Talataye : Vivre dans la peur

Depuis une dizaine de jours, la commune rurale de Talataye, une localité isolée située dans le cercle d’Ansongo, est en proie à de vives tensions. Terrorisme ou conflit interethnique, enjeu sécuritaire et jeux d’intérêts entre groupe armés, ont installé un climat délétère dans cette commune, restée longtemps dans le giron de la CMA et qui vit depuis des années comme repliées sur elle-même.

En ville, quand ils sortent, les gens ne s’attardent plus, le marché de Talataye d’habitude très fréquenté qui attire les samedi, forains, éleveurs et commerçants des alentours, comme du Niger et de l’Algérie a désempli, la peur et l’incertitude ont gagné la population depuis l’attaque par des hommes armés non-identifiés, le 2 février dernier, du village voisin d’Inwelane, qui a fait 4 victimes, dont l’imam de la mosquée pris en otage puis égorgé par les assaillants. La présence d’un important contingent du Mouvement pour le Salut de l’Azawad ( MSA ) épaulé par le GATIA ( Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés ), qui ont pris en chasse ces hommes armés qualifiés de djihadistes, au lieu d’amener la sécurité et l’apaisement semble avoir exacerbé les tensions. « Le MSA, après avoir pourchassé les présumés djihadistes, est revenu en armes à Talataye quatre jours plus tard. Ils nous ont dit que ceux qui ont attaqué Inwelane étaient des djihadistes et qu’ils avaient été guidés par des gens de Talataye. Ils cherchaient 5 personnes, mais ils ne les ont pas trouvées, car la plupart des hommes apeurés ont quitté le village ne laissant que les femmes et les enfants. C’est là que le harcèlement, les arrestations et les violences ont commencé et ont duré 3 jours », confie amèrement ce commerçant, affecté psychologiquement et qui songe depuis ces événements à quitter la commune. Pour le MSA, dans cette localité où l’on tient à la mosquée des prêches rigoristes, où on contraint les femmes à ne pas se rendre au marché et à se vêtir convenablement, la proximité de certains habitants avec les djihadistes ne semblait faire aucun doute.

Pourtant, dans la commune, bien que l’on ne sache pas réellement qui sont les assaillants, la thèse d’une attaque commise par des éléments djihadistes ne convainc pas vraiment. Les regards se tournent plutôt vers Inwelane où quelques semaines auparavant un éleveur peul a été assassiné et son bétail volé par des hommes armés du village, un état de fait loin d’être rare dans la zone.

Djihadistes ou conflit interethnique ?

« Les gens d’Inwelane et de Talataye appartiennent à la même communauté, les Daoussahak. La majorité des combattants du MSA viennent du village d’Inwelane et ils sont tous armés là-bas. Les gens de Talataye ont désapprouvé l’assassinat de ce Peul, ils en ont même appelé à la justice pour dire qu’ils ne veulent pas de ça chez eux, qu’ils ne veulent pas de problème avec d’autres communautés, une position qui n’a pas vraiment été appréciée à Inwellane. Je pense que cette attaque était surtout un règlement de compte. Si le MSA préfère dire que ce sont des terroristes, c’est peut-être qu’en disant cela ils pensent pouvoir obtenir un soutien du gouvernement ou de la communauté internationale», affirme cet habitant de la commune sous anonymat.

Un avis partagé par Salah Ag Ahmed, le maire de Talataye : « Je ne peux pas dire que ceux qui ont attaqué Inwelane sont des terroristes. Mais ils étaient majoritairement composés de Peuls et malheureusement les gens, dans l’ignorance, considèrent que tous les Peuls sont avec les terroristes. Quand les gens ont appris qu’un Peul avait été assassiné et volé, ils ont tout de suite su qu’il y aurait une réaction et ça n’a pas tardé », explique-t-il.

En dehors de cette attaque qui semble être à forte connotation ethnique, un autre enjeu, en forme de bras de fer, oppose la population de Talataye au MSA : la sécurisation de la commune, dans laquelle le mouvement armé aimerait implanter un poste de sécurité.

Sécurité et jeux d’intérêts

À Talataye, on voit d’un très mauvais œil l’installation d’une force armée dans le village, qui pourrait remettre en question la paix relative qui règne dans la commune. « La population de Talataye était en parfaite entente avec tous ses voisins, l’arrivée d’un groupe armé va créer plus de problèmes. S’il y a des attaques, la population dans sa grande majorité préfère que ce soit résolu d’une autre manière que par la force, parce qu’avec la force des représailles s’ensuivront. », soutient le maire de la commune. « Je n’ai aucune confiance dans les groupes armés, car ils sont comme les terroristes, ils ne suivent aucune loi, ils font ce qu’ils veulent », assène cet autre habitant.

Reste que la commune de Talataye demeure une zone convoitée par les groupes armés car elle est en quelque sorte une plaque tournante entre l’Algérie et le Niger. Le marché y est très important d’un point de vue économique et ces retombées conséquentes pourraient permettre à ces groupes de financer certaines de leurs activités. « C’est une zone qui a longtemps échappé au contrôle des mouvements armés qui sont vers Ménaka, le GATIA et le MSA , ça devient même un défi pour eux de la contrôler », explique Salah Ag Ahmed

« Moussa Ag Acharatoumane, le Général Gamou, Alghabass Ag Intalla, ils sont tous venus à Talataye, ils ont fait des réunions avec les responsables de la localité. ils veulent avoir leur part dans la gestion de la commune, car c’est une zone importante. Je pense que la population préférerait être sécurisée par le HCUA ( Haut conseil pour l’unité de l’Azawad ) puisque le maire est de ce mouvement. Il habite à Kidal et vient très rarement ici. Il doit certainement y avoir une rivalité entre la CMA ( Coordination des mouvements de l’Azawad ) et le MSA pour contrôler la zone », ajoute cet élu d’un village voisin.

À Talataye, un des villages où le drapeau du MNLA ( Mouvement national de libération de l’Azawad ) a flotté pour le première fois avant même l’éclatement de la rébellion, cette question de la sécurisation de la commune a pour le moment engendré un statu quo. Le MSA est parti avec armes et bagages, en début de semaine, en direction d’Indelimane, mais la population sait déjà qu’ils reviendront. La gestion de cette petite localité du cercle d’Ansongo reste un enjeu pour ces groupes armés qui ne semblent considérer la population que comme un faire-valoir à sécuriser, posant par la même des questions qui pour le moment restent sans réponse : peut-on protéger une population contre son gré ? et qui protégera cette population de ses protecteurs ?

Ménaka : Le MSA se désagrège

Il y régnait un calme quasi-exceptionnel, mais, depuis quelques semaines, la région de Ménaka tombe dans l’insécurité, avec des affrontements entre le MSA et des groupes armés vers la frontière nigérienne. Ces affrontements ont créé une fissure au sein du mouvement, avec la démission, le 11 octobre dernier, de  certains chefs de fractions de la communauté Daoussahak, au profit du HCUA, membre de la CMA. L’un d’eux, Siguidi Ag Madit, de la fraction Idoguiritan, a expliqué au Journal du Mali les raisons qui les ont poussé à faire ce choix.

Quels sont les chefs de fractions qui ont démissionné du MSA pour le HCUA ?

Le maire de la commune  d’Inekar, Almahmoud Ag Hamad Taha ; Alhassane Ag Afoya, ancien Président du conseil de cercle de Ménaka ; le marabout Hamad Ehya Ag Alwafi,  Rhissa Ag Mahmoud, chef de la fraction Tabhaw, et moi-même, chef de la fraction Idoguiritan, la plus grande fraction de la région de Ménaka, avons décidé de démissionner du MSA avec nos fractions.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à quitter le mouvement ?

La principale raison est directement liée à Moussa Ag  Acharatoumane, le chef du MSA. Quand il y a eu les affrontements entre la CMA et le GATIA, il avait dit que nous, les Daoussahaks, n’étions pas concernés et qu’il faut que nous ayons notre propre un mouvement. C’est ce que nous avons fait. Almahmoud Ag Hamad Taha et moi étions les seuls à le soutenir, ce jour-là. Depuis, il n’a fait que prendre des décisions sans nous consulter, il n’y a pas eu un seul jour où il nous a appelés pour  que nous prenions des décisions ensemble. Une de ces décisions nous a causé tous les problèmes du monde.

Laquelle ?

Quand il est allé au Niger, nous avons appris qu’il avait signé un accord pour combattre les Peulhs et les Arabes. Depuis, ces communautés nous font la guerre et nous n’avons pas les moyens de nous défendre. Il nous a aussi mis en guerre avec  les Imajaghans, dont le chef traditionnel est le député Bajan Ag Hamatou. Tous ces affrontements nous ont affaiblis et maintenant nos populations ne peuvent plus retourner chez elles, car les Daoussahaks ont tué un nombre important de Peulhs. Je n’ai jamais vu une telle catastrophe arriver à Ménaka. Ce problème-là nous préoccupe au plus haut niveau. C’est la paix que nous voulons. Il  ne va plus nous mettre en guerre contre les autres.

Quand Moussa est allé au Niger, qu’est ce qu’il a signé exactement ?

Nous avons appris qu’il nous avait engagés, nous, les Daoussahaks, dans une guerre contre les Peulhs pour aider à combattre le MUJAO, alors que le MUJAO est en guerre contre les forces étrangères. Si nous nous mettons en travers du chemin du MUJAO, il nous chassera de notre terroir. Le MSA ne peut plus faire face à ces gens-là, il ne peut plus nous protéger. Les  déplacés et les morts dont vous entendez parler, c’est à cause de cela.

Donc, ces Peulhs qui vous combattent font partie du MUJAO ?

Moi je ne sais pas vraiment. Je sais seulement que ce sont des Peulhs et des Arabes. Nous cohabitions ensemble paisiblement mais maintenant ils nous font la guerre à cause de ces décisions.

Quelles seront les conséquences de votre démission pour  le MSA ?

Je ne sais pas, mais nous ne sommes plus d’accord avec le leadership de Moussa. On ne peut plus tolérer que des gens d’ailleurs viennent travailler à Ménaka puis nous laissent. Moussa Ag Acharatoumane ne prenait que des personnes originaires de Talatayte (commune d’Ansongo – NDLR), pour tout ce qu’il faisait, et personne parmi nous, à Ménaka.

Vous étiez auparavant au MNLA. Pourquoi avoir choisi le HCUA?

Oui, c’est vrai, nous étions au MNLA. Notre engagement était avec le MNLA car c’est là-bas que nous étions et avions combattu. Mais nous ne nous sommes rendu compte de notre choix qu’après avoir déjà donné notre parole au HCUA. En même temps, il se trouvait que c’est avec Alghabass Ag Intallah (chef du HCUA – ndlr) que nous étions en contact. Nous avons intégré le HCUA aussi pour nous protéger de toutes ces guerres. Ce n’est pas pour l’argent ou autre chose.

Qu’espérez-vous de ce ralliement à la CMA ?

On n’aurait jamais dû quitter la CMA, surtout au moment où il y a eu des avantages,  avec l’Accord de paix. Le MSA n’est pas un grand mouvement, comme la CMA et la Plateforme. Nos enfants n’auront pas de place dans l’intégration, ni de  travail. C’est pour cela aussi que nous avons pris cette décision.

Al-Sahraoui, auteur des menaces sur Gamou et Acharatoumane ?

C’est un messager qui a remis à un membre du Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA), mardi 27 juin, les deux feuillets griffonnés en arabe à l’encre rouge, dont Adnan Abou Walid Al-Sahraoui, l’émir de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) serait l’auteur et qui promettait, entre autres menaces, aux «Pharaons» Moussa Ag Acharatoumane, secrétaire général du MSA et au général Gamou, leader du GATIA, une « guerre d’extermination de votre espèce sur terre par tous les moyens». « La stratégie c’est toujours d’écrire en rouge quand il y a des menaces de mort », confie Daouda Maiga, gouverneur de Ménaka qui malgré la difficulté pour authentifier le message n’exclut pas qu’Al-Sahraoui en soit l’auteur. « C’est peut-être Al-Sahraoui qui a écrit cette lettre ou un de ses lieutenants, en tout cas ça vient de vers chez eux. Ce qui est étrange, bien que les djihadistes sont quand même spécialistes de l’intimidation, c’est qu’il menace d’exterminer les Imghads et les Daoussak les communautés les plus nombreuses, en règle générale les djihadistes ont l’intelligence de ne pas se mettre les communautés à dos », précise-t-il.

Abdoul Wahab Ag Ahmed Mohamed, président de la région de Ménaka, si cette information ne peut être démentie à 100 %, rappelle que les ennemis de Ménaka sont nombreux : « Il y a beaucoup de gens, de mouvements armés qui sont contre le système mis en place à Ménaka, contre cette accalmie, cette ambiance de paix. Tous ceux qui veulent nuire à la paix vont toujours créer des troubles sur le terrain », explique-t-il, reconnaissant que la communication de ces ennemis, quels qu’ils soient, peut aussi être une arme redoutable contre ce qui est en train de se construire à Ménaka.

Cette lettre d’Adnan Abou Walid Al-Sahraoui, fait suite au raid lancé, début juin, par des combattants du MSA et du GATIA épaulé par la force Barkhane contre les éléments terroristes appartenant à l’EIGS qui avaient attaqué une base de l’armée nigérienne à Abala, non loin de la frontière malienne, dans une zone où les attaques djihadistes sont fréquentes. Quinze terroristes auraient été neutralisés lors de cette attaque. « Cela fait des mois qu’on entend parler de menaces sur Ménaka mais ce n’est que maintenant qu’on a un papier écrit et après que les gars des mouvements soient allés se battre au Niger, je pense que c’est quand même à prendre au sérieux», ajoute le gouverneur de Ménaka.

Ce même mardi où la lettre parvenait à Ménaka, en soirée aux alentours de 20h, à une cinquantaine de kilomètre de la capitale régionale, le village d’Infoukaretane était attaqué par des hommes en armes arrivés à bord de 3 pickups et de motos, selon des témoignages, qui ont cassé et pillé des boutiques et sont repartis dans la nuit avec le matériel dérobé sans toucher à la population. Pour le Chef d’État-major du MSA, Ehya Ag Jaddi, les terroristes sont responsables. «Cette attaque est liée aux menaces d’Al-Sahraoui, Il faut que nous allions vers la population parce que c’est elle qui est visée », explique-t-il

Une mission de la Minusma et des Fama devrait se rendre sur place, jeudi 29 juin, pour faire toute la lumière sur cette attaque. « À Ménaka, une bonne partie de la population pense que ce ne sont pas les terroristes qui ont fait le coup, certains ont pu profiter de cette menace pour se livrer à des actes de banditisme, d’ailleurs cette attaque n’a pas été revendiquée », temporise Daouda Maiga.

Toujours est-il qu’à Ménaka la sécurité de la ville a été renforcée et les combattants du Gatia et du MSA, en alerte, attendent les décisions du Général Gamou et de Moussa Ag Acharatoumane pour savoir quelle posture adopter face à un ennemi pour le moment mal défini.

Gamou et Acharatoumane à Paris, pour renforcer le dispositif sécuritaire de Ménaka

Face à la recrudescence des attaques dans le Nord, et à la lenteur dans la mise en place de l’accord de paix, les différents mouvements armés de la région de Ménaka ont décidé d’unir leurs forces pour y apporter de la quiétude. Les protagonistes de cette initiative sont en France pour obtenir du soutien de la part des autorités française engagées militairement au Mali depuis 2013.

Le général Ag Gamou chef militaire du groupe d’auto-défense touareg Imghad (Gatia), Moussa Ag acharatoumane, chef du mouvement pour le salut de l’Azawad, l’ancien gouverneur de la région de Kidal aujourd’hui ambassadeur du Mali à Niamey et Abdoul Majid Ag Mohamed Ahmad dit Nasser, chef des Kel Ansar, sont actuellement à Paris pour rencontrer des responsables militaires et politiques afin de demander un plus grand soutien à leurs patrouilles mixtes hybrides. « Nous avons rencontré des agents de la Défense pour des échanges informels, mais aussi des membres des affaires étrangères et tous ceux qui suivent le dossier Mali » affirme Moussa Ag Acharatoumane, chef du MSA. La composition d’un nouveau gouvernement en France ne semble rien changer à la donne. « Il y a des personnes qui ne changent pas dans ces deux ministères et qui suivent toujours le dossier malien » assure Acharatoumane.

Depuis quelques semaines maintenant, les deux mouvements armés et les forces armées maliennes (FAMA) mènent des opérations pour sécuriser la zone de Ménaka et juguler les attaques récurrentes des djihadistes ou des bandits armés. Des mesures ont été prises pour réguler la circulation des véhicules et des engins à deux roues, parfois très utilisés par les malfaiteurs pour commettre leurs exactions. La toute nouvelle région est l’une des rares avec Tombouctou où les autorités intérimaires ont déjà commencé à travailler conformément aux missions qui leurs sont assignées. A deux mois, des élections régionales prévues en juillet 2017, l’aide extérieure ne serait pas de trop face à la menace toujours pressante des djihadistes. Et en particulier, Adnane Abou Walib, ancien membre d’Aqmi qui a depuis prêté allégeance à l’État Islamique, et qui menace de perturber le processus électoral et par extension l’accalmie qui règne à Ménaka.

 

Moussa Ag Acharatoumane : L’exception Ménaka

Moussa Ag Acharatoumane est le numéro un du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) créé en septembre 2016. Il explique comment la nouvelle région est la seule où la mise en œuvre de l’accord connait des avancées significatives.

Ménaka est la seule région où l’Accord pour la paix et la réconciliation est réellement mis en œuvre. Pourquoi cela ?

Ménaka fait en effet office d’exemple dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. C’est la seule région où les populations se sont données la main pour parler d’une même voix. Elles ont exprimé ainsi leurs préoccupations par rapport à la cohésion sociale. Les mouvements qui sont dans cette zone viennent régulièrement en appui à leur population. C’est ce qui crée cette harmonie dans la région dans le cadre de la sécurité, la cohésion sociale et du respect des droits des individus qui y vivent. Le fait qu’ils (population, acteurs politiques et groupes rebelles) travaillent ensemble, c’est ce qui fait de Ménaka ce qu’elle est aujourd’hui. À Ménaka, tous s’efforcent à appliquer les dispositions de l’accord. Ce n’est pas toujours facile mais ils y arrivent. C’est surtout parce que les résultats sont visibles sur le terrain que ça marche. Du coup, la zone est maintenant plus calme. Les soldats en service à l’entrée de la ville font également de bon boulot. Ils fouillent tout et vérifient les identités des personnes qui rentrent et sortent de la ville. Tout marche bien et tout le monde est content.

Ce qui est fait à Ménaka peut-il être fait dans les autres régions ? Qu’est-ce que Ménaka a de plus que les autres ?

Ménaka n’a rien de plus que les autres. Les autres régions doivent justement apprendre de Ménaka, c’est tout. Cela commence par mettre les mouvements armés, les populations et l’administration ensemble pour qu’ils définissent leurs préoccupations et trouvent des solutions. C’est la seule solution pour que ça marche ailleurs. C’est cela le secret de Ménaka.

Quelle est la prochaine étape pour Ménaka ?

Les patrouilles mixtes ont déjà commencé à Ménaka puisque les FAMA se sont associés aux mouvements pour effectuer des patrouilles à l’intérieur et à l’extérieur de la région. Ce qu’on est en train de faire actuellement c’est de lancer un appel au gouvernement, à la communauté internationale, à la MINUSMA de venir en appui aux acteurs dans le cadre des procédures en cours parce que tout ce que nous avons fait jusqu’ici, c’est avec nos propres moyens. Car nous n’avons malheureusement pas les moyens financiers nécessaires pour continuer.

 

Moussa Ag Acharatoumane : pour une cohabitation pacifique entre les populations

L’homme qui fut le numéro 2 du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et un membre influent de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), avant de créer le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) en septembre 2016, s’est prêté aux questions de Journal du Mali pour une interview exceptionnelle sur les scissions et les évolutions au sein de la CMA.

Quel était l’objectif de votre récent séjour en France et en Suisse ?

J’étais à Paris pour expliquer la nouvelle dynamique de la naissance du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), ses objectifs et ses projets d’avenir, et ce qui m’a poussé à créer ce mouvement. Il s’agissait de reprendre contact avec tout mon réseau en France et en Suisse.

Quel est le regard de ces pays sur votre mouvement ?

Le MSA est très bien vu par une bonne partie de ceux qui suivent de très près l’évolution des mouvements politico-militaires dans la zone de l’Azawad parce qu’il s’inscrit dans une nouvelle dynamique intéressante, qui n’embarrasse pas beaucoup de monde à cause de son caractère non-indépendantiste. Il s’inscrit dans le cadre de l’accord d’Alger, qui suit la logique de ramener la paix, la cohésion sociale et surtout apporter la sécurité et le développement pour les populations. Tout ce que le MSA est en train de faire à Gao et à Ménaka, c’est de poser des actes concrets au-delà de venir à Bamako. Il faut sortir des discours de positionnement qui ne font pas avancer. Le plus grand défi du MSA c’est de permettre à la population de cohabiter ensemble sur tous les plans. Nous essayons aussi de nous hisser au-dessus des contradictions telles qu’elles existent entre la CMA et la Plateforme, souvent liées à de problèmes d’ordre tribale ou de ceux liés au trafic de drogues.

Qu’est-ce que le retrait de la CMA des instances du Comité de suivi de l’Accord (CSA) augure pour le futur selon vous ?

Ce communiqué pouvait se justifier à un moment donné parce qu’effectivement les choses n’avançaient pas du tout. Mais, il est arrivé à trois ou quatre jours d’un autre communiqué de la CMA, qui réaffirmait sa participation aux patrouilles mixtes et à la mise en œuvre de l’Accord. Ce nouveau communiqué était signé par Algabass Ag Intalla, qui venait de prendre la tête de la CMA, alors que l’autre était signé de Bilal Ag Chérif, trois jours avant. On a donc l’impression qu’il y a une contradiction dans ces deux positionnements. De mon point de vue, il y a une part de vérité dans ce communiqué, le fait que l’Accord n’avance pas. C’est une réalité qu’on ne peut pas nier. La responsabilité est aussi partagée, même si la paternité de la mise en œuvre de l’Accord revient au gouvernement. Il faut que le gouvernement revoit sa stratégie dans la mise en œuvre de l’accord. Beaucoup des mesures prises par les autorités n’avancent pas, notamment la mise en place des autorités intérimaires, les patrouilles mixtes et les nouvelles commissions. Aujourd’hui, l’inclusivité contenue dans l’Accord, n’est pas une réalité sur le terrain. À l’intérieur du gouvernement, il y a des têtes politiques qui prennent des décisions par rapport aux affinités sans tenir compte de l’ensemble des acteurs.

Il est question de démarrer les patrouilles mixtes sans la CMA. Cela peut-il fonctionner selon vous ?

Je ne pense pas que les patrouilles mixtes puissent apporter les résultats escomptés en l’absence de toutes les parties. La CMA, qu’on le veuille ou pas, est une partie importante dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord. Mais la réalité est que la CMA est très divisée à cause des problèmes à l’interne. Ce sont ces problèmes qui empêchent malheureusement cette organisation de répondre à tous les engagements qu’elle a pris précédemment. Cependant, l’expérience nous a montré que si une partie ne répond pas au rendez-vous, on peut démarrer la machine en attendant. C’est ce qui s’est passé lors de la signature de l’Accord et j’ai l’impression que la même chose va se répéter.

Les divisions actuelles au sein de la CMA sont elles dues au duel de leadership entre Bilal Ag Chérif et Algabass Ag Intalla ?

Il s’agit là de deux personnages très différents. Bilal Ag Chérif est un jeune très instruit qui a une vision assez précise de beaucoup de choses. Ce qui n’est malheureusement pas le cas d’Algabass Ag Intalla qui n’est pas instruit, mais qui a une expérience politique avérée. C’est vrai qu’ils ne sont pas d’accord sur tous les sujets, mais je ne pense pas pour autant qu’il y ait une rivalité entre les deux. Ils ont plutôt intérêt à s’unir, car beaucoup de choses gravitent autour d’eux qui ne marchent pas forcement à leur avantage. Cependant, on constate que dans les démarches politiques que les uns et les autres font, il y a une différence. Quand Bilal était à la tête de la CMA, on constatait une certaine constance et une certaine continuité malgré les résistances. Il est plus diplomate contrairement à Algabass.

Quelles sont vos relations aujourd’hui avec ces deux leaders ?

Aujourd’hui je suis dans une posture de rassembler les gens, je ne coupe jamais contact avec quelqu’un. Mais, il faut reconnaître qu’un fossé s’est créé entre nous depuis la naissance du MSA que certains n’ont pas compris et que d’autres ont du mal à accepter. Ce qui ne nous empêche pas de s’appeler et d’échanger.

La CMA est-elle affaiblie par votre départ ?

Même si elle n’est pas affaiblie, elle a quand même pris un coup dur parce que ce sont des communautés, tribus et régions entières qui lui ont tourné le dos, en l’occurrence celles de Ménaka, Tombouctou et Gao. Le constat est aujourd’hui que, depuis notre départ, elle n’a gagné aucune bataille. Le MNLA et le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) sont réfugiés à l’intérieur de Kidal, ils ne contrôlent rien à l’extérieur.

Va-t-on vers un éclatement de la CMA ?

On est aujourd’hui en pleine recomposition interne au sein de cette organisation. La CMA est une coordination d’un ensemble de mouvements, de communautés et de personnages qui n’ont pas forcément les mêmes visons sur un certain nombre de choses. On peut dire qu’il y a deux branches de la CMA : celle de Kidal avec le MNLA et le HCUA, et celle de Ménaka, Gao et Tombouctou constituée du MSA, du Congrès pour la justice dans l’Azawad (CJA), de la Coalition des peuples de l’Azawad (CPA) et de la Coordination des mouvements forces patriotiques de résistance (CMFPR2). Aujourd’hui ces deux courants ne parlent pas le même langage, parce que quand nous avons signé l’Accord, malheureusement, la légalité de la signature est restée entre les mains de nos anciens mouvements. Les nouveaux mouvements ont certes une légitimité à la base mais pas la légalité de signature de l’Accord que les autres amis ont signé à notre place.

Comment vous imaginez-vous dans les deux ou trois ans à venir sur plan politique ?

Pas mal de gens ont leur regard braqué sur moi et depuis un certain temps le contact est assez fluide. Les gens sont très contents du travail qu’on est en train de faire qui s’inscrit dans le cadre de la vision et de l’intérêt de l’État. À cause de notre travail beaucoup de gens, même de l’extérieur, disent que Ménaka est devenue la région pilote de la mise en œuvre de l’Accord, parce que c’est la seule région où l’on trouve la fluidité entre tous les mouvements, sans problèmes. Quand à ma personne, aujourd’hui, j’évolue positivement dans le paysage politique dans ma région locale qui est Ménaka. Au plan national, j’ai des relations avec pas mal d’hommes politiques à Bamako. Aujourd’hui, je suis dans une posture qui m’amène à faire forcément de la politique dans les années à venir. Mon souhait le plus ardent est de contribuer à ramener la paix et la quiétude à la population du nord du Mali. Et si je peux apporter quelque chose de positif au plan national je serais ravi de le faire.

 

Accord de paix : l’inclusivité de gré ou de force

Le MSA, la CPA et le CMFPR2, se sont fendus d’un communiqué, jeudi 15 décembre, qui acte d’une profonde fracture avec la CMA, au moment ou le Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC) et les patrouilles mixtes sont en plein préparatifs à Gao, où les FAMA et la Plateforme sont déjà prêt à participer.

Depuis octobre dernier et le décret de nomination des autorités intérimaires, rien ne va plus entre la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et les petits mouvements qui la composent, poussant le Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA), la Coalition des Peuples de l’Azawad (CPA) et la Coordination des mouvements, Forces Patriotiques de Résistance (CMFPR2) à entrer en dissidence et à bloquer la mise en œuvre de l’Accord de paix, car ils ne sont pas pris en compte dans les instances prévues dans l’Accord d’Alger.

Le communiqué conjoint résultat de la session extraordinaire, entre ces 3 mouvements, qui s’est déroulée, hier, jeudi 15 décembre, semble enfoncer le clou et être la preuve que les tractations engagées entre les différents mouvements sous médiation du gouvernement et de la communauté internationale, n’ont menée à rien. « Conscients du refus persistant de la CMA de Kidal d’imposer l’inclusivité à l’Accord par sa volonté irrecevable d’étendre son hégémonie à toutes les régions du Nord. Nous informons l’opinion nationale et internationale que nous opposons un refus catégorique à toute application exclusive de l’Accord, notamment en ce qui concerne les patrouilles mixtes, les autorités intérimaires et autres organes et/ou instances prévus aux termes de l’Accord d’Alger », indique le communiqué. Pour Moussa Ag Acharatoumane, secrétaire général du MSA, cette déclaration commune ne ferme pas la porte définitivement à la CMA : « La fracture n’est pas totale mais c’est un message pour la CMA, la médiation et le gouvernement, pour leur indiquer de faire les choses comme il faut », explique-t-il.

Néanmoins le communiqué ajoute que, « Tous les recours possible seront mis en œuvre y compris la force jusqu’à notre prise en compte intégrale ». Au sein de cette alliance de mouvement, ont reconnaît exercer une certaine forme de pression pour que les choses avancent. « La CMA est très divisée et doit régler ses problèmes et ses contradictions en interne avant toute chose. Elle prendra conscience que l’inclusivité est la porte de sortie, mais ça ne sera pas facile en réalité, parce que les acteurs sont trop opposés sur pas mal de sujets », poursuit le secrétaire général du MSA, dont le mouvement fait toujours partie de la CMA. « Il faut résoudre ce problème rapidement sinon ça va envenimer la situation et incontestablement perturber l’accord », prévient-il.

MOC : c’est toujours le blocage

Malgré les déclarations affichant la bonne volonté de part et d’autre pour le démarrage du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC), le processus demeure léthargique. En cause, la situation des sous-groupes au sein de la CMA et la prise charge des éléments devant participer aux patrouilles à Kidal.

Aujourd’hui, à Bamako, c’est le doute.  Le Mécanisme opérationnel de coordination, un pilier essentiel de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, a du plomb dans l’aile. Le démarrage des patrouilles mixtes, aura-t-il bel et bien lieu d’ici la fin d’année 2016 ? Impossible aujourd’hui de l’affirmer. Tout récemment, le commandant de la force onusienne au Mali, le général Michael Lollesgaard, en fin de mission, a fait le point sur les différentes rencontres et a tiré un bilan contrasté des cinq séances de travail qui ont été marquées par une série de blocages, notamment au sein des groupes armés signataires de l’Accord. « Nous sommes les principaux fournisseurs d’hommes pour l’opérationnalisation du MOC. Mais constatons qu’au niveau de la CMA, les choses se traitent de manière incorrecte et chaque fois que nous remettons les problèmes sur la table, on nous demande d’aller régler ces problèmes entre nous. Je représente cinq mouvements et aujourd’hui, on pas la possibilité de mettre nos hommes au niveau des différentes commissions. Et tant que nous ne ferons pas parti du système, ça n’ira pas loin », explique Younoussa Touré, vice-président de la CMFPR2 et membre du CSA. Pour encourager les groupes armés qui s’estiment lésés dans la nomination des membres des différentes commissions, la 13ème session du comité de suivi avait mis en place un groupe de travail, sous la présidence du Haut représentant du président de la République, afin de permettre le lancement effectif de la période intérimaire, notamment l’installation des autorités intérimaires et l’opérationnalisation des unités du MOC à Gao et à Kidal, le 10 décembre 2016 au plus tard. À deux jours de l’expiration de ce délai, rien ne semble bouger. « C’est toujours le statu quo, le délai imparti à ce groupe de travail qui était de cinq jours est dépassé. On va certainement attendre la 14ème session qui se tiendra du 19 au 20 décembre prochain pour voir clair », commente un membre du CSA.

Entre dogme et pragmatisme « Tout ce blocage n’est pas lié aux différends. Il y a aussi la programmation budgétaire. Pour l’instant, seuls les combattants retenus pour les patrouilles à Gao, sont budgétisés », explique un cadre de la MINUSMA. Cependant, certains groupes armés, à l’instar du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), se sont engagés dans une patrouille mixte avec la Plateforme et les forces armés maliennes (FAMA) dans la ville de Ménaka et ce, dans un rayon de six kilomètres autour de la ville. La décision de cette patrouille à laquelle le MSA participe aurait été prise par les acteurs présents dans la région. « Cette patrouille est pour le MSA, une nouvelle occasion de manifester comme toujours sa volonté inébranlable à s’investir pour un renforcement de la sécurité et de la cohésion sociale, gages de la construction d’un véritable chantier de paix et de stabilité nationale », souligne un communiqué du mouvement. « Nou avons devancé le MOC, car on a besoin de sécurité pour nos populations, nos biens et notre région. Le MOC prend trop de temps et il y a trop de contradictions entre les acteurs alors que pendant ce temps nos populations souffrent de l’insécurité. C’est pourquoi nous avons décidé, à Ménaka, de nous mobiliser pour réduire ce fléau. On se met en route, l’Accord va nous trouver sur le chemin », explique Moussa Ag Acharatoumane, secrétaire général du MSA. Les raisons du blocage sont donc multiples : d’un côté, il y a les problèmes entre les mouvements armés, de l’autre les problèmes entre les mouvements, le gouvernement et la médiation. « On ne sait plus par où commencer et avec quels moyens.  Nous sommes face à deux courants idéologiques, et pour faire avancer l’accord, soit on est pragmatique, on fait comme les Ménakois et on avance, soit on est dogmatique et les pauvres populations souffrent quotidiennement pendant que les réunions sont interminables à Bamako », conclut-il.

 

Scission : où va le MNLA ?

Deux apparatchiks, Moussa Ag Acharatoumane et Assalat Ag Habi sont partis du mouvement pour créer le Mouvement pour le salut de l’Azawad.

Ça gronde au sein du Mouvement national de l’Azawad (MNLA). La réunion tenue dans le nord de Ménaka, le vendredi 2 septembre dernier, a débouché sur une cassure dans le mouvement avec le départ de Moussa Ag Acharatoumane et Assalat Ag Habi, dont on sait qu’ils étaient des apparatchiks du mouvement. Par la suite, ils ont créé le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) qui, paradoxalement, ferait partie intégrante du processus de paix, à en croire ses initiateurs. Encore plus important (ou inquiétant ?), Moussa Ag Acharatoumane confie à qui veut l’entendre qu’il s’est retiré avec des pick-up et des hommes, notamment des ex-officiers de l’armée malienne ayant fait défection. De l’avis de beaucoup d’observateurs, cela était prévisible en considération du fait que ces deux hommes se sont éloigné du mouvement ces derniers temps, faisant à ses dirigeants le reproche de faire bon marché des conditions d’existence des populations pour lesquelles ils ont toujours prétendu combattre. Acharatoumane a surtout pointé le goût farouche de ses camarades de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) pour les intérêts personnels, et leur désintérêt pour le processus de paix.

Affaiblissement

On sait de Moussa Ag Acharatoumane qu’il est un membre fondateur du MNLA pour lequel il a servi comme porte-parole bien qu’étant alors basé à Paris. A la tête de la tribu des Dawsahak à Menaka, certaines sources disent qu’il s’est senti marginalisé au sein du mouvement tenu par l’influente tribu des Ifoghas. Quant à Assalat, on dit de lui qu’il est un ancien officier de l’armée malienne appartenant à tribu des Chamanamas. Il faut relever que ces défections, au sein du MNLA, ne sont pas isolées. Elles interviennent après celle fracassante de Ibrahim Ag Mohamed Assaleh au plus fort des négociations à Alger, pour créer la Coalition pour le peuple de l’Azawad (CPA). A cela, vient s’ajouter celle de Moussa Ag Assarid, qui a démissionné aussi pour dire sa désapprobation vis-à-vis de la gestion que ses camarades font du processus de paix.

A un moment où le MNLA est de plus en plus affaibli militairement sur le terrain, ces récentes défections ne sont rien de moins qu’un coup dur de plus dont il tardera à se remettre. On serait tenté de demander où va le MNLA ? Les jours à venir nous en diront davantage.