Tabaski : Bilan mitigé pour les éleveurs

Quelques jours après la fête de Tabaski, le constat est  unanime dans la capitale : plusieurs moutons n’ont pas trouvé preneurs. Une offre supérieure à la demande, mais aussi une conjoncture réelle qui a empêché plusieurs acheteurs à se procurer le précieux animal, selon les acteurs.

« L’an passé, nous avons  amené environ 450 moutons et nous avons tout vendu.  Cette année nous en avons amené 240, dont 25 n’ont pas été vendus », relève M. Aly Diallo, éleveur à Dilly et participant à l’opération Tabaski de la Direction Nationale des Productions Animales et Industrielles (DNPIA). Ce constat personnel, il le  partage avec l’ensemble des membres de sa coopérative qui a amené environ 1 020 têtes sur lesquelles 120 n’ont pas été vendues. 

 Cette situation s’explique selon M. Diallo par 2 facteurs : « ceux qui achetaient habituellement jusqu’à 10 têtes n’ont acheté que la moitié cette année ». Faute d’argent ? Peut-être, mais le phénomène pourrait s’expliquer par une autre réalité. En effet, selon M. Diallo, de plus en plus de famille anticipent l’achat des moutons de Tabaski et « font garder leur bétail, par leurs parents qui sont à l’intérieur du pays. Ce qui fait qu’ils n’ont plus qu’à les transporter au moment de la fête ».

Aussi la « forte production » et « le fait que de nombreux éleveurs ne soient pas partis au Sénégal et ont tous convergé vers Bamako », a contribué, selon Mme Kamissoko Kadiatou Sy, participante à l’opération Tabaski, à la baisse des prix. « J’ai dû vendre à perte certains moutons que j’ai pourtant acheté chers », se lamente t-elle. Malgré tout, sur ses 78 moutons arrivés de la localité de Diéma, 13 sont restés invendus. 

Pour les difficultés à surmonter afin d’aider davantage les éleveurs de sa zone, elle sollicite des autorités « une subvention pour l’aliment bétail », car l’alimentation demeure l’une de leurs contraintes majeures.

C’est justement pour éviter des prix trop bas, que les éleveurs de la zone de Dilly ont décidé de ne pas céder le reste de leur troupeau. «  Au début, nous avons eu les prix souhaités. Mais finalement les prix ont baissé et pour ne pas trop perdre, nous avons décidé de ramener ces moutons ». 

Il se réjouit tout de même de n’avoir pas enregistré d’incidents, comme des cas de vol, cette année.

Dans son rapport sur l’opération Tabaski 2019, même si elle relève des contraintes liées au site d’accueil des éleveurs, la DNPIA se réjouit que sur une prévision de 12 300 têtes attendues dans pour le District de Bamako, 12 886 soient présentées dont 11 501 têtes vendues, soit un taux de vente de 89,25%.

 

 

Tabaski : Le culte du mouton

La Tabaski ou fête du mouton, caractérisée par le sacrifice de l’animal sacré, constitue chaque année un véritable casse-tête pour les chefs de famille. Outre les prix habituellement élevés de la bête, « cette question est plus devenue d’ordre social que religieux ». Dans la course à l’acquisition du précieux animal, les croyants sont plus préoccupés par ce que les voisins vont penser que par ce qui est recommandé par la religion. Une véritable culture du paraître, qui entraîne des dérives.

« Malheureusement, nous sommes dans la dynamique du quotidien du Malien, qui vit au dessus de ses moyens. Chose qui explique l’aggravation des phénomènes de corruption et autres détournements », explique M. Bocary Guindo, sociologue.

Difficile d’échapper au piège et la tentation de s’endetter, ou pire de commettre un délit, pour se procurer l’animal. Au lieu donc d’obtenir des bénédictions, « on se retrouve même avec des péchés », ajoute M. Ibrahim Diawara, animateur, spécialiste de l’Islam. C’est donc un véritable sursaut qu’il faut, afin « que les gens se ressaisissent pour ne s’en tenir qu’aux recommandations ».

Pour cela, il faut un vrai travail de sensibilisation. C’est aux femmes qu’incombe la responsabilité « d’être indulgentes envers les époux », selon le sociologue. Et il faut aussi trouver les mots justes pour les enfants. Une prise de conscience est nécessaire pour « accepter de vivre avec ce que nous gagnons réellement ».

Pourtant, l’Islam, qui a précisé les conditions pour honorer ce sacrifice, a offert plusieurs possibilités pour le faciliter. Par exemple, celui qui n’a pas les moyens d’acquérir un bélier peut acheter un bouc à la place. Une alternative rarement utilisée. « Pourtant, ceux qui refusent le bouc en cette période l’apprécient bien à d’autres ». « Donc ce refus ne se justifie pas sur le plan religieux », précise M. Diawara.

« Le drame c’est que ces nouvelles règles ne sont ni religieuses, ni culturelles. Il s’agit juste d’un culte du paraître », regrette M. Diawara. Au-delà de la méconnaissance des règles prescrites, il y a « une véritable pression sociale », note M. Diawara. Dans cette course au mouton, les citoyens ne respectent même pas les conditions imposées pour les critères de choix du mouton à sacrifier. « Leur désir est juste d’avoir un mouton ». Pourtant « l’Islam n’a demandé de s’acquitter de cette obligation que lorsque l’on en a les moyens. Si la sensibilisation devenait efficace, les gens achetaient plutôt un bœuf à partager entre 7 ménages, parce que la majorité n’a pas beaucoup de moyens ».