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Augmentation du capital : un nouveau paysage des assurances se dessine

Malgré une croissance régulière de son chiffre d’affaires ces trois dernières années, le marché des assurances au Mali reste en deçà de son potentiel de développement. Avec une liste d’assurances obligatoires insuffisante et surtout peu mise en œuvre, un public encore réticent et des adaptations indispensables à opérer, le secteur dispose pourtant d’atouts importants dont l’exploitation peut contribuer à son développement et à une amélioration de sa performance, pour une contribution plus efficiente à l’économie.

De 2018 à 2021, la branche « Non vie » au Mali a connu une croissance régulière de son chiffre d’affaires, passant de 37,862 milliards de francs CFA en 2018 à 39,149 milliards en 2019 et à 47,116 milliards en 2021. La multiplication par 5 du capital minimum des compagnies d’assurance, décidée en 2016 en vertu du Règlement n°007/CIMA/PCMA/CE/2016 par la Conférence interafricaine des marchés d’Assurance (CIMA), devait initialement être clôturée en 2021. Une échéance finalement repoussée pour les sociétés Non vie et suspendue pour les sociétés Vie en raison notamment de la pandémie de Covid-19. Les compagnies Non vie qui ont bouclé la première phase de l’obligation ont désormais jusqu’au 31 décembre 2024 pour porter leur capital de 3 à 5 milliards de francs CFA. Une décision salvatrice qui devrait conduire à la « disparition des compagnies les moins solides » au profit d’entreprises mieux à même de répondre aux aspirations d’un marché en évolution.

Au Mali, l’évolution s’est traduite par des cas d’absorption, comme celle de la compagnie Allianz par Sunu. Le même processus avait été envisagé entre les 2 filiales de NSIA, qui devaient être absorbées par le groupe SANLAM. Même si pour plusieurs compagnies « cela a mis beaucoup de pression » pour atteindre les 3 milliards de francs CFA de capital pour la première phase, beaucoup ont réussi à franchir cette étape avec plus ou moins de difficultés.

Les impacts de cette décision, jugée positifs par la plupart des acteurs, peuvent être doublement appréciés. Toutes les sociétés qui n’étaient pas solides en termes financiers ont disparu et celles qui étaient en bonne santé ont été renforcées.  Même si le nombre des compagnies n’a pas diminué, avec l’arrivée de nouvelles sociétés ces dernières années, le marché est jugé moins concurrentiel par certains.

Certains grands groupes de grande renommée sont renforcés et les compagnies locales, dont chacune a eu ses difficultés et est passé par plusieurs étapes, dont l’administration provisoire pour Sabunyuman, par exemple, ont su rebondir. « Cela nous a fortifiés », confie Madame Diarra Sadio Keïta, responsable du Département commercial, Réseau des agences automobiles. Les assurances Lafia, une autre compagnie locale, actuellement en administration provisoire, et Nallias qui a aussi eu des difficultés, ont finalement pu atteindre l’objectif. Mais un autre résultat est que les groupes s’absorbent entre eux, laissant un peu à la traîne les sociétés locales.

Méconnaissance des produits obligatoires

Avec plus de 47 milliards de francs CFA de chiffre d’affaires en 2021 pour l’IARD et 16 milliards en Vie, le secteur des assurances au Mali est à la traîne, contrairement à ce qui se passe dans les pays de la sous-région. Une insuffisance en produits obligatoires ? Une méconnaissance plutôt que la rareté de ces services.

Il faut un changement de mentalités parce que le potentiel existe, suggère M. Mahamadou Traoré des Assurances Sabunyuman. Il y a quelques années, le Burkina Faso et le Mali étaient au même niveau. En outre, l’argument religieux ne tient pas. Il en veut pour preuve la troisième place du Maroc, l’Égypte et même l’Arabie Saoudite, qui démentent cet argument. C’est donc aux assureurs d’aller vers les populations.

« Nous sommes un pays où la solidarité existe. Pourquoi ne pas partir de là et demander aux gens d’organiser leur solidarité », s’interroge-t-il ? Le potentiel de développement n’est pas réticent aux offres des assureurs. C’est à ces derniers de proposer des offres adaptées aux besoins. De la même façon que l’assurance véhicule est plus ou moins respectée, grâce aux contrôles effectués par les autorités, il faut une démarche similaire vers le public pour d’autres produits. D’ailleurs, il n’est pas souhaitable « dans un marché libéral de rendre tout obligatoire », estime M. Traoré. C’est aux assureurs d’être plus imaginatifs en s’attelant à l’application de ce qui est obligatoire.

Par exemple, l’assurance responsabilité civile des véhicules terrestres à moteur, qui concerne aussi les 2 ou 3 roues, n’est pas effective pour environ 60% d’entre eux, selon des estimations.

Explorer le potentiel           

Le souci du législateur d’avoir des compagnies plus solides, capables de souscrire de gros risques comme les miniers et d’autres industriels, avec pour finalité la rétention des capitaux pour empêcher le recours aux assureurs d’autres marchés. Cela a certes permis l’émergence des groupes, mais la spécificité du marché malien en a limité l’impact sur les sociétés locales, assure un acteur. L’exigence financière ne semble pas suffire pour faire face à un « ancrage culturel », entraînant que même si l’on multiplie le capital cela n’est pas suffisant pour faire disparaître les « compagnies » locales, « qui résisteront pour une raison ou une autre ». Le pari que la restructuration fasse disparaître certaines compagnies a presque produit l’effet contraire, avec la naissance depuis cette décision de 3 nouvelles compagnies (Atlantique, Cif vie, Takaful).

Mais le secteur doit relever plusieurs défis afin de garantir son émergence. Parmi ceux-ci, « le tarif, qui pose problème ». Il existe une véritable concurrence déloyale en la matière malgré les sensibilisations, déplore Madame Diarra. En effet, le tarif minimal règlementaire de l’assurance responsabilité civile des véhicules terrestres à moteur peine à être appliqué par la tutelle.

Si la mentalité globale est réticente à l’assurance, il est essentiel que les compagnies remédient aux difficultés et retards dans le règlement des sinistres. Les compagnies doivent non seulement continuer à sensibiliser, mais aussi « assurer le service après vente » afin que le client se sente véritablement protégé.

Innover

L’augmentation de la capacité financière des compagnies à travers le renforcement de leurs fonds propres est une volonté du législateur de donner plus de moyens pour développer le secteur des assurances, qui représentent environ 0,60% du PIB. Un fort potentiel donc, à développer, et la possibilité de s’engager sur de nouveaux risques. Cette amélioration du taux de pénétration de l’assurance passera non seulement par une meilleure vulgarisation des produits disponibles mais aussi par l’atteinte de nouvelles cibles à travers des méthodes plus innovantes.

L’assurance Vie, qui n’est pas un nouveau produit, reste tout de même marginale, le marché étant dominé par la branche « Non vie », qui représente environ 70%. Ce qui fait mesurer le chemin qui reste à parcourir, note M. Daniel Dena, Directeur commercial et marketing de la SONAVIE. Il revient donc aux assureurs de « faire plus de promotion » pour un produit essentiel pour assurer l’avenir auprès de populations pas suffisamment informées.

Il faut aussi désormais penser aux populations qui ne sont pas intégrées dans les cibles classiques. Il s’agit notamment des secteurs informel et agricole, qui représentent pourtant la majorité des actifs. L’objectif étant de concevoir des nouveaux produits adaptés à ces secteurs et s’adressant même aux populations à faibles revenus.

L’un des goulets d’étranglement qui empêchent les compagnies d’assurances d’être performantes et pour lequel elles peuvent solliciter l’accompagnement des autorités, c’est celui des indemnisations lors d’un accident de la circulation, explique M. Tidiane Diarra, Secrétaire général du Comité des compagnies d’assurance du Mali. La loi indique que le processus d’indemnisation commence après la réception d’éléments matériels comme le PV de constatation par la compagnie, mais la loi ne fait pas obligation au commissariat ayant constaté le sinistre de le transmettre aux compagnies. Cela incombe au Parquet. Or, le code CIMA prévoit cette transmission. Il faut donc plus de sensibilisation. Une voie sur laquelle le Comité compte s’engager pour impliquer davantage les acteurs concernés.

Fatoumata Maguiraga

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