Lorsque nous pensons aux priorités pour le développement pour les 15 prochaines années  en prévision de l’échéance à la fin de cette année des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD)  l’accès à une alimentation de qualité et à l’éducation de base nous vient immédiatement à l’esprit. Les Flux Financiers Illicites (FFI) ne seraient pas considérés comme une priorité absolue. Toutefois, dans la publication de l’étude qu’il a mené pour notre groupe de réflexion, le Copenhagen Consensus Center, l’économiste Alex Cobham, argumente qu’ils sont assez importants pour être inclus dans les objectifs de l’après-2015  actuellement débattus au sein de la communauté internationale. Si nous considérons les coûts des FFI, ces arguments s’avèrent pertinents : des évaluations sur le déficit engendré par ce phénomène en Afrique ont montré une perte de plus de 10% du PIB dans 20 pays d’Afrique sub-saharienne depuis 1980, et actuellement cette perte s’élèverait annuellement à 3,4% du PIB pour tout le continent africain  soit 76 milliards de dollars par an. Par ailleurs, selon les estimations du groupe de réflexion Global Financial Integrity (GFI) basé à Washington, la totalité de ces flux illicites serait 10 fois supérieure au niveau de l’aide internationale actuelle. Le cas du Nigéria constitue l’exemple le plus flagrant de ce problème. Le très respecté gouverneur de la banque centrale de ce pays, Lamido Sanusi, a été suspendu de ses fonctions après avoir dénoncé un écart flagrant de 20 milliards de dollars entre les exportations pétrolières enregistrées par le pays et celles rapportées à la banque centrale. Les flux de fonds illicites ne sont pas forcément illégaux. Le blanchissement d’argent  qui consiste à transférer les produits de la criminalité vers des voies apparemment légitimes  est clairement illégal et sujet à des contrôles stricts dans le secteur bancaire. Les abus de pouvoir perpétrés par les régimes kleptocratiques pour détourner les richesses de leurs pays vers des banques suisses, aux frais du reste de la société, est moralement préjudiciable et souvent considéré comme un acte criminel. Ce qui est défini moins clairement, C’est le fait de recourir à un moyen légal pour payer moins d’impôts ; bien que ce type de comportement soit légal au sens le plus strict du terme, il est désapprouvé par la société. Ce genre d’agissement a récemment fait l’objet de polémiques dans certains pays o๠des compagnies multinationales ont quasi-légitimement réduit leurs impôts en établissant une domiciliation et en déclarant leurs impôts dans des pays moins fiscalisés, bien qu’elles exercent la majorité de leurs activités en-dehors de ces pays. Selon un rapport publié conjointement par la Banque Africaine de Développement (BAD) et le GFI, l’Afrique a perdu environ 1,3 milliards de dollars à travers les flux de capitaux illicites durant la période 1980-2009, avec le Nigéria, l’Afrique du Sud et l’àgypte en tête de liste. Et selon le GFI, la moyenne annuelle potentielle des pertes fiscales dues au ‟trade misinvoicingˮ s’est élevée à environ 389 millions de dollars au Mali entre 2003 et 2012. Cette pratique consiste pour les entreprises à modifier les valeurs de leurs exportations et leurs importations afin de justifier les transferts de fonds illicites vers ou provenant d’un pays  un manque à gagner dans les recettes fiscales qui aurait pu être investi dans le développement, incluant l’éducation, la santé ou l’amélioration des infrastructures. l’argumentation d’Alex Cobham  chercheur du Center for Global Development, met le doigt sur le C’ur du problème : selon lui, la transparence serait mieux appliquée par le biais de registres publics statutaires plutôt que par des investigations journalistiques, des déballages et des dénonciations. Il a avancé trois propositions : rendre public les informations complètes de la propriété des entreprises (ce qui implique l’élimination de sociétés-écrans dissimulant les véritables propriétaires), assurer un échange systématique d’informations entre les juridictions concernant les taxes, et exiger que les multinationales fassent leurs déclarations pays par pays. Cette politique de transparence devrait significativement réduire les transferts illicites. Cobham propose d’introduire une cible parmi les objectifs-clés du programme de l’ONU : ÂRéduire à zéro les personnes morales et les constructions juridiques dont les informations sur la propriété bénéficiaire ne sont pas rendues publiques. Projetée sur la période 2002-2012, avec une réduction de 10% de la moyenne des pertes dues aux FFI, cette cible auraient apporté un bénéfice de 768 milliards de dollars, tandis qu’avec la réduction de moitié les pertes actuelles, ce bénéfice s’élèverait à 7,5 milliards de dollars. Ces estimations  qui ont été projetées sur une large fourchette de coûts de mise en conformité, démontrent que même dans le scénario le plus pessimiste avec le coût le plus élevé (66 milliards de dollars) et le bénéfice le plus bas, cette cible donnerait encore un ratio coût-bénéfice très attractif : chaque dollar dépensé apportera un gain de 13 dollars. Ces propositions pour la transparence doivent être cependant scrupuleusement et universellement respectées dans la mesure du possible, si l’on veut espérer un impact substantiel  autrement cela n’aurait pour résultats que de transférer les flux illicites vers les canaux qui restent encore ouverts. Dans ce sens, les précédents du dispositif actuel de lutte contre le blanchiment d’argent ne sont pas rassurants. Ce programme a été universellement adopté, néanmoins la plupart des états suivent ces lois à la lettre sans pour autant arriver à endiguer les flux de fonds illicites. Des violations des réglementations ont même été constatées au niveau de certaines banques internationales majeures. Cela étant, les programmes existants sont variés et complexes, aussi peut-être devrions-nous être plus optimistes sur les propositions de transparence les plus généralisées qui ont l’avantage d’être plus simples. Dans un monde idéal, il n’aurait pas été possible pour les criminels de transférer leur argent en toute impunité. De même, il n’aurait pas été possible pour les entreprises et les particuliers de payer moins d’impôts qu’ils ne doivent à la société  par souci d’équité par rapport aux autres. Il n’en tient qu’à nous aujourd’hui de décider s’il faut investir des ressources minimales pour essayer de construire un monde financier plus idéal, ou s’il existe d’autres meilleures façons de les utiliser.
Comment lever 770 milliards de dollars pour le développement de lAfrique ?
Publié le 26.02.2015 à 00h00 par Journal du Mali

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