(Défis de 2019 – 1/7) Sécurité : Briser la spirale des violences

Six ans après le début de la crise au Mali, la situation sécuritaire reste préoccupante. L’insécurité au centre s’est embrasée depuis quelques années, au point de faire de l’ombre au nord, qui a pourtant été sous le joug djihadiste. Outre le terrorisme, les conflits communautaires et le banditisme ont détérioré la situation jusque dans des zones encore épargnées. Les autorités sont à la manœuvre pour résoudre les problèmes.   

37 morts. Des blessés et des habitations incendiées à Koulogon, cercle de Bankass, dans la région de Mopti. Le massacre a été perpétré le 1er janvier 2019, jour de l’An, sur des civils peuls, par « des hommes armés habillés en tenue de chasseurs traditionnels dozo », selon le gouvernement. Épicentre de la violence depuis 2015, la région de Mopti est devenue le point névralgique de toutes les tensions communautaires. Selon les Nations Unies, en 2018 elles ont coûté la vie à plus de  500 civils. Plus tôt en décembre, 49 civils de la communauté Daoussahak avaient été assassinés à l’est de Ménaka. Les victimes s’accumulent et il est difficile d’avoir une compilation précise. Contredisant les ONG et l’ONU, le Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maiga, assure que le gouvernement n’a enregistré que 203 victimes de violences.

Les persécutions continues des groupes terroristes se transposent désormais au sud-est du pays, dans la région de Koulikoro. Une vingtaines d’écoles ont été fermées en novembre sous la menace djihadiste. Le chef du gouvernement multiplie les tournées, aussi bien au nord qu’au centre, pour stabiliser la situation. Mais sa volonté est mise à l’épreuve par les violences, tantôt de groupes terroristes, tantôt de milices locales. « Lorsqu’on regarde la cartographie sécuritaire dans le contexte malien, on s’aperçoit que les raisons profondes de l’insécurité ne sont pas suffisamment questionnées à certains égards. Qu’on soit à Tombouctou, à Ménaka ou à Mopti, il est important de se questionner sur la manière dont l’État central arrive à trancher les crises entre les populations », affirme Aly Tounkara, sociologue et enseignant – chercheur à l’université des Lettres et des sciences humaines de Bamako.  « Quand une partie de la population a le sentiment qu’elle est lésée dans ses droits fondamentaux, que la justice n’est pas rendue de façon équitable, elle finisse par légitimiter le recours à la violence », poursuit-il.

La tuerie de trop ?

« Koulongo est une tragédie. Je pense que cela doit cesser. Et, étant à Koulongo,  j’ai une pensée très profonde également pour nos parents de Ménaka. Ils ont souffert et ont été violentés (…). Le cycle infernal doit s’arrêter et il faut que le Mali se dédie de nouveau à sa seule mission de paix et de développement… », a témoigné dès son retour de Bankass le Président de la République, Ibrahim Boubacar Keita. Car la tuerie de Koulongo a mis en émoi tout le pays. Le déplacement du Président sur les lieux du désastre a été salué aussi bien par les rescapés que par les responsables de diverses associations. « Nous avons pris acte de cette visite. C’est déjà un pas, mais nous restons dubitatifs sur le contenu, car nous pensions qu’il allait agir plus fort parce qu’il a vu ce qui s’est passé et que cela n’a rien avoir avec la lutte contre  le terrorisme », déplore Abderrahmane Diallo, secrétaire administratif de l’association Tabital Pullaku. Selon lui, il y a des amalgames qui pèsent depuis longtemps sur la communauté peule qu’il urge de lever. « Nous avons toujours demandé que le Président parle sur cette question du centre. Qu’il dise ouvertement, comme il l’a fait avec nos parents touareg, que tout Peul n’est pas djihadiste et que tout djihadiste n’est pas Peul, qu’on ne s’en prenne pas aux civils, mais il ne l’a jamais fait », regrette-t-il, inquiet.

Depuis le début de la crise, en 2012, jamais la situation socio-sécuritaire n’a été aussi préoccupante. Les différentes dénonciations de responsables de la communauté peule alertent sur l’urgence d’une solution adéquate. Ils  n’hésitent plus à dénoncer la complicité de l’État dans ce qu’ils qualifient « d’épuration ethnique ». Pour Abderrahmane Diallo, l’attaque de Koulogon constitue un évènement   « malheureux » de plus. « La milice Dana Ambassagou est connue du gouvernement et ils travaillent de concert. Elle a un récépissé délivré par le préfet de Bandiagara. C’est un permis de tuer », se plaint-il. Le gouvernement, de son côté, a toujours rejeté toute connivence avec ce groupe d’autodéfense dit de « dozos ».  Des arguments qui ne le convainquent point, face à la persistance des accusations et à la force de frappe « des chasseurs ». « Ils ne se sont jamais attaqués à des terroristes, toujours à des civils. Ils veulent chasser les Peuls de tout le Seno, c’est-à-dire des cercles de Douentza, Bankass, Koro et Bandiagara », soutient le secrétaire administratif de Tabital Pulaku.

Dans un communiqué, le groupe d’autodéfense s’est défendu d’avoir commis ces crimes horribles et dit n’être « impliqué ni de loin ni de près dans cette action visant à déstabiliser le pays ». Le retour à la normale semble dépendre d’une prise de mesures nouvelles et du rétablissement de l’État auprès des citoyens. En attendant,  c’est « la raison du plus fort qui est la meilleure » dans toutes ces zones, livrées à elles-mêmes. « La sécurité des populations  incombe à l’État et c’est à lui de prendre ses responsabilités. Aujourd’hui, le problème d’insécurité ne concerne pas seulement  le pays dogon. Même à Youwarou, Tenenkou, Djenné et jusqu’au Burkina Faso, c’est la même chose. C’est le gouvernement qui doit prendre les mesures qui s’imposent », dit Mamadou Goudienkilé, président de la coordination nationale de Dana Ambassagou.

Changer de regard ?

Aussi bien au nord qu’au centre, les révoltes trouvent leurs germes dans l’abandon prolongé de l’État et l’absence de justice. Face aux vides, les communautés se replient sur elles-mêmes pour assurer leur sécurité, une mission dévolue uniquement à l’État mais qu’il peine à assurer.

« Au-delà du règne de l’injustice, par exemple à Gao, à Tombouctou ou à Ménaka, il y a dans le centre du Mali des clichés qui traversent les  communautés. Quand on demande aux Dogons ce qu’ils pensent des Peuls, et vice-versa, vous verrez que pour les Dogons les Peuls les sous-estiment et que les Peuls pensent que les Dogons veulent les exterminer parce qu’ils sont des étrangers », diagnostique le sociologue Aly Tounkara. Des dimensions sociologiques qui entrent en jeu dans les antagonismes actuels. « Les réponses exclusivement militaires ont des limites évidentes. En aucun cas elles ne peuvent aider les populations à retrouver une paix durable, car elles ne s’intéressent pas du tout à ces dimensions sociologiques », argumente-t-il.

Quelles mesures ?

La sécurité et le retour de la paix demeurent des priorités du gouvernement, malgré la dégradation de la situation sur le terrain. Pour l’année 2019, les autorités prévoient des mesures sécuritaires supplémentaires partout sur le territoire. Après l’annonce  par le Premier ministre, mi-décembre, du déploiement à Tombouctou de 350 éléments des forces de sécurité et de 300 autres à Gao, le chef du gouvernement, interpellé par les députés sur la situation au centre, s’est voulu rassurant. « Nous allons accroitre les moyens mis à la disposition de nos forces, y compris sur le fleuve, pour assurer la sécurité des populations en ayant plus de mobilité et d’efficacité (…). Nous allons renforcer la présence administrative de l’État, l’administration de la justice et continuer l’opération du désarmement jusqu’à la fin du mois de janvier », a répondu Soumeylou Boubeye Maiga. 600 éléments des forces de sécurité seront recrutés à Mopti, de même qu’à Ségou, et un quota sera accordé aux régions de Sikasso, Kayes, Koulikoro et au District de Bamako. Les ripostes militaires sont pour le gouvernement indispensables, car appelant les acteurs impliqués dans les violences à faire le choix de la paix ou celui d’être combattu. Un choix apparemment simple, mais qui soulève des réticences. « Les gens continuent de se cramponner au référent communautaire ou géographique parce qu’ils n’ont pas trouvé d’acteur qui puisse les protéger. Les fonctions régaliennes que l’État est censé remplir sont assurées par les communautés elles-mêmes, d’où l’idée d’indépendance ou de rejet de l’État », explique le sociologue Aly Tounkara.

 

 

Cet article à été publié dans le journal du Mali l’Hebdo (N°196) du 10 janvier 2019

Peuls du centre du Mali : Une crise qui vient de loin

Les premiers signaux forts datent de plusieurs années déjà. Depuis l’apparition du Front pour la Libération du Macina, mené par le prédicateur peul Amadou Koufa, les Peuls sont pris pour cible par tous les acteurs sur le terrain. Une situation qui désormais semble échapper à tout contrôle.

C’est du moins ce que soutiennent les différents mouvements de défense de ce qu’il est convenu d’appeler « la cause peule ». La situation a complètement dérapé, déplorent ces groupes et associations, qui rappellent qu’ils tirent la sonnette d’alarme depuis 2015. Tabital Pulaku et Kisal, entre autres, ainsi que plusieurs personnalités de la communauté avaient relaté de nombreux cas d’attaques de hameaux peuls ou de bergers, avec un schéma récurrent, aboutissant à l’enlèvement du bétail. « On nous tue pour nous voler nos animaux », assure Amadou (pseudonyme), joint au téléphone dans la région de Mopti. Extrêmement révolté par la situation, il affirme avoir vécu la dernière attaque à Nantaka et se dit de moins en moins sûr que ce soit des « chasseurs » qui s’en prennent à sa communauté. « Nous avons toujours vécu en bonne entente avec les Bambaras, les Bozos, les Dogons. Pourquoi cela a-t-il changé ?», se questionne également Boubacar Bah, agent comptable à Bamako. « Nous ne devons pas payer pour Koufa. Ils savent où il est, qu’ils aillent le chercher et qu’ils nous laissent tranquilles »….

Crise négligée Début 2015, commentant les résultats d’une étude menée par l’Institut Macina, qu’il dirige, Adam Thiam déclarait « plusieurs mouvements locaux et des organisations des droits de l’homme rapportent et dénoncent des exactions dont les forces de l’ordre se rendraient souvent coupables contre des éléments peuls sur le simple fait qu’ils sont Peuls. S’y ajoutent les violences des groupes de chasseurs traditionnels, les Dozos, contre des éléments peuls ». Le journaliste-chercheur disait déjà à cette époque son inquiétude de voir s’installer un  « cycle de vendetta ou de colère », portant les « germes de conflits interethniques encore plus inquiétants ». « Enjeux et dangers d’une crise négligée », tel était le titre de l’étude. Trois ans et demi plus tard, les prédictions les plus pessimistes se concrétisent. Le cycle attaque – vengeance redouté s’est installé. L’une des recommandations de l’Institut Macina était une plus forte présence de l’État. « Mieux d’Etat », expliquait M. Thiam. « C’est pour cela que je parle de la force, de la présence et de la légitimité de l’État. Ce n’est que l’État qui peut régler cette question, ou il en subira les conséquences », conclut Abdelhak Bassou, chercheur spécialiste à l’OCP Policy Center des questions de sécurité et de terrorisme au Sahel.

Centre du Mali : Une milice peule voit le jour

Au centre du pays, dans la région de Mopti, une milice peule vient de naitre. Dénommée Alliance pour le Salut au  Sahel (ASS), elle a pour  objectif de défendre par les armes les populations peules  contre les ‘’exactions’’ de la  milice Dozo qui opère dans cette zone. Alors que les règlements de compte sont  quasi-quotidiens, la création de ce mouvement  fait craindre le  pire.

Face au refus de la milice Dozo de se désarmer, un regroupement dit ‘’Alliance pour le Salut au Sahel’’ est née. « C’est une réalité, il y a un groupe peul qui est entrain de combattre la milice Dozo. Qui le constitue est la grande interrogation. Les gens  ont favorablement répondu à l’appel, même le Ganda Izo qui est membre du Tabital Pulaaku est dedans », révèle cet enseignant qui vît dans la zone.  Pour le  président  de Tabital Pulaaku de Bankass, la recrudescence des attaques dont les peuls sont victimes et l’inaction du gouvernement  sont la cause de ce soulèvement.  Des peuls du Burkina Faso et du Niger seraient dans ce mouvement naissant.  Selon Moussa, un animateur dans une radio locale de la région,  l’objectif  de cette alliance est de s’auto-défendre.  « On dit qu’ils veulent protéger  leur communauté des exactions ainsi que leur bien, mais aussi s’opposer aux  Dogons, Bozos et Bambaras avec qui ils ne s’entendent pas dans cette partie », déclare-t-il. La zone de couverture de l’Alliance pour le Salut au Sahel (ASS) s’étend de Douentza, Bandiagara, Koro jusqu’à Djenné.

Si autrefois les différends entre les peuls et leurs  voisins Dogon, Bambara et Bozo tournaient autour du foncier et des espaces de pâturages  l’adhésion de certains peuls aux groupes djihadistes, et les amalgames dont ils font objets ravivent les tensions. La cohésion sociale et le vivre ensemble en dépit des différentes initiatives pour calmer la situation sont au plus bas. « Les affrontement sont fréquents  mais ils ne sont pas couverts.  Il y a des déplacements forcés dans le cercle de Koro. Donc maintenant,  les gens vont essayer de se venger », alerte cet enseignant de Bandiagara sous couvert d’anonymat.