Terrorisme : le JNIM multiplie les attaques dans le centre

Des terroristes du JNIM ont attaqué hier mercredi le poste FAMa de Dinangourou dans le cercle de Koro. L’armée a confirmé l’attaque ce matin mais n’a pas fourni de bilan, assurant dans son communiqué que les évaluations sont en cours. Certaines sources locales affirment qu’une dizaine de militaires ont été tués au cours de l’attaque. Le nombre de terroristes neutralisés n’est pour l’instant pas connu. Selon l’agence d’information du Burkina, les terroristes après leur attaque ont fui vers le Burkina Faso. Dans un village nommé Windeboki, ils ont marqué un temps d’arrêt, c’est là que le vecteur aérien burkinabè a procédé à des frappes toujours selon l’agence tuant plusieurs terroristes. Les rescapés sont retournés au Mali où les attendaient les vecteurs aériens des FAMa qui ont également procédé à des frappes. L’attaque du poste de Dinangourou est intervenue quelques heures seulement après l’annonce par l’armée de son entrée dans la ville d’Aguelhok. Depuis plusieurs semaines, les terroristes du JNIM multiplient les attaques contre les positions de l’armée. Le chef du groupe terroriste, Iyad Ag Ghaly, apparu pour la première fois dans une vidéo depuis deux ans, le 12 décembre dernier a annoncé une nouvelle phase dans le conflit au Sahel. Le jour de la diffusion de la vidéo, le JNIM a attaqué le camp de l’armée à Farabougou, village symbole, longtemps sous blocus terroriste. Des sources locales évoquent là aussi des victimes civiles et militaires mais dans sa communication, l’armée dit avoir mené avec succès une riposte vigoureuses qui a permis de repousser l’attaque. Toutefois, des militaires ont été fait prisonniers à la suite de cette attaque. Le groupe terroriste a diffusé le 19 décembre des vidéos de certains d’entre eux. L’armée a dénoncé un acte lâche qui a pour but de démoraliser les troupes et assure que tout sera mis en œuvre afin de permettre aux otages de recouvrer leur liberté.

Bandiagara : insécurité accrue

Après une relative accalmie ces derniers mois, la région de Bandiagara, au centre du pays, fait face à une nouvelle montée de l’insécurité depuis quelques semaines. Elle se caractérise par des enlèvements ciblés de bus et des prises d’otages sur l’axe Bandiagara – Bankass.

Selon des sources locales, depuis le début du mois de novembre, au moins 7 véhicules ont été enlevés sur l’axe Bandiagara – Bankass. En plus de ces enlèvements, des villages de la région sont également pris pour cibles. Le 11 décembre 2023, le village de Barassoro, dans le cercle de Bankass, a été attaqué. Bilan : 3 morts et des dégâts matériels importants. Moins d’un mois plus tôt, le 25 novembre, 6 personnes ont été tuées, des biens emportés, des boutiques incendiées et des motos brûlées lors d’une attaque perpétrée contre le village d’Allaye Kokola, dans le cercle de Bandiagara.

« On peut dire que du mois de juin à maintenant il y a eu plus de 17 villages attaqués, pas moins de 50 morts et une cinquantaine de personnes enlevées », affirme Adama Diongo, Porte-parole du Collectif des associations de jeunes du pays dogon.

« Depuis un moment, la région de Bandiagara est secouée », a reconnu à la télévision nationale le 5 décembre dernier Sidi Mohamed El Béchir, Gouverneur de la région, lors de la visite de terrain dans la localité du Commandant de la Zone de défense N°6. Le même jour, un minibus avait sauté sur une mine dans le cercle de Bankass, entre Garou et Doundé, faisant 2 blessés.

Quête de financements

Les enlèvements répétés de bus et les prises d’otages sur l’axe Bandiagara – Bankass suscitent des interrogations sur une éventuelle nouvelle stratégie adoptée par les groupes armés terroristes dans la zone. Selon Adama Diongo, c’est clairement une « nouvelle stratégie pour se faire financer ». « D’après nos informations, depuis plus d’une année, les financements extérieurs ne viennent plus. Le fait aussi d’enlever le bétail et de le vendre ne donne plus satisfaction comme avant. Pour ces groupes armés terroristes, une autre façon de se financer est d’enlever des personnes et de demander aux parents de payer pour renflouer leurs caisses », explique-t-il. « Les enlèvements se font de façon ciblée. Ils ont des informations sur le visage de certaines personnes, soit des personnes importantes dans leurs communautés, soit des jeunes influents, soit des grands commerçants, entre autres. Derrière, ils demandent des rançons », poursuit-il.

Une population excédée

Face à la résurgence de l’insécurité dans la région, une marche des femmes et des enfants a eu lieu le 5 décembre 2023 dans la commune de Dimball, dans le cercle de Bankass, aboutissant à un blocus de la RN15 dans les deux sens, Bandiagara – Bankass et Koro – Bankass.

Dans un mémorandum adressé au ministre de la Sécurité et de la protection civile, les responsables de la société civile ont demandé la libération des otages, l’arrestation des hostilités et l’installation « dans un bref délai » d’un poste de sécurité permanant entre Songobia et Parou pour protéger les personnes et leurs biens. Le blocus a été suspendu 2 jours après suite à des négociations entamées par les autorités locales.

Pont dynamité

Le 11 décembre, le Gouverneur de la région a été reçu par le ministre de la Défense et des Anciens Combattants, pour discuter des mesures « rapides et efficaces » à prendre pour restaurer la sécurité et amener la reprise normale des activités dans la région. La veille, dans la nuit du 9 au 10 décembre, le pont de Parou, qui se trouve sur l’axe Bandiagara – Bankass, ciblé à plusieurs reprises par les groupes armés terroriste depuis le début de la crise au Centre, avait été de nouveau dynamité, coupant les localités de Koro, Bankass et Bandiagara du reste du pays.

« Nous avons pris des dispositions et nous sommes en train de tout faire pour que les gens puissent circuler. Pour le moment, beaucoup empruntent la route des falaises. Pour le reste, nous sommes en train de voir avec les plus hautes autorités comment trouver les solutions adéquates pour que la population soit soulagée », assure le Colonel Aly Sidibé, Préfet du cercle de Bankass.

Terrorisme : Iyad Ag Ghaly annonce une nouvelle phase au Sahel

Silencieux depuis août 2021, le chef du JNIM vient de réapparaitre dans une vidéo de propagande diffusée le 12 décembre 2023. Alors que la justice malienne a ouvert une enquête le visant, ainsi que d’autres chefs locaux d’Al-Qaïda et des séparatistes touaregs, le 28 novembre dernier pour « actes de terrorisme, financement du terrorisme et détention illégale d’armes de guerre », Iyad Ag Ghaly décrit un changement dans le conflit au Sahel, citant de nouvelles alliances et appelant à la mobilisation régionale. Ag Ghaly prédit également « l’échec » des gouvernements sahéliens alignés sur la Russie, semblable, selon lui, au sort de l’intervention française. Il soutient que les atrocités présumées commises par ces forces conduiront à une présence djihadiste accrue. Cette réapparition d’Iyad Ag Ghaly coïncide avec la reprise de Kidal, auparavant bastion des groupes rebelles du CSP-PSD, par l’armée malienne. Selon certains analystes, le chef du JNIM cherche à exploiter les dynamiques changeantes, les mécontentements et les réalignements géopolitiques dans le Sahel.

G5 Sahel : le Niger et le Burkina Faso quittent l’organisation

Le Burkina Faso et le Niger, ont annoncé samedi s’être retirés de l’organisation antiterroriste G5 Sahel, suivant l’exemple du Mali, parti en mai 2022. Les deux pays «ont décidé en toute souveraineté du retrait du Burkina Faso et du Niger de l’ensemble des instances et organes du G5 Sahel, y compris la Force conjointe», à compter du 29 novembre, indiquent-ils dans un communiqué. Les deux pays justifient leur retrait par des « lourdeurs institutionnelles, des pesanteurs d’un autre âge qui achèvent de nous convaincre que la voie de l’indépendance et de la dignité sur laquelle nous sommes aujourd’hui engagés est contraire à la participation au G5 Sahel dans sa forme actuelle ». Les deux Etats n’entendent pas non plus « servir les intérêts étrangers au détriment de ceux des peuples du Sahel encore moins accepter le diktat de quelque puissance que ce soit » peut-on lire dans le communiqué. Quelques heures après l’annonce de cette décision, un document de la commission de l’Union européenne a circulé sur les réseaux sociaux. Dans ce document daté du 23 octobre, on pouvait y lire que l’UE qui finance en grande partie le G5 Sahel suspendait son soutien aux composantes nigérienne et burkinabé de la force conjointe du G5 Sahel. La décision est intervenue également alors que les trois pays : Mali, Burkina Faso, Niger renforcent leurs liens au sein de l’Alliance des Etats du Sahel. En mai 2022, le Mali, également gouverné par des militaires depuis 2020, avait quitté le G5 Sahel, invoquant une organisation « instrumentalisée par l’extérieur ».

À sa création en 2014 pour lutter contre le terrorisme au Sahel, l’organisation était composée du Mali, du Burkina, du Niger, de la Mauritanie et du Tchad. La force conjointe a elle été lancée en 2017.

Alliance des États du Sahel : la pleine opérationnalisation en marche

Instituée le 16 septembre dernier par la signature de la Charte du Liptako-Gourma entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, dans l’objectif d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle aux parties contractantes, l’Alliance des États du Sahel (AES) vient d’amorcer à Bamako sa pleine opérationnalisation.

Un peu plus de deux mois après sa création, l’opérationnalisation de l’Alliance des États du Sahel est en marche, conformément aux dispositions de la Charte du Liptako – Gourma qui prévoyait à son article 15 qu’elle serait « complétée par des textes additionnels, en vue de la mise en œuvre des dispositions prévues à l’article 3 », qui lui-même stipulait que « les Parties contractantes mettront en place ultérieurement les organes nécessaires au fonctionnement et mécanismes subséquents de l’Alliance et définiront les modalités de son fonctionnement ».

Aller vite et bien. Tel semble être le mot d’ordre des plus hautes autorités du Burkina Faso, du Mali et du Niger dans la mise en place de cette nouvelle Alliance, dont la phase de concrétisation est enclenchée depuis le 23 novembre 2023, avec des concertations ministérielles à Bamako.

Accélérer l’intégration économique

Une première réunion ministérielle de l’Alliance des États du Sahel sur le développement économique dans l’espace du Liptako-Gourma s’est tenue le 25 novembre 2023 dans la capitale malienne, réunissant les ministres chargés de l’Économie et des Finances, de l’Énergie, du Commerce et des Industries des pays membres. Cette réunion ministérielle sur les questions de développement économique visait à créer une synergie d’actions pour l’accélération du processus d’intégration économique et financière de l’Alliance.

Précédée de la rencontre des experts, les 23 et 24 novembre, qui ont échangé sur différentes thématiques telles que les échanges commerciaux, la circulation des personnes et des biens au sein de l’AES, la sécurité alimentaire et énergétique, la transformation industrielle, les potentialités et perspectives, le financement,  l’intégration économique, l’arsenal réglementaire et les réformes nécessaires, elle a accouché de plusieurs recommandations.

Celles-ci portent sur l’accélération de la mise en place de l’architecture juridico-institutionnelle et des mécanismes de financement des instances de l’AES, l’amélioration de la libre-circulation des personnes dans l’AES et le renforcement de la fluidité et de la sécurité des corridors d’approvisionnement, en luttant notamment contre les pratiques anormales et les tracasseries dans l’espace AES.

Les ministres ont aussi opté pour l’accélération de la mise en œuvre de projets et programmes énergétiques, agricoles, hydrauliques, de réseaux de transport routier, aérien, ferroviaire et fluvial dans les États de l’AES, la création d’une compagnie aérienne commune, le développement des aménagements hydro-agricoles d’intérêt commun, pour booster la production agricole, la construction et le renforcement des projets d’infrastructures et la mise en place d’un dispositif de sécurité alimentaire  commun aux trois États de l’AES à travers des organes dédiés.

Ils ont en outre recommandé la réalisation d’infrastructures adaptées pour le développement du cheptel et la mise en place d’abattoirs modernes pour l’exportation de la viande et des produits dérivés de l’espace AES, le développement des stocks de sécurité pour améliorer les capacités de stockage en hydrocarbures, la mise en place d’un fonds pour le financement de la recherche et des projets d’investissements énergétiques et en matière de substances énergétiques, notamment à partir de l’exploitation des ressources minières.

Parmi les autres recommandations figurent la réalisation des projets de centrales nucléaires civiles à vocation régionale, l’élaboration d’une stratégie commune d’industrialisation des pays de l’Alliance, la promotion du financement d’infrastructures communautaires par la diaspora, la mise en place d’un Comité d’experts pour approfondir les réflexions sur les questions de l’Union économique et monétaire, la promotion de la diversification des partenariats et la création d’un fonds de stabilisation et d’une banque d’investissement de l’AES.

Les ministres de l’Économie et des Finances des pays membres ont également décidé de la mise en place d’un Comité de suivi de la mise en œuvre de toutes les recommandations issues de leur réunion. « Il y a de bonnes idées, comme le G5 Sahel. Maintenant, il s’agit de les matérialiser. C’est cette matérialisation qui pose beaucoup de problèmes. Il ne s’agit pas de se réunir ou de seulement planifier », estime Hamidou Doumbia, porte-parole du parti Yelema.

Une architecture institutionnelle en gestation

En prélude à la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Alliance des États du Sahel qui s’est tenue le jeudi 30 novembre, toujours à Bamako, les experts des trois pays se sont réunis les 27 et 28 novembre et se sont penchés sur des propositions pour une structure institutionnelle de l’Alliance, avec les différents organes à mettre en place et l’articulation entre ces organes, à travers des mécanismes de fonctionnement et d’articulation clairement établis.

Ils ont en outre eu pour tâche de compléter la Charte du Liptako-Gourma, texte constitutif de l’AES, pour intégrer aux aspects de défense et de sécurité la dimension diplomatique et les questions relatives au développement économique de l’espace commun aux trois États. « Nous vous chargeons de nous proposer les bases pour faire de l’AES cette Alliance que nos populations attendent, cette Alliance qui leur fera sentir et vivre des conditions améliorées, en œuvrant à la paix et la stabilité ainsi qu’au développement harmonieux de nos États », a dit le Chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, à l’ouverture des travaux.

« Nous attendons de vous des recommandations pour que le Burkina, le Mali et le Niger, liés par une histoire, une culture et des valeurs communes, mais surtout liés par une relation stratégique particulière, puissent parler d’une seule et même voix partout où cela sera nécessaire », a-t-il ajouté.

Les travaux des experts étaient organisés en différents sous-comités, dont « Diplomatie et questions institutionnelles », « Défense et Sécurité » et « Questions de développement économique ». Selon une source au ministère des Affaires étrangères du Mali, leurs recommandations, qui n’ont pas fait l’objet de communication, seront soumises à l’examen des ministres des Affaires étrangères lors de la réunion de ce jeudi, avant d’être rendues publiques à la fin de la session ministérielle.

Bras de fer en vue avec la CEDEAO ?

Le processus d’opérationnalisation de l’AES est enclenché à quelques jours de la tenue du prochain sommet ordinaire de la CEDEAO, avec laquelle sont en froid les 3 pays membres de l’Alliance. D’ailleurs, l’AES, née dans un contexte où l’institution sous-régionale ouest africaine brandissait la menace d’une intervention militaire au Niger pour réinstaller le Président déchu Mohamed Bazoum, s’apparente pour certains observateurs à une organisation « rivale » de celle-ci.

« L’alliance des États du Sahel est en train de prendre une autre forme, qui peut peut-être sembler être une substitution à la CEDEAO ou une alliance qui accepte ceux qui ne sont pas forcément en ligne droite avec les principes démocratiques. Cela me semble très circonstanciel », glisse le politologue Cheik Oumar Doumbia.

Selon nos informations, au cours du sommet de la CEDEAO prévue le 10 décembre prochain à Abuja, au Nigéria, les Chefs d’États vont à nouveau se pencher sur la situation dans les pays en transition et exiger le retour à l’ordre constitutionnel dans les délais convenus. Les sanctions contre le Niger pourraient être maintenues et le Mali pourrait en subir de nouvelles, suite au report sine die en septembre dernier de l’élection présidentielle, initialement prévue pour février 2024.

Mais, selon certains observateurs, l’opérationnalisation enclenchée de l’AES pourrait contribuer à freiner les ardeurs des Chefs d’États de la CEDEAO dans la prise de sanctions contre les trois pays de l’Alliance, qui pourraient alors claquer la porte de l’organisation sous-régionale.

« Un éventuel éloignement de l’Alliance des États du Sahel pourrait remettre en question la cohésion et la solidarité au sein de la CEDEAO. Ces trois pays sont géographiquement situés en plein cœur de la région et leur intégration est essentielle pour la mise en œuvre des projets régionaux, tels que les infrastructures de transport et le commerce transfrontalier. Leur départ pourrait donc ralentir ou compromettre ces projets », avertit un analyste.

Sécurité : pour les FAMa, objectif Kidal à « tout prix »

Après les prises d’Anéfis et de Tessalit, tous les regards sont tournés vers la ville de Kidal, dont le contrôle est le principal objectif de l’armée malienne. Alors que la MINUSMA accélère son retrait, « l’inévitable » bataille de Kidal semble plus que jamais imminente.

Dans sa note aux correspondants du 14 octobre dernier, la Minusma alertait sur les « tensions accrues dans le nord du Mali » qui augmentaient la probabilité d’un départ forcé de la Mission de cette région du pays. Une semaine après, le 21 octobre, la Mission onusienne a indiqué avoir achevé son retrait accéléré de sa base de Tessalit, dans la région de Kidal, « dans un contexte sécuritaire extrêmement tendu et dégradé, mettant en danger la vie de son personnel ».

« Avant son départ, la MINUSMA a dû prendre la décision difficile de détruire, désactiver ou mettre hors service des équipements de valeur, tels que des véhicules, des munitions, des générateurs et d’autres biens, parce qu’ils ne pouvaient pas être retournés aux pays contributeurs de troupes auxquels ils appartenaient ou redéployés vers d’autres missions de maintien de la paix des Nations Unies », a précisé la Mission onusienne.

« Les FAMa occupent entièrement le camp de Tessalit. Nous allons défendre corps et âme cette emprise pour honorer le Mali. Il faut aussi savoir que l’ONU n’a laissé aucun matériel de guerre dans le camp. Tous les matériels de guerre ont été soit transportés soit détruits sur place », a confirmé le Chef du détachement FAMa de Tessalit.

La même procédure devrait s’appliquer pour le cas de Kidal, même si le gouvernement de transition, dans un communiqué, le 18 octobre dernier, soupçonne une « fuite orchestrée en prétextant des raisons fallacieuses », visant à « équiper les groupes terroristes en abandonnant délibérément des quantités importantes d’armes et de munitions pour réaliser leur dessein funeste ».

Retrait anticipé

La fermeture du camp de Tessalit, qui marque le premier retrait de la Minusma de la région de Kidal, a été suivie dans la foulée de celle du camp d’Aguelhok. « Nos Casques bleus ont quitté ce jour le camp d’Aguelhok, dans le cadre de notre retrait du Mali et dans la fourchette prévue dans le plan communiqué au gouvernement malien. La situation sur place était devenue très dangereuse pour leur sécurité, avec des informations faisant état de menaces réelles contre eux », a affirmé un communiqué de la Minusma le 23 octobre.

Si à Tessalit l’ex-camp de la Minusma a été rétrocédé à l’armée malienne, ce n’est pas le cas à Aguelhok, où les Casques bleus de l’ONU ont déserté leur ancienne emprise sans rétrocession aux autorités maliennes.

Alors que cette situation faisait craindre une confrontation entre l’armée et le CSP-PSD pour le contrôle du camp, les tensions se sont très vite exacerbées entre les deux parties. Selon un communiqué de l’armée du 24 octobre, qui a souligné que cette situation de départ précipité de la Minusma mettait en péril le processus entamé et menaçait la sécurité et la stabilité dans la localité d’Aguelhok, « les terroristes ont profité de ce désordre pour s’introduire dans le camp et détruire plusieurs installations. Ils ont été neutralisés par les vecteurs aériens des FAMa ».

Quant à la rétrocession du camp de Kidal, qui cristallise les attentions et est source de tensions entre l’armée malienne et la CMA, appuyée par Fahad Ag Almahmoud, la Minusma a indiqué évaluer « attentivement la situation en vue d’ajuster le plan de retrait de sa base dans la ville de Kidal », sans pour autant avancer de date précise. Elle a, selon des sources locales, évacué le 25 octobre une grande partie du personnel du camp de Kidal. Il ne reste plus que quelques soldats tchadiens et togolais qui partiront dans quelques jours. En attendant, la CMA et ses alliés ont pris position autour du camp.

Changement de stratégie ?

Le départ précipité de la MINUSMA de son emprise de la ville de Kidal, contrairement au calendrier initial, pourrait-il impacter le processus de récupération de ce camp par l’armée malienne ?  Pour Ibrahima Harane Diallo, chercheur à l’Observatoire sur la prévention et la gestion des crises au Sahel, bien qu’il aurait été souhaitable que la Minusma s’en tienne au calendrier de départ, ce changement n’affectera en rien les plans des FAMa, qui, selon certains observateurs, pourraient presser le pas et risquer des pertes en n’avançant pas à un rythme mieux « sécurisé ».

« À partir du moment où l’armée est déjà présente dans certaines localités telles que Ber, Anéfis ou encore Tessalit, cela suppose que stratégiquement elle peut s’emparer de Kidal », dit-il. « Cette question de changement de calendrier n’est pas à mon avis déterminante dans la stratégie militaire mise en place. Cela peut peut-être changer la tactique de l’armée, mais je ne suis pas sûr qu’elle apporte un changement de stratégie globale », confie celui qui est également chercheur associé au Timbuktu Institute.

À l’intérieur de la ville de Kidal, la CMA mobilise. Sur ses différentes pages, Alghabass Ag Intalla a lancé un appel à la jeunesse de « l’Azawad » afin qu’elle soit la protectrice de la patrie et des faibles. « Un pays que nous ne protégeons pas ne mérite pas d’y vivre », a-t-il ajouté. Dans une déclaration en date du 24 octobre signée du « Meeting de la population de Kidal », il est demandé à la MINUSMA de céder son emprise aux autorités locales. Le meeting, poussé par la CMA, annonce tenir désormais un sit-in permanent à l’aérodrome de Kidal, pour « empêcher tout atterrissage d’avions autres que ceux impliqués dans le processus de retrait de la MINUSMA ». Ce sit-in, s’il a lieu, pourrait mettre en place des boucliers humains, selon un analyste.

Communication contre communication

Comme nous l’écrivions dans l’une de nos récentes parutions, en prévision de la reprise des hostilités à Kidal plusieurs combattants venus de Libye se sont joints à la CMA. Ils ont apporté avec eux de nombreuses armes, dont des missiles sol-air pour tenter d’abattre les avions des FAMa. À en croire certaines sources, Fahad Ag Almahmoud et ses hommes, qui étaient principalement stationnés aux alentours d’Anefis, se sont rapprochés de Kidal. La tension est très vive et les principaux leaders de la CMA jouent une partie de leur va-tout sur la communication. « Nous nous battons pour défendre notre culture et nos aspirations politiques. Nous continuerons de nous battre jusqu’à obtenir un nouvel accord avec le gouvernement, qui nous garantira une administration en mesure d’offrir une nouvelle gouvernance à nos régions », clamait Bilal Ag Achérif, cadre de la CMA, dans une récente interview accordée à un journal étranger. D’habitude réservé, le Secrétaire général du MNLA multiplie les interviews avec des médias français et britanniques, dans lesquelles il lance des appels à des soutiens matériels et s’évertue à porter des accusations d’exactions sur les FAMa et « Wagner ». La présence du groupe paramilitaire au Mali n’a jamais été confirmée par les autorités, qui évoquent plutôt des instructeurs russes. Sur les réseaux sociaux, notamment X (ex-Twitter) et Facebook, des comptes proches de la CMA relaient des accusations d’exactions supposées sans toutefois apporter de preuves concrètes. Pour tenter de contrer cette communication, l’armée a réajusté sa stratégie. Les « longs » communiqués de la DIRPA sur deux ou trois pages ont été remplacés par des formats plus courts et plus digestes. Face au terme de génocide visant une communauté employé par des proches de la CMA, les autorités utilisent activement l’ORTM. Dans l’une de ses émissions, la chaine nationale a fait intervenir Zeidan Ag Sidilamine, un ancien cadre des mouvements rebelles des années 1990 qui a même été leur porte-parole et qui dément tout amalgame visant des Touaregs à Bamako.

Vers un nouvel accord ?

Une éventuelle prise de Kidal par les FAMa ne signifiera pas non plus la fin de la guerre. Même si, pour beaucoup d’analystes sécuritaires elle permettra de porter un coup aux groupes rebelles et terroristes en les privant d’une base arrière, après l’occupation de Ber. Et pour Bamako ce sera un énorme gain politique. Toutefois, les tactiques de guérilla et de harcèlement se poursuivront certainement. Jusqu’à quand ? La signature ou la relecture d’un Accord pour la paix, répond un analyste en géostratégie. Avec cette fois-ci « l’État en position de force ». Les différents protagonistes ont conscience que cette guerre d’usure ne pourra pas durer éternellement. La voie du dialogue est toujours ouverte, si l’on s’en tient aux différentes déclarations des autorités et des groupes armés. Avec quel médiateur ? L’Algérie toujours, mais son rôle est contesté. La CMA estime « être trahie » par Alger, qu’elle juge beaucoup trop silencieuse et qui ne ferait pas assez pression sur les autorités, qui, de leur côté, n’ont que peu goûté que le Président algérien reçoive une délégation de la CMA.

JNIM : le groupe terroriste veut-il couper le nord du reste du pays ?

Le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM, acronyme arabe) cible de plus en plus les différents moyens de transport, laissant penser à la mise en œuvre d’une stratégie visant à couper le nord du reste du pays.

En se prenant au bateau « Tombouctou » le 7 septembre et à l’aéroport de Tombouctou 4 jours plus tard, le JNIM semble être dans une stratégie globale d’isolement des régions du nord du reste du pays.  

« L’objectif est clairement de couper le nord du pays. Je pense que contrairement à 2012, où ils ont massivement et brutalement occupé les régions du nord jusqu’à Konna, cette fois-ci ils sont en train de reconquérir les mêmes zones, avec beaucoup plus de subtilité », estime le journaliste Tiégoum Boubèye Maiga.

« Le blocus au niveau de Léré, qui va jusqu’à Nampala en passant par Konna et Douentza, signifie, qu’on le veuille ou non, que le Mali est coupé est deux. Le bateau était le seul moyen ces derniers temps, les routes sont coupées et maintenant les avions sont menacés. Cela veut dire que quelque part aujourd’hui la mobilité est inexistante », poursuit-il.

L’analyste politique et sécuritaire Soumaila Lah est du même avis. « Il y a le nord aujourd’hui qui est au centre de toutes les préoccupations. Je pense que le fait de s’attaquer à ces moyens de transport dénote de la volonté du JNIM de s’affirmer d’une part et d’envoyer un message clair à Bamako de l’autre, pour dire qu’ils ont toujours une certaine préséance et qu’ils se battront jusqu’au bout », analyse-t-il.

Ces attaques surviennent par ailleurs dans un contexte où le groupe d’Iyad Ag Ghaly a placé la ville de Tombouctou sous blocus depuis quelques semaines, arrêtant les approvisionnements de l’extérieur, en provenance notamment de l’Algérie et de la Mauritanie.  

Dans cette stratégie, le JNIM a visiblement un allié de taille, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), déterminée de son côté à ne pas céder les zones sous son contrôle à l’armée malienne, qui est en train de reprendre toutes les emprises de la MINUSMA.

Pour M. Lah, la collusion entre la CMA et le JNIM dans les attaques récentes est avérée. « Ce n’est pas un fait nouveau. En 2012 il y avait déjà cela. Je pense que le fait d’être aujourd’hui en position de faiblesse oblige ces organisations à cheminer ensemble pour éventuellement prendre le pas sur les FAMa », souligne le Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la Sécurité.

Réserve des forces armées : sonner la mobilisation

Le 13 septembre 2023, le Conseil des ministres a adopté un projet de décret fixant le Statut particulier de la Réserve des Forces armées et de Sécurité, concrétisant une dynamique de participation citoyenne à la défense de la patrie en cette période de crise. Si l’initiative salutaire permet de mobiliser les citoyens pour la défense du pays, les modalités de la mobilisation restent des questions à définir.

Alors que les choses semblent s’accélérer pour la mise en œuvre de la Réserve des Forces armées, tout reste encore à définir sur un plan pratique. Selon Fousseynou Ouattara, Vice-président de la Commission Défense du Conseil national de Transition (CNT), interrogé sur la chaîne TM1, il s’agit de permettre aux forces armées d’utiliser de façon optimale tout leur potentiel en cas d’agression ou de catastrophe. 

Le projet de décret, initié conformément à l’article 24 de la Constitution, dispose que « la défense de la Patrie est un devoir pour tout citoyen. Tous les citoyens âgés de 18 ans au moins peuvent être mobilisés aux côtés des Forces armées et de Sécurité pour la défense de la Patrie », précise le communiqué du Conseil des ministres

Son élaboration fait suite à l’application des dispositions de l’Ordonnance n°2023-015/PT-RM du 21 mars 2023 portant Statut général des Militaires, ainsi que de celles de la Loi n°2016- 038 du 07 juillet 2016 portant institution du Service national des Jeunes. N’appartenant pas à l’armée d’active, la Réserve est constituée de personnes appelées réservistes et formées pour renforcer ou apporter un concours aux Forces armées maliennes dans le cadre de la défense nationale. Le décret adopté précise les deux types de réserve, la réserve stratégique et la réserve opérationnelle.

La réserve stratégique est constituée des personnels du contingent du Service national des Jeunes ayant accompli le service militaire, des militaires dont la démission a été régulièrement acceptée, des militaires admis à faire valoir leurs droits à la retraite durant le temps où ils sont soumis à une obligation de disponibilité, qui est de cinq ans, des volontaires ayant souscrit un engagement et de toute autre personne ayant accompli le service militaire.

Lorsque la réserve stratégique est mise à la disposition du Chef d’État-major des Armées, elle est dite opérationnelle. Les réservistes mobilisés sont soumis au Statut général des Militaires et à toutes autres dispositions législatives et règlementaires en vigueur régissant les militaires. L’adoption du décret fixant le statut des réservistes est une nouvelle étape qui permettra désormais de déterminer l’état des réservistes et les conditions de leur mobilisation, d’assurer les garanties d’un renfort capital en cas de crise, de catastrophe naturelle ou de guerre, d’apporter un haut niveau de compétences supplémentaires aux Forces armées et de Sécurité et d’encourager les jeunes à contribuer à la Défense de la Nation.

Renfort naturel

Cet encouragement des jeunes à participer à la défense de la Nation est d’autant plus normal que ces derniers constituent les forces vives dont l’engagement est indispensable à sa vie, remarque Ousmane Abou Diallo, Président de l’Amicale des anciens du Service national des Jeunes (AMA- SNJ). « Le pays a besoin de tous ses fils et filles. La défense est un devoir pour tous parce que nous traversons des moments difficiles et que tout le monde doit jouer sa partition ».

Institué en 1983, le Service national des Jeunes ambitionnait de former des citoyens modèles, compétents et au service de la Nation.  Avec comme devise « Apprendre, servir et défendre », il constituait un véritable creuset pour fortifier l’esprit national civique et inspirer les jeunes générations, selon l’Amicale. De 1985 à 1991, le Service a formé 6 contingents ordinaires et 2 spéciaux, pour un effectif de plus de 6 000 personnes.

Après une interruption de 24 ans, le service a été de nouveau institué en 2016 avec d’autres objectifs. L’une de ses missions est de « contribuer à parfaire l’éducation, la formation physique, civique et professionnelle des jeunes en vue de leur participation effective et entière au développement économique, social et culturel du pays et de leur mobilisation pour les besoins de la défense nationale ». Entre 2018 et 2021, une cohorte de 1 300 jeunes a été formée et une autre, constituée exclusivement des admis au concours de la Fonction publique, également. La dernière promotion est constituée de ceux admis au concours de la Fonction publique en 2022.

Cette deuxième génération doit permettre de former des citoyens pétris de valeurs et capables d’assurer et d’assumer la souveraineté, espèrent les autorités. Souhaitée par l’Amicale des Anciens du SNJ, l’institution de la Réserve des Forces armées complète le dispositif de défense citoyenne voulu par les autorités pour impulser une nouvelle dynamique et former les ressources humaines indispensables à la mise en œuvre du Mali nouveau appelé de tous les vœux.

Devoir citoyen

En contrepartie de ses droits, il est attendu du citoyen l’accomplissement de ses devoirs envers sa patrie. Et l’un des premiers est celui de sa défense, surtout lorsque son existence est menacée. Parce qu’ils seront appelés à diriger le pays, les jeunes doivent en assurer aussi l’existence, car « pour diriger un pays, encore faut-il qu’il existe », note le Dr Bréma Ely Dicko, sociologue et membre de la commission de rédaction de l’avant-projet de nouvelle constitution (juillet-octobre 2022).

Appelés à travailler dans un environnement différent, les réservistes sont invités à compléter leurs connaissances « civiles » par des connaissances « militaires ». Une sollicitation en fonction des compétences, tient à expliquer M. Diallo, le Président de l’Amicale des anciens du SNJ. Il s’agit d’un devoir de servir que tout citoyen doit être fier de remplir. La défense de la patrie est un devoir et il incombe à tous.

« La Réserve n’est pas seulement pour ceux qui ont fait le service militaire », ajoute-t-il. Si tout le monde peut être mobilisé, ce n’est pas tout le monde qui « ira sur le front ». Lorsque le pays traverse les moments difficiles, c’est chaque Malien qui doit jouer sa partition, poursuit-il. Parce qu’à côté des fonctions de combat, d’autres fonctions sont également nécessaires à la défense.

Ce décret, « pris au bon moment », est une occasion pour tous les citoyens de se sentir concernés par la défense de la patrie. Assurant qu’au SNJ, ils « sont prêts » à répondre, il explique que même après leur période de mobilisation, les militaires à la retraite, par exemple, peuvent encore servir. En termes de formations, de conseils ou d’autres types d’appui.

Les jeunes ont suffisamment de droits et un des devoirs est de sauver le pays, renchérit Dr Bréma Ely Dicko. Donc mettre à disposition ces forces permet de créer le cadre officiel qui permettra d’identifier qui de droit le moment venu. C’est une mesure salutaire, parce qu’elle permettra d’anticiper d’éventuels besoins en réservistes.

Cela permettra aussi de raffermir le patriotisme chez les jeunes et de leur faire mieux comprendre comment fonctionne l’armée. « Nous avons besoin de développer l’orgueil national », estime pour sa part le Dr Amadou Traoré, sociologue, Chef de département à la Faculté des Sciences sociales de Ségou (FASSO). Et, pour ce faire, il faut du patriotisme. Ceux qui ont fait la formation militaire sont dotés de ce sens de la responsabilité et de l’amour de la patrie. Déplorant que, malgré la situation de guerre, certains ne se sentent pas concernés, il estime que « tous les Maliens sont des soldats », à différents degrés. Il faut donc construire une « mentalité commune ».

Sur le plan politique, cette formalisation de la Réserve peut constituer un espoir, parce qu’elle peut interpeller les citoyens sur la prise en compte des services régaliens que chacun doit rendre. Selon le Dr Traoré, l’idéal se construit, et pas en un jour. Il faut donc concrétiser notre devise « Un Peuple, Un But, Une Foi » à travers le patriotisme et la confiance en soi. « C’est d’abord aux Maliens de défendre leur patrie ». Si le pouvoir et la liberté appartiennent au Peuple, il doit les assumer au bout d’efforts à capitaliser.

 

Repères

Institution du SNJ : 1983

Suppression : 1991

Re Institution SNJ : 2016

Adoption Statut Réservistes : 2023

 

Sécurité : la guerre entre dans une nouvelle phase

La situation sécuritaire dans le nord du pays s’est considérablement dégradée depuis le début du mois de septembre, avec la multiplication des attaques terroristes visant des positions des Forces armées maliennes (FAMa) mais aussi des civils. Par ailleurs, alors que l’armée s’apprête à reprendre les camps de la Minusma dans la région de Kidal, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), de son côté, est déterminée à garder les zones sous son contrôle.

49 civils et 15 militaires tués, des blessés et des dégâts matériels. C’est le bilan provisoire donné par le gouvernement de la double attaque terroriste revendiquée par le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM) le 7 septembre 2023, contre le bateau « Tombouctou » reliant Gao à Mopti et la base militaire des FAMa à Bamba, dans la région de Gao.

407 rescapés de cette attaque sont arrivés le jour suivant à Gourma-Rharous, où dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, ils appelaient les autorités de la Transition à l’aide. « Tous mes enfants sont morts, ma famille entière, il ne me reste plus que mon petit-fils, que vous voyez avec moi », se lamente un vieil homme devant un groupe de rescapés qui scande : « nous voulons quitter ici ». « Nous avons perdu beaucoup de personnes, des enfants tout comme des adultes et des personnes âgées. Nous sommes fatigués. Nous n’avons ni à manger ni à boire, nous avons tout perdu dans cette tragédie. Nous voulons rentrer chez nous », confie, très remontée, une femme. Ce sont les affres, les dernières d’une guerre qui s’étend et devient de plus en plus meurtrière.

Le 8 septembre, au lendemain de cette double attaque, le camp militaire de Gao a été à son tour la cible d’une attaque terroriste faisant une dizaine de morts et des blessés parmi les Forces armées maliennes, suivie 3 jours après, le 11 septembre, de tirs d’obus à l’aéroport de Tombouctou occasionnant des dégâts matériels dans le camp de la MINUSMA s’y trouvant.

Guerre ouverte

Au même moment où les attaques du JNIM se multiplient, la CMA, de son côté, mène des actions dans le but d’empêcher la perte des zones qu’elle contrôle dans le nord du pays. Dans un communiqué en date du 10 septembre, le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), regroupant la CMA et d’autres mouvements signataires de l’Accord pour la paix, « tout en désignant la junte au pouvoir à Bamako comme seule responsable des conséquences graves qu’engendrera sa stratégie actuelle de rompre le cessez-le feu », déclare « adopter dorénavant toutes mesures de légitime défense contre les forces de cette junte partout sur l’ensemble du territoire de l’Azawad ».

« Le CSP-PSD appelle les populations civiles à s’éloigner au maximum des installations, mouvements et activités militaires et les assure que ses forces feront de la sécurisation des personnes et de leurs biens leur priorité contre toutes sortes de menaces », poursuit le communiqué, signé du Président Alghabass Ag Intalla. Mais le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) et la Plateforme des mouvements du 14 juin d’Alger s’en sont désolidarisés pour n’avoir pas été associé à la rédaction de la déclaration.

Le 11 septembre, dans une « communication en temps de guerre », la cellule d’information et de communication des affaires militaires de l’Azawad, créée quelques jours plus tôt, demandait « à tous les habitants de l’Azawad de se rendre sur le terrain pour contribuer à l’effort de guerre dans le but de défendre et protéger la patrie et ainsi reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire national azawadien ». Pour concrétiser ses menaces, la CMA est passé à l’acte le 12 septembre en s’attaquant à une position de l’armée malienne à Bourem, dans la région de Gao. Selon certaines sources, le dispositif de l’armée malienne qui doit reprendre les camps de la MINUSMA dans la région de Kidal est stationné dans cette zone. Les combats violents ont duré plusieurs heures et la CMA s’est repliée suite à l’intervention des vecteurs aériens de l’armée, qui ont effectué de nombreuses frappes. L’État-major général des armées, qui n’évoque pas la CMA dans son communiqué, parle « d’une attaque complexe aux véhicules piégés de plusieurs terroristes à bord de plusieurs véhicules et motos ». Bilan, « 10 morts et 13 blessés dans les rangs des FAMa et 46 terroristes neutralisés, plus de 20 pickups détruits, y compris ceux équipés d’armes ». Signe que la collusion réelle entre la CMA et le JNIM, comme ce fut le cas en 2012, est désormais bien intégrée dans la communication de l’armée. Ces affrontements directs entre les deux principaux protagonistes signent aussi la « mort cérébrale » de l’Accord pour la paix signé en 2015, du moins en l’état, à moins que la communauté internationale, en l’occurrence l’Algérie, chef de file de la médiation, jusqu’alors silencieuse, ne tente de faire rasseoir les parties autour de la table.

Nouveau tournant

En attendant, pour l’analyste politique et sécuritaire Moussa Djombana, la montée des tensions dans le nord s’explique par une combinaison de facteurs, notamment la volonté d’occupation de l’espace laissé par le départ progressif de la MINUSMA et le renforcement des capacités militaires des FAMa, qui envisagent des offensives, y compris dans les zones couvertes par le cessez-le-feu de 2014. « Cela a provoqué la colère de la CMA, qui interprète cela comme une violation du cessez-le-feu et une agression », souligne-t-il.

La reprise des hostilités, qui semblait inévitable entre les deux camps, fait basculer la situation sécuritaire dans le pays dans une nouvelle phase depuis la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation en 2015.

À en croire M. Djombana, elle risque de se détériorer davantage par la suite. « Pour les autorités maliennes, les opérations visent les groupes armés terroristes, pas la CMA. Cependant, pour la CMA, la violation du cessez-le-feu de 2014 et la caducité de l’Accord pour la paix sont une réalité depuis quelque temps. Les FAMa ont pris Ber grâce à une opération militaire d’envergure, un bastion de la CMA depuis 2012, ce qui augmente la probabilité de nouveaux affrontements », analyse-t-il.

Même son de cloche chez le géopolitologue et expert des groupes extrémistes au Sahel Dr. Alpha Alhadi Koïna. « On sait qu’aujourd’hui les groupes armés ne veulent pas du tout laisser l’armée s’installer confortablement dans certaines zones qu’ils prétendent être leurs fiefs. Ber était l’une d’elles. Aujourd’hui, l’armée est aussi déterminée à occuper Aguelhok, Tessalit et plus tard Kidal. S’il n’y a donc pas de négociations, il est fort probable que des affrontements aient lieu », avance-t-il.

Pour Dr. Koïna, la position et la posture actuelle des groupes armés s’expliquent par le fait que la MINUSMA étant en train de partir, « ils essayent d’occuper le plus tôt possible le terrain et d’harceler l’armée avant qu’elle ne puisse se positionner. Pour y parvenir, il est important pour ces groupes armés et terroristes de terroriser la population et de faire peur à l’armée ». « La CMA a tout à perdre si l’armée malienne récupère Kidal. Il est tout à fait normal qu’elle essaye de tout faire pour rester sur ses positions », glisse-t-il.

Mali – transition: 64 morts dont 49 civils et 15 militaires dans deux attaques distinctes

Le bateau « Tombouctou » de la COMANAF et un camp de l’armée malienne à Bamba dans la région de Gao ont été visés hier jeudi par des attaques terroristes. Dans un communiqué, le gouvernement a fourni un bilan provisoire de 64 morts dont 49 civils et 15 militaires lors des deux attaques. Un deuil national de trois jours à été décrété à compter de ce vendredi. Dans le communiqué, le gouvernement a annoncé que la riposte des FAMa a permis de neutraliser une cinquantaine de terroristes. Les nombreux blessés ont selon des sources locales été acheminés vers les centres de santé de la région de Gao. Le bateau de la COMANAF en provenance de Gao a été la cible d’une attaque terroriste  aux environs de 11 h 00, entre Abakoira et Zorghoi dans le cercle de Rharous. C’est la deuxième fois en moins d’une semaine que les bateaux de la COMANAF sont attaqués. Le 1er septembre dernier, la compagnie a informé d’une attaque à l’arme lourde ayant entrainé la mort d’un enfant de 12 ans.

 

Bandiagara : les attaques meurtrières se multiplient

A Bandiagara, les jours se suivent et se ressemblent. Depuis le début de l’hivernage, les populations font face à une série de violence meurtrière. Ce 18 août 2023, c’est le village de Yarou qui a subi une attaque par des hommes armés, ayant fait 22 morts, suivi le 20 août 2023 d’une autre dans le village d’Idiely, ayant fait 1 mort. Face à la situation, la société civile exprime sa préoccupation et sollicite un changement de stratégie.

Les assassinats ou attaques ciblées contre des villages qui se vident de leurs habitants, les vols de bétail sont devenus le lot quotidien des habitants de Bandiagara. Les communes alentour de la région sont devenues les cibles d’attaques récurrentes suscitant la colère des populations. Le 9 août 2023, les forces vives de la région avaient organisé une marche et annoncé une journée ville morte.

Depuis le 5 aout 2023 où l’attaque de Bodio avait fait 15 morts, celle de Gari le 7 août 12 morts, un attentat à la bombe à Dianwéli qui a causé 5 morts et l’attaque à Yarou le 18 août où 22 personnes ont été tuées et des bétails emportés, le climat d’insécurité s’accroît et inquiète les populations.

Alors que les attentes étaient grandes en termes de changement dans la situation sécuritaire, « les résultats sont en deçà de ceux espérés », déplore le président des organisations de jeunes de la région, Adama Djongo. Il appelle donc les autorités à un « changement de stratégie », afin d’associer les populations pleinement à la prise en charge de leur sécurité.  Conscient que l’Armée ne peut atteindre l’intégralité du territoire en même temps, il invite les autorités à mettre à profit l’expérience des groupes d’auto défense, pour contribuer à la sécurisation de leur terroir.

Une population traumatisée qui demande à l’Etat de prendre des mesures urgentes afin de les « rassurer », témoigne un habitant. En attendant et par crainte de représailles, plusieurs habitants des localités visées fuient en direction de la région.

Bandiagara : face à la recrudescence des attaques, le ras-le-bol de la population

Bodio, un village situé dans la commune rurale de Doucombo, cercle de Bandiagara, a été la victime d’une attaque terroriste le 5 août 2023. Bilan : 15 tués, 2 blessés, des dégâts matériels importants et une population traumatisée qui fuit la localité. Une énième attaque qui suscite la colère dans le Pays dogon. Pour manifester leur mécontentement, les « Forces vives » de la zone ont organisé une marche et décrété une journée Ville morte le 9 août 2023 à Badiangara. Ces attaques, devenues récurrentes, sont le symbole d’une insécurité qui gangrène le Pays dogon et au-delà et nécessite une analyse approfondie pour des solutions pérennes.

Le lendemain de l’attaque, entre Bodio et une localité voisine, un tricycle transportant deux chasseurs explose sur un engin explosif, causant la mort de ses deux occupants. Pour exprimer leur désarroi, « toutes les forces vives du Pays dogon, jeunes, femmes, commerçants, chefs de village et élus locaux, ont manifesté pour attirer l’attention des plus hautes autorités sur l’insécurité grandissante ». À l’issue de la marche, qui a dégénéré suite aux échauffourées entre manifestants et forces de l’ordre, faisant des blessés, un mémorandum a été remis aux autorités. 

Ce regain de violence était prévisible, selon Adama Djongo, Président du Collectif des associations de jeunes du Pays dogon. À l’approche de chaque hivernage, il s’agit d’un moyen pour les « terroristes de maintenir les populations dans la famine en les empêchant de cultiver ». Malgré les différentes alertes, M. Djongo déplore l’insuffisance des actions et demande à l’État « de mobiliser tous ses moyens pour sécuriser les populations ». Les Forces vives ont donc remis dans ce cadre un mémorandum aux autorités. Elles ne veulent plus se contenter des « décomptes macabres », promettant de se faire entendre si rien n’est fait. La population a décidé mercredi 9 août d’une journée ville morte. Une manifestation a également été organisée. Pacifique au début, elle a par la suite dégénéré. Les forces de l’ordre ont effectué des tirs de sommation selon des témoins faisant 11 blessés dont quatre parmi les forces de l’ordre et sept parmi les manifestants dont un grave. Ce dernier a succombé à ses blessures dans la soirée du 10 août. Les forces vives de la région de Bandiagara ont donc décidé de poursuivre la journée ville morte jusqu’à nouvel ordre. Une mesure qui touche tous les secteurs d’activité hormis les services de santé ; l’EDM ; la SOMAGEP et le transport terrestre et aérien.

Les limites du tout sécuritaire

L’absence des autorités dans les localités reculées et la perte des moyens des milices d’autodéfense, qui assuraient leur propre sécurité, constituent pour certains observateurs les causes de cette insécurité persistante. Il faut donc que l’État analyse cette question sécuritaire complexe en redéfinissant « les paradigmes du conflit malien ».

C’est donc une politique à mettre en place et un processus à entretenir. Il faut que l’État soutienne d’abord un plan d’urgence aux populations, nombreuses à se déplacer, et se focalise « sur le dialogue entre les communautés ». Mais les solutions au conflit malien ne peuvent être que communes avec celles du Sahel, indiquent les mêmes analystes. Ces pays doivent se mettre en synergie et « harmoniser leurs stratégies ».

Enlèvements : comment se déroulent les négociations ?

Qu’ils soient Occidentaux ou Africains, les otages des groupes terroristes au Sahel sont rarement libérés sans contreparties. Avant d’aboutir aux libérations, des négociations sont menées. Parfois longues et à rebondissements, elles sont conduites dans une grande discrétion.

Dès la prise d’otages, une première revendication est généralement faite par le groupe qui détient les captifs. « Une  vidéo dans laquelle l’otage s’exprime et qui fait en même temps office de preuve de vie », explique une source proche des négociations avec le JNIM.

À l’en croire, à partir de ce moment, le pays d’où est originaire l’otage cherche un médiateur. Ce dernier se dirige ensuite vers les ravisseurs. « Cela peut être aussi des coups de téléphone, mais c’est plutôt rare, parce que tout le monde écoute tout le monde dans la zone », nous glisse-t-elle.

Les ravisseurs posent ensuite leurs conditions au médiateur, qui  rend compte à son tour à un représentant des pays concernés ou à un diplomate. Les services de renseignement de certains pays sont généralement impliqués, selon notre source.

Le médiateur repart à nouveau vers les ravisseurs, avec une réponse qui est souvent la demande d’une preuve de vie particulière des otages, à travers des questions intimes auxquelles seuls ces derniers peuvent répondre. « Par exemple, la date de son mariage, ou celle de la naissance de son premier fils ». Il revient vers ses employeurs avec les réponses et repart avec de nouvelles questions.

« Cela peut prendre des semaines, voire des mois. Généralement ça bloque sur deux choses. Le montant, parce qu’il n’y a pas de prix fixe. On fait monter les enchères. Ensuite, comme preuve de bonne foi, on peut amener des médicaments à l’otage jusqu’à sa libération ».

Une fois que les deux parties tombent d’accord, le processus de libération est enclenché. Un dispositif de sécurité est mis en place pour s’assurer que toutes les conditions sont réunies. Selon notre interlocuteur, tout est calibré. « Les djihadistes ont le temps de compter l’argent et de se mettre en sécurité et l’otage repart avec le médiateur ou l’intermédiaire ».

Dans la plupart des cas, les otages sont très peu tenus au courant de l’évolution des négociations. Olivier Dubois, otage français libéré des mains du JNIM en mars dernier après près de 2 ans de captivité, assurait dans la longue interview qu’il nous a accordée ensuite qu’il était maintenu dans le flou.

« Seul moment où je comprends qu’il y a des négociations, c’est en novembre 2021. Parce qu’ils viennent me voir pour tourner une vidéo preuve de vie. On me dit qu’ils sont en train de discuter avec les Français et que ces derniers demandent cette vidéo. Mais je n’étais pas tenu au courant de ce qui se passait ».

JNIM : le lucratif business des enlèvements

Même s’il n’en détient pas le monopole, le JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) a érigé au fil des années les enlèvements au Sahel en modus operandi. Depuis que sa rivalité s’est accentuée, à partir de février 2020, avec l’EIGS (État islamique au grand Sahara), le groupe d’Iyad Ag Ghaly a multiplié les rapts. Expatriés européens, nationaux de divers profils, la liste des otages passés, ou qui sont encore dans les mains du JNIM au Mali, est longue. Que tire ce groupe terroriste de ces enlèvements ?

Officiellement, pour la libération le 20 mars 2023 de l’ex-dernier otage français dans le monde, Olivier Dubois, détenu pendant près de deux ans par le JNIM, et de l’humanitaire américain Jeffrey Woodke, enlevé au Niger en 2016, les autorités françaises et américaines sont catégoriques : aucune rançon n’a été versée et aucune libération de prisonniers n’a servi de monnaie d’échange.

Mais difficile de s’en tenir à ces versions quand on sait que dans la plupart des enlèvements d’Occidentaux en Afrique, la libération n’intervient qu’après des paiements de rançons et/ou la remise en liberté de terroristes prisonniers. À en croire certaines sources issues du renseignement malien et relayées par des médias locaux, au moins quelques millions d’euros auraient été versés pour obtenir la libération des deux ex-otages.

L’ancien Président François Hollande reconnaissait en 2016  que des rançons avaient été payées pour certains Français retenus en captivité, en l’occurrence les journalistes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponnier, enlevés en Afghanistan en 2009 et libérés en 2011, et  Florence Aubenas, enlevée en 2005 en Irak puis libérée quelques mois après.

Comme pour Olivier Dubois, près de 3 ans plus tôt, Paris a toujours démenti avoir payé, en plus d’échange de prisonniers,  pour la libération de Sophie Pétronin, autre otage française longtemps détenue au Mali et libérée en octobre 2020 en même temps que l’ancien Chef de file de l’opposition malienne Soumaïla Cissé et 2 Italiens, Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccalli.

Dans la foulée, sur RFI, Ahmada Ag Bibi, ancien membre d’un groupe djihadiste qui sert quelquefois d’intermédiaire lors des négociations, affirmait que 2 millions d’euros avaient été versés comme rançon au JNIM  pour l’ancien Président de l’URD, décédé depuis.

De l’argent et des concessions

La manne financière que le JNIM et les groupes terroristes tirent des enlèvements est très importante. Une source spécialiste de ces mouvements djihadistes l’estime à « 40 à 50 milliards de francs CFA perçus de 2003 à aujourd’hui ». « La prise d’otages européens  a fait des djihadistes au Sahel des milliardaires en francs CFA, cela ne fait aucun doute », avance cette source, qui a requis l’anonymat. De son point de vue, c’est d’ailleurs pour cette raison que les Occidentaux, et plus particulièrement les Européens, sont les cibles privilégiées du JNIM, parce que les pays d’où ces derniers sont originaires entament vite des négociations pour obtenir leur libération.

« Lorsqu’ils prennent des Européens et des Africains, ils libèrent plus rapidement les Africains pour deux raisons. D’abord, parce que ces derniers n’ont pas de valeur marchande, leurs États n’ont pas d’argent pour payer. Ensuite parce qu’ils font attention à ne pas enlever des locaux dans les zones qu’ils occupent. Cela pourrait amener des relations difficiles entre eux et les autochtones », explique notre source.

En dehors de l’argent qu’il perçoit à travers les rapts, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, affilié à Al Qaeda, tire d’autres avantages. « Les enlèvements rapportent soit de l’argent, soit une occasion de négocier pour aboutir à des concessions ou obtenir des accords. Souvent, ils enlèvent des chefs de villages pour faire un forcing afin d’obtenir un accord local ou un avantage quelconque », affirme un ex-otage malien.

« Dans le centre du Mali, quand le JNIM enlève des personnalités locales, politiques ou influentes dans un village ou dans une ville, il négocie des concessions qui peuvent être endogènes. Si, par exemple, on les empêche de se ravitailler en carburant dans un village qui fait de l’autodéfense, s’ils y enlèvent quelqu’un ils poussent les pions pour qu’on leur ouvre la route, qu’ils puissent quelquefois venir à la foire se ravitailler en denrées, acheter des engins ou vendre leur bétail », confie celui qui a passé deux mois au centre du Mali en 2018 dans les mains d’un groupe affilié au JNIM.

Selon lui, d’autres profils en dehors des Occidentaux intéressent le groupe dirigé par Iyad Ag Ghaly. Administrateurs civils, militaires, politiques ou encore journalistes, « dès  qu’ils jugent pouvoir tirer contrepartie d’une cible, ils n’hésitent pas ». Dans plusieurs cas, les libérations d’otages interviennent aussi après celle de prisonniers, de certaines voies ou encore l’obtention d’une garantie de non coopération avec l’armée de la part des populations.

Manque de ressources ?

C’est inédit. Quatre vidéos de revendication d’otages enregistrées et diffusées sur les réseaux sociaux en l’espace de quelques jours (entre le 28 et le 30 mai 2023). Jamais le JNIM n’avait autant « exhibé » ses captifs dans un délai aussi court. Comme à l’accoutumée dans ce genre de vidéos, le message de fond reste le même. Les otages, 1 Sud-africain et 3 Maliens, appellent les autorités de leurs pays et leurs familles à négocier leur libération.

Dans deux vidéos enregistrées le 26 mai et diffusées deux jours plus tard, le Sud-africain Gert Jacobus van Deventer, 48 ans, demande d’urgence de l’aide ou toute forme d’assistance pour faciliter ou activer toute action qui puisse conduire à sa libération.

Pour sa part Abdou Maïga, ancien député, et proche du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga selon certaines sources, appelle également le Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta, et le Chef du gouvernement à tout faire pour négocier sa libération, affirmant souffrir de glaucome, de diabète et de tension.

« J’ai été arrêté par les djihadistes le 18 mars 2023 entre Koala et Nara et actuellement je suis en vie. J’étais blessé le jour où l’on m’a arrêté. Actuellement, je suis en bonne santé. Je veux que le gouvernement m’aide pour que je rentre à la maison », implore de son côté, dans une autre vidéo enregistrée le 28 mai, le Caporal Oumar Diakité, élément du 34ème Bataillon du Génie militaire.

Tout comme lui, le même jour, Abdoulaye Kanté, garde forestier enlevé fin mars dans un poste à Kita, demande dans une autre vidéo de l’aide des autorités, à ses collègues et à sa famille pour recouvrer la liberté.

La nouvelle méthode employée par le JNIM, d’autant plus avec des otages relativement peu connus, suscite des interrogations. Le groupe est-il en manque de ressources financières et est-il en train d’activer des leviers de négociations pour le combler ? Est-il en train d’expérimenter une nouvelle stratégie ? Pour l’analyste sécuritaire, spécialiste des groupes djihadistes du centre et du nord du Mali, Yida Diall, la réponse à ces deux interrogations est négative.

« Pour moi, ces vidéos ne sont  pas pour chercher de l’argent, parce que en général les otages africains ne sont pas susceptibles de faire gagner beaucoup aux terroristes. Je pense qu’ils sont en train de le faire pour un autre motif, un échange de prisonniers. Ces derniers mois, ils ont eu certains lieutenants importants arrêtés, certains, pendant que Barkhane était encore là et d’autres avec la montée en puissance de l’armée ».

Quelques otages occidentaux, dont la « valeur marchande » est réputée plus grande, sont toujours aux mains du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans. Parmi eux, entre autres, le quadragénaire roumain Iulian Ghergut, enlevé en avril 2015 au Burkina Faso puis transféré vers le Mali, et trois Italiens, Rocco Antonio Langone et Maria Donata Caivano, 64 et 62 ans, et leur fils Giovanni, 43 ans, capturés au Mali  le 19 mai 2022.

Opération Kapidgou 2 : quel impact à la frontière Burkina – Mali ?

C’est l’une des premières retombées du renforcement en cours depuis quelques mois de la coopération bilatérale militaire entre le Mali et le Burkina Faso. L’opération Kapidgou 2, menée conjointement par les armées des deux pays, a été officiellement lancée le 21 avril dernier. Entre ratissages de villes et traque des terroristes, peut-elle contribuer à une sécurisation complète le long des deux frontières ?

L’objectif de Kapidgou 2 est double : augmenter d’une part la pression sur les groupes armés terroristes (GAT) qui sévissent le long de la frontière Mali-Burkina en détruisant leurs bases et d’autre part faciliter le retour des populations et de l’administration tout en promouvant le développement socio-économique de la zone.

Pour le Commandant Abdoul Wahab Coulibaly, chef de Kapidgou 2 côté malien, cette opération diminuera de manière significative l’insécurité dans cette région, parce que « les groupes armés terroristes se trouvent maintenant pris au piège entre deux déluges de feu qui les contraindront à abandonner leur dessein ».

Concernant un premier aperçu des actions menées sur le terrain quelques jours après le début de l’opération, la Direction de l’information et des relations publiques des Armées du Mali (Dirpa), que nous avons contactée à Bamako, n’a pas souhaité communiquer. Il ressort des explications fournies que le PC (Poste de commandement) conjoint qui mène l’opération n’a encore fourni aucun rapport.

Par contre, côté burkinabé, où une première phase était en cours depuis le 3 avril 2023, on en sait un peu plus. Selon une source proche de l’opération, plus de 800 combattants issus du 5ème BIR (Bataillon d’intervention rapide), du 23ème RIC de Koudougou (Régiment d’infanterie Commando), d’un bataillon mixte de marche composé de soldats et de VDP (Volontaires pour la défense de la patrie) et d’une compagnie de marche, le tout appuyé par un vecteur aérien en QRF (Force de réaction rapide), sont mobilisés pour l’occasion.

Roquettes lancées depuis 30 ou 40 km sur les bastions terroristes, ratissages et fouilles systématiques des villes et villages de la zone transfrontalière, démantèlement d’engins explosifs improvisés (EEI), l’armée burkinabé déploie de gros moyens. Résultats, plusieurs localités ont été reprises, des suspects appréhendés et des terroristes neutralisés, selon elle. Toutefois, ces dernières semaines, plusieurs militaires et VDP sont tombés suite à des attaques de GAT dans le pays.

Efficace ?

Les opérations conjointes entre le Burkina Faso et le Mali n’en sont pas à leurs débuts. Elles avaient été arrêtées il y a plus d’un an avant de reprendre en 2023, avec la nouvelle dynamique insufflée par les Présidents de transition des deux pays, le Colonel Assima Goïta et le Capitaine Ibrahim Traoré. L’analyste politique et sécuritaire Siaka Coulibaly, pour lequel la pertinence de l’opération en cours n’est plus à démontrer, est quand même inquiet sur son efficacité finale.

« Les deux pays ne semblent pas se rendre compte de la nature réelle du phénomène terroriste à son stade actuel. Au Burkina Faso, beaucoup plus qu’au Mali, les terroristes, après la destruction de leurs grandes bases, sont rentrés dans la population. C’est cela la dimension communautaire du conflit, qui en appelle plus à un travail de police que d’armée classique », avance-t-il.

« Les deux pays doivent faire preuve d’adaptabilité pour terminer le conflit, sinon il durera longtemps, d’autant que certains acteurs sont préparés à soutenir les irrédentistes », poursuit l’analyste.

Selon un spécialiste des questions sécuritaires qui a requis l’anonymat, pour plus d’efficacité dans cette traque commune des terroristes, essentiellement du Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), dans la zone transfrontalière, il faut mettre l’accent sur le partage des renseignements et aboutir à des canaux d’échanges assez dynamiques entre les deux pays, sans oublier les formations communes d’éléments des deux armées.

Siaka Coulibaly est du même avis. « Les opérations relèvent maintenant plus du renseignement social que des affrontements directs avec des groupes armés. Si l’on continue avec l’approche militaire, on aura des cas dramatiques parce que l’adversaire est fondu dans la population », prévient-il.

En juin 2021, le Burkina Faso et le Mali s’étaient joint à la Côte d’Ivoire pour mener une opération tripartite dans les zones frontalières des trois pays. Dénommée Tourbillon vert, elle avait permis de de neutraliser 4 terroristes, de détruire 3 motos, d’interpeller 64 personnes et de récupérer des téléphones portables et des matériaux explosifs.

Sécurité : une nouvelle attaque terroriste à Sévaré

Au petit matin, vers 5h20, un énorme bruit réveille les habitants de Sévaré encore endormis. Le début d’une nouvelle attaque dans la ville visant les emprises des Forces de Défense et de sécurité. Les assaillants seraient venus de Bandiagara à bord de véhicules bourrés d’explosifs en direction du camp de la garde nationale et l’aéroport de Sévaré. Ils ont été stoppé selon des témoignages au quartier Sarena où les drones de l’Armée malienne sont rentrés en action pour détruire l’arsenal des terroristes. Selon une source sur place, des hélicoptères de l’Armée ont survolé la ville dans la matinée alors qu’un ratissage était en cours. Une grande partie de la ville a été bouclée par les forces de défense et de sécurité. Plusieurs blessés, notamment des déplacés internes dont le camp se situe à proximité de la zone d’impact ont été évacués vers l’hôpital Sominé Dolo. Certaines sources citant des responsables de l’hôpital évoquent aussi plusieurs morts. L’armée a assuré avoir déjoué une attaque complexe aux environs de l’aéroport mais n’a pas encore communiqué de bilan.

Olivier Dubois : 23 mois de captivité

Ce 8 mars, cela fait 23 mois que le journaliste français Olivier Dubois est retenu en otage par le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. Enlevé à Gao le 8 avril 2021, le journaliste est apparu dans deux vidéos, deux preuves de vie, en mai 2021 et en mars 2022. Olivier Dubois, père de deux enfants et ancien collaborateur du Journal du Mali est le journaliste français dont la détention est le plus longue depuis 30 ans. Dans une récente interview accordé à un média français, Abou Obeiba Youssef al-Annabi, le chef d’Aqmi a confirmé que son groupe détenait le journaliste et était ouvert à la « discussions ».

Opération de sécurisation du Nord: quel impact dans la zone des 3 frontières ?

Depuis Anéfis, au sud de Kidal, les groupes armés du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement  (CSP-PSD) ont lancé le 20 février une vaste opération de sécurisation des régions du Nord, deux semaines après la fusion en une seule entité militaire et politique des mouvements de la CMA. Objectif : contrer la récurrence d’attaques de groupes armés terroristes et de bandits armés dans les zones sous leur contrôle. Cette opération pourra-t-elle stabiliser la Zone des 3 frontières, en proie à l’insécurité depuis plusieurs années ?

C’est une grande première : près de 2 500 hommes et plus de 300 véhicules mobilisés. Les groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation de 2015 issu du processus d’Alger ont déjà mené des patrouilles communes dans certaines régions du Nord, mais jamais ils n’avaient mobilisé autant d’hommes et de moyens. Tous les mouvements de la CMA, de la Plateforme du 14 juin d’Alger et de certains Mouvements de l’inclusivité y prennent part et ont fourni chacun du matériel roulant et des hommes armés. Avec pour centres de gravité Anéfis dans la région de Kidal et Ber dans celle de Tombouctou, l’opération couvrira particulièrement les endroits où les mouvements évoluent et les différentes localités sous leur contrôle.

« C’est pour faire face à toute menace ou inquiétude, que ce soit lié au banditisme ou aux groupes terroristes. Obligatoirement, l’opération  va aller dans les zones où il y a un peu plus de populations, qui font face à des menaces, laissées à leur propre sort », précise  Mohamed el Maouloud Ramadane, porte-parole du CSP-PSD. Quant à la durée des patrouilles, cela va s’étaler sur plusieurs mois, assure-t-il.

« Vues l’étendue territoriale et la distance qui sépare les bases des mouvements, l’opération va prendre du temps, d’abord pour les regroupements et puis pour les départs à partir des points de regroupements », dit-il, n’écartant pas la possibilité qu’elle soit prolongée pour atteindre ses objectifs si le temps qui lui a été accordé n’était pas suffisant.

Freiner l’avancée terroriste

L’opération de sécurisation a été lancée pour freiner l’avancée de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), qui mène une offensive dans la Zone des 3 frontières, notamment dans la région de Ménaka, où plusieurs civils ont été tués depuis bientôt un an. Elle vient suppléer la riposte que tentaient de mener les combattants du MSA et qui avait occasionné à plusieurs reprises des affrontements avec les terroristes de l’EIGS, sans l’implication de l’armée malienne.

Le CSP-PSD espère contribuer à l’amélioration de la situation sécuritaire dans les régions concernées pour créer un climat de tranquillité au sein des communautés de ces différentes zones. Mais « le danger reste un affrontement armé qui pourrait coûter des vies humaines de plus. Nous avons déjà perdu beaucoup de vies humaines dans ce conflit », craint Abdoul Sogogodo, Vice-doyen de la Faculté des Sciences administratives et politiques de Bamako.

En effet, de son côté, le Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) se prépare à des combats dans la région de Tombouctou. Dans une récente lettre adressée au chef du village d’Acharene (30 km à l’ouest de Tombouctou), l’émirat de la région appelle les habitants de la zone à s’éloigner de 10 km des bases militaires et à ne coopérer en aucune façon avec l’armée ou d’autres groupes armés « ennemis ».

Selon Abdoul Sogogodo, malgré les bonnes volontés affichées de certains groupes armés, le CSP-PSD ne dispose pas des ressources humaines et économiques nécessaires pour engager une lutte à long terme contre les groupes terroristes. « Il faut que l’État malien et ses partenaires s’appuient sur les groupes engagés dans la lutte pour le retour de l’État, mais ces groupes armés n’ont pas pour vocation de se substituer éternellement aux forces maliennes de défense et de sécurité », tranche cet analyste.

Selon lui, les actions récentes des groupes armés signataires de 2015, y compris le lancement de l’opération de sécurisation, sonnent comme un appel à la négociation pour la mise en œuvre de l’Accord.

Extrémisme violent : sortir de l’engrenage

Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a lancé ce 7 février 2023 son rapport sur le « Voyage vers l’extrémisme violent ». Il s’agit non seulement de résoudre les atteintes qui peuvent conduire certains à choisir cette voie mais aussi de faire sortir ceux qui ont été pris dans l’engrenage. Dans cette quête, l’organisation travaille non seulement avec les dirigeants et responsables politiques, mais également avec les acteurs locaux, confessionnels et la jeunesse, qui sont « les gardiens des solutions nationales à l’extrémisme violent ».

Phénomène assurément mondial, l’extrémisme violent ne connaît pas de frontières, selon le rapport. Et partout ce sont les mêmes facteurs qui contribuent à son expression : pauvreté, inégalités, exclusion, manque d’opportunités et perceptions d’injustice.

Face à ce fléau dont l’ampleur ne cesse de s’étendre, le PNUD préconise une approche différente, basée sur « les solutions de développement ». En effet, des alternatives complémentaires doivent être trouvées au « tout sécuritaire » afin que ceux qui sont censés être protégés contre le recours à l’extrémisme violent ne soient pas les victimes de « mesures de sécurité excessive ». Le rapport, qui estime que les personnes radicalisées sont aussi souvent celles qui se sentent en insécurité, redoute qu’elles ne soient davantage marginalisées et donc plus vulnérables à la radicalisation.

Alternatives positives

En Afrique subsaharienne, le PNUD mène des programmes dans 25 pays pour essayer de contrer les facteurs d’émergence de « la région comme nouveau épicentre de l’extrémisme violent ». « Au Mali, le projet a contribué à renforcer la radio communautaire en tant que plateforme pour défier les stéréotypes, résoudre les tensions et diffuser des messages de cohésion sociale ».

Pour recruter de nouveaux adhérents, les groupes extrémistes surfent sur les échecs des politiques de développement. En effet, le manque d’emplois ou d’opportunités de subsistance, les inégalités ou l’exclusion sociale sont autant de maux exploités par ces groupes.

C’est pourquoi, le PNUD a entrepris de « travailler avec 40 pays pour améliorer la gouvernance et la prestation de services et renforcer la confiance entre les gouvernements et les citoyens ». Prévenir l’extrémisme violent, c’est aussi donner la chance à ceux qui ont basculé d’en sortir. « La réintégration, bien que difficile », semble être la voie la mieux indiquée pour la réconciliation et une stabilité à long terme, selon le rapport.

Pour faciliter le processus, le PNUD encourage les autorités dans la sensibilisation des communautés aux défis des rapatriés. Ces « survivants », grâce au partage de leurs expériences, peuvent aider à travers des informations cruciales sur les déclencheurs et les signes avant-coureurs.

Aminata Dramane Traoré : « l’ONU est aux ordres des membres du Conseil de sécurité et non à l’écoute des peuples souverains »

Sociologue, écrivaine, militante altermondialiste, Aminata Dramane Traoré a plusieurs cordes à son arc et autant de combats à mener. Depuis toujours, ou presque, elle questionne le pré-établi, pousse l’analyse et dénonce au besoin. Ses prises de position vont de la dénonciation de la politique française en Afrique au néolibéralisme ou encore aux questions des droits des femmes. Toujours avec l’intensité qui la caractérise, l’ancienne ministre de la Culture répond à nos questions.

Le Mali célèbre ce 14 janvier la « Journée nationale de la souveraineté retrouvée ». Estimez-vous que nous le pays a vraiment recouvré sa souveraineté ?

J’ai pris part à la mobilisation du 14 janvier 2022 parce qu’indignée par les sanctions infligées à notre pays par la CEDEAO et l’UEMOA. C’est un combat d’avant-garde, en raison de l’importance stratégique des enjeux de souveraineté de nos jours. Ils sont politiques, géopolitiques, militaires, sécuritaires, mais aussi économiques, sociaux, culturels et écologiques. Un jalon important vers l’affirmation de notre souveraineté a donc été franchi ce jour-là. La souveraineté étant une quête de tous les jours, les acquis doivent être entretenus et consolidés. Tel est le sens à donner à la « Journée nationale de la souveraineté retrouvée ».

Dans cette quête de souveraineté, les autorités de la Transition ont pris de nombreuses décisions qui ont créé des tensions avec certains partenaires, notamment la France ou certains voisins. Cette quête doit-elle être aussi conflictuelle ?

La conflictualité de cette quête ne dépend pas que du Mali. Elle rend compte de la volonté de puissance de la France dans ses anciennes colonies d’Afrique, ainsi que des failles dans la coopération sous-régionale, bilatérale, multilatérale et internationale. Notre pays est un véritable cas d’école.

Le Mali redéfinit ses alliances dans une période très polarisée, notamment par la guerre en Ukraine. Comment tirer son épingle du jeu dans cette situation ?

La guerre en Ukraine jette une lumière crue sur les buts des guerres des temps présents, dont celle qui a été imposée au Mali au nom de « l’anti-terrorisme ». Je n’ai pas cessé, dès 2012, de contester et de déconstruire ce narratif français à la lumière de ce que je sais des interventions militaires étrangères. J’ai exprimé mon désaccord en ayant à l’esprit ce qui s’était passé en Irak et surtout en Libye. Alors comment choisir son camp entre des puissances qui s’autoproclament « démocratiques » et les autres (Chine, Russie, Turquie), qu’elles considèrent comme autocratiques parce qu’elles n’adhèrent pas à leurs principes politiques ? C’est le non alignement qui nous sied le mieux pour nous frayer notre propre voie, conformément aux besoins de nos peuples qui n’en peuvent plus des fausses promesses de développement, de démocratie et de gouvernance.

Vous avez symboliquement été candidate au poste de Secrétaire général de l’ONU. Selon vous, pourquoi la réunion demandée par le Mali en août dernier concernant un soutien présumé de la France aux terroristes n’aboutit-elle pas ?

Permettez-moi de rappeler d’abord que cette candidature symbolique au poste de Secrétaire général des Nations-Unies, auquel les femmes étaient invitées à se présenter, était l’occasion pour moi de rappeler que la crise de la démocratie libérale est stratégique. Le fait d’être homme ou femme à ce poste ne fait pas de différence dans l’ordre congénitalement injuste et violent du capitalisme. L’ONU est aux ordres des membres du Conseil de sécurité et non à l’écoute des peuples souverains.

Il n’y a de ce fait rien d’étonnant au mépris avec lequel la demande du Mali a été traitée au sujet d’une réunion autour d’une question qui fâche la France et perturbe ses alliés occidentaux. C’est pour cette raison que je souligne dans la vidéo que je consacre à l’ONU que la réforme dont elle a besoin va bien au-delà de la représentation de ses membres au Conseil de sécurité. Sa mission est à repenser à la lumière des crises qui s’amoncellent et s’aggravent, du fait de la loi du plus fort qui est la règle du jeu.

L’affirmation de la souveraineté du Mali ou d’un nouveau narratif du pays ne passe-t-elle pas aussi par la rupture des relations diplomatiques avec la France, accusée par les autorités de soutenir les terroristes ?

Ces relations sont à repenser et à refonder en se respectant et en s’écoutant mutuellement sur tous les sujets, y compris ceux qui fâchent comme le soutien de la France aux terroristes. En s’y refusant, Paris conforte l’idée selon laquelle elle est au-dessus du droit international, qu’elle prétend défendre, et aggrave la crise de confiance qui remonte aux premières heures de l’Opération Serval, suite à l’interdiction de l’accès à Kidal aux FAMa.

Qu’avez-vous ressenti à l’annonce du départ des soldats français du pays ?

Bien entendu un sentiment de fierté. La guerre dite « anti-djihadiste » étant sous nos cieux une nouvelle étape de l’impérialisme et de la recolonisation par l’intervention militaire.

Mais la situation sécuritaire ne s’est guère améliorée depuis…

Il en est ainsi parce le diagnostic est erroné. Les conséquences sont érigées en causes. Nombreux sont les analystes avisés qui rappellent que le terrorisme est un mode opératoire et non un ennemi spécifique. Le phénomène prend de l’ampleur au fur et à mesure que les mécanismes du pillage de nos richesses, du délitement du lien social et de la destruction de l’environnement s’accentuent au profit des banques, des grandes entreprises et de leurs actionnaires. L’ennemi principal est, en somme, le néolibéralisme, que nos élites s’interdisent de nommer pour ne pas scier la branche de l’arbre sur laquelle elles sont assises.

Des discours anti politique française se font de plus en plus entendre au Sahel, mais dans des pays qui ont en commun d’être dirigés par des militaires. Cette dynamique pourra-t-elle être maintenue après le retour à l’ordre constitutionnel ?

Les discours anti politique française ont largement contribué à l’éveil des consciences et à la libération de la parole. Ils ont également alerté la France sur l’impérieuse nécessité de changer son fusil d’épaule. Les dirigeants qui succéderont aux militaires se rabaisseront aux yeux de leurs concitoyens et des opinions publiques en jouant au béni-oui-ouisme.

Selon certains analystes, les raisons profondes de la crise au Mali sont d’abord économiques. Partagez-vous cette analyse ?

Ces analystes ont parfaitement raison. Je dis la même chose sans pour autant être sur la même longueur d’onde que la plupart d’entre eux, parce qu’il y a économie et économie. Pour moi, il ne s’agit pas d’approfondir les politiques néolibérales au nom d’une prétendue intégration dans l‘économie mondiale. Il s’agit, à la lumière des inégalités entre Nations et à l’intérieur de chaque pays, de réinventer l’économie afin qu’elle devienne une réponse à la faim, à la soif, à la peur et à la haine. L’état actuel des vieux pays industrialisés, comme celui des émergents, en pleine tourmente, invite à méditer sur ce que « développer économiquement » veut dire.

Pour atteindre notre souveraineté, nous avons donc besoin de transformer notre économie ? Par quoi cela passe-t-il selon-vous ?

C’est une excellente question dont nous devons nous saisir toutes et tous et à tous les niveaux. La tâche est colossale et exaltante. J’abonde dans le sens de Kako Nubukpo, Commissaire de l’UEMOA, qui plaide pour la révision de fond en comble des accords de libre-échange entre l’UE et les ACP (pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique), du néoprotectionnisme et du « juste échange ». Il faut dans cette perspective (la liste n’est pas exhaustive) : une pensée économique et politique autonome, nourrie des enseignements de ces 62 ans d’essais de développement, la confiance en nous-mêmes et en les autres, la solidarité, dont le patriotisme économique est l’une des clés. On achète et on consomme Malien et Africain au lieu de continuer à importer tout et n’importe quoi, dont les restes des consommateurs des pays « émergés » ou « émergents ». Il faut une intégration sous-régionale basée non pas sur la compétition à mort mais sur la conscience de notre communauté de destin et des valeurs que nous avons en partage. Les femmes et les jeunes doivent être les fers de lance de cette quête d’alternatives.

Le Mali est aussi un pays de paradoxes, « une population pauvre assise sur des richesses ». Est-ce à cause des politiques menées depuis l’indépendance, qui n’étaient pas assez ambitieuse ?

Les régimes successifs n’ont pas manqué d’ambition. Ils ont rarement eu les marges de manœuvre nécessaires. La Première République a été torpillée et farouchement combattue par la France parce que le Président Modibo Keita avait opté pour la souveraineté en vue d’un développement conforme aux intérêts supérieurs des Maliens. Les régimes suivants ont été contraints et obligés par les institutions de Bretton Woods à désétatiser, en faisant du secteur privé, dont les tenants et les aboutissants échappent totalement aux Maliens ordinaires, le moteur du développement. L’immense majorité de nos élites refusent d’admettre que le capitalisme malien et africain gagnant est sans issue.

Vous menez aussi depuis plusieurs années un combat pour les femmes. Que pensez-vous du mouvement féministe au Mali, qui semble se développer ?

Le mouvement de libération des femmes africaines, dont les Maliennes, souffre, à bien des égards, comme le processus de développement, des mêmes stigmatisations, du mimétisme et de la volonté de rattrapage de l’Occident. Le prix à payer est considérable aux plans économique, social, culturel, politique et écologique. Nous sommes de grandes consommatrices d’idées, de biens et de services. La question des postes et des places dans un tel système est, de mon point de vue, secondaire. Hommes ou femmes, notre capacité d’analyse des faits, de propositions d’alternatives et d’anticipation est défiée comme jamais auparavant.

D’où vient votre engagement pour tous les combats que vous menez ?

Ma mère, Bintou Sidibé, m’a marquée par sa conception du monde et des relations humaines. C’est ce qui me pousse à m’emparer de tout ce qui peut contribuer à les améliorer au niveau local (le pavage de mon quartier, la conception d’un marché malien des produits faits main), à investir dans la défense des droits des migrants et des réfugiés (Migrances) et dans celle de notre pays et de l’Afrique, partout où l’on tente de nous piétiner, de nous humilier.

Sécurité : plusieurs attaques contre les FAMa sur l’axe Tenenkou-Macina

Les Forces armées maliennes (FAMa) ont annoncé mardi soir avoir engagé à plusieurs reprises, « de violents combats contre des Groupes Armés Terroristes (GAT) après avoir été victimes de plusieurs incidents à l’engin explosif improvisé ». Les accrochements ont eu lieu sur l’axe Tenenkou-Macina dans la région de Mopti. Une première est intervenue entre les villages de Dia et Diafarabé, ensuite entre Koumara et Macina, indique-t-on dans le communiqué des FAMa. Selon la même annonce, le bilan provisoire était état de trois morts, cinq blessés et trois véhicules immobilisés côté FAMa et de sept terroristes neutralisés. « Les renforts terrestres sont arrivés dans la zone de même que la surveillance aérienne. Il a été réévalué dans un communiqué publié dans la soirée par l’état-major. Le bilan est désormais de 14 morts; 11 blessés et véhicule détruit côté FAMa. 31 terroristes ont été neutralisés en tout indique le communiqué.

L’attaque intervient quelques jours après celles qui ont fait cinq morts ainsi que des dégâts matériels le 2 janvier au poste de secours routier de la protection civile de Markakoungo. En outre, dans la nuit du 8 au 9 janvier dernier, le poste de douane de Didiéni et celui de la Gendarmerie de Sébékoro ont subi des agressions d’hommes armés non identifiés. La double attaque revendiquée par le JNIM ce mardi aurait fait un mort à Sébécoro selon des sources locales.

Siaka Coulibaly : « ce voyage n’est qu’un renforcement de la coopération en matière de lutte contre le terrorisme »

Le président de la Transition du Burkina Faso a effectué mercredi 2 novembre 2022 une visite de travail et d’amitié à Bamako. Son tout premier déplacement à l’étranger après sa désignation le 14 octobre dernier. Siaka Coulibaly, consultant et chercheur indépendant Burkinabé en droit et sciences politiques livre son analyse.

Quel regard portez-vous sur la visite du capitaine Ibrahim Traoré à Bamako ?

C’est, à priori, une visite logique au vu de la situation sécuritaire qui prévaut au Burkina Faso. Etant donné le partage par le Mali et le Burkina Faso de l’espace sahélien et de la réalité du terrorisme, les coopérations entre ces deux pays en matière de sécurité ne datent pas d’aujourd’hui. Les échanges entre les armées et les services de sécurité du Mali et du Burkina Faso sont une tradition. Au sein du G5 Sahel, il avait été convenu que les armées puissent se soutenir dans la lutte contre les terroristes, y compris en pénétrant sur le territoire voisin. Peut-être que le capitaine Ibrahim Traoré souhaite réactiver ce mécanisme afin de renforcer la stratégie burkinabé contre les groupes armés terroristes  avec l’aide de l’armée malienne.

Il s’agit de son tout premier déplacement à l’étranger. Tout comme lui, son prédécesseur, le lieutenant-colonel Damiba avait choisi le Mali pour son premier voyage hors du Burkina Faso. Comment expliquez-vous ce choix porté sur le Mali ?

A sa prise du pouvoir fin septembre, le capitaine Ibrahim Traoré avait laissé entendre que le Lieutenant- colonel Damiba n’avait pas respecté  le plan du MPSR dans la lutte contre le terrorisme. On attendra la suite et les effets de la mission du 2 novembre pour vérifier si le capitaine Ibrahim Traoré a une vue différente de Damiba pour la coopération sécuritaire avec le Mali.

Ce déplacement s’inscrit-il dans le cadre de la création d’un Cadre bilatéral avec le Mali dans la lutte contre le terrorisme après le retrait du Mali du G5 Sahel ?

Le Mali et le Burkina Faso ont déjà une coopération multiforme sur le plan bilatéral, y compris la sécurité et la justice. Ce voyage n’est  donc qu’un renforcement de cette coopération qui pourrait prendre plusieurs formats opérationnels en matière de lutte contre le terrorisme

Pensez-vous qu’au-delà de la question sécuritaire, le Capitaine Ibrahim Traoré soit venu prendre conseils auprès de son homologue le Colonel Assimi Goita pour mener à bien la transition au Burkina Faso ?

Au stade actuel, il s’agirait plus que de prendre des conseils auprès des autorités maliennes. Cela devrait inclure des actions concrètes, étant donné la situation sécuritaire très précaire du Burkina Faso. Une très grande partie du territoire est sous contrôle des groupes armés terroristes. Le Burkina Faso a besoin d’une aide immédiate.

Ménaka: pourquoi l’EIGS et le GSIM convoitent la région ?

La région de Ménaka est le théâtre d’affrontements, depuis le mois de mars, entre deux nébuleuses terroristes, l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), branche sahélienne du groupe État Islamique, et le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaeda. Les combats ont repris ces derniers jours, avec, selon nos informations, des victimes dans les deux camps. Pourquoi cette région est-elle autant convoitée par les deux groupes rivaux ?

« Des affrontements entre Jnim et Daech signalés cet après-midi au sud-ouest d’Insinsnane », a alerté sur Twitter le 29 octobre Fahad Ag Almahmoud du Groupe d’auto-défense Touareg, Imghad et alliés (Gatia), Président de la plateforme du 14 juin 2014 d’Alger.

À l’en croire, ces affrontements entre les deux organisations, qui « restent extrêmement puissantes sur le terrain et ont reçu des renforts de partout », ont tourné en faveur du GSIM, qui a fait son entrée à Anderamboukane le 30 octobre, alors que les renforts de Daech s’étaient regroupés à Tadjalalte, 30 km à l’ouest.

Zone « libre »

Pour Abdoul Nasir Idrissa de « Kala A Ma Harandi », un collectif de journalistes-militants de la région de Gao, observateur de l’évolution depuis plusieurs mois des conflits entre les deux groupes terroristes dans la zone, les affrontements s’inscrivent une logique de de positionnement. « Chacun des deux groupes veut avoir la mainmise sur Anderamboukane, ce qui fait une entrée directe sur le Niger », soutient celui qui pense que l’intérêt et la convoitise de la région de Ménaka sont dus à la libre circulation qu’elle offre.

« La zone de Ménaka est une zone carrefour, où l’on peut facilement se cacher dans des forêts. À partir de Ménaka, vous avez une ouverture sur Kidal, jusqu’à l’Algérie et également sur le Niger. La zone de Talataye, dans le cercle d’Ansongo, jusqu’à Anderamboukane, est également une zone où l’on peut circuler librement. L’espace est vide, sans présence militaire », explique-t-il.

Assurer l’autofinancement

Dr. Aly Tounkara, Directeur du Centre d’études stratégiques et sécuritaires au Sahel (CE3S) pense pour sa part que la recrudescence des conflits dans la région de Ménaka est en partie due aux mésententes entre groupes armés dans la zone. « Les groupes armés eux-mêmes, qu’ils soient signataires de l’Accord pour la paix ou pas, peinent à s’accorder sur l’essentiel dans la région de Ménaka, contrairement à des localités comme Kidal, où l’on a quand même une prééminence de la CMA », indique-t-il.

Par ailleurs, selon lui, chacun des groupes cherche à contrôler ce territoire parce que lorsque ce contrôle est acquis, « on a par ricochet les populations avec soi, la mainmise sur tout ce qui est mobilité en termes d’escorte, les cartels de la drogue, même les voies clandestines qui mèneraient à la migration irrégulière, des aspects qui permettent entre-autres aux groupes de s’autofinancer ».

Le spécialiste des questions de sécurité souligne que les clivages ethniques et les tensions entre les communautés dans cette région attisent également les affrontements, que ce soit entre l’EIGS et le GSIM ou entre l’un des deux et les groupes armés de la zone.

En avril dernier, au plus fort des affrontements qui opposaient l’EIGS au Mouvement de soutien de l’Azawad (MSA), qui tentait de contrer l’offensive de l’État Islamique, Ibrahim Maiga, spécialiste sécuritaire et ancien chercheur à l’ISS Africa, expliquait dans nos colonnes que ces affrontements se nourrissaient d’une longue conflictualité, qui s’était établie dans cette zone frontalière entre certaines communautés.

Rebondir après Talataye

Pour certains observateurs, la reprise récente des combats entre l’EIGS et le GSIM dans la zone de Ménaka s’expliquerait aussi par une volonté de revanche des hommes d’Iyad Ag Ghaly, suite à leur « défaite » à Talataye, dans le cercle d’Ansongo, début septembre.

Une défaite qui, selon une source citée par l’Agence de presse africaine (APA News), a « terni l’image du GSIM et a consolidé le mythe d’invincibilité de l’EI, d’où une mobilisation du GSIM depuis quelques semaines pour cette grande offensive, pour réarmer moralement ses combattants, affectés par cette défaite ».

Soumaïla Lah : « Je ne vois aucun pays membre, permanent ou non, convoquer la réunion »

Alors qu’a débuté la 77ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies à New-York, quelles chances a la plainte du Mali contre la France d’y être débattue ? Soumaïla Lah, Secrétaire permanent du Centre d’études et de réflexions au Mali (CERM) répond.

Pensez-vous que la réunion d’urgence demandée par le Mali à l’ONU pourra aboutir ?

Je ne vois pas la plainte déboucher sur une réunion d’urgence pour diverses raisons. La première est qu’aucun membre du Conseil de sécurité ne la convoquera. Si la Chine, qui avait la présidence au moment de l’introduction de la plainte, ne l’a pas fait, ce ne sont sûrement pas la France, les États-Unis ou la Grande Bretagne qui le feront. De surcroît, maintenant la France assure la présidence.

La Russie, considérée comme un allié stratégique du Mali, ne le fera pas pour des raisons diplomatiques. Et elle sent qu’on la soupçonne d’être derrière la plainte. Les pays membres non permanents ne demanderont pas la convocation de la réunion pour des raisons diplomatiques et stratégiques. La plupart n’ont pas de liens assez forts avec le Mali pour froisser une puissance comme la France ou ses alliés.

Deuxièmement, le Mali a introduit cette plainte, en sachant qu’il y avait très peu de chances qu’elle aboutisse, plus dans une dynamique de dénonciation et d’attaque ciblée. Elle tend à décrédibiliser l’action ou la présence militaire française dans le Sahel. C’est une pression et de la communication pour attiser le sentiment anti français.

La France assure la présidence tournante du Conseil de sécurité. Est-ce une entrave ?

Oui et non. La France ne va pas faciliter les choses puisque la plainte est faite contre elle mais chaque pays membre permanent a la latitude de demander cette réunion. Chaque pays s’inscrit dans une ligne géopolitique et géostratégique particulière, il pèse le pour et le contre. Mais la France n’a pas la latitude de bloquer la réunion.

Le Mali peut-il étaler à l’ONU les preuves qu’il dit détenir ?

C’est une possibilité, mais pour des questions aussi sensibles, je ne le vois pas étaler ses preuves dans un discours. L’objectif stratégique est de porter la discussion dans un cadre très restreint, au Conseil de sécurité. C’est un pari risqué, parce que l’autre partie va forcément vouloir produire des contre-preuves. Et, de fil en aiguille, on va se retrouver avec des escalades sans fin et une crise diplomatique qui finira par faire atteindre aux différents protagonistes le point de non retour. Des propos très forts seront tenus à l’encontre de la France, mais étaler des preuves, je ne le pense pas.

Olivier Dubois : 500 jours de captivité

Le dimanche 21 août 2022 a marqué le 500ème jour de captivité d’Olivier Dubois, seul otage français connu dans le monde. Enlevé le 8 avril 2021 à Gao par le JNIM alors qu’il était en reportage, deux preuves de vie ont été diffusées depuis par vidéo, le 5 mai 2021 dans laquelle, il confirmait lui-même son enlèvement et le 13 mars 2022. Pour l’occasion, le 20 août dernier, une vidéo rassemblant plusieurs personnalités du monde des médias, des proches ou encore d’anciens otages a été diffusée en soutien à Olivier Dubois. Une vidéo réalisée à l’initiative du comité de soutien pour la libération d’Olivier Dubois. Le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), Christophe Deloire lors d’une entretien hier dimanche avec Francetvinfo espère que la fin de l’opération Barkhane soit un facteur positif pour la libération d’Olivier Dubois. « C’est une question qu’on a reposée officiellement au ministère des Affaires étrangères cette semaine, il nous a été répondu que le retrait de l’opération Barkhane du Mali ne diminue en rien la mobilisation de la France et que les relations franco-maliennes n’avaient pas d’impact sur l’affaire. C’est vraiment ce qu’on espère. C’est un groupe jihadiste qui détient Olivier Dubois au Mali, un groupe jihadiste qui était, comme d’autres, la cible de l’opération Barkhane. Donc le fait que l’opération Barkhane soit terminée doit devenir un facteur positif pour obtenir sa libération. »

Intervention française au Mali : une fin au goût très amer

Arrivée en « sauveur » à Konna, le vendredi 11 janvier 2013, l’Armée française a discrètement quitté ce lundi 15 août 2022 le Mali, dans la poussière du désert de Gao. Mettant fin à neuf ans de coopération dont l’épilogue sonne comme une défaite.

L’idylle aura duré neuf ans. Après des premières années de bonheur, de gros nuages ont commencé à s’amonceler autour du couple Mali – France. Un premier coup d’État, le 18 août 2020, n’avait pas porté atteinte à cette relation, qui avait connu, certes, des bas, mais jamais assez importants pour la remettre en cause. Il aura fallu attendre un second coup, le 24 mai 2021, et le début de la « rectification » de la transition pour que la situation change rapidement. Tensions politiques, déclarations tapageuses des deux côtés, recours à Wagner selon plusieurs pays occidentaux, ce que le gouvernement malien réfute toujours, parlant d’instructeurs russes, ont, entre autres choses, conduit au divorce. Consommé depuis février 2022, il est officiel depuis le 15 août 2022. Les derniers soldats de Barkhane ont quitté le Mali, mettant ainsi fin à neuf années de présence militaire française dans le pays, débutée en janvier 2013 par l’opération Serval, remplacée par Barkhane en août 2014. Près de 125 000 soldats français ont servi au Sahel, selon des données avancées par Florence Parly, alors ministre des Armées, en février dernier. N’ayant pas réussi à éradiquer le terrorisme au Mali, l’intervention française a été pour de nombreux analystes un échec. Pis, les autorités maliennes accusent désormais officiellement la France de complicité avec les terroristes. Dans un courrier adressé au Conseil de sécurité des Nations unies le 15 août, le ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, accuse la France de « violations répétées de l’espace aérien malien » et de «fournir des renseignements» à des groupes terroristes, auxquels l’Hexagone aurait également livré des armes et des munitions. Des accusations dont le chef de la diplomatie malienne assure détenir les preuves. Elles donnent plus d’éclairage aux conclusions de l’Armée malienne suite à l’attaque de Tessit du 7 août dernier (42 morts et 22 blessés). Une note publiée le 8 août par sa cellule de communication indique que « les terroristes ont bénéficié d’un appui majeur et d’une expertise extérieure », sans préciser toutefois d’où et de la part de qui. Même après le départ des forces françaises, le bras de fer va donc se poursuivre entre le Mali et la France. Sur le terrain des Nations unies, où les deux pays avaient déjà eu des confrontations et où le discours du Premier ministre Choguel Maïga à la tribune de l’ONU, le 25 septembre 2021, avait été un élément déclencheur des lendemains qui déchantent entre les deux pays. Une source française nous a confié que Paris, ainsi que la représentation française à l’ONU s’activaient déjà par rapport aux accusations, sans plus de détails. Mais déjà, ce mercredi 17 août, l’ambassade de France au Mali a réagi sur ses comptes facebook et twitter assurant que la France n’a jamais « soutenu directement ou indirectement ces groupes terroristes qui demeurent ses ennemis désignés sur l’ensemble de la planète ». Dans sa lettre, le Mali demande à la France de cesser « immédiatement ses actes d’agression », et, qu’en cas de persistance, le Mali se réserve le droit de faire usage de la légitime défense.
«Problème kidalois
»
 Un point de non-retour semble être atteint entre les deux autorités, alors que les relations étaient précédemment relativement bonnes. Autre temps, autre contexte, autres acteurs. Le 2 févier 2013, le Président français d’alors, François Hollande, s’était offert un bain de foule, accueilli en grande pompe à Bamako. Sur la place de l’Indépendance, lors de son discours, il avait assuré : le Mali « va connaître une nouvelle indépendance, qui ne sera plus cette fois la victoire sur le système colonial, mais la victoire sur le terrorisme, sur l’intolérance et sur le fanatisme ».
Mais, après cet épisode heureux, même si les parties évitaient de faire part de leurs états d’âmes publiquement, la question de Kidal aura toujours été une épine dont personne n’aura jamais vraiment su se départir.
Lors de la libération de Kidal, l’opinion malienne n’a pas digéré le fait que les soldats français soient entrés dans la ville sans aucun militaire malien à leurs côtés. Le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga a d’ailleurs révélé que le Colonel Assimi Goita faisait partie des soldats auxquels l’entrée à Kidal avait été refusée.
« Il faut reconnaître que Serval est arrivé à un moment assez critique. À cette période, il y avait une colonne de djihadistes qui descendait vers le sud après l’occupation des régions du nord. L’opération Serval a permis de stopper ce processus, mais il était convenu que l’armée malienne reprenne le dessus et, dès le départ, le fait de ne pas avoir accès à la ville de Kidal avait déjà posé un problème », rappelle l’analyste Boubacar Salif Traoré, Directeur d’Afriglob Conseil.
Toute comme lui, Dr. Amidou Tidiani, enseignant-chercheur à l’Université Paris-13 trouve que l’opération Serval a été couronnée d’une pleine réussite. Du fait qu’elle a été une intervention ponctuelle qui visait une cible précise, identifiée et déterminée entre les parties malienne et française.
« Par contre, avec le passage à Barkhane, la France a changé la nature, les objectifs, le périmètre et les moyens de l’opération, qui est passée d’une intervention à une présence. Les objectifs français n’étaient plus ceux du Mali. Au même moment, la menace contre laquelle la France est intervenue se propageait et le « problème kidalois », qui, pour le Mali, a été l’élément déclencheur de l’instabilité, a été considéré dans le cadre de Barkhane comme une opportunité », explique Dr. Amidou Tidiani, selon lequel « le schisme entre autorités maliennes et françaises est né de cet élément et s’est exacerbé avec l’arrivée de Takuba, un conglomérat de forces spéciales répondant à un vieux rêve européen qui vise à rendre opérationnelle une Europe de la défense face aux nouvelles menaces venant de la Russie, de la Turquie et éventuellement de la Chine ».
« Cet agenda n’était pas celui du Mali. C’est pourquoi, alors que l’armée française parlait de réussite, les Maliens, qui voyaient leur pays sombrer, ne comprenaient pas. En réalité, ce qui se jouait au Mali dépassait les enjeux liés à la sécurité et à la stabilité du pays. Pour la sécurité et la stabilité du Mali, les 9 ans de présence française sont globalement un échec, mais du point de vue du renforcement militaire de la France (et de l’Europe) dans le monde, c’est une réussite », assure-t-il.
En outre, certains observateurs reprochent à l’Armée française de n’avoir pas atteint ses objectifs : « permettre au pays de recouvrer son intégrité territoriale » pour Serval et « lutter contre le terrorisme » en ce qui concerne Barkhane. Et, malgré sa présence, le terrorisme s’est métastasé au centre et au sud du Mali.
« Il a été dit que Barkhane allait permettre à l’armée malienne de se reconstruire de manière convenable. Mais, au fur et à mesure, on s’est aperçu qu’il y avait toujours des non dits dans ses opérations. Et beaucoup de zones d’ombre questionnent les Maliens : on ne connaissait pas le déroulement des certaines opérations et on ne dissociait pas le plan militaire du plan politique français », explique Boubacar Salif Traoré, faisant référence à des propos « déplacés » tenus par le Président français à l’encontre de la transition malienne.
Plusieurs bavures de l’armée française ont également contribué à tenir son image dans le pays. En octobre 2017, l’une de ses opérations a conduit à la mort de 11 militaires maliens retenus en otages par un groupe terroriste, présentée d’abord comme une opération ayant permis de neutraliser plusieurs terroristes par la France, qui se « refusait » à commenter la « propagande djihadiste» alors que des informations faisaient état de bavure. C’est le gouvernement malien qui confirmera la mort des soldats lors de cette opération, près de 15 jours après. De même, en septembre 2020, des tirs de sommation de soldats français sur un bus ont coûté la vie à un civil à Gao et, en janvier 2021, selon l’ONU, « 19 civils réunis pour un mariage près de Bounty ont été tués par une frappe militaire de la force Barkhane ».
Par ailleurs, l’intervention française a également eu des côtés positifs. À Konna, dans la région de Mopti, une rue porte toujours le nom de Damien Boiteux, le premier soldat français mort au Mali, et témoigne de l’importance de l’assaut des forces spéciales du COS (Commandement des opérations spéciales) de Serval, en 2013.
Barkhane, qui l’a remplacé, a permis de « neutraliser » plusieurs cadres d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) (dont son chef emblématique, Abdelmalek Droukdel, et son chef militaire, Bah Ag Moussa) et des cadres de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) (en particulier Adnan Abou Walid al-Sahraoui, « émir » de l’EIGS).
«La France n’est pas partie»
Avec 5 100 hommes au plus fort de son engagement, 3 drones, 7 avions de chasse, 19 hélicoptères, 6 à 10 avions de transports tactiques et stratégiques, 260 véhicules blindés lourds, 360 véhicules logistiques et 210 véhicules blindés légers, la France avait mis les gros moyens et, après son départ, certaines zones doivent être réoccupées. « Quoiqu’il en soit, elle était un gros dispositif avec de nombreux hommes et  du matériel assez impressionnant. D’où l’étonnement des populations quant au fait qu’elle n’ait pas eu beaucoup de succès. Forcément, un vide sera créé et ce vide va être comblé par l’armée malienne, qui fait déjà un travail remarquable », analyse Boubacar Salif Traoré.
Alors que la France a annoncé son départ, l’enseignant-chercheur Dr Amidou Tidjani, aussi avocat au Barreau de Paris, n’en est pas convaincu. « La France n’est pas partie et elle n’a pas l’intention de partir. Elle restera en embuscade en espérant un pro français aux affaires à Koulouba pour revenir », dit-il. Les soldats qui ont quitté le Mali se sont redéployés au Niger, où le gouvernement a accepté de les accueillir.
Vide sécuritaire
Dans certaines régions, dont Ménaka, où étaient présents les soldats français, les terroristes gagnent du terrain et étaient à la date du 16 août « très proches de la ville », selon des sources locales. D’où la nécessité de combler le vide.
« Il faudrait une force intégrée au niveau africain pour coordonner la lutte contre le terrorisme du Mali jusqu’au Cameroun, une riposte transnationale face à une menace transfrontalière, comme le disait Amadou Toumani Touré. Mais, aujourd’hui, cela paraît peu réalisable. Dans ces conditions, la seule alternative c’est le renforcement de l’armée malienne par des moyens de surveillance, des moyens d’intervention rapide et la construction d’un État fort », plaide Dr Amidou Tidiani.
Pour combler le vide sécuritaire, le gouvernement malien s’emploie à occuper les anciens camps de l’armée française. En outre, le 9 août, il a réceptionné de nouveaux moyens aériens. Sur un autre plan, l’intégration sur une période de 2 ans de 26 000 ex combattants des mouvements rebelles et d’autodéfense est annoncée. « Il y a plusieurs stratégies qui sont en cours d’élaboration, mais, à mon avis, il faut déjà identifier des zones prioritaires. Aussi, comme on le conseille en diplomatie, il faut veiller à la classification des partenaires, comme la Russie qui se manifeste de plus en plus. Mais cela ne suffira pas. Il faut d’autres partenaires, comme l’Algérie, qui est impliquée. Ainsi sera comblé le vide laissé par les forces françaises », soutient Boubacar Salif Traoré.

Barkhane : les derniers soldats de la force ont quitté le Mali

Barkhane au Mali, c’est désormais officiellement terminé. Le dernier contingent de la force a quitté le pays aujourd’hui. Hier dimanche 15 aout 2022, une grande manifestation a été organisé par la société civile à Gao. Les manifestants réclamaient le départ sous 72h de Barkhane. 

Après neuf années sur le sol malien, débuté par l’opération Serval en janvier 2013 puis remplacé par Barkhane en août 2014, le dernier contingent de soldats français a quitté le Mali ce lundi vers 11h, ce qui met fin officiellement à la présence militaire française dans le pays. Après des mois de tension politique, la France qui au plus fort de son engagement avait environ 5 000 éléments déployés au Mali a annoncé en février dernier la fin de sa présence militaire. Avant cette annonce officielle de l’état-major français, des habitants de Gao, où Barkhane occupait encore sa toute dernière base ont manifesté pour réclamer le départ sous 72 heures de la force. Ils reprochaient à la force cette insécurité grandissante dans le pays. Le porte-parole des manifestants Abdoul Karim Maiga s’est réjoui de ce départ assurent que leurs efforts ont porté fruit.

Même si beaucoup d’observateurs estiment que l’opération Barkhane a été un échec, le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées françaises a réfuté ce constat lors d’une audition devant le Sénat début août. Il a notamment avancé les succès qui ont permis de neutraliser des chefs terroristes comme Abou Walid Al-Sahraoui de l’Etat Islamique, mais l’insécurité est aujourd’hui tout de même généralisée. La force française Barkhane avait déjà transféré aux Forces armées maliennes les bases de Ménaka, de Tessalit, de Kidal, de Tombouctou et de Gossi, tous dans le nord du pays. Le départ de la base de Gao aujourd’hui était la dernière étape, elle signe la fin de l’opération Barkhane au Mali.

Barkhane – Takuba : chronique d’un départ annoncé

L’expulsion de l’ambassadeur français au Mali décidée par les autorités de la transition le 31 janvier 2022 a marqué un tournant dans les relations diplomatiques, déjà tendues depuis plusieurs mois, entre Paris et Bamako. Elle a suscité beaucoup de réactions dans l’opinion publique française et obligé l’État français à accélérer sa décision sur l’avenir de son engagement militaire au Mali, où, en plus de Barkhane, la France assume le commandement de la force européenne Takuba. Face à une situation de plus en plus « intenable », Paris et ses partenaires européens envisagent sérieusement un retrait militaire définitif du Mali, tout en restant engagés dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.

« Nous devons constater que les conditions de notre intervention, qu’elle soit militaire, économique et politique, sont rendues de plus en plus difficiles. Bref, on ne peut pas rester au Mali à n’importe quel prix », a déclaré la ministre française des Armées, Florence Parly, le 29 janvier, au lendemain d’une réunion de l’Union européenne au cours de laquelle la situation au Mali a été évoquée.

« Nous voulons tous poursuivre ce combat. Nous sommes unis par rapport à cet objectif, il nous faut donc désormais en déterminer les nouvelles conditions », a-t-elle poursuivi, deux jours avant l’expulsion de Joël Meyer, l’ambassadeur français en poste au Mali, considérée par plusieurs candidats à la présidentielle française comme une humiliation.

Il n’en fallait pas plus pour remettre sur la table la question de la présence française au Mali, 9 ans après le début de son intervention, d’abord avec Serval, puis Barkhane. Le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, a assuré le 1er février que la situation ne pouvait pas rester en l’état et que d’ici la mi-février la France allait travailler avec ses partenaires pour « voir quelle est l’évolution de notre présence sur place et pour prévoir une adaptation ».

Un débat sera également organisé au Parlement français d’ici la fin de la session en cours, à la fin du mois de février, pour évoquer l’engagement militaire de la France au Mali, a annoncé le 2 février le Premier ministre Jean Castex.

Options 

Les options pour Paris vont d’un maintien avec une réorganisation, à un départ définitif ou à un transfert des troupes vers un autre pays du Sahel. « Pour moi, la première option pour la France pourrait être de réduire davantage sa présence au Mali, en laissant seulement quelques détachements à Gao. La deuxième serait de concentrer l’essentiel de ses forces au Niger, notamment dans la région du Gourma, et de continuer à mener des opérations dans la zone des trois frontières, avec les renseignements américain et nigérien, et la coalition des forces du G5 Sahel », avance le Dr. Abdoulaye Tamboura, géopolitologue, qui par ailleurs n’est pas convaincu que la France décidera de quitter définitivement le Mali.

Pour Moussa Djombana, analyste géopolitique et sécuritaire, « l’équation est très complexe pour la partie française qui sans nul doute, si elle devait quitter le Sahel, le ferait malgré elle, la mort dans l’âme ».

« Logiquement, si on s’en tient aux précédentes déclarations du Président Macron, la France doit s’assumer, être conséquente avec elle-même et s’en aller du Mali. Cependant, les intérêts des États n’étant pas à occulter, quitter le Mali reviendrait à abdiquer face à la Russie et à livrer le Mali sur un plateau d’or à Poutine. Pris sous cet angle, vu la rivalité entre l’Europe et la Russie, je vois mal la France et ses alliés européens s’en aller aussi facilement », analyse-t-il.

En revanche, selon Dr. Aly Tounkara, Directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), « il est fort probable qu’on assiste dans les semaines à venir à un retrait définitif de la présence militaire française au Mali et même de la Task Force Takuba ». Pour lui, l’avenir de la France sur le plan militaire au Mali s’inscrit clairement dans le court terme.

Rester au Sahel… mais où ?

Comme l’ont affirmé à plusieurs reprises les autorités françaises, un désengagement français du Sahel, où le pays combat le terrorisme, n’est pas envisagé. La France étudie donc la possibilité de poursuivre la lutte anti-terroriste dans la région depuis un autre pays au cas où elle devrait quitter le Mali.

Le Niger, un pays au cœur du Sahel et dont la gouvernance est stable, apparait comme la destination vers laquelle les troupes françaises pourraient se replier. La ministre française des Armées, Florence Parly, s’y est d’ailleurs rendue le 3 févier pour discuter de l’évolution du dispositif militaire français au Sahel.

« L’opération Barkhane doit être revue de fond en comble et il nous faut probablement nous replier sur le Niger et bâtir un modèle dans lequel nous serons en capacité d’intervenir en cas d’urgence », a suggéré le 3 février l’ancien ministre français de la Défense Hervé Morin. D’après l’état-major français, qui a tenu un débriefing avec des journalistes sur la question, le départ de Barkhane du Mali n’est pas vu comme un problème, puisque la lutte contre les groupes terroristes se poursuivra depuis Niger. Le même précise que la coopération militaire entre les FAMa, Barkhane et Takuba sur le terrain ne reflète pas les tensions diplomatiques. L’armée française a annoncé que du 1er au 6 février, une opération menée par les militaires maliens et Takuba a permis de neutraliser une trentaine de terroristes dans la zone des trois frontières. Toutefois, la tension diplomatique entre les deux pays, les problèmes avec Takuba et aussi la présence sur le terrain de « sociétés privées », confirmée par Vladimir Poutine le 7 février poussent la France à regarder vers le Niger.

« Les hautes autorités nigériennes ayant de bons rapports avec les autorités politiques françaises, un redéploiement de Barkhane sur ce pays est envisageable et pourrait susciter moins de remous qu’au Mali. Il est donc évident que Niamey symbolise la survie et l’avenir de Barkhane au Sahel », pense pour sa part Moussa Djombana.

Pour autant, selon cet analyste, un éventuel redéploiement de Barkhane et de la Task Force Takuba au Niger ne se fera pas sans obstacles. « En général, une partie des opinions publiques est contre la présence militaire française au Sahel. Malgré les bonnes dispositions d’esprit des autorités nigériennes, si l’opinion publique nationale évolue fortement contre ce projet, les dirigeants, pour ne pas prendre de risques, pourraient reculer et opposer une fin de non-recevoir à la poursuite de la mission de Barkhane et Takuba sur le sol nigérien », avise celui qui pointe également des « difficultés matérielles » de redéploiement et un « changement obligatoire dans la stratégie opérationnelle globale » de la mission dans la bande sahélienne.

À côté de l’alternative d’un redéploiement vers le Niger, Dr. Abdoulaye Tamboura pense que la France pourrait également se replier sur certaines bases, notamment dans la région des pays du Golfe de Guinée, en Côte d’Ivoire, au Bénin ou au Sénégal, qui sont également confrontés aux menaces terroristes.

« La France peut essayer de réorganiser ses troupes dans les pays qui font l’objet d’attaques sporadiques de la part des djihadistes. La région du Golfe de Guinée peut constituer aussi une zone stratégique pour elle », indique le géopolitologue, qui relève par ailleurs, dans ce cas, des difficultés logistiques pour mener des opérations dans le Sahel. « L’essentiel de l’effectif de la Force Barkhane va être réparti entre la Côte d’Ivoire et le Niger, deux pays qui restent très fidèles à l’engagement français dans le Sahel. Mais, au-delà de cet engagement, ce sont des intérêts géostratégiques et géopolitiques qui seront préservés », renchérit le Dr. Tounkara.

Takuba, lendemains incertains

L’avenir de la force européenne pilotée par la France et mise en place en 2020 pour l’épauler dans son combat contre le terrorisme au Mali est plus que jamais incertain. Sur demande insistante du gouvernement malien de transition, le Danemark a décidé le 27 janvier dernier de retirer ses troupes, récemment déployées.

« Les militaires au pouvoir ont envoyé un message clair et ont réaffirmé que le Danemark n’était pas le bienvenu au Mali. Nous ne l’acceptons pas et pour cette raison nous avons décidé de rapatrier nos soldats », avait déclaré Jeppe Kofod, le ministre danois des Affaires étrangères, après une réunion au Parlement. Le mardi 1er février, la Norvège a suivi en renonçant à l’envoi d’un contingent militaire qui devait intégrer la force Takuba, faute d’accord avec les autorités maliennes. « À compter d’aujourd’hui, il n’est pas d’actualité d’envoyer une force norvégienne au sein de la force Takuba », a clairement indiqué le ministre norvégien de la Défense.

D’autres pays européens, à l’instar de la Hongrie, du Portugal, de la Roumanie et de la Lituanie, qui seraient dans l’attente d’un feu vert de Bamako pour envoyer leurs contingents, reverraient leur position vu le contexte actuel tendu entre la France et le Mali. L’Allemagne, de son côté, va soumettre la question de l’avenir de son engagement au Mali à son Parlement au mois de mai, a annoncé dans une interview le 2 février la ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock.

« L’avenir de la Task Force Takuba est très sombre. Beaucoup de pays contributeurs ont commencé à hésiter, notamment ceux qui ont un mandat en cours d’acceptation. Beaucoup vont clairement décliner l’envoi de leurs troupes », glisse Dr. Aly Tounkara.

« Mais, dans le même temps, il semble que l’approche privilégiée par les autorités maliennes consiste à faire venir d’autre pays contributeurs, qui dépendraient de l’État du Mali et non de la France comme cheffe de file de ces armées partenaires. Ce scénario pourrait faire prendre la mayonnaise, mais dans le long terme. À court terme, dans un esprit de cohérence, les autres pays présents dans la force Takuba pourraient également suivre la France dans son probable retrait définitif du Mali », poursuit-il.

Par ailleurs, selon une source diplomatique, quelles que soient les décisions prises par la France et ses partenaires européens, elles auront un impact sur l’ensemble des missions présentes sur place au Mali, notamment la MINUSMA et la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM). « La France pourrait mettre un frein à l’EUTM, qui est chargée de la formation de nos militaires, dont la présidence est tournante entre les pays de l’UE. Elle pourrait essayer de convaincre ses partenaires pour qu’ils arrêtent la mission, alors que c’est une mission très bénéfique pour nos militaires », craint Dr. Tamboura.

En attendant l’issue des discussions et les prochaines décisions que pourraient prendre la France et ses partenaires sur l’avenir de leur engagement militaire au Mali et au Sahel, l’hypothèse d’un retrait pur et simple de la Force Barkhane et de la Task Force Takuba est sérieusement envisagée, selon des sources proches du dossier.

Les modalités d’un tel retrait sont sur la table des consultations que Paris est en train de mener avec les pays européens et africains engagés dans la lutte contre le terrorisme au Mali et également en discussion au sein de l’état-major de l’armée française.

Le sujet devrait également être évoqué à Bruxelles, lors du sommet Union européenne – Union africaine, prévu les 17 et 18 février 2022, où, selon une source bien introduite, Emanuel Macron pourrait annoncer le retrait de la France du Mali et une adaptation du dispositif militaire.

Gao : plus de 50 civils tués dans des attaques simultanées

Plus de quarante civils ont été tués dimanche 8 août  vers 18h dans la région de Gao lors d’attaques simultanées imputées à des djihadistes. Le bilan provisoire établi par la préfecture du cercle d’Ansongo fait état  de 51 victimes, de plusieurs blessés, d’animaux emportés et aussi de maisons saccagées et incendiées. Une mission des FAMa est attendue dans la localité pour ratisser et sécuriser les lieux afin qu’il puisse être procéder à l’enterrement des victimes. C’est la commune de Outagouna plus particulièrement et ses alentours qui ont été la cible de ces attaques. On dénombre 20 morts à Ouatagouna, 20 autres à Karou, un quartier périphérique à la commune ainsi que des victimes à Daoutédjef à 10km de Ouatagouna.

Mali-Gouvernance de la sécurité dans le Liptako-Gourma : Une réponse globale

Confronté à une crise sécuritaire depuis 2012, le Mali tente avec ses pays voisins faisant face au même défi, de  retrouver une véritable stabilité. Particulièrement touchée, la zone dite des 3 frontières, celle du Liptako-Gourma que partage le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Pour résoudre durablement la question, les acteurs préconisent au-delà du tout sécuritaire, une analyse de la gouvernance sécuritaire, qui met au centre l’humain.

Le Liptako-Gourma est une zone au cœur de 3 pays fragilisés par différents facteurs. Regroupant environ 61 millions d’habitants, ces pays partagent plusieurs réalités dont la jeunesse de la population. Deux jeunes sur trois ont moins de 18 ans et une rareté de ressources. Pourtant conscients des défis à relever, ces pays se sont regroupés au sein d’organisations sous-régionales, depuis plusieurs décennies, mais qui n’ont jamais eu les moyens de leurs ambitions.

L’absence de l’État dans des zones coupées du reste du pays  a fini par créer un terreau à l’installation de groupes extrémistes de toute nature. Depuis une décennie, le Mali  à l’instar de ses voisins envisage les réponses sécuritaires. Seulement ce secteur n’a jamais fait l’objet de contrôle, selon les acteurs. Il a plus souvent été question de sécurité du régime que celle des Hommes, a relevé, un panéliste du forum sous-régional sur la gouvernance du secteur, à Bamako ce 20 février 2021. Organisé  avec l’appui du centre pour la gouvernance du secteur de la sécurité(DCAF), par « Caïlcédrat Group Think Tank indépendant et panafricain », le forum sur la gouvernance de la sécurité dans la région du Liptako-Gourma vise donc à renforcer la confiance entre les populations et les gouvernants.

Plus qu’une refondation du secteur, les acteurs préconisent donc plus de transparence dans la gestion des questions sécuritaires et surtout une meilleure prise en compte des besoins réels des populations qui ont la science de leurs besoins, a rappelé un panéliste.

Concernant la zone du Liptako-Gourma, il faut une solution globale, suggère un acteur. Une véritable mutualisation des forces qui permettra aux 3 pays d’envisager des réponses efficaces et cohérentes. Développement et stabilité allant de pair, il est clair pour les acteurs que cette zone ne pourra aspirer à une véritable sécurité qu’à travers une présence efficiente de l’État et des investissements permettant aux populations d’avoir accès aux besoins de base. La multiplicité des acteurs et surtout le manque de coordination entre plusieurs stratégies pour la même zone ont aussi été évoqués comme entraves à un diagnostic clair et efficace.