Démonstration de force contre la révision constitutionnelle

Plusieurs milliers de personnes ont marché ce matin contre le referendum voulu par le gouvernement pour une révision de la constitution.

Vox populi, vox dei. C’est une véritable marée humaine qui a déferlé ce matin dans les rues de Bamako. A l’appel d’une quarantaine de partis politiques et de plusieurs associations, un nombre conséquent de personnes sont venus marcher pour dire non à la réforme constitutionnelle et au referendum du 9 juillet prochain. Des milliers de personnes brandissaient des affiches sur lesquels on pouvait notamment lire ‘’touche pas à ma constitution ‘’, ‘’non à la monarchie’ ’ou encore non à la ‘’partition du Mali’’. Tous scandaient en cœur ‘’IBK, carton rouge, on en a marre, dégage’’. « Il nous a déçu, on a eu confiance en lui, mais il nous prend pour des incultes » se lamente un marcheur. Un sentiment partagé par nombre de personnes présentes qui s’estiment trahis par le régime du président Ibrahim Boubacar Keita. Au milieu de la foule encore en ordre dispersée, le député Mamadou Hawa Gassama, toujours chaud bouillant, harangue ses partisans. Prévue pour 9h, la marche à pris du retard. En partie, selon les organisateurs, à cause du blocage du pont qui ne serait selon eux que l’œuvre du gouvernement. « Vous voyez qu’il y a déjà beaucoup de monde ici, il y en a encore plus de l’autre côté du fleuve, sûrement le double, qui cherche à nous joindre, nous les attendons un peu, l’objectif est de faire voir au gouvernement que notre détermination est sans faille » affirme Modibo Diakité de la plateforme An tè a bana.

Au milieu de la foule compacte, certaines personnalités de divers horizons se sont également jointes au mouvement contestataire. Parmi eux, le rappeur Mobjack, un temps célèbre auprès des maliens, le chanteur-entrepreneur Amkoulel ou encore l’humoriste Paracetamol. Le frère d’Oumar Mariko, également présent se faisait confondre avec le président du parti SADI, et n’échappait donc pas à des séances de selfies.

Vers 10h, le cortège formé par le chef de file de l’opposition Soumaila Cissé, Modibo Sidibé de FARE, le député Amadou Thiam, le populiste Ras Bath et le prêcheur Chouala Baya Haidara ont entamé le trajet qui les mènera de la place de la liberté à la bourse du travail.

Derrière le cortège, une sonorisation mobile joue le célèbre morceau du groupe Tata Pound ‘’Président T’jikan’’, une ode à la lutte contre les dérives et une marche à suivre pour la bonne santé du pays. Au milieu des manifestants, un homme se fait remarqué. L’habit mouillé par sa sueur, il invective à tous va, le président et sa famille, sous les applaudissements d’une partie de la manifestation. « Il veut (IBK) créer le sénat pour mettre à sa tête son fils, on l’accepte pas, on ne le fera jamais, le Mali c’est pour nous tous » disait-il notamment.

A la bourse du travail, une énorme foule était massée dans l’attente des différentes interventions.

Amadou Thiam de l’ADP-Maliba, s’est exprimé en premier. Ne jouissant pas d’une grande popularité, sa parole n’a eu que peu d’échos auprès des personnes qui se posaient la question de savoir qui il était.

« Nous ne voulons pas de cette révision constitutionnelle, et nous saluons tous ceux qui sont sortis pour montrer leur dévouement au combat » a enchaîné Chouala Haidara.

Prenant la parole sous les applaudissements nourris, Ras Bath a d’abord tenu à remercier ironiquement le ministre Kassoum Tapo, et le président IBK. « Sans eux, ce rassemblement n’aurait pas pu se faire, il y a plus de vingt ans nous sommes sortis pour nous opposer à Moussa Traoré car nous estimions qu’il avait trop de pouvoir, nous ne voulons plus retomber dans cette époque, ceci n’est qu’une petite dose de «choquer pour éduquer», s’ils l’enttendent et qu’ils font marche arrière tant mieux, dans le cas contraire prenez tous vos cartes NINA et allez voter, non » a exhorté l’animateur.

 

Révision constitutionnelle : Des maliens s’expriment

Le projet de texte qui doit être soumis au référendum le 9 juillet prochain fait l’objet de plusieurs contestations. Cette réforme devrait permettre d’ériger une démocratie plus efficiente, plus réelle que formelle en donnant des moyens de contrôle aux citoyens dans la gestion des affaires publiques.

Avec la nouvelle constitution du 9 juillet 2017 si le « Oui » passe, c’est désormais le président de la république qui désigne le président de la cour constitutionnelle composée de neuf personnes. Selon le projet de révision constitutionnelle, trois membres de cette institution seront désignés par le président de la République, deux par l’Assemblée nationale, deux par le Sénat et deux autres par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

Dans l’opinion publique, ce changement fait du président de la République un roi car compromet l’indépendance de la cour et remet en cause la séparation de l’exécutif du judiciaire.

A la veille de la marche de protestation de la plate forme « ANTE ABANA » contre ce projet de réforme constitutionnelle, nous sommes allés à la rencontre de certains de nos concitoyens. Opposés ou favorables à cette réforme, ils ont accepté de nous livrer leurs arguments.

Pour  Ibrahima khalil Ben Mamata Toure, juriste et membre de la commission de la plateforme Ante-Abana « Ne touche pas ma constitution », cette réforme ouvre  la voix à un Mali asphyxié. «Dans sa forme, cette réforme est contestable à travers l’article 118 de la constitution de 1992 en vigueur et cela malgré l’avis incomplet de la cour constitutionnelle. Comment des sages triés sur le volet peuvent occulter explicitement le droit interne qui implique le rapport entre Etat et citoyen de ce même Etat, alors que notre hymne nationale effleure déjà la question, je cite « …si l’ennemi découvre son front au-dedans ou au dehors, Debout sur les remparts… Dans sa forme, cette réforme est contestable parce qu’elle viole l’article 118 de la constitution actuelle. Ce n’est  un secret pour personne en République du Mali que certaines localités du Nord et du centre nous échappent carrément, ou plus de 300 écoles sont fermées, sans aucune présence de nos forces de défense et de sécurité suivi d’une application du jugement islamique (charia) dans certaines zones les vendredis. Pourquoi diable, certains esprits se force à faire « gober »aux malien que tout va bien, pendant que le pays nous échappe », estime Monsieur Toure, qui considère qu’en bien des points ce document renforce d’avantages les pouvoir du Président de la République avec une interférence de l’exécutif dans le législatif qui se constate naturellement avec la nomination des 1/3 des sénateurs par le Président de la République.

Egalement opposée à la révision, madame Sokona Niane, estime que le Mali n’est pas prêt pour avoir un sénat. « L’Etat qui disait n’avoir pas les moyens d’augmenter les salaires des enseignants et des médecins en grève, en aura-t-il pour les sénateurs ». Elle accuse aussi les députés d’avoir trahi les citoyens qui ont voté pour eux et pointe du doigt la méconnaissance du contenu du texte proposé par la majorité des citoyens.

Monsieur Adama  Dembélé, conseiller commercial, aussi opposé à la réforme, évoque la violation de l’article 118, avant de pointer du doigt le renforcement des pouvoirs du président. Il juge inopportun une révision de la constitution dans la situation actuelle du Mali.

Djimé sow, enseignant, estime par contre qu’il est normal de faire une  révision constitutionnelle, mais considère que le moment ne convient pas. Il pense notamment qu’il faut honorer les engagements pris à la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale. « On parle de référendum lorsque c’est la voix du peuple, si tout le monde ne peut pas s’exprimer au même moment sur l’étendue du territoire parce qu’une partie est sous l’emprise des terroristes, il faut régler ce problème avant tout référendum » explique-t-il.

Pour Modibo Konaté, « cette nouvelle constitution donnera un pouvoir économique et une gestion vraiment décentralisée au Mali. Et c’est la base même de l’accord d’Alger. Il n’y aura jamais de développement sans décentralisation et il n’y aura jamais de décentralisation sans réforme de la constitution. Certes il y a eu des insuffisances dans la communication et l’ordre d’information mais cette réforme prévue et voulue depuis Alpha Oumar Konaré demande un courage politique pour un Mali qui veut aller vers l’apaisement et le développement

Enfin, Abdoulaye Coulibaly a plusieurs qui le pousse à être pour la révision constitutionnelle. Il stipule que la révision s’inscrit dans une suite logique depuis le pacte national de 1992 qui souhaitait aller vers une décentralisation plus proche des collectivités. Il rappelle que l’idée de la révision constitutionnelle a germé après la révision du 25 février 1992. Pour lui, outre les sujets précédemment abordés, la question de l’intérim en cas de vacance du pouvoir est aussi importante . « j’aurais souhaité que ça soit assuré par le président du sénat, du moment où le sénat est une institution qui ne peut être dissoute ».

Marche de protestation : Amnesty international appelle les autorités à ne pas recourir à la force

À la veille d’un rassemblement contre le projet de révision constitutionnelle qui se tiendra samedi 27 juin à Bamako, Amnesty international, l’ONG qui défend les droits de l’homme dans le monde, a appelé, dans un article publié sur son site internet, les forces de sécurité malienne à « s’abstenir de recourir à une force inutile ou excessive contre les manifestants » lors de cette marche de protestation qui se veut pacifique.

Depuis le vote à l’Assemblée nationale du projet de nouvelle Constitution qui devra être entériné par référendum le 9 juillet prochain, l’ONG constate que les autorités maliennes ont multiplié les intimidations à l’encontre des opposants à ce projet de révision. Les manifestations pacifiques contre ce projet de réforme, les 8 et 10 juin dernier, ont été parfois violemment réprimées, certains manifestants ont été molestés et gazés par les forces de l’ordre, au moins huit personnes ont été blessées lors de ces manifestations.

À la veille de la marche du samedi 17 juin, Amnesty International demande aux autorités maliennes de garantir le droit à la liberté de manifestation pacifique. « Le fait d’interdire systématiquement à des citoyens de manifester pour exprimer une opinion constitue une restriction injustifiée au droit à la liberté de réunion pacifique,» a déclaré Gaetan Mootoo, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International. « Jusqu’à preuve du contraire, ces manifestations ne constituent aucune menace, et rien ne saurait justifier l’utilisation excessive de la force à l’encontre de ceux qui y participent. », ajoute-t-il, se référant à l’article 5 de la Constitution malienne qui précise : « L’Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et venir, le libre choix de la résidence, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation. ».

Les autorités brandissent l’état d’urgence, en vigueur dans le pays depuis novembre 2015, pour justifier l’interdiction des manifestations, suscitées principalement par une mesure particulière qui autorise la création d’un Sénat qui donnerait de nouveaux pouvoirs au président de la République. « Les autorités doivent veiller à ce que les voix dissidentes puissent s’exprimer sans crainte et sans subir de manœuvres d’intimidation ni de harcèlement », conclut Gaetan Mootoo.