Santé : La grève qui tue

Dans les structures de santé publique, où sévit une grève depuis le 8 mars 2017, les couloirs sont déserts et les salles sont vides des malades qui ont été renvoyés chez eux quand « ils sont en état de marcher ». Depuis presque trois semaines, la détermination des syndicats n’a pas faibli, malgré la situation difficile dans laquelle se retrouvent les patients qui ne bénéficient que d’un service minimum « a minima » pour maintenir la pression sur un gouvernement qui ne semble pas non plus décidé à céder. Bien qu’aucun chiffre ne soit disponible pour l’instant, on sait que, à l’aune des témoignages, à Bamako mais aussi et surtout à l’intérieur du pays, la situation est catastrophique. Nos reporters se sont rendus dans des hôpitaux et centres de santé pour toucher du doigt la réalité de cette grève et ses conséquences sur la prise en charge des usagers. Qui n’ont d’autre choix que de se rendre dans le privé ou de prier pour la fin rapide d’une crise, qui n’a que trop duré.

Dans la salle d’attente du service de pneumologie de l’hôpital du Point G, trois personnes sont assises. Deux jeunes gens et une sexagénaire, tous visiblement de la même famille. La vieille dame prend de bruyantes et fortes inspirations, et l’inquiétude se lit sur les yeux de ses proches. La journée débute à peine, il est 8 heures, mais cela fait deux heures qu’ils attendent le médecin. Ils essayent de le joindre, en vain. Une vingtaine de minutes plus tard, l’un des jeunes reçoit un SMS du médecin l’informant qu’il ne peut venir. Ils se rabattent donc sur le premier médecin qu’ils voient, qui leur répond sobrement : « Nous sommes en grève ». À notre tour, nous essayons de voir un médecin. « Que voulez-vous ? Nous sommes en grève, vous ne le savez pas ? Nous n’assurons que le service minimum. Tous ceux qui sont là ont été appelés et ce sont des cas d’urgence. Tous ceux qui peuvent marcher et se mouvoir devront attendre la fin de la grève. Sinon adressez-vous au service des urgences ! », lance la permanente du jour, nous signifiant de la main la fin de la discussion.

Direction les urgences, donc. Un des urgentistes, le Dr Camara, accepte de faire la consultation. Deux minutes et un examen de routine plus tard, il diagnostique une baisse de tension et prescrit une radiographie à faire au CHU Gabriel Touré. À l’hôpital qui porte le nom d’un jeune étudiant en médecine mort de la peste contractée en soignant des malades, nous trouvons portes closes. Compte tenu des circonstances, c’est la porte de sortie qui est maintenant utilisée comme point de passage vers le bâtiment de l’hôpital. Les contrôleurs ont disparu et le hall d’entrée, d’habitude comble, est tristement vide. Ici aussi, c’est un refus catégorique de la part d’un interne pour la radiographie prescrite. « Il y a des yeux partout, si je me hasarde à le faire, j’aurai d’énormes problèmes avec ma hiérarchie », déclare-t-il, l’air de s’excuser. « Vous pouvez repasser vers la fin de la journée, vous aurez peut-être plus de chance auprès de personnes qui ont une conscience professionnelle », lâche-t-il dans un murmure, avant de tourner les talons. La conscience professionnelle, c’est à quoi font appel ceux qui, malgré la grève, se dirigent quand même vers les structures publiques de santé. À leurs risques et périls.

Patients en souffrance L’histoire de Tenin Samaké a ému et révolté le tout Bamako. La jeune femme de 28 ans, au terme d’une grossesse de jumeaux, a rendu l’âme dans la nuit du 17 au 18 mars à l’hôpital Gabriel Touré sous les yeux de son mari, faute d’anesthésiste et de considération à en croire ce dernier. Devant le tollé qu’a soulevé ce drame et l’antipathie envers les grévistes, dont le mouvement n’est déjà pas très bien compris par les populations, les responsables syndicaux ont réagi. Sur les réseaux sociaux, Djimé Kanté, porte-parole du Syndicat national de la santé, de l’action sociale et de la promotion de la famille (SNS-ASPF) réfute la version du veuf. « Les anesthésistes présents ce jour-là étaient déjà occupés sur quatre autres cas en gynécologie. Le drame au Mali, c’est que les gens pensent qu’ils ont la primeur partout, sur tout, tout de suite. Bien avant que le médecin chirurgien ait eu le temps de faire appel à l’anesthésiste, elle a rendu l’âme, seulement cinq minutes après son entrée dans l’enceinte de l’hôpital », défend-il. « Nous ne pouvons refuser de prendre en charge une femme enceinte, je vous prie de faire appel au bon sens et de bien juger ».

Au service de pédiatrie du même hôpital, les parents inquiets et épuisés n’ont même plus la force de réfléchir et de faire la part des choses. Un père de famille s’en prend, véhément, au corps médical, des « assassins sans cœur ». Suite à une circoncision qui a mal tourné, son fils souffre le martyr. « J’ai dû marcher jusqu’à l’Hippodrome pour trouver les médicaments demandés parce qu’il n’y a jamais rien dans leurs pharmacies ici, et ils me disent qu’ils ne les lui administreront pas. ÇA ne se passera pas de la sorte ! », menace-t-il, tremblant de colère. À quelques pas de là, une personne d’un certain âge supplie à genoux un homme en blouse dans la salle de garde pour qu’il puisse examiner son enfant. Impassible, l’homme ne se laissera pas fléchir…

Cliniques débordées Depuis le début du mouvement, il y a près de trois semaines maintenant, les cliniques privées croulent sous les patients. N’ayant plus le choix, tout le monde se rabat vers ces établissements dont les prestations peuvent revenir à dix fois le prix des structures publiques. « J’ai dépensé la majeure partie de mon salaire rien qu’en consultations et en analyses, et j’ai encore des médicaments à payer », se désole Ibrahim Sacko, chauffeur. Au-delà de la question du coût, c’est désormais la disponibilité des professionnels qui pose problème. « Quatre jours durant, je suis allé dans deux cliniques à Djicoroni avec ma mère, mais il y avait tellement de monde que nous n’avons pu être reçus. Nous nous sommes donc redirigés vers une nouvelle clinique où nous avons dû attendre quatre heures pour voir un médecin. Et c’était assez expéditif : en moins de trois minutes, c’était fini », raconte-t-il. D’autres ont connu un dénouement plus tragique. Il y a ainsi quelques jours, un homme souffrant d’hypotension et en détresse à cause de la forte chaleur a succombé. Refoulé de l’ASACO (Association santé communautaire) de Banankabougou, il a été emmené à l’hôpital du Mali, où il n’a pas non plus été reçu. C’est dans une clinique de Yirimadio qu’il a atterri, où un sérum lui a été administré, avant de le renvoyer chez lui. Il mourut trois jours après, malgré le traitement prescrit.

Dialogue de sourds Dans l’opinion, cette grève n’est pas très populaire pour des raisons diverses. Si pour les uns, les agents de santé ne doivent pas refuser de donner des soins aux malades, même en temps de grève, les autres estiment qu’ils n’ont pas le choix pour se faire entendre que de se montrer radicaux. La pierre est jetée tantôt aux syndicats pour leur intransigeance, dont surtout les malades les plus pauvres paient le prix, tantôt au gouvernement qui semble observer la situation avec une certaine apathie. Entre les parties, c’est en effet un dialogue de sourds qui s’est installé, malgré une tentative de discussion le 26 mars. « Une sortie de crise ? Absolument pas. Nous n’allons même pas dans ce sens, c’est sous la pression de la société malienne que le gouvernement nous a appelé pour aller à la limite, nous insulter. Quand un ministre se permet de nous dire que si nous ne reprenons pas, la population viendra nous lyncher, c’est de la menace. Comme le disent les Anglais « Wait and see ». On verra bien qui se fera lyncher », affirme Sinaly Sanogo, 2è adjoint au secrétaire général du SNS-ASPF. Avant de continuer : « Je suis certain que la population comprendra et j’espère que l’État aura le minimum de conscience pour faire un geste vers les travailleurs socio-sanitaires ». « On ne nous montre que du mépris », déplore un des grévistes. « Nous travaillons dans des conditions que personne ne devrait accepter et on estime que nous n’avons pas le droit de réclamer un minimum pour travailler sereinement ».

Au ministère de la Santé et de l’Hygiène publique, on assure que tout est mis en œuvre et que la bonne volonté est de rigueur. Selon le chef de cabinet, Yaya Haïdara, sur les huit exigences des syndicalistes, trois seraient déjà réglées. « Le texte de loi concernant les mutations a été abrogé, pour le paiement des primes de garde des agents chargés du contrôle sanitaire de la maladie à virus Ebola s’élevant à 60 millions, le document pour le décaissement de la somme a déjà été signé et la prise en charge à 100% des soins médicaux des travailleurs socio-sanitaire assujettis à l’assurance maladie obligatoire a également été assurée », détaille-t-il. 191 dossiers auraient été présentés pour l’intégration à la fonction publique des contractuels, et sur ce nombre, 118 présenteraient des anomalies (faux diplômes, âge requis dépassé…), les 81 restants sont en attente de test, toujours selon M. Haïdara. De nombreux points de divergence demeurent toutefois. Les syndicalistes réclament l’obtention substantielle des primes de fonction spéciale et de garde à hauteur de 100 000 francs CFA pour les médecins, 75 000 francs CFA pour les assistants médicaux, 50 000 pour les infirmiers et enfin 25 000 pour les autres. Des améliorations qui devraient en tout coûter 11,954 milliards de francs CFA à l’État, « ce que nous ne saurions nous permettre ». « Nous avions consenti à une augmentation de 25% et ils allaient accepter mais entre-temps, les accords passés avec les magistrats ont été rendus publics et en voyant ce que ces derniers gagnent, ils ont quitté la table des négociations et nous ont fait savoir qu’ils n’y reviendraient pas avant que nous acceptions leurs doléances, en particulier sur les primes de fonction et de garde », conclut le chef de cabinet. La ministre, quant à elle, a déploré sur son compte Twitter le fait que les médecins n’aient « aucune revendication liée aux conditions de travail ». Réponse des syndicalistes : ils continuent d’opposer une fin de non-recevoir et d’observer la grève, jusqu’à nouvel ordre. « Ils disent qu’ils vont mettre tous les moyens en œuvre pour sanctionner. S’ils le font, on verra », lance Sinaly Sanogo. En attendant, les malades continuent de payer le prix de ce conflit qui ne fait que se durcir.

 

Claude Bernard Camara, le précurseur

Ophtalmologiste et fondateur du Centre international d’ophtalmologie du Mali « Yeelen », le docteur Claude Bernard Camara est aujourd’hui l’un des médecins les plus convoités de la sous-région. Portrait d’un passionné des yeux.

Après un Bac scientifique obtenu au Lycée Askia Mohamed de Bamako en 1985, Bernard Camara obtient une bourse d’études pour l’Université de Sienne en Italie, où il aspire à devenir médecin généraliste. Sorti major de sa promotion, il est admis 4è sur 5 places disponibles pour 200 candidats à un concours de spécialisation en ophtalmologie. Seul Africain parmi les admis, il termine encore une fois major de sa promotion et devient ophtalmologiste en 1997. Après un passage en France, il décide de rentrer au Mali en 1999, pensant pouvoir faire partager son expertise, mais se voit refuser l’accès à l’Institut d’ophtalmologie tropicale de l’Afrique (IOTA) par manque de place. Le jeune médecin décide alors de s’installer à son propre compte grâce au soutien de sa famille et crée « Yeelen », le 1er cabinet ophtalmologique privé du Mali en 1999. « Après mon passage à la télévision pour l’inauguration du cabinet, j’ai eu une cinquantaine de clients le lendemain et depuis, ce ne sont pas moins de 50 clients de diverses nationalités que nous recevons par jour ». Celui qui participe à différentes formations aux 4 coins du monde pour se perfectionner, assure avoir consulté plus de 300 000 yeux et formé de nombreux jeunes ophtalmologues. Employant 2 personnes à ses débuts, le cabinet Yeelen a aujourd’hui un effectif d’une dizaine d’agents dans ses locaux à l’ACI 2000. « Nous sommes en train de suivre des formations afin d’améliorer notre technique de chirurgie et tendre vers celle au laser », confie le médecin, âgé de 50 ans, qui inaugurera en mai prochain un cabinet d’ophtalmologie à la pointe de la technologie à Abidjan. Collectionneur d’œuvres d’arts, le Dr Camara est président du Conseil d’administration de la Galerie Médina à Bamako.

 

IOTA À la pointe de l’ophtalmologie

Centre hospitalier universitaire spécialisé dans les soins des yeux et affilié à l’Université de Bamako, la population du Mali et de toute l’Afrique francophone jusqu’à certains pays du Maghreb y consultent. Focus sur l’IOTA.

L’Institut d’ophtalmologie tropicale de l’Afrique (IOTA) est un centre d’excellence dans le champ de la formation en ophtalmologie à travers les diplômes d’études spécialisées d’optométrie, de soins infirmiers ophtalmologiques et technique d’optique. Créée en 1953, cette structure sous régionale a été rétrocédée au système sanitaire du Mali en 2000 suite à la dissolution de l’Organisation de coopération et de coordination pour la lutte contre les grandes endémies. Ses missions sont d’offrir aux populations les soins ophtalmologiques de 3è référence, d’assurer la formation initiale et continue des spécialistes en ophtalmologie pour les pays francophones d’Afrique, et de conduire les travaux de recherche dans le domaine de l’ophtalmologie et de la lutte contre la cécité sur le plan national et international.

Avec un effectif de 125 agents, dont 18 médecins, 38 assistants médicaux, 3 optométristes et 5 opticiens lunettiers, l’IOTA est en pleine mutation. Bientôt sera inauguré un nouveau bâtiment qui va accueillir de nouvelles spécialités, telles que les soins de la rétine et du segment postérieur des yeux, un centre consacré aux soins du glaucome, un centre d’oculoplastie ou la chirurgie des structures autour de l’œil, et le centre d’ophtalmo-pédiatrie. « Nous sommes convaincus que les recherches et formations après le développement de ces 4 pôles, permettront au Mali de récupérer son label de centre de référence de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) », assure le Dr Seydou Bakayoko, directeur général adjoint de l’IOTA. Selon lui, de nombreux projets sont en cours de réalisation pour renforcer la qualité des services de l’IOTA qui pratiquent chaque année entre 75 000 et 100 000 consultations, de 6 000 à 7 000 interventions chirurgicales et environ 20 000 examens complémentaires. Il faut noter en outre que le centre de formation accueille chaque année pour leur spécialisation, 8 médecins, 6 étudiants optométristes et 8 infirmiers venus de toute l’Afrique francophone et du Maghreb, sans oublier les étudiants de la Faculté de médecine et les élèves infirmiers.

 

Cliniques privées : En pleine croissance

Les cliniques privées sont de plus en plus nombreuses dans la capitale malienne. Ouvertes généralement par des médecins en fonction dans les services publics, elles sont une garantie de revenus pour ceux-ci, et souvent l’assurance d’une meilleure prise en charge pour les patients.

Le manque d’équipement et l’absence de personnel qualifié dans les structures publiques sont parmi les raisons évoquées pour ceux qui choisissent, et qui ont les moyens, de se rendre dans une clinique ou un hôpital privé. Une situation que les propriétaires de ce type de structures médicales semblent avoir bien comprise, en proposant des plateaux techniques de plus en plus complets et des spécialistes recherchés. « C’est pourquoi je préfère me rendre dans une clinique privée que dans nos centres de santé », explique Ourou Kanté, chef d’entreprise. Pour Moussa Sanogo, directeur général adjoint de l’hôpital du Point G, l’interpénétration entre le secteur public et privé, qui se fait très souvent au détriment du patient, est une violation de la loi hospitalière. Et d’ajouter qu’elle représente un manque à gagner important pour le public. Pourtant, chez les privés, les affaires sont florissantes. Pour rencontrer un spécialiste dans les cliniques, il faut en effet débourser en moyenne 15 000 francs CFA, sachant que le tarif dépend de la spécialité et de l’heure de la consultation. La grille des consultations est comprise entre 6 000 et 15 000 francs CFA, contre seulement 1 000 francs CFA dans un établissement public. Un véritable business qui va continuer de fleurir au vu des nouveaux investissements qui sont faits, comme ceux du premier hôpital privé du Mali, dont les travaux viennent de s’achever à Badalabougou à Bamako.

Santé : Le Mal-être à tous les étages

Le monde sanitaire domine l’actualité de ces derniers jours au Mali. Pour cause, une grève illimitée paralyse toutes les structures publiques depuis le 9 mars et si l’on en croit les différents acteurs, le conflit n’est pas près de se résoudre. Le service minimum ne prenant en charge que les urgences vitales, les hôpitaux se vident de leurs patients, pendant que les cliniques privées font le plein, les malades n’ayant d’autres recours pour se soigner. La santé au Mali, un secteur laissé pour compte ? Non, répond-on au ministère de la Santé, où les initiatives pour rehausser le plateau technique mais aussi la formation des agents se multiplient. Mais leur impact tarde à se manifester durablement dans l’offre de soins, en particulier dans le public. Résultat, un véritable sentiment de santé à double vitesse.

Le débat sur le fait que les dirigeants africains, et donc maliens, préfèrent prendre l’avion pour voir le médecin est de nouveau d’actualité. Les derniers cas ont renforcé un sentiment déjà bien partagé : les décideurs ne font rien pour améliorer les structures sanitaires parce qu’ils ne sont pas concernés par leur utilisation. Un raisonnement que l’on réfute du côté des pouvoirs publics. Interpellée en février dernier à propos de l’état de délabrement des infrastructures de l’hôpital-CHU du Point G, la ministre de la Santé, le Dr. Marie Madeleine Togo, réagissait sur son compte Facebook (qu’elle a choisi comme vecteur privilégié pour communiquer avec le public ndlr). « Il est à signaler que l’Hôpital du Point G est dans une situation financière difficile à laquelle nous sommes en train de faire face : à la date du 29 août 2016, l’hôpital du Point G comptait 1,300 milliards de factures impayées rien que sur l’exercice 2016 (sans compter les impayés de 2012 à 2015). Il est à signaler que depuis le début du mois de février 2017, l’hôpital du Point G a une autonomie de fabrication d’oxygène médical suite à l’installation de générateurs d’oxygène (tout comme à l’hôpital du Mali et l’hôpital Gabriel Touré) », déclarait la ministre. Entre-temps, le cas des autres installations de l’hôpital, la morgue en particulier, a été géré et la maintenance des équipements faite.

Quand l’essentiel manque La situation de difficulté financière est inhérente à toutes les structures de santé publiques. C’est l’un des principaux arguments avancés pour expliquer les manquements que l’on reproche aux centres de santé, comme à leurs agents. Ces derniers se défendent, rappelant les conditions parfois catastrophiques dans lesquelles ils doivent travailler. « Cela fait des mois que l’imagerie au Point G ne se résume qu’à l’échographie, car tous les autres appareils (IRM, scanner et simple radiographie dernièrement…) sont en panne et la biologie n’en parlons pas », déplore Mohamed, jeune médecin. « Il ne suffit pas d’acheter du matériel pour résoudre la question de l’offre sanitaire au Mali. Il faut ensuite assurer la maintenance de ces équipements et c’est là que le bât blesse », ajoute le Dr. Fousseyni Traoré, médecin oncologue, spécialiste des cancers des enfants. Et « investir dans la formation », complète le spécialiste, qui déplore le niveau des agents de santé, particulièrement ceux formés dans le privé.

L’offre de formation s’est en effet largement diversifiée ces dernières années. Mais là encore, l’opposition public/privé se fait sentir. Les facultés de médecine et de pharmacie reçoivent chaque année des centaines d’étudiants qui doivent passer le cap du redouté « numerus clausus » (fourchette d’admission liée au nombre d’étudiants à recruter et à la moyenne atteinte, ndlr). Ceux qui ne passent pas ce goulot se retrouvent dans la pléthore d’instituts et d’écoles de formation en santé qui a été créée au cours de dix dernières années. Il existe même une faculté de médecine privée qui commence à avoir les faveurs des étudiants issus de milieux aisés, qui préfèrent payer pour être sûrs d’être reçus. « Même le niveau de ceux qui sortent du public commence à baisser », observe un médecin sous couvert d’anonymat. Pour lui, la question de l’implication réelle des enseignants, par ailleurs eux-mêmes médecins ou pharmaciens, est au cœur de la question de la qualité de la ressource humaine, la relève arrivant déjà après le bac avec des lacunes.

Revendications multiples « On nous montre du doigt alors que nous aussi sommes des victimes », se défend le Dr. Mohamed. Un sentiment généralisé qui a mené les agents des services de santé, en même temps que ceux de l’action sociale, a lancer une grève illimitée. Cette dernière, en cours depuis le 9 mars, vise selon le Professeur Mamady Kané, médecin radiologue et secrétaire général du Syndicat national de la santé, de l’action sociale et de la promotion de la famille (SNS-AS-PF), à se faire « enfin entendre des pouvoirs publics qui ne montrent pas de réelle volonté à améliorer les conditions de travail du corps médical et rattaché du Mali ». Ce débrayage, dont les conséquences sur la santé des populations n’est pas à démontrer, fait suite, selon les syndicats, à plusieurs négociations qui avaient permis d’aboutir à un procès-verbal de conciliation que le gouvernement traine toujours à appliquer. Au nombre des revendications des grévistes, l’augmentation substantielle des primes de fonction spéciale et de garde, l’octroi d’une prime de monture aux travailleurs socio-sanitaires et de la promotion familiale, l’intégration des émoluments des bi-appartenant dans le salaire, le maintien et l’extorsion des ristournes à toutes les structures génératrices de ressources et la prise à 100% des soins médicaux des travailleurs socio-sanitaires assujettis à l’Assurance maladie obligatoire. Mais aussi l’abrogation des mutations considérées comme abusives de syndicalistes en cours de mandat, les grévistes dénonçant « cette pratique qui vise à casser notre combat ». Enfin, le paiement des primes de garde des agents de santé chargés du contrôle sanitaire de la maladie à virus Ebola (2015-2016). Les raisons de cette grève soulèvent de nombreuses critiques au sein de la population. « On ne voit pas une seule demande ayant trait à l’amélioration du plateau technique ou des conditions de prise en charge des malades », dénonce Aba, commercial. « Nous ne demandons pas la mer à boire mais nous voulons juste des meilleures conditions de vie pour le bonheur de nos familles et de nos patients », rétorque le Dr. Dembélé, interne à l’hôpital du Point G. « Il faut reconnaître qu’on a trop souffert en réalité avec un gouvernement qui joue au sourd muet avec nous », ajoute le médecin, faisant écho au sentiment exprimé par le Professeur Kané, qui regrette quant à lui que « plus d’une semaine après le début de la grève, personne ne nous a contacté pour discuter de quoi que ce soit ». Du côté du ministère du Travail et de la Fonction publique, principal interlocuteur des syndicats, on estime, sans plus de commentaires, que tout a été mis en œuvre pour éviter cette grève.

Les hôpitaux et centres de santé publics se sont donc vidés au profit des cliniques privées. Ces dernières, qui offrent toutes les prestations attendues d’une structure de santé mais à un coût largement plus élevé que celui des structures publiques, ne désemplissent plus. Que ce soit pour des examens ou pour une consultation en spécialité, ou même encore une césarienne, ceux qui le peuvent font le choix du privé. Et même si le secteur n’est pas, lui non plus, exempte de critiques, la « concurrence » qui se renforce avec un service public aux prises avec ses difficultés, entérine le sentiment que la santé demeure encore un privilège pour les Maliens.