Fonds pour les autorités intérimaires : En deçà des attentes

Le gouvernement a annoncé lors de la 31ème session du Comité de suivi de l’Accord (CSA), tenue le 14 janvier à Bamako, le déblocage prochain de plus de 2 milliards de francs CFA pour la relance des activités des autorités intérimaires. Mais la nouvelle ne suscite pas grand enthousiasme auprès des acteurs, qui jugent la somme annoncée « insignifiante ».

Plus de 2 milliards de francs CFA. C’est le montant qui sera alloué aux autorités intérimaires des régions de Tombouctou, Taoudeni, Gao, Kidal et Ménaka. Une annonce faite par le ministre de la Cohésion sociale, de la paix et de la réconciliation nationale lors de la dernière session du Comité de suivi de l’Accord. Installées en 2017 après de nombreux remous, les autorités intérimaires assurent depuis la gestion des collectivités territoriales les concernant. Elles sont chargées, entre autres, d’assurer la remise en marche et le fonctionnement des services sociaux de base, mais aussi de la coordination des actions de développement et de relance économique et socioculturelle.

Mais la tâche n’est pas aisée dans un contexte de crise sécuritaire et de « tensions de trésorerie ». La somme annoncée par le gouvernement pour la relance des activités des autorités intérimaires est jugée dérisoire face à la demande des populations et aux défis de la reconstruction. Car la crise de 2012 a détruit  l’essentiel des acquis et plongé ces régions dans des besoins jusque-là sans réponse valable.

« Imaginez : deux milliards pour combien de régions ? C’est insignifiant par rapport aux attentes des populations. On nous a notifié quelque chose comme 70 millions et cela c’est comme jeter une goutte d’eau dans l’océan », estime Abda Ag Kazina,  Vice-président  de l’autorité intérimaire de Kidal. Selon lui, le gouvernement leur avait même retiré le droit de tirage pour l’année 2018. Il ne comprend pas ce geste des  autorités. « Nous avions passé des contrats avec des entreprises. Certaines ont même débuté les travaux, mais, à la dernière minute, l’Agence nationale d’investissement des collectivités territoriales (ANICT) nous a dit que ces conventions étaient caduques. Au lieu de résoudre nos problèmes, ils en créent, au contraire », dénonce-t-il, très mécontent.

Dans la plupart de ces régions, l’absence des services sociaux de base est poignante. La majorité des écoles sont fermées, les hôpitaux sous équipés et l’eau une rareté.  La normalisation tant attendue se fait lentement alors que l’urgence est réelle. « On a besoin de tout. Concernant la région de Kidal, on est revenu totalement en arrière, alors qu’on était sur une bonne lancée en 2012. Donc il faut tout revoir, tout refaire », souligne le vice-président. L’insuffisance des fonds est aussi  soulignée par le Président de l’autorité intérimaire de Ménaka, qui affirme que  « tout appui a un impact sur la vie des populations ». « Ce que nous avons comme ressources est en dessous des besoins, mais on se contente de ce qu’il y a de disponible », s’accommode Abdoul Wahab Ag Ahmed Mohamed.

S’attaquer aux priorités

La relance des services sociaux de base demeure la préoccupation partagée par tous les acteurs. Pour Abda Ag Kazina, les rénovations des édifices auxquelles s’attaquent le gouvernement ne sont pas les vrais problèmes. « Le gouvernement met beaucoup d’argent dans la réhabilitation de bâtiments administratifs qui ne seront même pas utilisés dans l’immédiat, alors que les services sociaux de base, la santé, l’éducation, l’eau, sont les problèmes ». En 2018 à Ménaka, selon le Président de l’autorité intérimaire, des activités ont été menées dans les domaines de l’hydraulique, de la santé, de l’éducation et de la relance économique. La présence des ONG humanitaires dans ces localités améliore conséquemment la vie des populations. Pour l’analyste politique Boubacar Bocoum, la somme annoncée par le gouvernement sera loin de faire tache d’huile. « Elle n’est ni structurée ni planifiée dans un projet de développement. Or c’est en fonction des besoins qu’on décide de mettre les moyens », regrette-t-il. De l’avis de l’analyste politique, les autorités intérimaires n’ont même plus de raison d’être. « Elles sont juste une gestion politique de la crise. Elles sont devenues caduques, car c’est juste une manière d’amadouer les signataires de  l’Accord, alors que le peuple du nord, qui est sur le terrain, ne verra même pas la couleur de cet argent », avance-t-il.

Malgré nos multiples sollicitations auprès de la direction de l’Agence nationale d’investissement des collectivités territoriales (ANICT), structure en charge de ce fond, nous n’avons pas eu accès à ses informations sur le sujet.

Ménaka : Une région en souffrance, au cœur des enjeux

La région de Ménaka, martyrisée par la crise de 2012, continue de souffrir. Malgré sa libération en 2013, puis son  érection en région, ses populations vivent dans l’urgence. Si l’insécurité diminue, l’accès à l’eau, à l’électricité et à la connexion internet sont de quotidiennes préoccupations.  Des voix lasses et en colère nous interpellent.

« L’eau, c’est la vie », dit un adage touareg. A Ménaka, dans l’est du Mali, cette réalité est mal vécue quotidiennement. Ville martyre, Ménaka a subi toutes les péripéties de la crise de 2012. Région stratégique, frontalière avec le Niger, tant de fois elle a basculé, lors de l’occupation, d’un groupe armé à un autre. Libérée en 2013 des groupes djihadistes, son opérationnalisation en région, une exigence de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali signé en 2015, avait suscité de grands espoirs de changement des conditions de vie des populations. Plus de quatre ans après, la demande sociale est à son comble. Les manques d’eau, d’électricité et de connexion s’ajoutent au problème d’insécurité. Les secteurs de l’éducation, de la santé et des infrastructures n’ont point bénéficié de l’attention du gouvernement.  Pour dénoncer « la triste réalité », la société civile a organisé le 20 mars une marche pacifique. Une liste de doléances a été remise au Gouverneur de la région, Daouda Maiga  pour une suite favorable. Depuis, la situation a pourtant empiré.

Une situation intenable

« Nous sommes dans la soif, on n’a ni eau ni électricité, à plus forte raison la connexion 3 G. Les gens sont obligés de parcourir de longues distances pour ramener quelques bidons du forage », témoigne Agaly Ag Bilal, chef de famille. L’absence de services sociaux de base dans la nouvelle région est manifeste. Depuis plus de deux mois, la population fait face à des coupures d’eau, à une absence totale d’électricité et à une connexion 3 G inexistante.

La période de chaleur et les conditions climatiques peu clémentes s’ajoutent à un quotidien de calvaire. « Personne n’a rien apporté à la région. Les problèmes qui existent à Ménaka n’ont pas d’explication, ils ont trop duré. Depuis son érection en région, rien n’a bougé d’un iota. L’eau constitue la plus grande urgence aujourd’hui, c’est d’elle que les gens vivent », interpelle Eglasse Ag Ibrahim, un jeune habitant de la ville. La situation qu’il décrit est alarmante. Dans cette zone désertique, l’eau a un prix. Chaque jour la tension monte. « Bientôt c’est le mois de carême. Le ministre de l’Énergie et de l’eau est venu jusqu’à Ansongo, mais il est reparti sans venir à Ménaka. Les gens sont prêts à la désobéissance civile », dénonce Mohamed Ag Issafeytane, journaliste à la radio rurale. « Ménaka est une ville martyre. Ici les gens ont opposé leur résistance à l’occupation. Mais c’est comme si on n’existait pas dans ce pays », se révolte-t-il.

Au niveau du seul forage de la ville, les gens se bousculent. Un bidon de 20 litres d’eau coûte 100 francs CFA. Les puits et les oueds sont asséchés et les cultures maraichères mis à mal. La capacité de la seule adduction d’eau est insuffisante pour une population en pleine croissance dans une ville en expansion. « L’installation était destinée à des bornes fontaines. Mais, face à la croissance de la population, les gens ont amené l’eau dans leurs maisons. La demande est le triple de l’offre», explique Djibrilla Maiga, Président du Conseil régional des jeunes. Constat partagé par le Président de l’Autorité intérimaire, Abdoul Wahab Ag Ahmed Mohamed. « L’expansion de la ville dépasse les capacités des anciennes installations. Il y a des quartiers où les tuyaux ne sont pas posés. Nous avons de réels problèmes pour subvenir aux attentes », reconnait-il.  Dans cette région désertique, la vie n’est pas rose, avec de faibles revenus et une économie confrontée aux aléas de l’insécurité et de la sècheresse. Si l’eau est une demande pressante, l’électricité en est aussi une. « Depuis qu’on a fait la marche, on a plus revu d’électricité. Dès que la nuit tombe, seule les lumières du gouvernorat et des ONG humanitaires sont visibles. Je charge mon téléphone grâce à la batterie de ma moto », témoigne un autre habitant. Pour Nanout Kotia, maire de Ménaka, « la situation est toujours la même » depuis la dernière action de la société civile. Certains parlent  même d’une région de « façade » au vu de manque de réponses. « Nous leur avons dit lors de la marche que si l’internet, l’eau et l’électricité ne venaient pas nous allions renoncer à la région et redevenir un cercle, mais, jusque-là, sans aucune suite », se désole Eglasse Ag Ibrahim.

Des alternatives éphémères

Les solutions alternatives proposées par les autorités  locales en collaboration avec Barkhane et la MINUSMA ne suffisent pas pour faire face aux besoins. Mais elles ont eu le mérite d’étancher un minimum la soif des habitants des quartiers périphériques. « Nous sommes dans une saison très chaude où il y a beaucoup de consommation. Nous avons réalisé un forage, installé un groupe électrogène et réhabilité l’installation existante. En partenariat avec Barkhane, nous avons positionné dans les quartiers où ils n’y a pas d’eau 11 cuves approvisionnées par les citernes de la MINUSMA. C’est là que les habitants se procurent l’eau », dit le Président de l’autorité intérimaire. Quant à la société TILGAZ, qui fournissait par intermittence l’électricité, elle a cessé de fonctionner faute de matériel. « Ses deux groupes  électrogènes sont tombés en panne. Barkhane a réparé un, qui ne suffit pas », rappelle Abdoul Wahab Ag Ahmed Mohamed, assurant que des plaidoyers ont été menés et que l’information est montée vers qui de droit. Pour le Président du conseil régional des jeunes, « il faut des solutions durables et définitives et non des palliatifs. Ce dont on a besoin, c’est d’EDM, de la SOMAGEP et la connexion. L’État doit prendre ses responsabilités. Il est inadmissible aujourd’hui qu’une  région comme Ménaka continue d’avoir soif et d’être dans l’obscurité. On ne demande pas l’impossible. Si nous ne sommes pas des Maliens, qu’on nous le dise ! », prévient-il. Selon lui, une nouvelle mobilisation se prépare avant le début du carême. Le sentiment d’abandon invite à des rétrospections. « Finalement,  l’histoire est en train de donner raison au MNLA. Ménaka a été totalement délaissé. On parle de programme présidentiel d’urgences sociales pendant que nous avons soif et sommes dans l’obscurité », dénonce sans concession Mohamed Ag Issafaytane. Le Gouverneur Daouda Maiga assure que les demandes « légitimes » des populations retiennent l’attention des plus hautes autorités. « Tous ces problèmes sont réels et le gouvernement est à pied d’œuvre pour faire avancer ces dossiers ».

De nombreux enjeux

La région couvre environ  80 000 km2 et de nombreux acteurs y interviennent. En plus de la MINUSMA et de Barkhane, l’armée malienne, la CMA, la Plateforme et le MSA cohabitent. La présence de Barkhane a fait diminuer l’insécurité. « Depuis qu’ils sont arrivés, la situation est redevenue stable. La décision du gouverneur de faire sortir tous les groupes armés de la ville a été appliquée », souligne le Président de l’autorité intérimaire, qui se félicite la collaboration des acteurs pour les patrouilles mixtes. Il y a pour chaque mouvement trois véhicules, deux autres pour la sécurité des responsables et un autre pour les patrouilles. Au sud dans la région, vers la frontière avec le Niger, les groupes MSA et GATIA s’affrontent régulièrement avec des groupes dits « terroristes ». Ils ont été soupçonnés le 12 avril  par le Directeur de la Division de droits de l’homme et de la protection de la MINUSMA de graves violations des droits de l’homme dans certaines localités. Des accusations que le Secrétaire général du MSA a jugées sur RFI « infondées ». « Nous ne sommes pas dans une guerre communautaire, nous défendons nos communautés contre une organisation criminelle », s’est-il défendu, appelant à une enquête transparente.

La floraison des acteurs et le déploiement prévu de la force G5 Sahel le long des frontières témoignent de l’intérêt de sécuriser Ménaka. En attendant, les difficultés sociales et le mécontentement de communautés « lésées » par le récent projet de découpage territorial interpellent.