Longtemps attendue par les défenseurs des droits de la femme, la loi anti Violences basées sur le genre (VBG) est encore loin de faire l’unanimité. Son processus d’adoption vient d’être suspendu par les autorités, sous la pression du Haut conseil islamique du Mali (HCI), opposé au texte. Outre la sensibilité des questions soulevées, comme les mutilations génitales féminines ou l’âge légal du mariage, l’ambigüité de certaines dispositions parasite le débat et empêche de poser de façon objective la problématique. Entre défenseurs « de nos coutumes et valeurs » et pourfendeurs « des violences basées sur le genre », le fossé est grand. Et le combat pour l’adoption de cette loi spécifique semble bien compromis.
« Dans tout ce qui concerne l’état des personnes, principalement les questions relatives à la succession en République du Mali, souvent les questions sont mal posées et lorsque les problèmes sont posés on le prend par le mauvais côté », estime Maître Abdrahamane Ben Mamata Touré, avocat.
Les règles et la manière de vivre communes, censées régir notre vie en société, doivent donc être définies ensemble. Dans un tel contexte, les lois sociales qui émanent de diverses « forces créatrices » devront être en harmonie avec celles du droit. Les religieux étant une partie intégrante de ces forces, leur adhésion ou leur rejet détermine souvent le sort de ces règles.
Ainsi, « pour qu’une loi passe, que les gens s’y retrouvent et y adhèrent, il faut que ce soit conforme à leur façon de voir et d’être ». Parce que la loi ne vient que pour mettre en normes « un style et un mode de vie », poursuit Maître Touré. Cette loi qui nous est donc propre et que l’on s’applique n’est pas forcément celle que l’on amène d’ailleurs.
Même si le mimétisme n’est pas forcément mauvais, parce que les bonnes pratiques peuvent exister partout. Il nous faut cependant choisir entre nous battre « pour mettre en place un système normatif qui nous ressemble et dans lequel on se reconnaît » ou des règles venues d’ailleurs et que nous transposons dans notre dispositif.
Entraves à la lutte ?
Dans tous les cas, le sursis à l’adoption de cette loi est un coup dur pour le combat pour l’élargissement des droits de la femme, selon Dr Kontin Marie-Thérèse Dansoko, chargée des questions Genre au ministère de la Justice. « Parce que généralement, à chaque fois qu’il y a en vue l’élaboration d’un texte favorable à la promotion de la femme, le gouvernement capitule face aux religieux ».
Mais il ne faut pas voir dans ce sursis « un simple recul », relève Maître Touré. Il est important de savoir quels sont les reproches faits au texte par « les forces religieuses et sur lesquels le gouvernement a reculé ». De cette façon le débat sera clairement posé et chacun « se fera sa religion ».
Parmi les associations qui ont lutté pour obtenir cette loi contre les VBG, Demeso, une clinique juridique qui assiste les victimes de violences, ne considère pas la décision du gouvernement de surseoir au processus d’adoption comme un recul. Elle veut plutôt y voir une opportunité pour continuer la concertation. « On peut se réunir avec ceux qui contestent. Certains articles, qui prêtent à confusion ou sont mal compris, peuvent être relus », estime Maïga Mariam Diawara, coordinatrice Genre de Demeso. Sinon, « d’autres sont vraiment clairs et cruciaux et il est urgent d’avoir cette loi ».
Parmi les aspects reprochés à l’avant-projet de loi, l’article 3, dont ambiguïté laisse la place à toute sorte d’interprétations. « La présente loi protège toute personne, sans aucune forme de discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, l’état de grossesse, l’état-civil, l’âge, sauf dans la mesure prévue par la loi et en conformité avec les textes internationaux ratifiés, la religion, l’opinion politique, la langue, l’origine ethnique ou nationale, le handicap physique ou psychique, la situation matrimoniale, la situation sociale ou sur tout autre motif lié à l’identité d’une personne ». Certains y voyant une autorisation tacite de l’homosexualité.
Plusieurs griefs sont évoqués à l’encontre de l’avant-projet par le Haut conseil islamique du Mali, qui dénonce « l’esprit non malien » du texte. Pour M. Mohamed Macki Bah, Vice-président du HCI, « l’article 2, qui dit « aucune coutume, tradition, culture ou religion ne peut être invoquée pour justifier la perpétration d’une violence basée sur le genre, disculper un auteur quelconque de ce type de violence ou minimiser la peine applicable à l’encontre de celui-ci », justifie notre opposition à cette loi ».
Parce que « chaque Malien appartient soit à une coutume, soit à une religion, et dire qu’aucune d’elle ne peut s’opposer à cette loi dès qu’elle entre en vigueur » est inacceptable.
Ensuite, le HCI reproche aux autorités de remettre dans ce texte des dispositions qui avaient fait l’objet de discorde entre eux, lors de l’adoption du nouveau Code des personnes et de la famille, en 2009 puis 2011. Alors même qu’un terrain d’entente avait été trouvé entre les deux parties.
Modèle consensuel
Il s’agit par exemple des règles relatives à la succession. Il avait été convenu que lorsque les gens le décident leur succession soit gérée selon la loi musulmane ou par le droit positif. Un compromis remis en cause dans l’avant-projet de loi anti VBG, qui garantit l’entièreté de la part successorale à la femme notamment. Concernant le mariage précoce, c’est-à-dire celui d’une personne âgée de moins de 18 ans, qui « va être criminalisé » par la nouvelle loi, c’est une véritable aberration pour le HCI. En effet, il avait été aussi convenu qu’avec l’accord des parents, « des enfants de moins de 18 ans ayant une certaine maturité », puissent se marier.
Déplorant de n’avoir « jamais été associé » au projet, le Vice-président du HCI explique qu’ils ont « été simplement invités lors de dernière journée de plaidoyer ». « Si nous avions été associés dès le début, nous aurions aidé le combat contre les violences faites aux femmes. Nous sommes engagés dans ce combat ».
Si le HCI approuve l’abandon par le gouvernement du projet, il estime qu’il « faut consulter les Maliens, pour lesquels la loi sera prise ». Ceux dont la coutume ou la religion est touchée doivent donner leur avis.
Et il est bien possible « d’en parler de manière apaisée et de trouver un compromis », selon Maître Touré. Autant pour le mariage précoce que pour l’excision.
Tout un arsenal
Mais pour lutter efficacement contre les VBG, une loi ne suffit pas. Il faut mettre en place tout un arsenal pour aboutir à une prise en charge rapide et efficiente des cas. En plus de la loi spécifique, il faut des juridictions spécifiques. Afin que quand un acte est commis la police soit directement saisie. Alors se tiendront des audiences de référé et l’homme ou la femme mis en cause sera directement jugé, explique Marie-Thérèse Dansoko. Or, ce dispositif n’existe pas encore.
Pour y arriver, il faut « se mettre ensemble pour adopter des textes qui correspondent à nos valeurs », suggère Madame Maïga. Il est donc possible de « retravailler le document » et surtout de se dire que ce n’est « pas une loi pour les femmes, mais les pour les deux sexes ». Pour des questions comme celles de l’excision ou du mariage précoce, « ce sont les professionnels de santé qui peuvent mieux expliquer les enjeux », ajoute Madame Maïga. Il faut donc les associer et « approcher ceux qui s’opposent ».
Parce « qu’à cause de deux sujets on remet en cause des dispositions protectrices pour les hommes et les femmes », déplore le Dr Kontin. Si le moment n’est pas propice pour remettre cette loi sur la table, « il faut, avant tout processus d’adoption, procéder à une large diffusion de la loi et de son contenu et se battre pour l’adhésion au lieu de se battre pour son adoption », suggère-t-elle.