur le terrain. Quand on arrête des bandits, trois jours après ils sont relâchés. A mon avis, rien de ce qui devait être appliqué ne l’est. Les populations n’y croient plus. Le pays est en guerre. Les gens qui ont signé l’Accord savent qu’il est inapplicable. La division est toujours présente dans leur esprit.

Mohamed Touré, chômeur : « Il faut organiser des assises nationales souveraines »

Trois ans après, les lignes n’ont pas bougé. On ne peut pas dire que l’Accord est valable. On s’attendait à quelque chose de positif. Vous avez entendu parler des attaques à Tombouctou ? C’est comme cela presque chaque jour. Il n’y a eu ni cantonnement, ni démobilisation, ni réinsertion. Il faut que cet Accord avance, parce que nous attendons les  dividendes de cette paix. Il faut organiser des assises nationales souveraines, aller dans les villages, parler aux gens. Ensuite la paix pourra revenir. Les conférences et ateliers à Bamako ne vont rien amener. Le fait même de consulter les gens, comme vous, rares sont ceux qui le font.

Arouna Samaké, enseignant : « J’ai l’impression qu’il n’y a jamais eu d’Accord »
3 ans après, il reste beaucoup de choses à faire. Il n’y a pas de bilan concret. Tout dernièrement, une infime partie de l’Armée a fait son entrée à Kidal, dans le cadre du MOC, qui est purement politique. Je suis optimiste, mais il y a toujours des problèmes. La position de la France est ambiguë, elle joue un double jeu. On devrait prioriser la mise en œuvre du DDR, incontournable pour la réussite. Jusqu’à présent, j’ai l’impression qu’il n’y a jamais eu d’accord entre le gouvernement et les ex-combattants. Il est vraiment temps que le gouvernement cesse de badiner avec les sentiments du peuple.

Ce que les Maliens retiennent de 2017

À quelques heures de la fin d’année, les Maliens confient au Journal du Mali ce qu’ils ont retenus de 2017.

Bakary Sanogo, étudiant à l’ENSUP

L’année 2017 est la veille d’une année électorale. J’espérais un bon signal de la part de nos autorités. Malheureusement, on a assisté au retour d’ATT en héros, alors même qu’à son départ, il n’y avait personne. Les Maliens avaient manifesté plusieurs fois pour réclamer son départ. Son retour signifie que ceux qui étaient au pouvoir sont avec ceux qui y sont actuellement. Je ne sais pas s’il s’agit d’un accord entre ces acteurs ou s’il s’agit d’une récupération de ceux qui sont au pouvoir de se maintenir. Concernant la réconciliation, j’estime que si le but du retour d’ATT est de favoriser la réconciliation, les militaires détenus doivent aussi être libérés, pour qu’elle soit effective. Sur le plan économique, l’effritement du pouvoir d’achat a atteint un sommet surtout en fin d’année. Aussi, je ne fais pas une bonne lecture de l’augmentation du budget. Je ne sais pas à quoi cela va servir. Globalement, je suis déçu de cette année. On espérait un changement vers un Malien de type nouveau, mais rien n’a changé, à commencer par les dirigeants. On ne voit pas une vision pour le changement. 

Mariam Diallo, jeune diplômée sans emploi

Les jeunes n’ont pas toujours de boulot, il y a peu d’usines dans le pays et les sociétés industrielles sont le socle du développement d’un pays. Seul le recrutement au sein de l’armée a été bénéfique pour les jeunes, car c’est le secteur qui en a recruté le plus. Sur le plan politique, nous constatons que des chevauchements, certains leaders changent de partis ou de positions. Il y a eu peu d’investissements. Jusqu’à présent, la crise continue. Il faut que l’État essaye une politique d’année sans grève, afin que les futurs cadres puissent être bien formés.

Sanogo, Directeur adjoint du Carrefour des Jeunes

Économiquement, l’année 2017 a été très dure. Mais, on dit que c’est dans la difficulté que l’on apprend. Pour moi, cela doit servir à ce que les gens changent de façon de gérer. Il y a eu des difficultés dans le domaine de l’emploi. Le déguerpissement de certaines personnes, installées au vu et au su de tout le monde a entraîné des conséquences désastreuses pour certaines familles et augmenté le chômage. 

Sur le plan sécuritaire, 2017 a été une année d’insécurité par excellence. Le pays s’est embrasé jusqu’au centre. On peut dire qu’au moins trois quarts du pays est dans une zone d’insécurité. Dans ces conditions, tenir des élections dans un pays où la moitié n’est pas contrôlable, c’est un vrai problème. Socialement, personne n’est à l’abri. La base de tout cela, c’est l’insécurité, sans sécurité rien n’est possible. Sur le plan politique, nous assistons à un chamboulement. Mais en fait, il s’agit d’un changement de position des mêmes personnes. C’est aux Maliens de comprendre qu’il ne faut plus faire confiance à ceux qui ne cessent de mentir tout le temps et qui ne font que changer de camp. 2017 a été dure, mais c’est une année où il y a eu beaucoup de mouvements, les gens se sont exprimé, il faut maintenant en tirer les leçons. Désormais, les dirigeants doivent comprendre que c’est au peuple de décider. Que le peuple soit édifié, bien informé afin qu’il se prononce.

Koniba Samaké, étudiante en Master 2 socio-anthropologie 

Durant cette année 2017, les choses se dégradaient de jour en jour. Il existe toujours des actions atroces à travers le pays. Beaucoup de familles restent inconsolables à cause de cette situation sécuritaire. Les gens espéraient que tout allait changer, mais jusque-là, nous avons l’impression que rien n’a changé. Il faut reconnaître que notre pays traverse une crise sans précédent connu sur le plan international que national. Malgré, les efforts de réconciliation, nous sommes toujours vers le dynamisme d’aller vers la paix. Les gens ont toujours de la peur au ventre. Nous sommes dans un pays où chacun essaye de fuir devant sa responsabilité et chacun accuse l’autre. Sur le plan international, la situation est vraiment inquiétante. Il faudrait que les puissances arrivent à mettre en place des règles ou mesures, afin de se respecter les uns et les autres. Nous espérons que l’année 2018 sera une meilleure année que 2017.

Cheick Tidiane Doucouré, informaticien 

L’incompétence du gouvernement dans la gestion du Mali. Son incapacité à gérer les nombreux problèmes sociaux que nous avons  connus cette année.  L’attente placée par les Maliens envers le Président IBK n’a pas été comblé. Aussi bien dans le domaine du sport, de la santé et surtout de l’éducation, le très récent meurtre d’un étudiant à la Faculté l’atteste, tout ceci fait partie de cette incapacité. La confiance que nous lui avons accordée est désormais rompue.

Migrants rapatriés de Libye : retour à la case départ

Face à l’horreur des pratiques obscures en Libye, l’État malien a décidé de rapatrier certains de ses enfants, sur la base du volontariat. Le 24 novembre, 124 migrants, sur les 170 initialement attendus, ont pu de nouveau fouler le sol de leur patrie. Comment sont-ils pris en charge ? Quel sort leur est réservé dans leur pays, qu’avaient pourtant fui pour des lendemains supposés « meilleurs » ? Mais surtout, que reste-t-il de ces personnes brisées ?

17 h 50. Pile à l’heure, l’avion s’est enfin posé sur le tarmac de l’aéroport Modibo Keïta. Des jeunes hommes dont la moyenne d’âge tourne autour de 25 ans, visage fatigué et même camouflé pour certains, démarche mollassonne, regards dans le vide, telles sont les premières images de ceux qui reviennent « bredouilles » au pays. Tous vêtus de la même manière : survêtement bleu marine ou gris.

Ils sont accueillis par des membres du gouvernement, des représentants de l’Organisation Internationale pour les migrations (OIM) et la Protection civile. Malgré la fatigue, certaines langues se délient timidement. « Les conditions étaient très difficiles, vendre des personnes comme des poulets, on voit cela en Libye maintenant. Grâce à Dieu, je n’ai pas connu cette situation. J’ai eu beaucoup de chance, car on était susceptibles d’être vendus partout », nous confie l’un des hommes. Interpellé par un agent de la Protection civile, il part rejoindre le reste du groupe, déjà à bord des cars affrétés en direction de Sogoniko. D’autres ressortissants maliens avaient auparavant pu rentrer volontairement par un vol opéré par les autorités nationales et l’OIM, notamment.

De la prison au camp de réfugiés

A la base de la Protection civile, c’est en file indienne que nous retrouvons ces jeunes hommes. Des médecins et des infirmiers sont là pour les ausculter et leur poser des questions. « Il ne faut pas prendre uniquement en compte les maladies somatique, c’est-à-dire, physiques. Nous avons détecté des infections, des maladies de la peau, des lésions cutanées d’origine traumatique, des infections respiratoires et des infections urinaires qui seront prises en charge ici ou dans les centres de santé », explique Sidiki Togo, Médecin – Commandant de la sous-direction Santé et secours médical de la Direction générale de la Protection civile.

Les arrivants sont ensuite invités à se diriger vers la cour extérieure, où il est procédé à leur identification.  Pour les migrants originaires d’autres localités que Bamako, des lits sont mis à disposition dans les dortoirs. Harouna se confie : « c’est le destin. Je ne m’attendais pas à ça », dit-il, encore secoué par les événements. Des amis du jeune homme de 19 ans l’avaient pourtant rassuré avant son périple. Eux sont en Algérie, où tout se passe bien, d’après Harouna. « Quand nous avons quitté le Mali, à la frontière algérienne cela n’a pas du tout été facile. Nous voulions même repartir, mais comme on nous avait aidés pour le financement du voyage, nous nous devions de continuer ».

Après quelques jours en Algérie, le calvaire atteint son paroxysme en Libye. « Ils nous ont lancé sur l’eau, mais le bateau était percé. La mort nous faisait face. On était 150 au départ, mais il y a  eu des morts. Les Asma Boys [les gangs de Tripoli qui s’en prennent aux Sub-sahariens : NDLR]  » sont venu nous prendre et nous jeter en prison, en nous demandant de l’argent pour sortir. Nous n’en avions pas. Chaque jour, on mettait du courant sur nous, on nous frappait. On nous donnait un pain tous les jours à 16 h, avant de nous dire d’appeler nos familles. Quand appelais plus de 30 secondes, on te frappait pour que ta famille t’entende. Nous sommes restés quelques mois à Sabratha, une ville au bord de l’eau. La police et l’OIM sont venus casser la prison et nous libérer, avant de nous amener dans un camp de réfugiés. J’y suis resté presque deux mois », explique le rescapé. Malgré le récit de ce calvaire, sa joie est manifeste : « aujourd’hui, pour moi, c’est une fête, parce que je suis rentré ».

Issa, un rêve brisé

En attendant de prendre place dans les dortoirs ou de voir leur famille venir les chercher, ces hommes ne se laissent pas abattre. En dépit de la fatigue, de la peur et de l’échec, car leur projet de vie n’a pas pu aboutir, leur foi est intacte. Certains font leur prière à même le sol, faute de tapis. Parmi les plus jeunes, nous discutons avec Issa, 15 ans seulement. Son rêve était de devenir footballeur dans un club européen. « Mes parents m’ont motivé pour partir, parce que je savais jouer au foot. Mon grand frère m’a donné l’argent », dit-il. Son rêve est brisé et sa voix tremblante. Quand l’adolescent se replonge dans ses souvenirs macabres, l’émotion est palpable. « Mon voyage s’est très mal passé. On m’a mis dans le coffre d’une voiture, enfermé, ligoté, avec un grillage et des bâches très sales sur moi. On vous attache à deux ou trois personnes. Dans le désert, les bandits vous agressent et prennent votre argent, quand ils ne vous tuent pas. Il y a beaucoup de morts. On ne peut pas tout dire, wallaye ! ». Deux mois après son arrivée, Issa s’est retrouvé derrière les barreaux pendant six mois. Son message aux potentiels candidats à l’immigration irrégulière est sans appel : «  Même à mon pire ennemi je ne conseillerais pas d’emprunter cette route-là. Je ne veux plus y aller. La Libye, c’est l’enfer. Si vous avez du talent, il faut travailler dans votre pays. C’est Dieu qui donne l’argent. Quand tu marches dans le désert, ce sont des corps couchés que tu enjambes. C’est n’est pas facile », conclut Issa, avant qu’un agent de l’OIM ne l’escorte, car il est trop affaibli pour tenir sur ses deux jambes.

Des « frères » comme bourreaux

Le plus âgé des migrants a bien voulu faire part de son expérience au Journal du Mali. Yaya, 36 ans, éprouve beaucoup d’amertume face aux bourreaux qui règnent en maîtres dans les prisons libyennes. « On a tendance à indexer, à tort, les Arabes pour les exactions commises à l’encontre des Noirs. Ce sont plutôt les Noirs qui se maltraitent entre eux. Ce sont eux qui font les prisons et ce sont eux qui torturent », déplore ce Malien. En maltraitant leurs propres « frères », ces bourreaux espèrent sauver leur peau. « Il est même promis au tortionnaire qui arrivera à obtenir le plus de rançons, un voyage tout frais payé vers l’Italie. Ils ont trois mois pour cela et ils s’en donnent à cœur joie ». Yaya poursuit : « il y a une histoire qui m’a particulièrement marqué. Celle d’un jeune plein d’entrain, toujours le bon mot pour mettre l’ambiance. Il s’est fait égorger et éventrer et ce sont des Noirs qui ont fait ça ».

Une nouvelle semaine vient de commencer à Bamako et la vie reprend son cours dans une famille de Daoudabougou. A l’heure de la sortie des cours, nous retrouvons deux frères, partis sur la route sinueuse de l’Europe tant rêvée. Cette famille avait investi trois millions de francs CFA pour faire partir ses deux fils, mais, de retour de Libye, impossible de remettre la main sur cet argent, prêté par des parents. Ali, le benjamin voulait passer son bac en France, et il peine encore à retrouver ses marques. « À mon retour à Bamako, l’école avait déjà repris. La semaine dernière, j’ai pu m’inscrire pour cette nouvelle année, mais je suis en retard alors que je dois passer le bac ». Son frère aîné, Kodéré, voulait « aider la famille. Nous n’avons pas grand-chose et l’idée était d’aller en Libye pour changer nos conditions de vie ». Délégué par le chef de famille, Mohamed, le grand frère, remercie Dieu d’’avoir retrouvé ses petits frères. Mais « ils sont revenus malades. Nous les avons donc emmenés à l’hôpital où les médecins ont dit qu’ils étaient déshydratés. Nous étions très contents de les voir, car les informations qui nous parvenaient n’encourageaient pas à l’optimisme. Ils ne sont pas totalement guéris, le traitement continue. Nous avons fait beaucoup de dépenses pour les soigner et nous ne sommes pas couverts par l’Assurance Maladie Obligatoire ».

Quid des aides promises ?

« Pour l’heure, nous ne bénéficions d’aucune aide. L’OIM nous a promis d’aider mes frères à monter un projet et de nous rembourser les frais d’ordonnance. Cela fait trois semaines et nous n’avons pas de nouvelles », explique Mohamed. L’organisation assure que des initiatives sont en cours. « Elles vont permettre de bénéficier d’activités de réintégration et aux communautés d’origine des migrants d’avoir des projets productifs. Tout cela est important quand c’est couplé avec des messages de sensibilisation », précise Bakary Doumbia, représentant de l’OIM au Mali. Comme les deux frères de Daoudabougou, Yaya évoque le soutien de l’OIM, sans trop y croire. « Ça ne me dit rien, je sais ce qu’est le Mali. Tu présentes tes documents de projet et ils vont prendre la poussière, à tel point que tu les oublieras toi-même ».

Yaya comptait mettre les voiles sur l’Italie, mais décidera de s’établir en Libye. Après quelques déboires à Sebha, il s’installe à Tripoli, « plus sûre ». « J’ai eu beaucoup de chance. J’étais au service d’un vieil arabe qui m’a traité comme son fils. Il savait ce que c’était que d’être dans un pays étranger. Je vivais dans l’une de ses maisons et j’étais bien payé. Je ne pouvais rêver mieux ». Après un an, la vie de Yaya a basculé lors d’une simple course. « Sur la route, une voiture s’est brusquement arrêtée devant moi. Dedans, il y avait des soldats libyens. Ils m’ont demandé de monter. Je leur ai demandé pourquoi, ils m’ont menacé avec une arme. Je me suis donc exécuté et ils m’ont emmené à l’Immigration ». Pendant un mois, ce sera le centre de rétention, avant l’embarquement dans un charter pour Bamako. Yaya a laissé derrière lui ses effets personnels et trois millions de francs CFA. « Cet argent devait me servir à rentrer au Mali en 2018, à me marier et à monter un élevage de volailles. Là, je repars à zéro ». Yaya ne peut compter aujourd’hui que sur lui-même et sur ses proches pour construire au mieux son avenir chez lui, au Mali.

 

Amadou Thiam, président du groupe parlementaire ADP-Maliba – Sadi « Nous voulons que la lumière soit faite sur la mort de nos 11 militaires

Depuis la mort des 11 militaires maliens dans la nuit du 23 au 24 octobre, à la suite d’un raid de la force Barkhane, la polémique ne cesse d’enfler. Le groupe parlementaire ADP-Maliba – SADI, exigent qu’une enquête soit ouverte pour faire la lumière sur l’affaire et en situer les responsabilités. Le président du groupe parlementaire, le député Amadou Thiam, revient pour le Journal du Mali, sur les motivations de cette action.

Journal Du Mali : Vous demandez l’ouverture d’une enquête sur la mort des 11 militaires maliens, concrètement qu’attendez-vous de cette démarche ?

Amadou Thiam : Nous estimons en tant que groupe parlementaire ADP-Maliba ,SADI que la lumière soit faite sur la mort de nos onze militaires. Nous avons été surpris par la réaction du gouvernement là-dessus, qui d’un communiqué laconique, essaie à la limite de légitimer leurs morts. Il explique, mais il ne condamne pas pour autant, n’essaye pas de situer les responsabilités et n’essaye pas non plus d’éclaircir les circonstances qui entourent la mort de ses militaires. J’ai aussi entendu à travers certains médias français, des sources assez proches que ces militaires maliens seraient carrément devenus des terroristes. Ce qui est assez grave pour nous, que l’on fasse des insinuations et des suppositions sur la mort de ses militaires. Le temps qu’il a fallu au gouvernement et même à Barkhane de faire savoir qu’à travers ce raid, ces militaires sont morts, cela prête à suspicion. Il a fallu près d’une semaine pour cela. Tout cela crée beaucoup de zones d’ombres, il est important pour nous de savoir ce qui s’est passé, pas seulement pour que des sanctions soient prises contre les fauteurs, mais pour que ce soit un signal fort. Qu’à l’avenir, la force Barkhane ne puisse plus de manière unilatérale entreprendre des actions sur le territoire malien. Ils sont et il faut qu’ils demeurent une force d’appui, aux forces armées et de sécurité malienne dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Vous pointez du doigt la faible action de l’État, estimez-vous qu’ils ont les mains liées dans cette affaire ?

En tant que représentation nationale, nous devons contrôler l’action du gouvernement, et aussi de représenter au mieux les populations. La question est au centre et nous nous sommes dits qu’au point de vue de la légalité internationale, cette intervention que ce soit de Barkhane ou de la MINUSMA qui se fait dans des zones où l’armée malienne est totalement absente, cela pose un véritable problème. Il s’agit pour nous de souligner cela, surtout que nous commençons à assister à de tels actes, il est important que nous attirions d’avantage l’opinion nationale et même internationale là-dessus.

Si le gouvernement n’accédait à votre requête, quels sont les recours dont vous disposez pour les « contraindre » ?

En tant que groupe parlementaire, nous disposons de beaucoup instruments. Dans cette quête de la vérité, nous nous réservons le droit d’interpeller le ministre de la Défense à l’Assemblée nationale. Au fur et à mesure, nous pourrions même demander que tout le gouvernement soit interpellé. Le Premier ministre et tous ses ministres concernés, qu’on nous explique ce qui s’est passé. Ce sont des moyens de recours que nous avons en tant que groupe parlementaire, et dont nous ne ferions pas l’économie si la situation n’évoluait pas.

Oumar Mariko, le président du SADI, est réputé pour ses prises de positions hostiles à l’égard de la France. Pensez-vous que ces inimitiés pourraient faire passer cette action pour une vengeance ?

Je suis le président du groupe parlementaire. Sur les 14 députés qui la compose, il y a 9 de l’ADP-Maliba, je crois que ce que nous menons comme lutte est tout à fait légitime. Ça ne vise aucun intérêt particulier, mais seulement à sauvegarder les intérêts du Mali et de ses partenaires, parce que si Barkhane est un partenaire du Mali, nous devons les aider à mieux nous aider.