Le chef du Pentagone à Bagdad, l’EI pris en étau à Tal Afar

Le secrétaire à la Défense américain Jim Mattis a entamé mardi une visite à Bagdad pour réaffirmer le soutien des Etats-Unis à l’Irak dans sa lutte contre le groupe Etat islamique (EI) pris en étau dans l’un de ses derniers bastions du pays.

En 2014, au cours d’une percée fulgurante, l’organisation extrémiste s’était emparée de près d’un tiers du pays. Depuis, les forces gouvernementales appuyées par la coalition internationale anti-EI et des unités paramilitaires ont largement repoussé les jihadistes. Elles leur ont infligé début juillet un rude coup en reprenant Mossoul, la deuxième ville du pays où le chef de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi, avait fait son unique apparition publique il y a plus de trois ans.

Et depuis dimanche, elles se sont lancées à l’assaut de Tal Afar, cité historique de 200.000 habitants aux mains de l’EI, située à 70 kilomètres à l’est de Mossoul, dans le nord du pays.

‘L’EI ne disparaîtra pas de sitôt’

Mardi matin, les colonnes de blindés et de chars des forces gouvernementales et paramilitaires n’étaient plus qu’à quelques centaines de mètres de Tal Afar, a constaté un photographe de l’AFP. Les jihadistes retranchés dans la ville – estimés à un millier selon des responsables locaux -, répliquaient par des tirs d’artillerie.

Carte d'Irak localisant Tal Afar et les routes menant à la ville stratégique de Mossoul et à la Syrie © Iris ROYER DE VERICOURT AFP
Carte d’Irak localisant Tal Afar et les routes menant à la ville stratégique de Mossoul et à la Syrie © Iris ROYER DE VERICOURT AFP

L’envoyé du président américain Donald Trump auprès de la coalition internationale en Irak, Brett McGurk, a indiqué qu’au cours des premières 24 heures de leur offensive, les forces antijihadistes avaient repris 235 km². « Ce sera une bataille très dure », a-t-il toutefois nuancé avant l’arrivée de M. Mattis à Bagdad.

« Les jours de l’EI sont comptés, c’est certain », a estimé M. Mattis, mais le groupe ultraradical qui a revendiqué la semaine dernière des attentats meurtriers en Espagne et en Russie « n’a pas encore disparu et cela n’arrivera pas de sitôt ».

En 2014, la prise de Mossoul par l’EI face à des forces gouvernementales en pleine débâcle avait fait redouter à certains l’écroulement complet de l’Etat irakien.

La « libération » de la ville proclamée en grandes pompes début juillet par M. Abadi a restauré la confiance, a assuré M. Mattis, même si les forces irakiennes ont enregistré « plus de 1.200 morts et de 6.000 blessés ».

Cette victoire, a-t-il dit, n’aurait pas eu lieu « sans la main ferme du Premier ministre Abadi qui a reconstitué cette armée, délabrée en 2014, une armée dont il a hérité » en succédant à Nouri al-Maliki. Elle a également été rendue possible grâce aux entraînements fournis par les Etats-Unis et leur appui militaire.

La poursuite de ce soutien par les Etats-Unis qui avaient finalisé en 2011, durant la présidence de Barack Obama, le retrait de leurs troupes restées en Irak après l’invasion du pays alors sous la houlette de Saddam Hussein, devra encore être déterminée.

Défi kurde

Le secrétaire américian à la Défense, Jim Mattis, à bord de son avion lors d'une tournée au Moyen-Orient, le 20 août 2017 © Paul HANDLEY AFP
Le secrétaire américian à la Défense, Jim Mattis, à bord de son avion lors d’une tournée au Moyen-Orient, le 20 août 2017 © Paul HANDLEY AFP

Le chef du Pentagone cherche à maintenir des forces pour entraîner les forces de sécurité irakiennes afin d’empêcher l’EI de ressurgir, explique Nicholas Heras, expert du Center for a New American Security à Washington. Mais, prévient-il, il rencontrera la résistance des milices chiites –engagées au sein des unités paramilitaires du Hachd al-Chaabi dans la bataille de Tal Afar– et de l’Iran.

M. Mattis a indiqué qu’il discuterait avec ses interlocuteurs irakiens des moyens de tirer profit des trois années de front commun contre les jihadistes pour empêcher les fractures politiques dans le pays et limiter l’influence du grand voisin iranien.

L’un des premiers défis auquel fait face le gouvernement fédéral est le référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien prévu le 25 septembre. Washington s’y oppose fermement car, a expliqué M. McGurk, sa tenue « en ce moment pourrait potentiellement être catastrophique pour la campagne anti-EI ». « Il n’y a pas que les Etats-Unis, tous les membres de notre coalition pensent que ce n’est pas le bon moment pour organiser ce référendum », a-t-il martelé.

« Tous les signaux indiquent » que la rencontre avec M. Barzani sera donc « placée sous le signe de la fermeté affectueuse », estime M. Heras.

M. Mattis, en tournée pour cinq jours en Jordanie, Irak, Turquie et Ukraine, doit également évoquer la reconstruction et le relogement des centaines de milliers de déplacés, notamment à Mossoul. « Cela n’arrivera pas du jour au lendemain », a-t-il prévenu.

L’Irak lance l’offensive sur Tal Afar, tenue par l’EI

Les forces irakiennes ont lancé dimanche leur offensive pour reprendre la ville de Tal Afar aux combattants de l’organisation Etat islamique, a annoncé le Premier ministre irakien, Haïdar al Abadi. « Soit vous vous rendez, soit vous mourez », a lancé le Premier ministre irakien aux combattants de l’EI dans une allocution télévisée.

Tombée aux mains des djihadistes en 2014, Tal Afar, située à moins de 100 km à l’ouest de Mossoul, a été isolée en juin du reste des territoires tenus par l’EI. Elle est encerclée au sud

par les forces gouvernementales appuyées par des volontaires chiites et au nord par des peshmergas kurdes.

Les commandants militaires irakiens et américains estiment à environ 2.000 le nombre de djihadistes qui restent retranchés dans la localité, qui comptait autour de 200.000 habitants avant

sa prise par l’EI. Les troupes irakiennes se préparent à des affrontements difficiles bien que les informations émanant de l’intérieur de la ville indiquent que les djihadistes sont épuisés par des mois de combats, de bombardements aériens et par le manque de ravitaillements. « Les renseignements obtenus montrent clairement que les combattants restants sont principalement des étrangers et des arabes avec leurs familles et cela signifie qu’ils vont combattre jusqu’à leur dernier souffle », a dit le colonel Karim al Lami de la neuvième division de l’armée irakienne.

En revanche, a-t-il précisé, les rues larges de Tal Afar devraient faciliter le passage de chars et de véhicules blindés, seul un quartier de l’agglomération ayant un urbanisme fait de ruelles étroites similaires à celles de la vieille ville de Mossoul. Les chefs militaires américains de la coalition reconnaissent que les abords de Tal Afar présentent une topographie favorable à la résistance des djihadistes, les lignes de crête entourant la localité offrant des positions de

tirs aux assiégés. L’observation aérienne devrait jouer un rôle déterminant pour fournir aux troupes irakiennes au sol les informations nécessaires sur les positions des combattants de l’EI. « Il est clair qu’il faut nous assurer que nous sommes en mesure d’observer ce qu’il se passe de l’autre côté de la

colline pour les Irakiens », a dit le général Jeffrey Harrigan, chef de l’US Air Force pour le Moyen-Orient. Tal Afar est devenue le nouvel objectif des forces irakiennes depuis que ces dernières, appuyées par une coalition internationale emmenée par les Etats-Unis, ont repris en juillet Mossoul, capitale en Irak du « califat » proclamé par l’EI, au terme d’une bataille de neuf mois.

Mossoul, les défis de l’après-guerre

Le 4 juillet 2014, Abu Bakr al-Baghdadi, chef de l’État Islamique, s’autoproclamait chef des musulmans depuis la mosquée Al-Nouri de Mossoul, capitale de son califat mondial. Un peu plus de trois ans plus tard, après 252 jours de combats intenses, le lundi 10 juillet, le Premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, annonçait la libération de la ville. Après une longue séquence de terreur et de guerre, la paix est le nouveau défi à relever.

 Les chiffres parlent d’eux-mêmes dans cette guerre. 3 351 132 Irakiens poussés sur les routes du pays par la violence des combats contre l’État Islamique (EI). Rien que pour Mossoul, plus de 800 000 personnes ont fui la ville d’environ 2 millions d’habitants depuis octobre 2016. Plus de 100 000 unités de combat, militaires irakiens, Peshmergas kurdes, membres de milices chiites et chrétiennes, ont lancé l’offensive, soutenues par des milliers d’attaques aériennes de la coalition internationale dirigée par les États-Unis. Plusieurs milliers de bâtiments, parfois centenaires, ont été détruits dans les bombardements et les explosions, faisant de Mossoul, la seconde ville d’Irak, une cité en ruine dont la reconstruction devrait coûter 50 milliards de dollars dans les cinq prochaines années. La ville, enfin libérée de l’étau terroriste, va tenter de panser ses blessures et de se construire dans un avenir plus qu’incertain.

 Gagner la paix Les célébrations de la victoire sur les djihadistes risquent néanmoins d’être éphémères. Même si, comme l’a déclaré le Premier ministre Al-Abadi, les priorités de son gouvernement sont désormais la « stabilité et la reconstruction », des poches résiduelles de djihadistes comme celle de Tal Afar, à 70 km de Mossoul dans la province de Ninive, subsistent et demanderont du temps avant d’être annihilées.

La bataille contre l’EI en Irak n’est en fait pas terminée, les djihadistes contrôlant encore de vastes étendues du pays, notamment Kirkouk, la province riche en pétrole. Mais aussi parce qu’ils ont le temps pour eux et qu’ils attendent de se refinancer et de se réorganiser, pour, au moment idéal, revenir et reprendre le pouvoir, profitant de l’instabilité et des crises. Cette instabilité pourrait bien venir de la gouvernance future de la ville de Mossoul, vu le climat de rivalité qui oppose Chiites et Sunnites, ainsi qu’Arabes et Kurdes, qui souhaitent l’indépendance. Tous appartiennent à différentes fractions sectaires et souhaitent jouer leur partition. Les animosités contenues durant l’alliance de circonstance contre l’ennemi djihadiste pourraient éclater et menacer tout espoir de retour à la paix, constituant un nouveau terreau favorable aux recruteurs de Daesh. Si la guerre est terminée, reste maintenant un autre combat à livrer, tout aussi difficile, celui de la paix.

 

Qui est Abou Bakr al-Baghdadi, le « calife » invisible de l’EI

Le « fantôme », comme l’appelaient ses partisans, a fait sa seule apparition publique connue en juillet 2014, à la mosquée al-Nouri de Mossoul.

Abou Bakr al-Baghdadi, dont la mort a été annoncée mardi par une ONG syrienne, était l’homme le plus recherché au monde. Discret, il avait progressivement gravi les échelons pour devenir l’incontestable chef du groupe Etat islamique (EI) dont le « califat » est aujourd’hui en lambeaux.

Le décès du chef jihadiste de 46 ans a été « confirmée par de hauts responsables de l’EI » présents en Syrie, a indiqué l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), sans être en mesure de dire, quand, comment et où il était mort. Des rumeurs et des informations sur la mort du chef de l’organisation jihadiste la plus redoutée au monde ont régulièrement circulé ces dernières années, mais elles n’avaient jamais été confirmées. En juin, la Russie avait dit avoir probablement tué Abou Bakr al-Baghdadi dans un raid aérien fin mai près de Raqqa en Syrie.

 Le « fantôme », comme l’appelaient ses partisans, a fait sa seule apparition publique connue en juillet 2014, à la mosquée al-Nouri de Mossoul, la deuxième ville d’Irak restée pendant trois ans sous le joug des jihadistes avant d’être reprise lundi par les autorités irakiennes.
La dernière manifestation d’Abou Bakr al-Baghdadi relayée par un média affilié à son groupe, remonte à novembre 2016. Il était alors sorti d’un an de silence pour exhorter, dans un enregistrement sonore, ses hommes à résister jusqu’au martyre à l’assaut des forces irakiennes sur Mossoul.
Le chef de l’EI aurait quitté la deuxième ville d’Irak début 2017, probablement pour la frontière irako-syrienne. Les Etats-Unis offraient 25 millions de dollars pour sa capture.
Passionné de foot
De son vrai nom, Ibrahim Awad al-Badri, Abou Bakr al-Baghdadi était un garçon « introverti, pas très sûr de lui », raconte à l’AFP la journaliste Sofia Amara, auteure d’un documentaire sur son parcours.
Il serait né en 1971 dans une famille pauvre de Samarra, au nord de Bagdad. Il a eu quatre enfants avec sa première femme puis un fils avec sa deuxième femme. L’une d’elles le décrit comme un « père de famille normal ».

Ce passionné de football rêvait d’être avocat, mais ses résultats scolaires insuffisants ne lui ont pas permis de suivre des études de droit. Il a également envisagé de s’engager dans l’armée, mais sa mauvaise vue l’en a empêché. Il a finalement étudié la théologie à Bagdad.
« Il donne l’impression d’un homme qui n’est pas brillant, mais patient et bosseur », explique Sofia Amara. « Il avait une vision en amont assez claire de là où il voulait aller et de l’organisation qu’il voulait créer. C’est un planificateur secret ».

Son passage en 2004 dans la prison irakienne de Bucca s’avérera décisif.
Après avoir créé au moment de l’invasion américaine de 2003 un groupuscule jihadiste sans grand rayonnement, Abou Bakr al-Baghdadi est arrêté en février 2004 et emprisonné à Bucca. Cette immense prison, où se côtoient dignitaires déchus du régime de Saddam Hussein et la nébuleuse jihadiste sunnite, sera surnommée « l’université du jihad ».
Peu à peu, « tout le monde s’est rendu compte que ce type timide, était un fin stratège », explique Sofia Amara.

 

L’islam « religion de guerre »

Libéré en décembre 2004 faute de preuves, il fait allégeance à Abou Moussab al-Zarqaoui, qui dirige un groupe de guérilla sunnite sous tutelle d’el-Qaëda. Homme de confiance d’Abou Omar al-Baghdadi, un des successeurs de Zarqaoui, il prendra la relève à sa mort en 2010 sous le nom d’Abou Bakr al-Baghdadi, en référence à Abou Bakr, premier calife successeur du prophète Mahomet. Il va intégrer dans ses rangs d’ex-officiers baassistes qui vont l’aider à transformer le groupe de guérilla en une redoutable organisation armée.

Profitant de la guerre civile en Syrie, ses combattants s’y installent en 2013, avant une offensive fulgurante en Irak en juin 2014 où ils s’emparent d’un tiers du pays dont Mossoul. Le groupe, rebaptisé Etat islamique, supplante el-Qaëda, et ses succès militaires et sa propagande soigneusement réalisée attirent des milliers de partisans du monde entier.

Dans un enregistrement de mai 2015, Abou Bakr al-Baghdadi exhortait les musulmans soit à rejoindre le « califat », soit à mener la guerre sainte dans leur pays. « L’islam n’a jamais été la religion de la paix », martelait-il. « L’islam est la religion de la guerre ».

 

Irak, en attendant la bataille de Mossoul…

La coalition internationale, dirigée par les Etats-Unis, lancera une offensive dans les prochaines semaines pour reprendre le contrôle de la ville de Mossoul contrôlée par l’EI.

Aujourd’hui, vendredi 30 septembre, les premiers Rafale français ont décollé en direction d’Irak pour les opérations contre l’Etat islamique qui a fait de Mossoul, deuxième grande ville d’Irak après Bagdad, leur fief depuis janvier 2014. En mai dernier, l’armée irakienne appuyée par la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis, lançait une offensive pour reprendre Fallujah. Le Premier ministre irakien, Haïder al-Abadi, avait fait savoir que le but recherché était de vaincre Daesh d’ici la fin de 2016. A en croire la coalition internationale, l’EI a perdu 30% de son territoire en Irak et 50% en Syrie. Il ne fait aucun doute que la reprise de Mossoul sera un coup dur pour l’organisation qui, de l’avis général, est aux abois.

La mission des avions français, consistant à mener des frappes ou à repérer des positions djihadistes, est prévue de fin septembre à fin octobre. Mais selon de nombreux responsables occidentaux, l’offensive pourrait être menée en octobre. Le Président américain, Barack Obama, a averti d’ores et déjà que « cela va être une bataille difficile, Mossoul est une grande ville. » D’ailleurs, à la demande des services du Premier ministre irakien, le nombre de « conseillers militaires » américains sera augmenté, et M. Obama a avalisé l’envoi de 600 soldats supplémentaires. « Le rôle de ces forces sera principalement d’aider les forces de sécurité irakiennes, ainsi que les Peshmergas (combattants kurdes) dans les opérations visant à reprendre le contrôle de Mossoul », a fait savoir Ashton Carter, le chef du Pentagone.

Alerte

D’ores et déjà, le Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR) tire sur la sonnette d’alarme. L’organisation onusienne se prépare à aider au moins 700.000 personnes dans le besoin. Selon son représentant en Irak, « Plus d’1 million de personnes pourraient être déplacées lors de la prochaine offensive et nous prévoyons qu’au moins 700.000 auront besoin d’aide, d’abris, de nourriture, d’eau » Des camps sont construits, en dépit du manque de terrains et de fonds.