Régulation : Bras de fer entre l’URTEL et la HAC

Réguler le paysage médiatique malien, c’est la mission de la Haute Autorité de l’Audiovisuel (HAC), installée en décembre 2015. Mettre de l’ordre dans ce secteur, resté pendant longtemps dans l’anarchie, s’avère pour le moins délicat. L’Union des Radios et Télévisions Libres du Mali (URTEL), qui dit ne pas être contre le principe, en conteste les modalités de mise en œuvre.

« Lorsque le désordre a été constaté, au bout de quelques années d’exercice, personne n’a eu le courage de les arrêter (« ceux qui ont profité du désordre » NDRL). Chacun, selon sa position et son option du jour, a laissé faire et a même encouragé », note Fodié Touré, le Président de la HAC.

Réguler le secteur apparaît comme une évidence pour tous. Cependant, les acteurs ne s’accordent pas sur la mise en œuvre des mesures nécessaires à l’assainissement. Après la signature de conventions pour permettre aux radios de se mettre en conformité avec les textes, la HAC a procédé à des appels d’offres pour l’octroi des fréquences disponibles. Un point qui suscite la controverse entre l’autorité et l’URTEL (Union des Radios et Télévisions Libres du Mali). Pour son Président, Bandiougou Danté, qui dénonce le caractère « non inclusif » du processus, ce sont les documents qui posent problème. « Ces documents, que l’on peut appeler outils, sont inappropriés et inadaptés au contexte. Ils sont en fait impossibles à renseigner, à cause des nombreuses confusions et contradictions ».

La HAC, qui pour son 2ème appel à candidatures met en jeu 57 fréquences pour 113 dossiers reçus, promet la transparence dans le traitement des soumissions. Mais, même déterminée à mener à bien l’« assainissement » du secteur des médias, elle est confrontée à des difficultés. Ses « préoccupations »  sont relatives notamment à l’absence de matériel technique et d’un personnel qualifié pour accomplir les tâches qui lui sont assignées.

Selon un acteur du secteur, pour que la HAC, réclamée par tous depuis les années 1990, soit un bon instrument de régulation, elle ne doit pas seulement être une instance de répression : elle doit aussi accompagner les médias dans leur professionnalisation.

 

Médias au Mali :  Réguler, innover, se professionnaliser ou mourir ?  

 « Lorsque je commençais dans la profession, il n’y avait que deux ou trois journaux privés en presse écrite. Je trouve donc, en tant que partisan fieffé de la liberté d’expression et de la liberté de la presse, que c’est vraiment positif l’élan de création de médias qui existe au Mali. Cependant, toute abondance à son revers », déclare Sadou Yattara, doyen de la presse malienne. Cette abondance pose aujourd’hui le problème des conditions d’accès à la profession. La régulation en cours, les actions de formation, qui souffrent de l’absence de l’école tant attendue, et la menace des réseaux sociaux, désormais érigés en médias, tels sont les enjeux auxquels fait face une presse malienne qui cherche ses marques.

Selon le Baromètre des médias africains (2016), il existe aujourd’hui au Mali plus de 100 journaux, plus de 500 radios, dont 300 environ émettent régulièrement, une trentaine de site d’informations et plus d’une dizaine de télévisions privées. « Le paysage médiatique malien est en effet investi par beaucoup de monde, dont des non-professionnels. Ils n’ont pas les outils et les compétences pour exercer comme il se doit cette profession », reconnait Sadou Yattara, qui appelle de ses vœux ardents l’ouverture de l’école nationale de journalisme. Le projet, mis en branle depuis des années et largement avancé, notamment avec la construction des locaux et la nomination d’un directeur, est bloqué « sans que l’on ne sache pourquoi », regrette un journaliste. « J’interpelle les politiques, il n’y a qu’eux qui peuvent débloquer ce dossier. C’est vraiment un grand problème pour la profession aujourd’hui », déclare M. Yattara.

Pour Modibo Fofana, Directeur de publication du site d’information Mali24.info, il urge pour corriger certains manquements des acteurs de la profession qu’intervienne une révision de « la loi portant régime de la presse. Elle est aujourd’hui obsolète, dans la mesure où il n’y a aucun garde-fou pour réserver la création des organes de presse aux professionnels du métier. Chaque journaliste devient directeur de publication sans une bonne formation de base, ni la maîtrise de l’éthique et de la déontologie journalistiques ». « On se sait plus qui est qui dans la presse malienne, n’importe quel scribouilleur se dit journaliste et crée un organe, pour peu qu’il en ait les moyens », déplore en effet Abdoulaye Maiga, juriste. « Les articles inappropriés, voire dangereux, ne sont plus rares dans les journaux. Alors que plus nous avançons, plus le contexte est difficile et plus il y a besoin du traitement de l’information par des vrais professionnels », poursuit-il.

A la fondation Tuwindi, on jette un regard plus mitigé sur le paysage médiatique malien. « On remarque qu’il y a un souci grandissant de la qualité, mais aussi de l’innovation. La concurrence devenant de plus en plus importante, la presse doit se montrer plus exigeante envers elle-même, en produisant de l’information de qualité supérieure et en innovant dans son approche. Elle devra explorer de nouveaux champs, le journalisme de données, le journalisme d’investigation, etc », explique Tidiani Togola, Directeur exécutif. Son organisation travaille depuis deux ans avec les médias afin de les renforcer, non seulement en ce qui concerne les approches éthique et déontologique, mais aussi en termes de contenus, pour une meilleure information du public. « Cependant, ils n’ont pas souvent les moyens de jouer ce rôle pour plusieurs raisons, dont des raisons économiques, le manque de personnel qualifié, la peur de la répression, etc.  Ces facteurs empêchent les médias d’être le pouvoir qu’ils sont supposés être », poursuit-il. La quête d’un modèle économique plus efficace est également au cœur des réflexions en cours, afin d’aider les organes à vivre, prospérer et surtout améliorer les conditions de travail et de vie des journalistes, dont la plupart ne perçoivent même pas de salaire régulier.

Objectif régulation 2017 sera l’année du changement. C’est la conviction de la Haute Autorité de la Communication, qui a enfourché depuis quelques mois son cheval de bataille pour assainir, mais aussi poser les bases d’un fonctionnement plus efficace et une meilleure organisation de la profession. La fermeture pour non-conformité de dizaines de stations de radios a provoqué un tollé au sein de l’Union des radios et télévisions libres (URTEL) Mali en juin et juillet derniers. Mais, au sein de l’autorité, on estime que le temps n’est pas ce qui a fait défaut aux patrons de presse pour régulariser leur situation. « Tout a été fait pour que les promoteurs respectent la loi. Il faut rappeler que certains textes datent de plus de 5 ans et qu’un délai de six mois a encore été ajouté pour que les dossiers de demandes d’autorisations soient déposés. Mais rien n’y a fait et seuls quelques-uns ont fait les choses dans les règles » déplore un membre de la HAC. Le principal point d’achoppement est en effet « la précipitation avec laquelle la HAC veut gérer les choses. Elle a manqué de pédagogie et surtout n’a pas bien communiqué » déplore un patron de radio de la région de Mopti, qui estime par ailleurs que les conditions sont trop difficiles à remplir pour les organes de l’intérieur du pays qui désirent l’agrément. « La HAC est une instance au service de la profession », tient à rappeler Sadou Yattara. « Il faut garder à l’esprit que les entreprises de presse ne sont pas des entreprises commerciales comme les autres. Ce sont des œuvres culturelles, qui ne rapportent parfois pas d’argent. La HAC doit prendre des décisions, c’est son rôle, et les premières décisions sont toujours critiquées. Mais elle doit aussi travailler à mieux interagir avec les médias et surtout miser sur leur développement », conclut-il. Au niveau de l’Autorité, la tâche continue et elle s’annonce ardue. Après les télévisions privées, passées au crible actuellement, ce sera le tour de la presse écrite et en ligne, cette dernière faisant l’objet d’une attention particulière. Ses acteurs, réunis au sein de l’Association des professionnels de la presse en ligne (APPEL Mali), ont d’ailleurs pris les devants pour poser des balises à l’exercice du métier de « journaliste web ». Bien que datant de moins d’une dizaine d’années au Mali, la presse en ligne est en plein essor, même si elle est, comme la presse papier, largement menacée par une incursion à grand pas des réseaux sociaux dans la sphère de l‘information.

Des « médias » sociaux Les réseaux sociaux sont en effet aujourd’hui des médias à part entière. « Les réseaux sociaux aujourd’hui ont fait de tout le monde un journaliste citoyen. Les scoops ont cessé d’être réservés aux organes papiers. Un phénomène qui commence à leur faire même ombrage, car il suffit avoir un smartphone pour s’informer » reconnait Modibo Fofana de Mali24.infos. Conséquence, la mévente frappe de plus belle les journaux papier et la presse en ligne doit redoubler d’énergie et d’innovation pour ne pas se faire distancer sur l’information. « C’est un danger pour les organes. D’une part, la course au buzz peut faire commettre des fautes. On ne s’accorde plus le temps de vérifier, de croiser les informations avant de les publier. D’autre part, étant donné qu’ils attirent la publicité, principale source de revenus des organes, il y a un risque de déperdition des ressources qui menace aussi les organes de presse », explique un spécialiste des médias. Mais, les réseaux sociaux, « c’est un atout pour les sites », reconnait M. Fofana, « car ils permettent aujourd’hui de donner plus de visibilité aux informations dynamiques et crédibles. Au Mali, beaucoup de sites sont sur Facebook, le réseau social le plus utilisé ». « Quand tu es confronté à un bloggeur qui se prend pour un journaliste, tu comprends qu’il y a encore du travail. Les gens confondent encore quelqu’un qui publie et professionnel. Il convient de rappeler cependant qu’il existe des organes en ligne qui sont très présents sur les réseaux, qu’ils investissent avec professionnalisme : distance, impartialité et équilibre de l’information ». De plus en plus de formations spécifiques sont dispensées afin de permettre à la presse de tirer un meilleur parti de ces acteurs, et concurrents, nouveaux. Un défi à relever pour garder le dynamisme actuel et continuer sur la voie de la professionnalisation et de l’autonomisation du 4ème pouvoir.

 

Prêches extrémistes : un phénomène inquiétant

Les récents propos de personnalités religieuses sur les ondes de certaines radios privées ont suscité de vives réactions au sein de l’opinion publique, sans pour autant que les autorités ne réagissent.

Le rôle des radios privées fut fort apprécié dans le cadre du renforcement de la démocratie, mais la libéralisation totale du secteur, sans contrôle, apporte aujourd’hui son lot d’inconvénients, qui peuvent être préjudiciables à la paix sociale. Il ne se passe en effet plus un jour sans que des propos extrémistes soient tenus dans le cadre de prêches virulents, sur les ondes de certaines radios privées. Sans susciter de réactions de la part des autorités, qui disposent pourtant d’un instrument de régulation.

Régulation urgente Pourtant, tout responsable de radio se doit de respecter certaines règles, ce qui suppose une certaine autorégulation, voire une autocensure. Après constat fait des nombreux dérapages, c’est surtout la Haute autorité de la communication (HAC) qui est pointée du doigt pour son immobilisme face à ces manquements à l’éthique. Mais du côté du régulateur, on argue que « nous n’avons à ce jour aucun moyen mis à notre disposition pour agir, même si nos documents contiennent les solutions, car la structure n’est pas encore fonctionnelle », assure Alou Djim, l’un des membres de la HAC, avant d’ajouter qu’au niveau de sa structure, seules l’ordonnance et la loi de création existent pour le moment. Quant à l’URTEL (Unions des radios libres et télévision du Mali), elle se veut plus rassurante à travers la voix de son Président, Bandjougou Danté : « au nom des 350 radios de notre association, nous garantissons que les dérapages ne se feront plus, sauf peut être au niveau de radios n’ayant pas d’autorisation d’émettre ».

Du côté de la Maison de la presse, la message est plus clair : « il y a nécessité de mieux former nos journalistes et animateurs, et d’amener les radios à leur mission première, car c’est le fait que les radios manquent de ressources qui les poussent à prospecter partout et à ouvrir les micros », selon Alexis Kalambry, son vice président. Cette organisation faitière a d’ailleurs élaboré un programme de formation en lien avec la crise récente, pour mieux former les acteurs.

Studio Tamani : une radio pour la paix !

C’’est un projet de la Fondation Hirondelle, une ONG suisse spécialisée dans la création et le développement de radios « de paix » dans les pays en conflit ou en situation de post conflit. Une quinzaine de journalistes vont apporter leurs compétences et leur professionnalisme en produisant une information pluraliste et utile au service des citoyens. Les programmes seront diffusés en Français, en Bambara, en Sonrhaà¯, en Tamashek et en Peulh, à  raison de 2 heures par jour. Les programmes débuteront chaque jour à  17 heures Chaque jour à  partir de 17 heures, un journal de 10 minutes dans chacune de ces langues et des messages de sensibilisation sur la thématique de reconstruction, de paix, de réconciliation, de renforcement de la cohésion sociale et du développement sont prévus. La deuxième heure (à  partir de 18h), sera consacrée uniquement aux programmes en français, le même quart d’heure pour le journal plus les micro programmes de sensibilisation et un débat de 45 minutes. Le débat du lundi 19 août portera sur les priorités du président élu avec plusieurs acteurs de la vie politique et sociale du Mali comme invités. Plus de 60 radios diffuseront les productions Ces journaux et émissions seront diffusés par 24 radios partenaires et privées, sur tout le territoire malien. « Dans trois mois, plus de 60 radios communautaires, partenaires de Studio Tamani, diffuseront ses productions. » a indiqué Martin Faye, Représentant de la Fondation Hirondelle. Installé à  la Maison de la presse de Bamako, Studio Tamani est la création d’une action conjointe entre l’Union des radios et télévisions libres (URTEL) du Mali, l’Union européenne qui a apporté le financement et la Fondation Hirondelle. Précisons que ce projet durera 18 mois.