Consommation : la guerre du poulet fait rage

Depuis quelques semaines, les restaurateurs bamakois s’arrachent les cheveux pour trouver du poulet. La fin des importations de volaille surgelée porte un coup sérieux à ces acteurs mais devrait cependant profiter, à terme, à une filière locale en souffrance, malgré son potentiel.

Devant son four, Guindo fait grise mine. Il n’y a pas grand-chose à rôtir ces jours-ci et de toutes les façons, « les clients se plaignent du prix. Ce n’est pas notre faute ! », déplore le jeune homme qui normalement vend une trentaine de poulets rôtis chaque soir dans son kiosque à Kalaban Coura. La raison de cette situation : la pénurie de poulets de chair qui a entraîné la hausse du prix sur le marché. « Le poulet de 2 500, je le vend à 3 000 francs CFA maintenant. Je suis obligé sinon je vends à perte », poursuit le jeune commerçant.

Risques sanitaires La situation sur le marché du poulet est en effet tendue et s’explique par le contrôle drastique exercé depuis quelques mois sur les importations de volailles congelées, interdites depuis plusieurs années, mais qui continuaient d’approvisionner le marché. « Ce n’est que le résultat de plusieurs années de lutte et de lobbying de certains acteurs privés du domaine pour faire respecter cette loi (arrêtés interministériels n°0596 du 18 mars 2004 et n°091551 du 8 juillet 2009, ndlr) », explique Kassoum Diané, exploitant avicole.

« En fait tout ce qui concerne la volaille fait l’objet de restrictions parce qu’il y a un problème de santé publique. Il y a une recrudescence des zoonoses, des maladies qui peuvent être transmises à l’homme par la volaille en consommant des viandes non saines, surtout la grippe aviaire. Il y a aussi le cas des toxo-infections. Les Européens, quand ils enlèvent le blanc de poulet qu’ils utilisent le plus, ils nous envoient les ailes et les cuisses. Or, ce sont ces zones qui accumulent les toxines contenues dans la volaille. Sans compter la distance, la « défrigération » induite par le transport puis la remise au frigo, tout cela est un risque pour la santé publique », assure le Dr Sidi Kéïta, vétérinaire et lui-même exploitant, membre de la Fédération des intervenants de la filière avicole (FIFAM).

Lobby « En Europe, la volaille est vendue autour de 3 euros le kilogramme (environ 2 000 francs CFA). Ce n’est pas possible de l’importer, on se retrouverait avec le kilo à 10 euros (6 500 francs CFA) ici après le dédouanement et autres frais de transport. Alors comment expliquer qu’ici cette viande est vendue à 1 000 ou 1 500 francs CFA donc moins de deux euros ? », questionne le praticien.  Cette importation donne en outre un coup de frein à la production locale, assurent les acteurs du secteur, qui emploie des milliers de personnes. « On vient concurrencer les producteurs locaux qui ne peuvent pas faire face à cette offre moins chère, même si elle est de moindre qualité. Ils cachent les poulets dans les conteneurs de poisson et passent par la Guinée, où les contrôles ne sont pas stricts. Mais désormais les contrôles se durcissent », poursuit le Dr Kéïta.

Au sein de l’Association des producteurs de poulets de chair et d’œufs de consommation, qui compte plusieurs centaines de membres, on se réjouit que le combat porte enfin ses fruits. Mais on déplore aussi la spéculation qui fait gonfler les prix sur le marché. « Ce ne sont pas les producteurs qui augmentent les prix, nous continuons de vendre au même prix qu’avant. Ce sont les revendeurs qui profitent de la situation », explique un autre producteur. « Quand nos poulets arrivent à terme, on n’a pas de chambre froide pour stocker. On est obligés de les vendre même à 1 200, 1400 francs CFA. Sinon, normalement, nous devrions vendre autour de 1 700 à 2 000 francs CFA le kilogramme. Si les gens sont encouragés et qu’ils savent que la clientèle sera au rendez-vous, le kilo peut être établi entre 1 600 et 1 700 francs CFA ». Ce n’est pas encore le cas, « mais on continue parce que les importateurs aussi font leur lobbying en disant qu’il y a pénurie. Il faut importer, donc on est obligés de continuer, même à perte pour que la population puisse avoir de la viande saine et en quantité », conclut le Dr Sidi Kéïta.