Sidi Brahim Ould Sidati : « C’est à notre tour d’embarquer ceux qui veulent rester derrière »

La Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) a remporté, ces dernières semaines, des victoires décisives sur son adversaire, la Plateforme, dans le conflit de position qui les oppose depuis le 6 juillet dernier. Avec la reprise de Ménaka, vendredi 28 juillet, la CMA confirme sa domination. Reste maintenant à mettre en œuvre un processus de paix que ces différents conflits violents ont considérablement mis à mal. C’est dans ce contexte que l’actuel président de la CMA, Sidi Brahim Ould Sidati, nous a reçu dimanche 30 juillet à Bamako, pour une discussion à bâtons rompus sur les tenants et aboutissants d’une crise dont personne ne peut dire pour le moment quand et comment elle sera réglée.

Depuis le 6 juillet, la mise en œuvre de l’Accord est bloquée et les affrontements entre la Plateforme et la CMA ont repris. Pourquoi ce recours aux armes ?

Vous savez, les populations ont vu la lenteur de la mise en œuvre de l’Accord. Elles ont aussi vu les exactions que faisait le GATIA sur les populations civiles, malgré plusieurs interpellations adressées à la MINUSMA, aux droits de l’Homme, à tout le monde. Tous ont été indifférents à ce qui se passait en dehors de Kidal, les spoliations, les enlèvements de biens, les exécutions. Ils sont allé jusqu’à brûler des civils dans des puits. La CMA a été acculée par ses propres populations. Nous avons fait face à une crise interne. La population de Kidal a failli marcher contre nous pour dire on est plus d’accord avec cette inaction. Nous avons  été obligés de réagir. C’est pour cela qu’il y a eu des actions le 6 et le 12 juillet, pour attaquer les patrouilles du GATIA et défendre les territoires que la CMA devait occuper à la signature du cessez-le-feu.

Plusieurs tentatives de parvenir à un cessez-le-feu ont échoué. Pour quelles raisons ?

Quand nous avons repris Anefif et que le GATIA en est sorti, nous avons demandé un cessez-le-feu, pour obliger chacun à rester sur ses positions, et pour qu’on relance la mise en œuvre du chronogramme, l’arrivée des Famas et du MOC à Kidal. Le 18 juillet, les 3 parties maliennes, avec l’aide de la Commission de bons offices dirigée par l’imam Dicko, sont tombées d’accord sur un texte consensuel et se sont engagées à l’arrêt des hostilités. A notre grande surprise, le 19 juillet, la Plateforme n’est pas venue signer. Ils ont refusé de signer pour récupérer de nouvelles positions sur le terrain, parce que la conservation des positions de chaque partie en cas de cessez-le-feu les dérangeait. Tant qu’on attend un cessez-le-feu que les autres refusent, on ne peut pas avancer et rentrer dans la dynamique d’un chronogramme réalisable. Nous avons donc décidé d’avancer. Quand on sera parvenu à mettre sur pied l’embryon du MOC, quand ils seront prêts à faire le cessez-le-feu et à travailler sur des mesures de confiance, ils prendront le train en marche. Nous avons déjà connu cela, notamment à la CEN. Dans le processus de paix on a suffisamment pris le train en marche, aujourd’hui c’est à notre tour d’embarquer ceux qui veulent rester en arrière.

 Votre entrée à Ménaka a surpris tout le monde. Les autorités maliennes ont dit que c’était « contraire à l’Accord de paix ». Pourquoi avoir pris la ville ?

Quand Ménaka a été repris à la CMA, en violation de tous les arrangements sécuritaires, nous n’avons pas vu un communiqué ou une déclaration du ministère de la Défense, disant que l’action menée par les troupes de la Plateforme contre la CMA était une violation de l’accord. Nous considérons que nous avons juste repris notre dû. Le gouvernement ne peut pas accepter le MSA et Ganda Koy à Ménaka et dire non à la CMA. Nos gens sur place ce sont des Maliens, des gens de Ménaka qui ont leurs familles là-bas. Cette politique de deux poids deux mesures doit cesser si le gouvernement veut se comporter comme tel. Toutes les manipulations, toutes les manigances pour reprendre Kidal ont échoué. Vu que cette milice, qui entravait l’Accord, a été mise en déroute, le gouvernement devrait en profiter pour relancer sa mise en œuvre. Aujourd’hui, à Ménaka les Famas et la CMA, les belligérants d’hier, se parlent, participent à la sécurisation des populations ensemble. C’est donc déjà quelque chose de positif. On est entré sans tirer une balle, on s’est compris avec les différentes forces sur le terrain, on n’est pas venu prendre des positions à qui que ce soit. Nous occupons notre place en tant que ressortissants de Ménaka. La place du GATIA n’a pas été prise. Le jour où il sera disposé à faire la paix, il pourra venir la prendre. La CMA est là et est toujours disponible pour aller de l’avant. Nous sommes prêts à mettre ça derrière nous.

 Cette crise de confiance entre le gouvernement et la CMA est aussi une entrave à la mise en œuvre de l’Accord ?

Le GATIA est à la base de cette crise de confiance depuis l’accord de juin 2015 avec le gouvernement. On signe un accord, la cessation des hostilités, et au même moment vous avez un bras armé qui vous harcèle. Tout ce qu’il fait est autorisé par le gouvernement malien, il est applaudi et même encouragé. Le GATIA n’a jamais été dénoncé par le gouvernement, pourtant il a violé l’accord plusieurs fois en s’attaquant à la CMA. Cette crise de confiance nous empêche d’avancer. Dans le raisonnement du gouvernement, tant qu’il n’y a pas le GATIA à Kidal, cela veut dire qu’il n’y a rien à Kidal. Le GATIA est une partie de l’armée malienne, on l’a dit au ministre de la Défense. On lui a demandé de rappeler à l’ordre son Géneral (Gamou – ndlr), d’arrêter tout ça. Tant qu’une situation de confiance ne se créée pas, on ne pourra pas avancer.

 Donc, vous pensez que le gouvernement est aussi responsable de l’instabilité qui sévit dans la région de Kidal ?

Nous savons qu’il y a des officiers de l’armée malienne qui sont pris dans les combats, leur matériel est sur le terrain. L’Accord est un cadre où tout est à discuter. Pour eux, la seule partie belligérante c’est la CMA. Il faut l’affaiblir pour que le gouvernement ne mette pas en œuvre l’Accord tel qu’il est écrit dans les textes. Pour cela, ils ont créé le MSA, ils ont divisé la CJA, créé le MPCA, la Plateforme. Ils pensent que la CMA est devenue faible et qu’elle se limite à Kidal. Ils se rendent compte aujourd’hui qu’ils se sont trompés. L’objectif n’est pas seulement d’arriver à Kidal, mais de savoir combien de temps ils vont pouvoir y rester, surtout s’ils n’ont pas l’adhésion de la population. C’est pour cela qu’ils ont appelé l’imam Dicko. Il faut vraiment créer un dialogue malien, il faut que les Maliens s’acceptent entre eux. Dicko voit plus loin que les composantes CMA – Plateforme, il touche le fond même du problème : le fait que les Maliens s’acceptent entre eux, que l’essence de la population malienne de Kidal accepte le gouvernement, accepte les Famas, dans une acceptation au sens africain, malien du mot, pas seulement dans les écrits.

Sidi Brahim Ould Sidati, Me Harouna Toureh et le Général Elhadji Gamou à Ménaka, pour l’installation des autorités intérimaires.

 Le GATIA affirme que des renforts djihadistes ont aidé la CMA durant les affrontements. Pouvez-vous clarifier cette affirmation ?

La CMA n’a pas disparu, c’est la même CMA qui occupait les 5 régions du Nord, c’est la même CMA qui est à Kidal, qui a aussi des positions dans la région de Tombouctou, jusqu’à la frontière de la Mauritanie, dans la région de Gao. Ces hommes ne se sont pas volatilisés, les armes qu’ils avaient ne se sont pas volatilisées. Avec la propagande véhiculée par la Plateforme et la presse malienne, les gens ont cru que la CMA n’existait plus. La CMA est à Kidal, elle est avec Barkhane, avec la MINUSMA. Les islamistes ne peuvent pas s’organiser avec la présence de Barkhane sur le terrain,  ses appareils, ses satellites et ses drônes. Ils sont à la recherche des djihadistes tous les jours, c’est impossible qu’il se rassemblent aujourd’hui. Ce qu’ils font, c’est poser des mines ou commettre des attaques à motos, c’est tout.

 Toutes les tentatives pour faire revenir l’administration à Kidal ont toujours été des échecs. Au fond, est-ce possible ?

Aujourd’hui, j’encourage la mission de bons offices, parce qu’ils vont essayer de concilier les positions de la société civile de Kidal et de la CMA pour que les gens soient moins hostiles à l’armée et aux symboles de l’Etat. Nous avons un chronogramme avec le gouvernement. Dès qu’on signera la fin des hostilités, la mise en œuvre du chronogramme sera immédiate. Aujourd’hui, il est très difficile de le faire alors que les gens sont en train de s’affronter. On s’entend avec le gouvernement, avec le MSA, avec le MPCA, avec Ganda Koy, avec le MAA. Il manque seulement une composante à convaincre. Nous sommes aujourd’hui en position d’appliquer l’accord, il s’agit simplement de le vouloir.

 

CSA ministériel : un accord en vue entre la CMA et la Plateforme

Un pas vient d’être franchi dans la mise en œuvre l’Accord de paix et de réconciliation issu du processus d’Alger. Les ennemis d’hier, CMA et la Plateforme, semblent enterrer la hache de guerre pour donner une chance au dialogue intergroupe.

Ce vendredi 10 février se tient à l’hôtel Amitié le Comité de Suivi de l’Accord (CSA) ministériel, en présence d’une délégation de la CMA conduite par les secrétaires généraux du MNLA, du HCUA et du MAA (Bilal Ag Achérif, Alghabass Ag Intalla et Ibrahim Ould Sidati), des représentants de la Plateforme et d’autres mouvements dissidents.

Il s’agit au cours de cette rencontre de haut niveau, de donner un coup d’accélérateur au processus de paix et de réconciliation au Mali en panne depuis quelques temps.

En tout cas l’espoir est permis. Le leader de la plateforme Me Harouna Toureh était à Kidal le 07 février dernier où il a échangé avec les leaders de la CMA. Cette visite visait à ramener les ex-rebelles dans le processus de paix, après que ces derniers aient suspendus leur participation aux travaux du comité de suivi de l’Accord. « Je suis venu voir mes frères de la CMA qui ont suspendu leur participation aux instances du CSA pour des raisons qui leur sont propres, mais que nous partageons. La CMA est un élément clé du processus, son absence pèse beaucoup sur la mise en œuvre de l’accord», explique Me Harouna Toureh.

Même si le déplacement de Me Toureh est considéré au sein de la Plateforme comme une initiative personnelle, il a été tout de même très apprécié au niveau de la CMA. «Cette visite a été vraiment positive parce que ces derniers temps, la Plateforme et la CMA se sont beaucoup concertées pour avoir une nouvelle vision politique et mettre en place un cadre de travail qui va faciliter la mise en œuvre de l’Accord », souligne un cadre de la CMA. « Au cours de cette rencontre, Me Harouna Toureh nous a réaffirmé que les propos de Fahad ne l’engage pas du tout et que s’il y a un différend entre GATIA et CMA, ça se réglera entre eux hors de la Plateforme », a-t-il ajouté. Malgré cette différence d’appréciation entre les responsables de la Plateforme, le secrétaire général du GATIA Fahad Ag Mahmoud a souligné une possible entente entre la CMA et la Plateforme au cours de cette réunion de haut niveau.

Sidi brahim Ould Sidati : « Tout le monde ne peut pas faire partie des autorités intérimaires au niveau régional »

Le secrétaire général du MAA et chef de délégation du comité de suivi de l’Accord pour la CMA est revenu, lors d’un entretien téléphonique, sur les questions brûlantes concernant la mise en oeuvre de l’Accord au sein de la CMA. Dissensions internes, viabilité de l’accord, aucune question n’est éludée.

Vous avez tenu une conférence de presse hier où vous avez félicité le gouvernement et mis en avant des irrégularités sur le décret de nomination des autorités intérimaires, quelles sont-elles ?

Nous félicitons vraiment le gouvernement pour le nouveau décret. C’est une avancée majeure dans l’application du processus de paix. On a cependant noté certaines irrégularités c’est vrai, notamment dans le décret concernant les régions de Tombouctou, Kidal, Ménaka. Irrégularités qui sont en contradiction avec l’Entente signée le 19 juin dernier, et qui est à la base du décret. Dans le document d’Entente, l’accord stipule que la taille des autorités intérimaires au niveau régional est égal à celle du conseil régional qu’elle remplace, ce qui veut dire que si dans la région de Tombouctou il y avait 12 conseillers, les autorités intérimaires devraient avoir 12 conseillers, or ils en ont eu 13 à Tombouctou, et à Kidal c’est la même chose. C’est en contradiction avec l’Entente que nous avons signé et qui délimitait pour chaque partie le nombre de conseillers. La CMA a constaté que l’Entente est respectée dans les régions de Taoudéni et de Gao, mais telle n’est pas le cas à Tombouctou, Kidal et Ménaka, et nous avons demandé au gouvernement de revenir sur cette situation pour qu’elle soit en conformité avec ce qui a été signé.

Beaucoup parlent d’un revirement opportuniste de la CMA, qui après avoir décrié l’action du gouvernement le félicite quand il va dans son sens, qu’en pensez-vous?

Ce n’est pas un revirement. C’est une manière de reconnaître les efforts que l’autre partie fournit, on ne peut pas toujours dire que tout est mauvais ! la CMA est là pour dire exactement ce qui se passe, quand ça avance nous le disons, quand ça bloque nous le disons aussi. Nous avons remarqué que le gouvernement a posé des actions, il me semble tout à fait normal de dire que c’est une avancée que nous constatons. Mais il y a aussi des situations qu’il faut corriger, nous espérons que ces situations vont se décanter dans les jours à venir parce que nous avons déposé les listes pour le DDR (Désarmement, démobilisation et réintégration).

Certains groupes rejettent pourtant ce décret et vont plus loin en menaçant de bloquer l’Accord et de ne plus vous suivre…

Tout d’abord les autorités intérimaires c’est pas seulement au niveau régional, il y a aussi les cercles et les communes, il ne faut pas que les gens croient qu’il y a exclusion, tout le monde ne peut pas faire partie des autorités intérimaires au niveau régional, mais ils peuvent en faire partie au niveau des cercles, il y a de la représentativité là-bas aussi, donc il faut être patient et il faut laisser le temps aux gens d’être représentés au niveau des communes et des cercles. Les six membres régionaux ne sont pas les seuls à représenter les autorités intérimaires. Les mouvements qui nous ont décrié, avaient signé un acte dans lequel ils intégraient le Comité de Suivi de l’Accord (CSA) de la CMA sans condition et sans quota, cela veut dire que nous n’avions aucune obligation à leur égard, mais ils n’étaient pas exclus du processus. Je le répète il faut avoir de la patience, ça ne doit pas bloquer l’Accord.

Le processus de DDR pour la CMA sera-t-il toujours effectif malgré ces dissensions ?

Le fait même de créer des groupes est une contradiction à l’Accord, une personne qui veut que l’Accord avance ne crée plus de groupe parce que l’objectif même de l’accord c’est de faire disparaître les groupes et avoir un État unitaire, donc la naissance de nouveaux groupes va à l’encontre des clauses de l’Accord, on ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Le gouvernement a logé beaucoup de ces groupes dans les hôtels à Bamako, ça n’encourage pas l’avancée du processus, ça crée des problèmes qui ne sont pas au niveau de la CMA.

Au vu des événements récents, notamment le conflit intracommunautaire et les défections au sein de la CMA, pensez-vous que l’Accord reste toujours un document viable?

Depuis la signature de l’Accord il y a eu des dissidences, des bisbilles et si on ne fait pas attention, il va arriver un moment où l’Accord ne pourra plus faire face au problème parce que quand on l’a signé il y a un an et demi, il contenait tous les problèmes qui étaient posés, mais maintenant il y a d’autres mouvements, d’autres tendances et à un moment l’accord pourrait devenir une goutte d’eau dans un vaste océan de revendications.

Sidi Brahim Ould Sidati : « Après l’Accord, nous devons développer un sentiment national plus fort »

Peu connu du public jusqu’au 20 juin 2015, Sidi Brahim Ould Sidati, originaire de Tombouctou, est le Secrétaire général du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA). Ex-maire de la commune rurale de Ber (région de Tombouctou), il a, au nom de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), signé l’Accord pour la Paix et la Réconciliation. Cet enseignant de formation revient dans cette interview exclusive réalisée le 10 janvier à Bamako, sur les conditions de mise en œuvre du texte. Audelà des divergences supposées ou réelles au sein de la CMA, le combat d’Ould Sidati, qui participe aux travaux du Comité de suivi de l’accord (CSA), serait avant tout celui de l’unité des populations du Nord, envers qui le Mali n’aurait pas toujours été tendre.

Journal du Mali : Huit mois après la signature de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation, quelle appréciation faîtes-vous de la mise en œuvre du texte, vous qui repré- sentez la CMA au sein du Comité de suivi de l’Accord ?

Sidi Brahim Ould Sidati : Il y a eu deux phases après la signature de l’accord. Trois premiers mois tendus avec des affrontements sur le terrain et un doute réel quant à sa mise en application. Cet état de fait a duré jusqu’en octobre 2015. Après la rencontre d’Anéfis, les lignes ont commencé à bouger. Pour moi, il y a clairement un avant et un après Anéfis. Après ces discussions, on a vu les différentes commissions travailler et réaliser des avancées sur les textes législatifs. Ces avancées ne sont certes pas visibles sur le terrain, mais c’est un début de mise en œuvre.

Cette mise en œuvre avance-t-elle au bon rythme ? N’est-elle pas un peu lente et pour quelles raisons ?

Nous n’avons pas encore une action physique, visible sur le terrain qui permet de dire que la mise en œuvre de l’accord avance. Des actions qui impacteraient sur le quotidien des populations. Au début, il n’existait pas de confiance entre parties signataires, ce qui a retardé les choses, et certains avaient même voulu remettre l’accord en cause.

Vous parlez de confiance. Existe-t-elle désormais au sein du comité de suivi après la phase critique ?

Il est difficile de construire une confiance lorsqu’on a peur. Il y a des mesures de confiance telles que la libération des prisonniers rebelles. Il y a bien sûr moins de tiraillement aujourd’hui dans le comité de suivi. Cette confiance, à mon humble avis, s’installe peu à peu. Mais pour l’heure, on ne peut pas dire qu’elle est définitive.

Vous avez eu à suspendre votre participation au comité de suivi de l’accord. Tout cela est-il derrière vous ?

On a voulu suspendre effectivement pour voir s’il y avait vraiment un accord ou pas, et un changement dans les comportements des parties. Il n’était pas possible de poursuivre avec l’avancée des troupes sur Anéfis. Après les discussions, les choses sont revenues au bon point de départ, avec l’arrêt des hostilités sous l’œil de la médiation.

Êtes-vous satisfait quant à la sécurisation des biens et des personnes sur le terrain ?

La majorité des prisonniers a été libérée, même s’il demeure des exceptions que nous traitons. Il faut bien sûr plus d’actions sur le terrain, comme la prise en charge de combattants pour sécuriser le Nord et éviter les troubles. Néanmoins, l’arrêt des hostilités est effectif. La Plateforme et la CMA parlent aujourd’hui de la même voix. Nous faisons même des communiqués conjoints. Ce qui permet de faire avancer le processus. L’accord prévoit en outre des autorités de transition pour permettre cette ré-administration, et le retour des réfugiés. On a tenté d’ouvrir les écoles à Kidal, mais il n’y a pas d’autorité à Kidal. Or, il faut des pouvoirs mixtes pour exécuter tout cela. Beaucoup reste à faire.

Est-il vrai qu’il existe, au sein de la CMA, un antagonisme entre le MNLA et le HCUA ?

Je crois qu’une confusion existe. Pour rappel, le HCUA faisait partie d’Ansar Dine et a rompu avec lui, pour divergences de vues. Et à chaque fois qu’il y a eu un problème entre le MNLA et Ansar Dine, on l’a mis au compte du HCUA, qui est aujourd’hui membre de la CMA. Pour moi, il n’y a pas d’antagonisme entre les deux mouvements.

Que pensez-vous de l’attaque récente sur plusieurs éléments du MNLA, et revendiquée par Ansar Dine ? Cela vous inquiète-t-il ?

C’est justement ce problème récurrent entre le MNLA et Ansar Dine qui persiste. Vous savez, il y a aujourd’hui ceux qui sont contre l’Accord et le mettent en péril. Ils ont un objectif commun, celui de faire échouer le processus de paix.

Revenons sur le MNLA, on l’accuse de jouer un jeu solitaire. Notamment sur la nomination de Madame Nina Wallett Intalou au sein de la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR) et sans consultation des autres mouvements de la CMA ?

Il n’y a pas de crise entre les mouvements de la CMA. Je le répète. Le problème vient d’Ansar Dine, qui est pour l’application de la charia. Je vous l’ai dit, certains membres du HCUA ont quitté ce mouvement. Par ailleurs, le MNLA ne fait pas cavalier seul. Il fait partie d’un ensemble qu’est la CMA. Quant à la nomination de Madame Intalou, elle a été proposée par la commission. Nous, nous n’étions pas d’accord sur le nombre de personnes représentées au sein de la CVJR, qui était de 2, au lieu de 5. Entretemps, trois personnes ont été nommées. Le problème est réglé.

Est-ce que la CVJR a réellement des marges de manœuvre ?

La commission n’est pas un outil de l’accord. Elle s’est faite avant l’accord. Nous avions demandé des modifications, car si elle ne dépend que d’un ministère, cela n’a pas de sens. Il faut lui donner une certaine liberté avec un ancrage qui lui permet de dire sa vérité. Dans sa forme actuelle, ce n’est pas la vision de la CMA.

Que pensez-vous de l’influence négative d’Iyad Ag Ghaly sur le processus de paix ? Est-elle réelle selon vous ?

Pour moi, le problème ne vient pas d’Iyad seul. Il y en a d’autres comme Amadou Koufa, du Front de libération du Macina. Ce sont des personnalités qui ont une autorité certaine sur les populations locales, et qui étaient là bien avant l’accord. Donc, ne peut nier cette équation. Maintenant, tout dépend de la vitesse d’exécution de l’accord. Plus on tarde, plus ils gagnent en influence, mais plus nous accélérons, plus leurs marges de manœuvre sont réduites et ils seront isolés.

Iyad Ag Ghaly continue pourtant de rallier à sa cause autour de Kidal et ailleurs. La paix est-elle possible et durable sans Iyad ?

Encore une fois, tout va dépendre de la mise en œuvre de l’accord. Aujourd’hui, c’est vrai, il est dans une logique de ratisser le plus largement possible. Mais l’accord doit permettre de contenir ces gens, ces velléités. Et si demain, on devait né- gocier, ce serait sur des choses isolées. Il nous faut accélérer le processus.

Parlons du MAA, votre mouvement, qui a deux branches. L’une plus proche du gouvernement, l’autre dissidente proche du MNLA et plus radicale ?

Cet état de fait existe depuis l’accord de Ouagadougou. Nous sommes restés proches du HCUA et aussi du MNLA depuis trois ans, avec les mêmes revendications politiques et organisations militaires sur le terrain. Mais il n’y a plus de différences, puisque nous sommes tous réunis au sein de la CMA et cela dans un seul objectif, appliquer l’accord de paix. Idem entre nous, le gouvernement et la Plateforme.

À propos de la Plateforme, Maître Toureh, son représentant, déplorait une inertie du gouvernement. Les autorités tiennent-elles leurs promesses ?

Je pense qu’il y a une nette amélioration depuis un mois et demi. Une évolution certaine du gouvernement quant à l’application de l’accord et des textes législatifs qui le régissent, comme par exemple le processus de Désarmement Démobilisation et Réinsertion (DDR) ou encore, la mise en place des outils de transition. L’accord prévoit ces textes et même la révision de la Constitution, nécessaire pour mettre certaines dispositions en place.

Justement, tout ceci pourrait rallonger davantage la période transitoire…

Tout cela fait partie de l’accord. Ce sont des phases. Cela dit, la prise en charge des combattants est par exemple une chose qui urge. Les textes doivent être accélérés. Il nous faut reconstituer une armée capable de sécuriser les personnes. Ramener les réfugiés, rouvrir les écoles, des urgences qui ne doivent plus attendre, avant toute idée d’élections. Maintenant qu’on a signé cet accord, nous devons développer un nationalisme plus fort et éviter les tiraillements du passé. C’est un changement de comportement, de mentalité. Aussi bien pour la majorité que pour l’opposition. Tout le monde est concerné.

Sur la prise en charge des combattants, la MINUSMA attend la liste des personnes devant être cantonnées. Qu’est-ce qui bloque ?

C’est dû au manque de confiance. Nous n’en sommes pas à notre premier coup d’essai, beaucoup d’accords ont été signés au Mali. Aujourd’hui, les gens ne veulent pas fournir une liste, se livrer, tant qu’ils n’ont pas la garantie que leurs revendications politiques seront prises en compte. Elles concernent évidemment le nord et l’Azawad. Ceci dit, à partir du moment où l’on connaît les sites de cantonnement, nous avons donné un chiffre de 600 hommes par site. En fonction de la prise en charge de ces combattants, nous donnerons les listes et nous pourrons avancer dans le processus. Vous savez, il est difficile de regrouper des gens qui sont dispersés dans un rayon très vaste.

Un délai est prévu pour mi janvier ? Est-ce réalisable ?

Les textes sont déjà faits. On s’entend sur la méthode et les quotas. J’estime qu’autour du 20 janvier, on sera dans la bonne démarche.

Sur un tout autre plan, un remaniement ministériel s’annonce. La Plateforme a un représentant depuis le dernier réaménagement. La CMA espère-t-elle encore faire partie d’un nouveau gouvernement, comme en juin ?

Lorsqu’on a signé cet accord, il y avait des priorités à régler avant de penser à intégrer le gouvernement. Par ordre, la libération de nos prisonniers, la prise en charge de nos combattants, la mise en place d’autorités de transition, etc. Après tout cela, on pourra penser à une éventuelle participation au gouvernement.

Est-ce que la nomination d’une personnalité du Nord au poste de Premier ministre pourrait faire avancer plus vite le processus et donner un signal fort ? Vous aviez auparavant demandé des postes clés…

Nous avons d’abord un timing à exécuter. L’entrée au gouvernement n’est pas notre priorité du moment. L’actuel Premier ministre est d’ailleurs un homme d’une grande sagesse. Il ne s’agit pas d’un problème de personnes ou du président IBK, mais d’une volonté nationale afin que les gens aillent vers cette unité nationale. La fissure était grande et la solution demande un grand effort national.

La MINUSMA est au Mali depuis plus de deux ans. Comment jugez-vous son action ? Que peut-on attendre de l’arrivée de Mahamat Saleh Annadif, nouveau chef de la Mission ?

Faire sans la MINUSMA n’a pas de sens, puisque les Maliens ont accepté sa présence. C’est aussi aux parties maliennes de dégager une feuille de route claire quant à leurs attentes sur le rôle que doit jouer la MINUSMA pour sécuriser. Mais la paix, ce sont d’abord les Maliens qui la feront, avec une vision et une stratégie commune. Monsieur Annadif ? On lui souhaite du succès, évidemment. Il est nouveau, il lui faudra sans doute un temps de compréhension et d’adaptation au contexte et aux Maliens. Son prédécesseur Mongi Hamdi avait déjà intégré beaucoup de choses en un an.

Vous avez déclaré que l’attentat du Radisson visait l’accord de paix. Faut-il craindre d’autres actes ?

Les Maliens doivent apprendre à vivre avec le terrorisme et rester vigilants. Le danger est constant et permanent. On ne doit pas s’arrêter à dix jours de mobilisation pour laisser les choses s’essouffler. L’état d’urgence doit permettre une capacité de réaction plus rapide, des fouilles systématiques, ce qui demande des moyens et des dispositions juridiques efficaces.

L’état d’urgence s’applique-t-il au Nord?

L’état d’urgence s’applique là où il y a un État, ce qui n’est pas le cas au nord du Mali. Quand il n’y a pas d’État, pas d’état d’urgence donc…

Les fonds qui doivent être alloués au Nord, environ 300 milliards, sont-ils un élément fondamental pour enclencher le développement ?

On ne peut faire une paix sans ressources. Mais l’essentiel n’est pas dans l’argent. Plutôt dans le fait de comprendre qu’on doit travailler ensemble pour la paix, avant tout développement. Les différentes agences et les fonds de développement, on le sait, ont plus permis de construire des villas à Bamako que de développer le Nord. Ne tombons pas dans les mêmes erreurs.

Mais à long terme ?

Au Mali, les régions du nord repré- sentent les deux tiers du pays. Pour les politiques nationales de développement, d’éducation ou de santé, on a toujours regardé le facteur démographique. Dans 1/3 du pays (sud et centre) vous avez 90 % de la population qui vit et bénéficie de ces politiques. Imaginez que pour avoir un Centre de santé communautaire (CESCOM) au nord, il faut au minimum 5 000 personnes, ce qui exclut d’office de nombreuses localités dans le nord. L’État, c’est avant tout un contrat social avec les populations, et lorsque ce contrat n’est pas rempli, l’appartenance à l’État est difficile. J’ai été enseignant pendant 12 ans à Bamako. En discutant avec les populations au nord, j’ai compris qu’elles n’avaient aucun attachement à l’État malien. Dans l’accord, il y a la création du Sénat, avec une représentativité liée au territoire et non plus seulement au facteur démographique pour créer un réel partage du pouvoir. Si au sud vous avez 5 régions, pour le Nord qui représente les 2/3 du territoire, il faudrait en créer 15.

Pour finir, que souhaitez-vous pour la nouvelle année 2016 ?

Que les choses aillent plus vite. Que ce texte trouve son application réelle. Évidemment, je souhaite plus de paix pour les Maliens et que l’on puisse se mettre ensemble et au dessus de tous ceux qui sont contre cet accord de paix.