Immigration clandestine : une solution africaine très attendue

 

 

 

Partir ou rester ? Telle est le dilemme auquel font face les Etats Africains dans la lutte contre l’immigration clandestine. Si beaucoup de jeunes finissent par partir, laissant les gouvernements impuissants, des solutions existent pourtant. Il s’agit entre autres de créer et offrir des opportunités de travail aux jeunes, les sensibiliser sur les dangers de l’immigration clandestine, favoriser la réinsertion et la réintégration des expulsés…

 

Joint au téléphone depuis le Centre de détention TarickSika à Tripoli, où ils ont été identifiés la veille par une délégation de l’ambassade du Mali, celui que nous appelons X est l’un des 69 rescapés Maliens du naufrage survenu le 7 janvier dernier sur la Méditerranée. « J’aurais pu y rester comme les autres. C’était vraiment atroce », témoigne-t-il. La trentaine, X parait terrifier par l’horreur dont il a été témoin et qui, sans nul doute, le marquera à jamais. « Certains ont peur rien que d’entendre parler de « la mort », mais savoir qu’on pourrait mourir soi-même aujourd’hui est un sentiment encore plus terrifiant », raconte-t-il d’une voix tremblante.

 

Bien que le Mali soit l’un des rares pays africains qui se soit doté d’une Politique nationale de migration (PONAM), en septembre 2014, pour lutter contre l’immigration clandestine, le taux de migrants décédés sur la Méditerranée continue de grimper. A ce jour, les 120 milliards de francs CFA prévus pour son fonctionnement peinent à être mobilisés par le gouvernement. C’est du moins l’avis de Ousmane Diarra, président de l’association malienne des expulsés : « Rien n’a été fait, rien ne sera malheureusement fait tant que sa mise en œuvre ne sera pas effective ». A cela, Dr Boulaye Keita, conseiller technique au ministère des Maliens de l’Extérieur et de l’Intégration africaine, répond : « Nous rencontrons certes des difficultés mais, la politique nationale de migration est bien fonctionnelle et le département fait son possible pour relever les défis ».

 

Les causes de l’immigration clandestine sont connues : le rêve européen, la misère familiale, les effets des réseaux sociaux, les conflits dans les pays de départ … Moins attirés par l’Europe qu’ils ne sont chassés de leur propre pays par un climat politique très souvent volatile, les jeunes africains désespérés par les conflits fuient des régimes autocratiques où les violences et persécutions sont nombreuses. Cela ne date pas d’aujourd’hui, car depuis les années 90 on observe une augmentation sensible des départs de jeunes migrants vers l’Europe.

 

« Les migrations existent depuis toujours. Et elles continueront à exister, à cause des changements climatiques, de l’évolution démographique, de l’instabilité, des inégalités croissantes, des marchés du travail et de la volonté de mener une vie meilleure… », soulignait en septembre 2017, António Guterres, Secrétaire général de l’ONU lors de la présentation de son rapport annuel sur les travaux de l’organisation.  « La réponse passe par l’instauration d’une coopération internationale qui aidera à encadrer les migrations… », avait-il ajouté.

 

En attendant, des centaines d’individus continuent chaque jour de braver les dangers de la Méditerranée devenue un gigantesque cimetière qui ne dit pas son nom. Que faire donc face à une telle tragédie sans frontière ?

 

Dans un rapport publié en juillet 2017 (1), l’ONG Amesty International, par la voix de son directeur pour l’Europe, John Dalhuien, avait tiré sur la sonnette d’alarme : « Si le second semestre 2017 est à l’image du premier et qu’aucune disposition d’urgence n’est prise, 2017 est en passe de devenir l’année la plus meurtrière pour la route migratoire la plus meurtrière du monde ». Et de préciser que le nombre de migrants décédés ou disparus en Méditerranée, le plus souvent par noyade ou asphyxie sur des canots de fortune, était de 2 247. Cette alerte a donné le ton dans la prise des décisions pour lutter contre l’immigration clandestine. L’Union Européenne, devenue aujourd’hui le premier continent d’immigration, a également mis en place et renforcé plusieurs moyens de lutte dits ‘’traditionnels’’ : la coopération policière (une réussite au Maghreb), le renforcement de l’Agence Frontex (2), les assistances économiques aux Etats qui reconstruisent une démocratie politique, les accords de réadmission…

 

Malgré tous ces efforts, force est de constater que la victoire dans la lutte contre l’immigration clandestine n’est pas pour demain. C’est pourquoi des solutions nouvelles pourraient être avancées, certes par l’UE mais surtout par ses partenaires, notamment les pays africains : les pays de départ des migrants qui sont directement concernés par le problème. Mais, comment y arriver ? Pour beaucoup d’experts, dans les pays africains le problème est beaucoup plus institutionnel que financier, comme l’attestent les mesures prises jusque-là par l’UE, soit 300 millions d’euros en 2017 pour le fonctionnement de Frontex et 224 millions d’euros dédiés au fonctionnement de EUROSUR (3) pour la période de 2014 à 2020.

 

« L’aide seule ne suffit pas pour résoudre le problème (…) C’est une question de leadership, c’est une question de gouvernance », a précisé MahmatHassane, politologue tchadien sur les antennes de RFI. En d’autres termes, les Etats africains doivent repenser la lutte contre l’immigration clandestine. C’est pourquoi en 2014 lors d’un sommet à Bruxelles, NkosazanaDlamini-Zuma, ancienne présidente de la Commission de l’Union africaine a proposé que «si nous nous concentrons sur la formation de nos populations, investissons sur elles, elles n’auront pas à venir via Lampedusa, elles viendront en avion et seront bien accueillies ».

 

Il est évident que l’une des causes principales de l’immigration clandestine dans les Etats africains est le manque de travail, chose qui pousse les jeunes sur le chemin du départ. Au Mali, l’Etat a fait d’énorme investissements pour la réintégration et la réinsertion des migrants expulsés. C’est du moins l’avis du Dr Boulaye Keita, « le gouvernement a investi plus de 11 milliards pour financer des projets soumis par certains migrants : 29 projets en 2015, 24 en 2016 et 24 en 2017. Malheureusement, on ne peut pas donner du travail à tous en même temps », reconnait-il. Même si c’était le cas les candidats à l’immigration arrêteraient-ils de prendre la mer. Pour Bréma Ely Dicko, sociologue malien, la réponse est non « même si on développait le Mali pour en faire les Etats Unis d’Afrique, les gens vont partir ». S’il est vrai que le développement n’empêche pas le départ, le problème de l’immigration clandestine va donc au-delà d’un seul Etat prit individuellement. Pour plus d’impacts, il faudrait que les Etats africains s’associent. « Cela passe par la création et la mise en œuvre d’une politique nationale au niveau de l’Union africaine », ajoute Ousmane Diarra. Une politique nationale à l’échelle continentale qui permettrait de sensibiliser les candidats au suicide sur les dangers de l’immigration clandestine, d’accompagner le développement des Etats africains, d’inciter et d’encourager la diaspora à revenir investir au pays et de créer des emplois pour les jeunes Africains.

Aujourd’hui encore, beaucoup d’Etats africains peinent à mettre en place une véritable politique d’insertion des jeunes en valorisant les métiers du secteur informel afin de lutter contre le chômage des jeunes. Toutes choses qui pourraient considérablement réduire le nombre de candidats au suicide sur la Méditerranée si ces Etats se donnaient les moyens de « (…) poursuivre les activités de sensibilisation des populations africaines sur la migration irrégulière, puis, décourager toute tentative à la migration des jeunes africains tout en participant à leur encadrement », recommande Mickael Kouassi, président du Réseau africain de soutien aux actions du Président Mahamadou Issoufou (RASAMI) au Niger. Pour y arriver, ces Etats doivent penser à valoriser et à promouvoir ledit secteur. Autrement dit, la mécanique, la menuiserie, la maçonnerie, le commerce sont entre autres des métiers du secteur informel qui pourraient énormément contribuer à réduire le nombre de candidats à l’immigration.  Au Sénégal, une enquête de terrain a montré l’importance grandissante que prennent les formations à la gestion et à l’entrepreneuriat en vue d’aider les travailleurs autonomes et les responsables de petites et moyennes entreprises à mieux structurer et développer leurs activités. Ces types de formation pourraient également servir à former les candidats à l’immigration et permettre à ceux-ci d’obtenir un travail décent dans leur pays respectif. Naturellement, ils renonceront pour la plupart à prendre la mer.

 

 

 

 

Liens

1-​https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/07/central-mediterranean-death-toll-soars-as-eu-turns-its-back-on-refugees-and-migrants/

2-​http://frontex.europa.eu

3-​http://frontex.europa.eu/intelligence/eurosur/

 

 

Sénégal: Le Joola, 10 ans déjà !

Ce sont officiellement 1.863 personnes qui sont mortes dans le naufrage du ferry Le Joola, au large de la Gambie voisine, alors qu’il reliait Ziguinchor à  Dakar. A Mbao, comme à  Ziguinchor, des chefs des différentes confessions religieuses ont dirigé des prières en présence de familles, mêlant des Sénégalais et des Occidentaux, l’air grave ou en pleurs, et les délégations officielles. Le ministre de l’Aménagement du territoire et des Collectivités locales a déclaré à  la presse que tout le Sénégal a subi dans la douleur cette tragédie du Joola. Des gerbes de fleurs ont été déposées dans la journée au pied d’une stèle à  la mémoire des victimes de la catastrophe, Place des naufragés, face au fleuve Casamance, ainsi qu’à  Dakar sur la Place du souvenir, face à  l’océan Atlantique, o๠les familles réclament la construction d’un mémorial-musée Le Joola. A Ziguinchor, l’heure était également au recueillement. Familles de victimes et représentants du gouvernement, conduits par le ministre des Forces armées Augustin Tine, se sont recueillis au cimetière de naufragés à  Kantène (périphérie sud de la ville). Tous se sont ensuite rendus au port de Ziguinchor, o๠ils ont jeté des bouquets de fleurs dans le fleuve Casamance. l’occasion aura permis à  des responsables d’associations sénégalaises de familles de victimes d’estimer que depuis l’élection de Macky Sall à  la présidence en mars dernier, le nouveau pouvoir semble disposé à  remettre sur la table tout le dossier Joola ; en 2003, la justice sénégalaise a classé sans suite le dossier du Joola, faisant valoir que le commandant du ferry, seul maà®tre à  bord et, selon elle, principal responsable du drame, avait péri dans l’accident. © Rappelons que Le Joola effectuait la liaison Dakar-Karabane-Zinguinchor, reliant également la province isolée, au reste du Sénégal, tout en évitant de transiter par la Gambie. Il réalisait, deux liaisons par semaine à  partir de la capitale, les mardis et vendredis aux alentours de 20 heures, et deux autres à  partir de Ziguinchor les jeudis et dimanches vers 13 heures. Cette liaison maritime d’une durée de 13 heures permettait de sortir la Casamance de l’isolement. Conçu pour accueillir 500 personnes, le ferry transportait le 26 septembre 2002, près de 2000 passagers. Ce jour là , peu avant 23 heures, le Joola surchargé s’est retourné au large de la Gambie, à  environ 40 km de la côte. Un seul canot pneumatique a pu être ouvert. Certains passagers se sont réfugiés sur la coque du navire retourné, mais l’immense majorité a été piégée à  l’intérieur ou s’est noyée. Les secours ne sont arrivés que le lendemain matin. A ce jour ce naufrage constitue la plus grande tragédie de l’histoire du Sénégal. Le gouvernement sénégalais a depuis lors entrepris un ensemble de des mesures disciplinaires. Toutefois, aucun des responsables inculpés comme ayant une part de responsabilité dans ce drame, n’a été jugé à  ce jour. Bien plus, des questions subsistent au Sénégal, notamment en ce qui a été fait pour que pareil tragédie ne se produise plus. Car, dix ans après Le Joola, les transports en commun restent toujours aussi dangereux au Sénégal. Les «cars rapides» sont toujours aussi surchargés.