Plastique : Le paradoxe malien face à une urgence mondiale

La Journée mondiale de l’Environnement 2025 est consacrée à la lutte contre la pollution plastique. Celle-ci alimente la crise climatique, dégrade les écosystèmes et fragilise les moyens de subsistance. Pourtant les réponses politiques restent insuffisantes, malgré l’urgence reconnue par les scientifiques et les institutions internationales.

La production mondiale de plastique dépasse 450 millions de tonnes par an, mais moins de 10% sont recyclées. Environ 11 millions de tonnes finissent chaque année dans les écosystèmes aquatiques, aggravant la pollution marine. Plus de la moitié de ces déchets ne sont ni traités ni récupérés. Le coût global de cette pollution est estimé entre 300 et 600 milliards de dollars par an, en tenant compte de ses impacts sur la santé, les écosystèmes et les économies locales, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement.

L’Afrique génère 5% des déchets plastiques mondiaux, mais est le deuxième continent le plus affecté. La moitié finit dans les eaux, menaçant biodiversité et économies locales. La pollution plastique est devenue une crise environnementale majeure. Face à cela, seuls 30% des pays disposent aujourd’hui de politiques publiques pour réduire son impact sur l’environnement et la santé.

Le phénomène contribue également à la crise climatique à travers son processus de production, qui génère des gaz à effet de serre. Le plastique contribue à 3,4% des émissions mondiales. Plus d’un tiers à des emballages jetables est majoritairement mal traité. L’agriculture, la pêche et la mode figurent parmi les secteurs les plus polluants, utilisant massivement des matières plastiques, parfois jusqu’à 60% de leur composition.

Mesures insuffisantes

En 2022, les États membres des Nations unies ont adopté une résolution visant à mettre fin à la pollution plastique. À travers un instrument juridique contraignant, le Comité intergouvernemental de négociation sur la pollution plastique (CIN) travaille à l’élaboration d’un texte. Les négociations portent sur des mesures couvrant l’intégralité du cycle de vie des plastiques. La cinquième session s’est tenue à Busan en décembre 2024, sans aboutir à un consensus sur les mesures de réduction de la production. La sixième et dernière phase de cette session est prévue pour août 2025.

Parmi les alternatives discutées, il est prévu de promouvoir l’innovation par des incitations aux entreprises pour abandonner le plastique, d’introduire des taxes visant à dissuader la production et l’utilisation de plastique à usage unique, de proposer des subventions et des avantages fiscaux pour favoriser les produits réutilisables et d’améliorer les infrastructures de gestion des déchets.

Situation au Mali

La Quinzaine de l’Environnement, du 5 au 17 juin, est célébrée cette année dans la région de San, à 425 km de Bamako. L’utilisation des sachets plastiques s’est généralisée à travers le pays. En 2014, le Mali a adopté la Loi N°2014-024 interdisant leur production, importation et commercialisation. Dix ans après, son application demeure très limitée. Un moratoire de six mois avait été prévu pour faciliter la transition, mais aucune réelle mesure n’a suivi. Le plastique est aujourd’hui omniprésent dans les marchés, les quartiers et les campagnes. Les données fiables manquent pour évaluer le volume en circulation, mais certains spécialistes estiment que plusieurs millions de tonnes échappent chaque année à toute gestion structurée.

Des initiatives privées s’engagent dans la lutte et tentent de mettre en place des structures de recyclage. Créée en 2017, DGB Plastique Mali collecte jusqu’à 12 tonnes de déchets plastiques par jour, mais reste une initiative isolée.

La capitale malienne produit en moyenne 4 050 m³ de déchets chaque jour, dont une grande quantité de sachets plastiques. Pour certains acteurs, il devient urgent d’améliorer la collecte en instaurant le tri à la source des déchets, de développer les unités de recyclage et de mettre en place une véritable politique de pollueur – payeur.

Outre les défis sanitaires, les solutions envisagées proposent une évolution vers une économie circulaire du plastique. Il s’agirait de mettre en place un cadre réglementaire adapté, grâce à des investissements du secteur privé et à la création de marchés dynamiques pour les plastiques recyclés et les substituts au plastique.

C’est autour d’un dialogue constructif entre l’État, le secteur privé et la société civile que la lutte contre la pollution plastique pourrait aboutir, selon les acteurs. Il s’agit de créer un espace de concertation entre les acteurs publics et privés pour faciliter l’adoption d’alternatives durables aux sachets plastiques.

Rwanda – RDC : Une rupture qui fissure la sécurité africaine

Le Rwanda quitte la CEEAC dans un contexte de tensions persistantes avec la RDC. Ce retrait s’ajoute aux départs des États sahéliens de la CEDEAO, révélant une fragilité grandissante des organisations régionales chargées de la sécurité collective. Pendant ce temps, les groupes armés progressent, dans un silence institutionnel préoccupant.

Le 7 juin 2025, Kigali a annoncé son retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Officiellement, la décision découle d’un désaccord avec la République démocratique du Congo, accusée de bloquer la présidence tournante que devait exercer le Rwanda. Mais, au-delà du conflit bilatéral, cette sortie révèle une crise plus profonde de l’architecture sécuritaire régionale.

Depuis plusieurs années, la CEEAC peine à jouer son rôle face à la multiplication des conflits frontaliers, des incursions armées et de la montée des groupes terroristes, notamment dans les zones instables du Nord-Kivu et de l’Ituri. Le retrait du Rwanda fragilise davantage cette structure, déjà minée par les rivalités entre États.

En Afrique de l’Ouest, la CEDEAO vit une implosion parallèle. En janvier 2024, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont claqué la porte pour former l’Alliance des États du Sahel (AES), dénonçant une incompréhension stratégique de leur lutte contre les groupes jihadistes. Là encore, l’enjeu n’est pas seulement institutionnel, il est vital, dans la mesure où ces désengagements désarticulent les mécanismes d’alerte, de coordination militaire et de réponse rapide.

Face à ces fractures, l’Union africaine reste curieusement effacée. Son Conseil de Paix et de Sécurité ne parvient pas à enrayer la dynamique de fragmentation. Quant à l’ONU, son rôle semble cantonné à des déclarations de principe, sans réel levier dissuasif.

Pourtant, les menaces sont partagées, les frontières poreuses et les crises de plus en plus transnationales. Le désengagement des États des cadres multilatéraux revient à affaiblir l’unique rempart collectif face à des ennemis mobiles, armés et coordonnés.

La perte de coordination affaiblit aussi les efforts de partage de renseignements, de patrouilles conjointes et de médiations régionales. Chaque pays tente désormais de bâtir son propre système de défense, souvent au détriment d’une vision collective. Les conséquences dépassent le continent, puisque les failles régionales deviennent des brèches internationales.

Comme le rappelait récemment un diplomate africain, on peut se retirer d’une organisation, mais on ne peut ni effacer une frontière ni déménager un pays. La sécurité, elle, ne connaît pas de rupture administrative.

Festi’Vert 2025 : Quand l’agroécologie devient culture à Bamako

Les 14 et 15 juin 2025, le quartier de Bamako-Coura accueillera la deuxième édition de Festi’Vert, un festival atypique où l’environnement, l’agriculture et la culture populaire se rejoignent. Porté par l’entité du même nom, cet événement veut inscrire l’agroécologie dans le quotidien culturel des Maliens.

Loin d’être un simple rassemblement technique, Festi’Vert se vit comme l’expression vivante d’un art de vivre écologique. L’événement met en scène des savoirs agricoles ancestraux, des créations artisanales issues de la nature, des danses traditionnelles inspirées des saisons, des contes autour de la terre et des ateliers interactifs avec de jeunes artistes. C’est toute une écologie culturelle qui se déploie dans les rues de Bamako-Coura. À l’image d’initiatives similaires à Dakar, Ouagadougou ou même Recife au Brésil, Festi’Vert inscrit Bamako dans le réseau grandissant des villes africaines qui associent art, écologie et engagement communautaire.

Le festival, lancé en juillet 2024, est né du constat que pour réussir la transition écologique, il faut d’abord la faire aimer, la faire comprendre, la faire vivre. En cela, Festi’Vert choisit la voie du sensible, celle des arts et des récits locaux. Des animations musicales, des démonstrations de transformation agroalimentaire et des stands d’expression libre y côtoient des espaces d’exposition sur les semences traditionnelles et les cosmétiques naturels. Les organisateurs espèrent ainsi accueillir plusieurs centaines de visiteurs par jour.

L’édition 2025 entend renforcer cette dynamique en valorisant le rôle des femmes et des jeunes dans la création culturelle autour de la terre. Des associations comme Caritas Bamako ou des initiatives de jardinage urbain y seront présentées pour rappeler que l’agroécologie au Mali se vit autant dans les quartiers que dans les champs.

Forts de la réussite de la première édition en 2024, les organisateurs de Festi’Vert reconduisent l’événement avec une ambition renouvelée. La dynamique collective initiée dès le lancement du festival, combinée à l’engagement de partenaires locaux et d’acteurs culturels, a permis de bâtir une édition 2025 plus structurée, tournée vers une plus large participation populaire et une mise en valeur des savoirs agroécologiques à travers l’art et la transmission intergénérationnelle.

Cette hybridation entre culture et écologie semble rencontrer un écho fort, en phase avec les aspirations de nombreux Maliens à renouer avec des pratiques durables ancrées dans leur héritage.

Plus qu’un festival, Festi’Vert devient un laboratoire vivant où l’on cultive la terre autant que les esprits. En plaçant la culture au centre de l’écologie, les organisateurs rappellent qu’il ne peut y avoir de transition durable sans transformation des imaginaires.

Vers une justice sahélienne commune : Les premiers jalons posés à Bamako

Les ministres de la Justice du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont entamé un processus ambitieux d’unification de leurs systèmes judiciaires. Ce projet vise à créer des institutions juridiques et pénitentiaires confédérales, à harmoniser les législations et à renforcer la coopération face aux défis transnationaux.

Les autorités judiciaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont engagé un processus inédit de rapprochement législatif et institutionnel dans le cadre de la Confédération des États du Sahel (AES). L’initiative, conduite dans la continuité des piliers « Défense, Diplomatie et Développement » de la feuille de route malienne, entend désormais faire de la justice un levier central de souveraineté collective.

Au cœur des discussions figure la volonté d’inscrire la justice parmi les compétences officiellement déléguées à la Confédération. Les ministres ont validé la proposition de modification de l’article 4 du Traité fondateur, ce qui permettra à terme d’asseoir la légitimité d’un système juridique commun et cohérent. Dans son prolongement, un cadre de concertation permanent entre ministres de la Justice a été instauré et des Comités techniques nationaux devront veiller à la mise en œuvre progressive de l’agenda commun, avec pour visée une meilleure coordination, une standardisation des pratiques et l’interopérabilité des procédures.

L’ambition affichée est de bâtir un socle juridique harmonisé, allant des textes de droit pénal à l’organisation des professions judiciaires en passant par la coopération interétatique sur les procédures, les standards et les sanctions. Ce chantier traduit une volonté d’adapter les outils juridiques aux réalités sahéliennes en privilégiant l’harmonisation et l’efficacité.

Des institutions confédérales en gestation

La principale innovation portée par ce chantier est la création annoncée d’une Cour pénale et des droits de l’Homme sahélienne, compétente en matière de crimes de guerre, de blanchiment, de financement du terrorisme, ainsi que pour le contentieux interconfédéral. Cette juridiction, inédite dans l’espace sahélien, sera appuyée par une prison de haute sécurité dont la construction a été validée.

Ces mécanismes viendront renforcer une réponse judiciaire adaptée aux formes nouvelles de criminalité transfrontalière et aux défis liés à la lutte contre l’impunité, dans une zone où les juridictions nationales seules ne suffisent plus. Dans l’attente de leur mise en service, les États membres se réservent la possibilité de saisir toute instance régionale ou internationale existante pour poursuivre les auteurs d’actes graves.

Le projet repose également sur des outils numériques concrets. C’est ainsi qu’une plateforme de coopération judiciaire et un fichier unique des personnes recherchées ont été validés. Leur objectif est de garantir l’interopérabilité des systèmes nationaux et de faciliter les extraditions, transferts de détenus ou exécution des mandats d’arrêt entre les trois pays.

Le volet pénitentiaire n’est pas en reste, puisque la sécurité des établissements, la prévention de la radicalisation, le respect des droits humains, la réinsertion et la mutualisation des formations sont inscrits à l’agenda. Un Centre régional de formation judiciaire et pénitentiaire verra le jour, assurant une standardisation des profils et pratiques.

Contraintes nationales

En dépit de l’élan affiché, la mise en œuvre de ces décisions est conditionnée à plusieurs facteurs. D’abord, une série d’adaptations législatives devront être opérées dans chacun des pays, notamment pour garantir la compatibilité entre les textes de la Confédération et les droits nationaux existants, en particulier les Codes pénaux et de procédure pénale.

La question du financement, également importante, reste en suspens. La construction des infrastructures prévues, le développement des plateformes numériques ou la formation conjointe du personnel nécessiteront des budgets importants, encore non précisés. Les États espèrent l’appui de partenaires techniques ou financiers, mais affichent leur volonté d’autonomie.

Sur le plan politique, une attention particulière sera portée à la répartition des compétences, à la souveraineté des juridictions nationales et à l’acceptabilité du mécanisme par les Parlements. La diversité des pratiques judiciaires, des traditions juridiques et des cadres institutionnels est aussi un obstacle à surmonter.

Au-delà de ces contraintes, l’orientation prise est tout de même une première. Dans un espace longtemps fragmenté, ces États cherchent à construire une justice collective, cohérente, respectueuse des droits fondamentaux, capable de répondre aux attentes de leurs citoyens et aux exigences contemporaines de sécurité et de gouvernance.

Mamadou Ben Chérif Diabaté : « Sans synergie, il manque quelque chose à la sécurité »

Griot, penseur malien et homme de tradition, Mamadou Ben Chérif Diabaté nous livre ici une réflexion profonde sur la protection des civils, le rôle des savoirs anciens et la nécessité d’une approche collective et inclusive de la sécurité nationale.

Vous insistez sur le recours aux valeurs anciennes. Pourquoi est-ce important aujourd’hui ?

Je vois une grande différence entre ce qui se faisait avant et ce que l’on vit aujourd’hui. En 1236 déjà, il y avait une Charte. Les textes étaient très clairs. Donc aujourd’hui, si on veut évoluer positivement, on doit faire recours à ces valeurs. Je ne dis pas d’y retourner, mais d’y faire appel. On a des professeurs, des chercheurs, des magistrats… Il faut relire ces textes et voir comment les adapter à notre époque. Il ne s’agit pas d’idéaliser le passé, mais d’en tirer les principes solides que nous pouvons intégrer dans notre contexte institutionnel. Et y aller avec une nouvelle loi et une nouvelle valeur. C’est ce qui va être le salut pour nous.

Qu’est-ce qui empêche selon vous ce retour aux fondements ?

Le blocage, c’est la volonté politique. Je ne parle ni de Jean ni de Paul. Il faut que le gouvernement en place réfléchisse à cette question et qu’il l’intègre. Il faut organiser le débat autour de cette problématique. À ce moment-là, cela deviendra une vraie préoccupation nationale. Et on pourra aboutir à une solution nationale. Parce que c’est un problème qui mine notre sécurité.

Vous parlez d’une synergie d’actions. Que signifie-t-elle pour vous ?

Sans une synergie d’actions, ce n’est pas possible. Les femmes jouent un rôle-clé dans la sécurité. Les jeunes aussi ont leur importance. Les griots, les vieilles personnes, les légitimités traditionnelles, religieuses… Chacun a sa place.  Même les enfants dans les écoles, dès le bas âge, doivent apprendre les bases de la vigilance, de la paix et du vivre ensemble. Ce ne sont pas seulement les « corps habillés ». Ils doivent s’appuyer sur le reste de la société. Mais sans ça, sans ce maillage, sans cette synergie, il y a quelque chose qui manque justement à la sécurité.

Quelle serait la première étape pour enclencher ce processus ?

J’ai fait appel aux plus hautes autorités du Mali pour organiser des journées de dialogue, d’échange et de réflexion sur la problématique de la prise en compte de la protection de la société civile. Il faut former les femmes, les jeunes, les religieux, même les enfants à l’école. Que chaque Malien soit formé aux techniques de sécurisation de la Nation. C’est un tout. Nous sommes complémentaires.

Sécurité : Vague coordonnée d’attaques terroristes inquiétantes

Depuis quelques semaines, le Mali est de nouveau confronté à une série d’attaques terroristes coordonnées qui ont ciblé principalement des positions militaires. Face à cette recrudescence des violences, l’armée malienne a lancé une vaste contre-offensive.

Le Global Terrorism Index 2025 révèle que le Sahel concentre désormais plus de 51% des décès liés au terrorisme dans le monde, soit environ 4 794 morts en 2024. Ce phénomène place le Mali au cœur d’un fléau sécuritaire global, au-delà des seuls incidents mentionnés.

Lorsque l’attaque du camp militaire de Dioura, dans la région de Mopti, s’est déclenchée, le 23 mai 2025, nombreux sont ceux qui y ont vu un épisode isolé. Pourtant, cet assaut, qui selon des sources sécuritaires aurait fait des dizaines de victimes dans les rangs de l’armée, s’est vite révélé n’être que le premier acte d’une nouvelle poussée terroriste coordonnée qui allait secouer plusieurs régions du Mali.

Le 1er juin, c’est le camp stratégique de Boulkessi, près de la frontière burkinabè, qui est pris pour cible. Cette localité, déjà attaquée dans le passé, a été frappée avec une rare violence. Les terroristes du Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans (JNIM), lourdement armés et visiblement bien renseignés, ont lancé une opération éclair. L’armée malienne, bien que résistante, a dû procéder à un repli tactique pour éviter un carnage dans un premier temps, avant de mener des opérations pour détruire plusieurs terroristes regroupés dans des lieux de repli.

Dans le même temps, au nord, Tombouctou s’embrasait à son tour. Le 2 juin, une attaque coordonnée mêlant explosion d’un véhicule piégé et assaut d’hommes armés visait à la fois le camp militaire et l’aéroport. Ce mode opératoire des grandes offensives du JNIM laisse supposer une volonté de frapper fort et symboliquement. L’armée a répliqué immédiatement, affirmant avoir neutralisé 14 terroristes, interpellé 31 autres présumés et repris la maîtrise du terrain.

Les jours suivants ont confirmé l’installation d’un front mouvant et étendu. Le 4 juin, Tessit, dans la région de Gao, est visée. Là, la riposte des FAMa a été plus préparée. Grâce à l’appui de l’aviation, les FAMa affirment avoir tué plus de quarante terroristes, dont un chef terroriste nigérien connu sous le nom de Mamoudou Akilou.

Le 5 juin, à Mahou, dans la région de Sikasso, un groupe d’hommes à motos attaque un poste militaire, causant la mort de cinq soldats et plusieurs blessés, selon une source militaire, bien que l’État-major général des FAMa n’ait pas communiqué sur les victimes dans les rangs de l’armée. Cette dernière, une fois encore, a engagé une poursuite aérienne appuyée par des commandos déployés au sol. Bilan : au moins 40 terroristes tués, 16 motos, 4 PM, une arme 12,7, plusieurs chargeurs, une importante quantité de munitions et de nombreux autres effets abandonnés par les terroristes.

Une campagne préparée en amont

Selon l’armée malienne, ces attaques sont le reflet d’un « sursaut d’une bête qui, déjà terrassée, est en train d’être ressuscitée et maintenue en vie par des forces désormais identifiées ».

Certains spécialistes notent une réorganisation tactique visible chez les groupes terroristes, notamment le JNIM. Après une période de relative accalmie dans certaines zones, ces groupes semblent avoir opéré une montée en puissance discrète, appuyée par un travail de fond sur leurs bases arrière, leur recrutement local et leur mobilité.

Des rapports indiquent que le JNIM revendique des milliers de combattants actifs au Sahel, avec une influence croissante dans la région, notamment dans des pays tels que le Burkina Faso, le Niger et même le Bénin et le Togo. Le groupe mise sur des réseaux clandestins et une gouvernance locale souterraine pour renforcer son emprise.

« Ces récentes attaques jihadistes au Mali témoignent de la volonté de certains groupes armés de maintenir une pression sur l’État et les populations, même face aux efforts importants engagés par les autorités pour restaurer la sécurité », explique Mohamed Maiga, analyste et consultant en Politiques sociales et territoriales.

« Ils sont dans une dynamique d’infiltrations simultanées dans plusieurs régions pour instaurer la peur et les conditions d’une insécurité chronique », appuie pour sa part Boubacar Ba, Directeur du Centre d’analyses sur la gouvernance et la sécurité au Sahel.

D’autres facteurs peuvent expliquer cette récente recrudescence des attaques terroristes dans plusieurs régions. Le réajustement interne au sein des forces armées maliennes et de leurs alliés constitue un élément de contexte particulièrement important.

Depuis fin mai, le groupe Wagner a annoncé son retrait du Mali, dans un contexte de réorganisation du soutien militaire russe en Afrique. Ce retrait s’effectue au profit du déploiement de l’Afrika Corps, une nouvelle structure militaire russe officiellement axée sur la formation, le soutien logistique et le renseignement plutôt que sur les opérations de terrain.

Selon le Council on Foreign Relations, la diminution de la présence occidentale, notamment le retrait des forces françaises et américaines, combinée à l’influence intermittente du groupe Wagner suivi de l’Afrika Corps, a créé un vide sécuritaire favorable aux groupes jihadistes. Ce repositionnement international ralentit la réactivité tactique de l’armée malienne.

Cette transition a entraîné, selon certains observateurs, un moment de flottement dans l’appui tactique immédiat dont bénéficiait l’armée malienne dans certaines zones sensibles. Les groupes armés auraient alors profité de cette brève période d’ajustement pour frapper vite et fort, avant que le nouveau dispositif ne soit totalement opérationnel.

Par ailleurs, la saison des pluies, qui débute progressivement dans certaines régions du pays, représente traditionnellement une contrainte pour les mouvements armés. Certains experts estiment que les groupes terroristes ont voulu devancer cette période difficile en multipliant les attaques avant l’arrivée effective de l’hivernage. Il s’agirait donc d’une campagne de pression, tactiquement opportuniste, menée dans une fenêtre logistique favorable.

Réponse militaire d’envergure

Face à cette vague de violences, l’armée malienne a opté pour une réaction immédiate et musclée. Des frappes aériennes ont été menées dans plusieurs zones supposées abriter des bases terroristes, notamment le 3 juin 2025 à Diafarabé, dans la région de Mopti, et à Niagassadiou, dans la région de Douentza. « Ces actions ont permis de désorganiser les planifications des groupes terroristes tout en leur infligeant de lourdes pertes », souligne l’armée.

À Tessit et à Tombouctou, des raids ciblés ont aussi permis de neutraliser plusieurs combattants ennemis. Des unités d’élite ont été redéployées sur les axes jugés sensibles et des patrouilles renforcées sillonnent les environs des camps récemment attaqués.

Le 4 juin, l’armée malienne a mené une série d’opérations offensives ayant permis de détruire des plots logistiques et de neutraliser plusieurs terroristes dans les régions de Ménaka, Douentza, Koulikoro et Kidal.

Dans un communiqué en date du 7 juin 2025, l’armée affirme avoir déjoué, à l’approche de la fête de Tabaski, plusieurs complots et projets d’attentats terroristes dont le but était de semer la panique au sein des populations et de déstabiliser les Institutions de la République, en coordination avec des relais financiers et médiatiques prêts à exploiter leurs actions.

Ainsi, le 6 juin, les FAMa ont débusqué et détruit le plot logistique terroriste de Kardjiba, à l’est de Gourma Rharous, dans la région de Tombouctou, ainsi qu’un autre dans les secteurs de Boulkessi et Douna, dans la région de Bandiagara.

Le jour suivant, l’armée a annoncé avoir détruit « suite aux renseignements précis et de longues heures de surveillance », une importante base terroriste à l’est de Zarho, dans la localité de Gourma Rharous, incluant un poste de commandement contenant des équipements et des moyens de transmission et 3 véhicules embarquant des combattants terroristes et d’importants stocks logistiques.

Adapter la stratégie

Pour éviter que cette vague d’attaques ne précède un hivernage meurtrier, les experts recommandent une stratégie combinant renforcement du renseignement, surveillance radar et déploiement rapide de forces mobiles. Sans cette anticipation, après l’hivernage la pression terroriste pourrait se transformer en insurrection prolongée.

Cependant, malgré ces nombreux résultats de la contre-offensive des FAMa, les défis restent nombreux. L’étendue du territoire national, la porosité des frontières et la complexité sociopolitique locale freinent encore la consolidation des victoires militaires.

« Il est possible que des camps militaires puissent empêcher les infiltrations, mais lorsque ces camps militaires stratégiques sont attaqués, le reste du pays devient vulnérable », alerte Boubacar Ba.

Pour le chercheur, la contre-offensive menée par l’armée peut atténuer les velléités terroristes, mais face à cette guerre hybride, de dissimulation et d’infiltration, conclut-il, l’armée malienne doit aussi développer une stratégie adaptée du point de vue des matériels et équipements, du renseignement et de l’action militaire même sur le terrain.

Mohamed Kenouvi

Bamako Sénou : Les dessous du trafic silencieux de devises

Des valises remplies d’euros. Des passagers profilés. Des saisies qui se répètent à l’Aéroport international Modibo Keita de Bamako. Ce phénomène discret mais préoccupant traduit une fracture profonde entre l’économie réelle et le système financier formel.

En une semaine, près de 630 000 euros ont tenté de franchir les frontières maliennes, dissimulés non pas dans des circuits financiers, mais dans les bagages de passagers ordinaires. Le 26 mai 2025, les douaniers découvrent 580 150 euros dans les bagages d’un passager en partance pour l’Afrique centrale. Le lendemain, cinq autres voyageurs embarquant pour La Mecque via Istanbul sont interceptés. À eux cinq ils transportent 50 000 euros, répartis pour contourner les limites autorisées. L’argent, remis par un agent de voyage, était destiné à être convoyé discrètement hors du pays. Ces saisies ne sont pas isolées. En novembre 2024, 1,27 million d’euros avaient été confisqués. En août de la même année, 500 000 euros. À cela s’ajoutent plusieurs interpellations sur des vols à destination de Dubaï, du Maghreb ou d’Istanbul. Le montant global des devises interceptées n’est pas officiellement publié, mais les chiffres partiels révèlent un phénomène régulier, étendu et préoccupant.

« L’aéroport de Bamako est devenu un point de sortie stratégique pour des liquidités en espèces », analyse Dr Étienne Fakaba Sissoko, économiste et professeur à l’Université des Sciences sociales et de gestion de Bamako. Selon lui, ces flux ne sont pas anecdotiques mais traduisent un changement profond dans les comportements économiques.

Un cadre légal contourné

En théorie, le transport de devises est strictement encadré par la réglementation malienne et communautaire. Maître Fatoumata Diatigui Diarra, Conseil Fiscal Agréé, précise que le corpus juridique repose notamment sur le Règlement N°06/2024/CM/UEMOA, l’Ordonnance N°2024-011/PT-RM sur la lutte contre le blanchiment de capitaux, ainsi que sur les instructions BCEAO du 7 juillet 2024 et du 2 février 2025.

Toute personne transportant plus de 5 millions de francs CFA en espèces vers un pays hors de l’UEMOA doit effectuer une déclaration préalable auprès de l’administration des douanes. Ce seuil passe à 10 millions pour les transferts à l’intérieur de la zone communautaire. L’origine des fonds doit être justifiée. En cas de non-déclaration, les espèces peuvent être saisies à titre conservatoire pendant soixante-douze heures, puis transférées au Trésor si une infraction est suspectée. Le dossier est ensuite transmis à la CENTIF.

« Ces mécanismes existent, mais encore faut-il qu’ils soient rigoureusement appliqués », souligne Me Diarra. Elle observe que la presse signale régulièrement des saisies, mais qu’il est difficile de savoir dans quelle mesure les procédures sont suivies à la lettre. Ce flou illustre une autre réalité. En effet, une partie des voyageurs ignore ou feint d’ignorer l’existence même de ces règles.

Le poids du cash

Le recours massif aux espèces n’est pas nouveau, mais de nos jours il s’amplifie. Pour le Dr Sissoko, ce basculement s’explique d’abord par une méfiance envers les banques. « Le taux de bancarisation est faible. En 2022, seule une personne adulte sur quatre disposait d’un compte formel. Cela signifie que la majorité des Maliens n’interagit jamais avec une banque » souligne-t-il.

Les sanctions régionales de 2022 ont également laissé des traces. Durant plusieurs mois, les comptes publics ont été gelés, les transferts suspendus et les paiements internationaux bloqués. Cet épisode a convaincu de nombreux acteurs économiques que la détention physique d’espèces était plus sûre que l’épargne sur un compte bancaire. L’argument de la rapidité revient aussi souvent. Un entrepreneur sous anonymat confie : « pour envoyer 10 000 euros par virement, il faut justifier, attendre, expliquer. En cash, je sors avec et je les remets en mains propres ».

Des scandales impliquant certaines institutions financières ont accentué la suspicion. Plusieurs dirigeants de banques privées ont été poursuivis ces dernières années. Cette instabilité perçue affaiblit la confiance et pousse vers des solutions pensées  comme moins risquées, bien qu’illégales.

Une économie parallèle s’installe

Les effets dépassent le simple transport illégal d’argent liquide. Dr Sissoko évoque une dérive plus globale : celle d’une économie qui se recompose en marge des institutions. Le cash devient le support d’une activité économique parallèle, non tracée, souvent transfrontalière. Il cite les transferts informels de type hawala, les achats de biens à l’étranger, les circuits d’or ou de devises et même les transactions foncières.

Cette économie parallèle affaiblit la base fiscale. Elle échappe à la statistique, complique les prévisions, empêche la mobilisation des ressources internes. Le capital ne reste plus dans les banques, mais sort du territoire ou circule en dehors de tout radar. Cette situation entraîne moins de crédits, moins d’investissements locaux et plus de dépendance aux emprunts d’État.

Selon les estimations évoquées par l’économiste, le taux d’investissement privé aurait chuté d’environ 3,7% en 2022. La BCEAO, pour sa part, observe une baisse des réserves de change, passées de 5,8 mois d’importations en 2021 à 4,4 mois en 2022. Ces chiffres traduisent un déséquilibre inquiétant.

Risques sécuritaires

Le départ massif de devises nuit à la stabilité du franc CFA. Il amplifie les pressions sur le taux de change, favorise l’inflation importée et complique la conduite de la politique monétaire. À cela s’ajoutent des inquiétudes d’ordre sécuritaire.

Les fonds qui échappent aux circuits formels peuvent être utilisés à des fins criminelles. Me Diarra rappelle que l’un des objectifs du cadre réglementaire est justement d’empêcher que l’argent liquide ne serve à financer le terrorisme, la contrebande ou le trafic de drogue. Sans traçabilité, il devient impossible de garantir que l’origine et la destination des fonds soient licites.

Un analyste régional interrogé sous anonymat évoque le cas de l’or. Officiellement, le pays produit plus de 70 tonnes par an, mais une partie échappe aux circuits officiels. Certaines filières auraient alimenté des financements occultes, y compris à l’international. Les États-Unis ont imposé des sanctions ciblées en 2023 sur des entités soupçonnées de financer des activités armées via l’or exporté depuis le Mali.

Le Hadj : un pic dans les flux

La période du Hadj est souvent marquée par un pic de transferts. L’économiste observe que des agents de voyages sont parfois mandatés pour transporter de l’argent à la place de leurs clients. Ce système de délégation s’explique par la volonté de contourner les plafonds autorisés. Chaque passager peut transporter une somme limitée. En répartissant les montants entre plusieurs personnes, les convoyeurs espèrent échapper au contrôle.

Ce phénomène reste cependant difficile à quantifier. Les saisies douanières ne représentent que la partie visible de l’iceberg. Personne ne sait combien de devises sortent réellement du territoire chaque semaine sans être interceptées.

Pour Me Diarra, la solution ne réside pas uniquement dans le renforcement des contrôles. « Il y a un déficit de communication. Beaucoup de voyageurs ignorent la réglementation ou la perçoivent comme une contrainte incompréhensible ». Elle  appelle à des campagnes d’information ciblées, notamment dans les gares routières, les agences de voyages et les points de change.

Elle souligne aussi les avancées prévues dans les textes communautaires. Le Règlement UEMOA autorise le port de devises excédentaires sous forme de cartes bancaires prépayées. Ces instruments, plus sûrs, pourraient être développés et démocratisés, en particulier pour les voyageurs fréquents. Cela permettrait de réduire l’usage du cash tout en facilitant les transactions.

Malaise

Au final, les valises pleines qui quittent discrètement Bamako racontent plus qu’un simple phénomène illégal. Elles traduisent un malaise, une rupture silencieuse entre l’État et ses citoyens, entre les institutions et la pratique quotidienne.

Comme le résume si bien Dr Sissoko, « ce n’est pas seulement une affaire de billets. C’est le symptôme d’une économie qui se replie, d’une société qui doute et d’un capital qui préfère fuir plutôt que contribuer ».

Tant que cette confiance ne sera pas restaurée, le Mali continuera d’assister, impuissant, à l’érosion invisible de sa richesse.

Le trône des illusions : « Quand le réel est confisqué, la fiction devient une barricade »

Dans son nouveau roman publié chez L’Harmattan, Étienne Fakaba Sissoko mêle littérature, mémoire et critique politique. À travers Sabu, écrivain rebelle en détention, il explore la parole entravée, la résistance intime et les régimes qui organisent l’oubli. Une œuvre dense, enracinée dans l’urgence de dire.

Pourquoi avoir choisi la fiction pour porter un message aussi politique ?

Parce que la fiction est la dernière barricade quand le réel est confisqué. Dans un contexte où la parole libre peut coûter la liberté, voire la vie, le roman devient un acte d’insubordination douce. Le trône des illusions est une œuvre de fiction, mais profondément ancré dans les réalités que vivent tant de peuples sous des régimes d’apparence transitionnelle et de fond autoritaire. La littérature permet de contourner la censure, de déjouer la peur, de parler haut quand on veut nous faire taire. J’ai choisi la fiction pour dire ce qu’on ne peut plus dire autrement.

Sabu refuse le silence. Est-ce aussi votre manière de continuer à parler ?

Absolument. Sabu, c’est cette part d’humanité qu’on tente d’éteindre chez ceux qu’on enferme, qu’on isole ou qu’on intimide. À travers lui, je continue à écrire pour celles et ceux qu’on réduit au silence. Ce personnage est né de la prison, de l’injustice et du silence imposé. Mais il parle. Il écrit et il résiste avec les mots. Et moi, à travers lui, je continue cette bataille que je mène depuis des années : celle de la conscience critique, de la liberté de pensée, de la vérité contre la peur.

Que représente Kassala dans le roman ?

Kassala est la capitale du pays fictif Gayma où se déroule l’action du roman. Ce n’est pas un simple décor, mais une condensation du réel. Une mise en fiction des dérives observées dans plusieurs pays du Sud et notamment en Afrique de l’Ouest : confiscation du pouvoir, instrumentalisation de la justice, culte de la sécurité au détriment des libertés, élites cooptées, oppositions criminalisées. Kassala, c’est un miroir. Déformant parfois, mais parlant. Ceux qui y voient une allusion reconnaîtront les reflets qu’ils renvoient.

Publier Le Carnet de Sabu par épisodes, c’est aussi de la résistance ?

Oui. Dans un pays où la mémoire devient dangereuse, publier par épisodes, c’est semer des fragments d’insoumission. Chaque épisode est une mèche et une veilleuse contre l’obscurité organisée. Cette forme feuilletonesque s’inscrit dans notre tradition orale. Ce n’est pas un choix marketing, c’est un choix politique. Le récit de Sabu doit s’infiltrer, se transmettre. Comme un murmure entêté là où l’on croit que tout le monde s’est tu.

Participation citoyenne et politique : La jeunesse marginalisée malgré son engagement

Bien qu’elle soit suffisamment engagée et qu’elle ait joué un rôle central dans les grandes révoltes qu’a connues le Mali sur le plan sociopolitique, la jeunesse reste structurellement écartée des sphères du pouvoir institutionnel. C’est ce qui ressort d’une étude publiée dans l’édition de mai – juin 2025 de la Revue africaine des sciences politiques et sociales.

La jeunesse malienne, bien que démographiquement majoritaire (plus de 70% de la population), demeure paradoxalement exclue des sphères formelles de décision. Pourtant, elle est au cœur des mobilisations politiques majeures du pays.

Historiquement, les jeunes Maliens ont été des piliers des luttes sociopolitiques. De l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) dans les années 1990 jusqu’au rôle central dans le Mouvement du 5 Juin – Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), ils ont souvent été en première ligne de la contestation. Leur engagement s’est manifesté dans les rues, sur les réseaux sociaux et dans les mouvements citoyens, démontrant une volonté forte de transformation démocratique.

Cette étude, menée par le Dr. Abdoul Sogodogo, enseignant-chercheur et Vice-doyen de la Faculté des Sciences politiques et administratives de l’Université Kurukanfuga de Bamako, met en lumière cette contradiction entre engagement citoyen et marginalisation politique.

Les jeunes écartés

Selon le Dr. Abdoul Sogodogo, la mobilisation des jeunes ne trouve que rarement un prolongement institutionnel, leur participation aux organes de décision restant faible. Malgré quelques figures emblématiques, les jeunes sont souvent réduits à des rôles de mobilisation, sans accès réel aux leviers du pouvoir, contrôlés par des élites aînées qui perpétuent une gouvernance gérontocratique.

« La faible présence des jeunes dans les sphères de décision est expliquée par des obstacles structurels tels que le manque de ressources financières et une culture politique dominante qui confie le pouvoir politique aux aînés », explique l’universitaire. « En outre, la culture politique malienne laisse peu de place aux jeunes dans les cercles de décision, car la période de jeunesse est souvent considérée comme une étape d’apprentissage ou une phase charnière de préparation à la gouvernance et à la prise de décisions collectives », poursuit-il.

Le système politique malien semble structuré autour d’une logique de clientélisme dans laquelle les jeunes militants servent de bras d’action aux grands hommes politiques en échange de promesses d’emploi ou de reconnaissance. La précarité socio-économique, avec un taux de chômage élevé chez les jeunes, accentue cette instrumentalisation.

La jeunesse malienne, actrice majeure des bouleversements récents, aspire désormais à plus qu’une simple présence symbolique. La reconnaissance de son rôle passe par une refonte des pratiques politiques et une véritable inclusion dans les mécanismes décisionnels.

Mohamed Kenouvi

Bamako face aux inondations : Sévir ne suffit pas

À Bamako, les autorités ont commencé à détruire plusieurs habitations construites dans les servitudes de marigots. L’objectif est clair : prévenir de nouvelles inondations dramatiques, comme celles de 2024. Pourtant, derrière le bruit des pelleteuses, ce sont aussi des cris étouffés que l’on entend, ceux des familles qui affirment n’avoir reçu ni avertissement, ni accompagnement, ni indemnisation.

Beaucoup découvrent du jour au lendemain que leur maison est devenue illégale. Ils soutiennent n’avoir pas été sensibilisés, encore moins associés à la démarche. Si certaines constructions sont à risque, faut-il pour autant confondre urgence et précipitation ? Démolir sans expliquer, c’est ajouter la douleur à la perte et l’humiliation à la précarité.

Le Mali traverse une période critique. L’insécurité persiste, les services sociaux sont fragilisés, les prix grimpent. Dans ce contexte, chaque décision devrait être pesée à l’aune de son impact humain. Une opération mal préparée, même justifiée, peut déclencher des tensions sociales. À force de frustrations non entendues, c’est la cohésion sociale qui s’érode.

Prévenir les inondations, oui, mais pas à n’importe quel prix. Il faut dialoguer, expliquer, proposer des solutions de relogement dignes. L’État gagnerait en autorité en montrant qu’il sait conjuguer fermeté et compassion. Sinon, ces démolitions risquent d’apparaître comme une punition plutôt qu’une protection.

Rien n’est plus légitime que de vouloir sauver des vies. Mais il faut le faire avec les populations et non contre elles. C’est à cette condition que la prévention deviendra une œuvre de reconstruction et non une source supplémentaire de fractures dont le pays pourrait vraiment se passer.

AES : Vers une union douanière

Le 15 mai 2025, les Directeurs généraux des Douanes des États de l’AES se sont retrouvés à Bamako autour de l’harmonisation des procédures douanières dans l’espace confédéral. Une étape importante destinée à faire le point sur les recommandations antérieures et à progresser vers un espace douanier unifié.

Les États de la Confédération de l’AES (Burkina Faso, Mali, Niger) sont désormais engagés dans un processus d’unification de leurs procédures et de leurs textes douaniers. Si la construction de cette nouvelle architecture juridique comporte des défis, elle s’inscrit dans la continuité logique du processus enclenché par ces États depuis leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Pour les futures négociations avec la CEDEAO, l’AES souhaite adopter une position commune, exprimée de manière collective et coordonnée, affirmant ainsi son unité. Une telle orientation ne suscite pas de blocages particuliers à ce stade. « En théorie, le retrait des États de l’AES de la CEDEAO ne devrait pas empêcher les pays de la sous-région de négocier des accords de partenariat dans des domaines stratégiques tels que la sécurité transfrontalière, les tarifs extérieurs communs, ainsi que la libre circulation des personnes et des capitaux », expliquait le Dr Abdoul Sogodogo, dans une étude intitulée « AES, Défis et Perspectives », publiée en septembre 2024.

La coexistence de plusieurs organisations dans l’espace sous-régional n’est d’ailleurs pas une réalité nouvelle, poursuit-il. Celle de la CEDEAO et de l’UEMOA en est une illustration. L’avènement de la nouvelle entité, l’AES, pourrait même représenter une opportunité pour attribuer à chaque organisation un mandat spécifique : à l’UEMOA, les questions monétaires ; à la CEDEAO, le développement intégré et la démocratisation ; à l’AES, les questions de sécurité, pour combler les lacunes des initiatives précédentes.

Dès sa création, l’AES s’est positionnée non seulement comme un instrument sécuritaire face aux défis communs, mais aussi comme un levier diplomatique et économique au service des trois États qui la composent.

Un espace intégré en construction

Avant la rencontre des Directeurs généraux des Douanes de l’AES à Bamako, plusieurs réunions avaient jeté les bases d’une coopération douanière plus étroite entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

À Niamey, en juillet 2024, la rencontre des DG des Douanes de l’AES a permis de créer des groupes de travail sur le transit, le Code des douanes, les tarifs communs et les règles d’origine. L’interconnexion des systèmes douaniers est apparue comme une priorité pour répondre aux difficultés d’approvisionnement et sécuriser les recettes douanières.

Ce processus s’est poursuivi lors de la réunion de Lomé, en septembre 2024, avec une recommandation forte en faveur de l’interconnexion des systèmes douaniers, y compris avec le Togo.

En janvier 2025, à Ouagadougou, les autorités douanières des trois pays ont évalué l’état d’avancement de cette interconnexion, notamment avec l’administration douanière togolaise.

La réunion de Bamako visait donc à dresser un état des lieux de l’évolution des chantiers engagés et des projets de textes. Parmi les dossiers examinés figuraient : l’encadrement du métier de Commissionnaire en douanes, l’adoption d’un Code des douanes unifié, l’établissement de règles d’origine spécifiques à l’AES, le régime de transit communautaire et l’élaboration de tarifs extérieurs communs (TEC) et préférentiels.

À l’issue des travaux, les Directeurs généraux ont validé le chronogramme proposé pour la finalisation du Code confédéral des douanes et des TEC entre le 28 et le 31 juillet 2025. Ils ont également fait le point sur les recommandations de Lomé : 7 sur 16 ont été réalisées, 6 sont en cours, et 3 restent à mettre en œuvre.

L’un des objectifs de cette réunion était de formuler des propositions concrètes à transmettre aux autorités de l’AES en vue des prochaines discussions avec la CEDEAO.

Interdépendance et dialogue

Le 22 mai 2025, les ministres des Affaires étrangères des pays de l’AES ont rencontré à Bamako le Président de la Commission de la CEDEAO. Cette première session de consultations visait à organiser les négociations entre les deux entités, après la formalisation du retrait de l’AES.

Les discussions ont porté sur les aspects politiques, diplomatiques, institutionnels, juridiques et sécuritaires, mais aussi sur le développement économique et social. Les deux parties ont souligné leur volonté de préserver les acquis majeurs de l’intégration régionale, en particulier la libre circulation des personnes et des biens.

La situation sécuritaire, point de friction majeur entre les États du Sahel et la CEDEAO, a également été abordée. Face à la menace persistante du terrorisme, les deux blocs ont réaffirmé leur volonté de coopérer dans ce domaine, essentiel à la stabilité régionale. Un impératif partagé dans un espace où les économies sont étroitement liées.

En 2024, 22,6% des importations du Mali provenaient de la CEDEAO, contre 31,3% pour le Burkina Faso. En 2022, les exportations du Niger vers la France, le Mali et le Burkina Faso représentaient 35,3% de son PIB. Ses importations – évaluées à environ 4 milliards de dollars – provenaient principalement de la France, de la Chine et des États-Unis.

Cadre parallèle avec l’UEMOA

Le Burkina Faso, le Mali et le Niger restent membres de l’UEMOA. Dans son rapport annuel 2024, l’Union mentionne des progrès en matière d’union douanière, notamment avec l’élaboration d’un avant-projet de règlement sur les procédures simplifiées de dédouanement.

La Commission a poursuivi ses efforts pour dématérialiser l’octroi d’agrément de l’origine et a reconnu l’origine communautaire de 111 produits. Elle a aussi renforcé le système d’alerte contre les entraves à la libre circulation et au droit d’établissement. Toutefois, elle admet que la mise en œuvre de ces dispositifs reste incomplète. Des campagnes de plaidoyer, de sensibilisation et de renforcement des capacités ont été menées dans les postes de contrôle pour améliorer la situation sur les corridors commerciaux.

Trois mois après la sortie formelle de la CEDEAO, les autorités de l’AES se sont réunies à Bamako le 28 mars 2025. Dans une logique d’autofinancement, elles ont adopté un prélèvement communautaire de 0,5% sur les importations provenant de pays tiers non membres de l’AES, à l’exception des États de l’UEMOA, de l’aide humanitaire et des biens diplomatiques. Ce prélèvement (PC-AES) concerne uniquement les pays n’ayant pas d’accord douanier avec l’AES. L’issue des négociations en cours avec la CEDEAO permettra de savoir si cette mesure s’y appliquera.

Vers une Banque confédérale

Le 16 janvier 2025, les États de l’AES ont entamé des discussions sur la création d’une Banque d’investissement. Le 23 mai 2025, les ministres des Finances de l’AES ont adopté les documents fondateurs de la Banque Confédérale pour l’Investissement et le Développement (BCID). Doté d’un capital initial de 500 milliards de francs CFA, cet instrument vise à financer des projets structurants dans les secteurs de l’agriculture, de l’énergie, de l’éducation et de l’industrialisation.

Estimée à 6,9% du PIB de la CEDEAO et à 28,4% de celui de l’UEMOA, la production économique de l’AES reste encore modeste, mais ses États membres souhaitent se doter d’un instrument vital pour soutenir leur développement.

Les défis sont immenses pour cette nouvelle institution, pensée pour réduire la dépendance des économies aux financements extérieurs. Elle devra répondre aux nombreuses attentes, notamment en matière de dynamisation des économies locales, de lutte contre le chômage des jeunes, de promotion de l’entrepreneuriat et de modernisation des infrastructures.

L’Europe doit changer son approche de l’Afrique

Ces dernières années, la Chine a dépassé l’Europe en termes de commerce avec l’Afrique subsaharienne et d’investissements dans les infrastructures. Les États du Golfe ont remodelé les flux financiers sur le continent, tandis que le Brésil, l’Inde et la Turquie ont également renforcé leurs liens avec les pays africains. Parallèlement, les dirigeants africains ont mis en place la zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), qui devrait transformer le commerce intra-africain. Pourtant, l’Union européenne continue de se bercer de l’illusion qu’elle est le principal partenaire de l’Afrique.

 

En conséquence, alors que l’Afrique se repositionne stratégiquement dans le monde multipolaire d’aujourd’hui, l’Europe reste largement complaisante. L’UE se considère également comme une puissance normative, un champion mondial des droits de l’homme, de la gouvernance démocratique et de la durabilité. Si cela est vrai dans certains domaines, les relations commerciales et économiques de l’Europe – en particulier avec l’Afrique – suggèrent le contraire. Et, jusqu’à présent, l’Europe ne s’est pas montrée disposée à changer.

 

En tant que haut représentant de l’Union africaine pour les relations avec l’Europe, j’ai été le témoin direct de cette dynamique. En 2019, j’ai proposé que l’UA reçoive un mandat officiel pour négocier un accord commercial continental avec l’UE. L’idée n’était pas révolutionnaire ; elle reflétait simplement la demande légitime de l’Afrique pour un pouvoir de négociation collective, que l’UA, qui a fait de grands progrès vers la cohérence politique, est bien placée pour exercer.

 

Mais la Commission européenne a plus de poids dans les négociations avec les pays individuels ou les communautés régionales, et les acteurs africains de ce système fragmenté sont réticents à abandonner leur rôle d’intermédiaire. Ma proposition a donc été bloquée et l’UE a continué à contourner les institutions de l’UA en faveur d’accords bilatéraux ou d’initiatives régionales qui ne correspondent pas aux besoins, aux intérêts ou aux priorités de l’Afrique.

 

Les accords de partenariat économique (APE) négociés entre l’UE et les pays (ou groupes de pays) africains ont notamment renforcé la dépendance de l’Afrique à l’égard des exportations de produits de base et limité la marge de manœuvre politique dont les pays africains ont besoin pour s’industrialiser. Ces accords ont largement profité aux exportateurs européens, tout en laissant les pays africains dans l’incapacité de tirer parti du commerce pour développer l’industrie manufacturière nationale ou réorienter leur avantage comparatif vers des activités à plus forte valeur ajoutée.

 

Pendant ce temps, les investissements de l’UE sont largement consacrés aux activités extractives, au contrôle des migrations et aux compensations liées au climat, plutôt qu’au renforcement des chaînes de valeur industrielles ou à la facilitation des transferts de technologie. Si l’on a beaucoup parlé de l’initiative «  Global Gateway «  de l’UE, qui vise à stimuler les liaisons numériques, énergétiques et de transport « intelligentes, propres et sûres » et à renforcer « les systèmes de santé, d’éducation et de recherche », son ambition fait pâle figure par rapport à l’initiative « Belt and Road » de la Chine et même par rapport aux packages de transition verte de l’Amérique.

 

De plus, avec ses investissements en Afrique, l’UE ne partage pas les risques, mais s’en décharge. Les capitaux privés sont censés jouer un rôle moteur, alors que le financement du développement est loin d’être à la hauteur de ce qui est nécessaire pour débloquer la transformation industrielle. On demande à l’Afrique de réduire les risques des investissements pour les autres sans recevoir de garanties structurelles, comme un meilleur accès aux marchés des capitaux, des conditions commerciales favorables ou des engagements à long terme.

 

Toutefois, l’évolution de l’environnement mondial offre à l’Europe une occasion unique de transformer ses relations avec l’Afrique. Tout d’abord, les États-Unis tournent le dos au continent, en imposant des droits de douane élevés, en réduisant l’aide et en diminuant leur présence diplomatique. Plus généralement, l’économie mondiale subit une transformation fondamentale, car le système multilatéral du passé – qui mettait l’accent sur le libre-échange et la libéralisation financière – est remplacé par un nouveau terrain, plus fragmenté. Les nouvelles règles sont rédigées par les plus grandes puissances du monde, qui se soucient peu des besoins et des intérêts des économies en développement.

 

Dans un monde où le commerce est guidé principalement par le pouvoir de marché plutôt que par l’avantage comparatif, l’Afrique doit s’adapter en conséquence. Cela signifie qu’elle doit renforcer ses capacités de production plutôt que d’attendre des concessions. Cela signifie construire un écosystème commercial propre à l’Afrique, plutôt que de s’engager dans des négociations basées sur la conformité. Et cela signifie qu’il faut concevoir des moyens de façonner les chaînes de valeur mondiales en faveur de l’Afrique, plutôt que de chercher des occasions de rejoindre les structures existantes. Pour soutenir ces efforts, l’Afrique n’a pas besoin de mécènes ; elle a besoin de partenaires stratégiques qui reconnaissent son rôle, investissent dans sa capacité de production et s’adaptent à ses priorités.

 

Si l’Europe espère jouer ce rôle, elle doit commencer par abandonner l’idée qu’elle est le partenaire par défaut de l’Afrique. L’influence doit se mériter.

 

En outre, l’engagement de l’UE en Afrique doit s’inscrire dans le cadre de l’architecture institutionnelle africaine, en particulier dans les domaines du commerce, de la gouvernance numérique et de la diplomatie climatique. L’UE doit cesser de contourner l’UA et reconnaître l’organisation comme un interlocuteur légitime pour l’Afrique. Elle doit également fonder son engagement économique avec l’Afrique sur la logique de l’AFCFTA – l’innovation la plus importante en matière de politique économique du continent depuis des décennies – et non pas en contradiction avec elle.

 

En outre, l’UE doit dissocier l’aide du patronage moral. L’aide au développement n’est pas un don, mais un outil géopolitique, et une conditionnalité excessive sape souvent les institutions mêmes qu’elle est censée aider. Au lieu de micro-gérer les réformes de gouvernance, l’Europe devrait se concentrer sur le soutien des ambitions de l’Afrique, notamment en ce qui concerne les infrastructures, l’éducation et la transformation industrielle.

 

À cet égard, la meilleure approche consisterait à co-investir avec des partenaires africains dans des chaînes de valeur régionales. Cela signifie qu’il faut soutenir les industries africaines non pas en tant que « bénéficiaires », mais en tant qu’acteurs égaux ; repenser la politique agricole commune de l’UE, qui fausse les systèmes alimentaires africains ; et démanteler les barrières non tarifaires qui pénalisent les exportateurs africains.

 

Enfin, dans les enceintes internationales, l’UE devrait se coordonner avec l’UA sur des questions comme la réforme de la dette, le financement de la lutte contre le changement climatique et la propriété intellectuelle. L’appel de l’Afrique en faveur d’un mécanisme d’apurement de la dette souveraine doit faire l’objet de propositions concrètes, et non d’une multiplication des services de conseil. Le financement de la lutte contre le changement climatique doit refléter les responsabilités historiques et les coûts réels, et non l’opportunisme politique.

 

Quant à l’UA, elle doit faire preuve de plus d’audace en exigeant de véritables changements structurels dans les relations de l’Afrique, plutôt que de se contenter de belles paroles sur la souveraineté du continent. Il s’agit notamment d’affirmer le rôle de l’UA dans tous les partenariats extérieurs, de rejeter l’ingérence extérieure dans les processus d’intégration africains et d’investir dans la capacité à proposer des cadres macroéconomiques alternatifs. En bref, l’UA doit s’engager dans la politique désordonnée mais nécessaire de la réforme multilatérale – non pas en tant que pétitionnaire, mais en tant que responsable de la définition de l’ordre du jour.

 

Carlos Lopes, professeur honoraire à la Nelson Mandela School of Public Governance de l’université du Cap, est professeur invité à Sciences Po, chercheur associé à Chatham House, membre du conseil d’administration du World Resources Institute, président du conseil d’administration de la Fondation africaine pour le climat et haut représentant de l’Union africaine pour les relations avec l’Europe. Il est l’auteur de The Self-Deception Trap : Exploring the Economic Dimensions of Charity Dependency within Africa-Europe Relations (Palgrave Macmillan, 2024).

 

 Project Syndicate, 2025.
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Ce que la finance islamique apporte à la résilience climatique

En cette période de rassemblement des ministres des 57 États membres du Groupe de la Banque islamique de développement à Alger, dans le cadre de la 51e réunion annuelle de la BID, il n’est plus possible d’ignorer les effets dévastateurs du changement climatique. Les incendies de forêt anéantissent des communautés entières, les inondations entraînent le déplacement des millions de personnes, et les vagues de chaleur font plusieurs centaines de milliers de morts. Ces phénomènes météorologiques extrêmes ne sont plus des anomalies ; ils constituent la nouvelle normalité, menaçant la vie humaine et les moyens de subsistance au sein des régions du monde les plus vulnérables au changement climatique, en particulier dans les pays du Sud.

 

Les réponses traditionnelles se révélant insuffisantes face à cette menace croissante, il est nécessaire que des financements innovants occupent le devant de la scène. D’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, pas moins de 3,6 milliards de personnes vivent actuellement dans des régions extrêmement vulnérables au changement climatique. Entre 2010 et 2020, le nombre de décès provoqués par les inondations, les sécheresses et les tempêtes dans ces régions a été 15 fois supérieur à celui observé dans les régions peu vulnérables, ce qui illustre la gravité et l’inégalité des effets de la crise climatique.

 

Selon la pensée dominante, l’action climatique constitue pour les économies dépendantes des ressources une question de survie économique, tandis qu’elle offre un chemin vers une croissance et un développement durables pour les économies en voie de développement. Or, de nombreuses économies s’inscrivent dans ces deux catégories – étant à la fois en voie de développement et dépendantes des ressources – ce qui accentue la difficulté de l’élaboration et de la mise en œuvre de stratégies climatiques efficaces.

 

Bien qu’une stratégie globale de résilience face au climat soit essentielle pour renforcer la capacité des économies en voie de développement à résister aux chocs, la résilience et l’adaptation doivent aller de pair. Pour les pays vulnérables, cela peut signifier consolider les infrastructures de protection contre les inondations, investir dans des variétés agricoles résistantes à la sécheresse, et diversifier les sources de revenus afin de réduire la dépendance aux secteurs sensibles au climat.

 

Les modes de financement conventionnels n’en demeurent pas moins limités, à la fois en termes de sources et de mécanismes de mise en œuvre. Les mesures cruciales de protection sociale et les systèmes de soutien sont par conséquent bien souvent sous-financés ou insuffisants. Vient s’ajouter au problème une incertitude croissante autour de la disponibilité de financements concessionnels en provenance des pays développés.

 

Face à cette réalité, il est nécessaire que l’innovation financière devienne un pilier de la résilience climatique. Institutions financières, gouvernements et autres parties prenantes doivent collaborer afin de mettre au point de nouveaux mécanismes de financement, destinés à protéger les régions vulnérables au climat.

 

Constat encourageant, plusieurs fonds et mécanismes de financement innovants ont vu le jour pour soutenir les efforts de résilience et d’adaptation. Parmi ces avancées figurent le Fonds vert pour le climat, qui fournit une assistance financière aux pays en voie de développement ; la Climate Bonds Initiative, qui favorise la croissance du marché des « obligations climat » ; l’assurance climatique, qui contribue à la gestion et réduction des risques liés au climat ; l’adaptation communautaire, qui permet aux communautés locales d’élaborer et de mettre en œuvre leurs propres stratégies d’adaptation ; ainsi que les solutions fondées sur la nature, qui se concentrent sur la restauration et la protection des écosystèmes naturels. Ces financements sont malheureusement très loin de répondre aux besoins.

 

Les banques multilatérales de développement (BMD) jouent un rôle essentiel dans la fourniture des fonds permettant aux pays vulnérables de réduire leurs émissions et d’investir dans des projets d’adaptation. D’après le plus récent rapport conjoint des banques multilatérales de développement sur le financement climatique, les BMD ont fourni en 2023 un montant record de 125 milliards $ de fonds publics pour l’action climatique. Il convient de souligner que 60 % de ce montant – 74,7 milliards $ – a été dirigé vers des pays à revenu faible et intermédiaire, ce qui illustre l’engagement des BMD à soutenir les pays les plus exposés aux risques climatiques.

 

La Banque islamique de développement fournit des efforts importants dans ce domaine. En novembre 2024, la BID a approuvé un financement de 1,15 milliard $ visant à renforcer la sécurité alimentaire et hydrique au Kazakhstan, grâce à l’irrigation durable de 350 000 hectares de terres. Ce projet a pour objectif d’accroître de 30 % le rendement moyen des cultures, ce qui améliorera la résilience des communautés face aux catastrophes climatiques, ainsi que le bien-être économique de 1,3 million de personnes vulnérables.

 

À l’instar des autres BMD, la BID est confrontée au défi du renforcement de la résilience climatique dans ses 57 États membres, dont plus de la moitié sont plus vulnérables au changement climatique que la moyenne mondiale. Pour remédier à ces vulnérabilités, il est nécessaire, d’après les estimations, que 75 à 90 milliards $ soient investis chaque année jusqu’en 2030 dans des projets d’agriculture durable, d’approvisionnement en eau et d’infrastructure. Les flux financiers en direction de ces pays aux fins de l’adaptation s’élèvent en moyenne à 23,9 milliards $ par an, ce qui signifie un déficit de financement de 68 %, que la BID s’efforce activement de combler.

 

L’offre croissante de financements pour l’adaptation illustre la contribution indispensable des BMD aux efforts mondiaux pour le climat. La réussite ne saurait toutefois se mesurer par les seuls montants déboursés, mais par les résultats tangibles et réels. Bien que le financement de l’action climatique progresse quantitativement, son efficacité dépend d’un suivi rigoureux et d’une évaluation de l’impact. Il est par conséquent essentiel que soient mis en place de solides cadres de reporting, afin de renforcer la confiance des parties prenantes, et de canaliser davantage de financements vers des projets d’adaptation. Pour renforcer leur impact, il est également nécessaire que les BMD adoptent des modèles de financement ciblés, axés sur les résultats et les politiques.

 

Au-delà du renforcement des capacités institutionnelles des emprunteurs ainsi que du développement des financements ciblés, une opportunité s’offre aux BMD de stimuler la mobilisation de ressources en attirant des capitaux en provenance de sources non conventionnelles. Le cadre de durabilité de la BID en constitue l’une des illustrations. Grâce à ce dispositif, la BID a mobilisé plus de 6 milliards $ en émettant des obligations islamiques (sukuk), qui attirent des investisseurs musulmans et non musulmans.

 

Axée sur l’adossement d’actifs et le partage des risques, la finance islamique est intrinsèquement alignée sur les principes de durabilité. Ces dernières années, plusieurs instruments tels que l’assurance coopérative (takaful), les dotations caritatives (waqf) et les plateformes de crowdfunding basées sur la foi religieuse sont apparus comme des sources alternatives de financement climatique dans le monde musulman.

 

Consciente de la nécessité de solutions de financement climatique ciblées, la BID promeut et soutient activement ces mécanismes. En tirant parti d’un secteur de la finance islamique qui représente 4 500 milliards $, ainsi qu’en adoptant son modèle d’adossement d’actifs et de partage des risques, d’autres BMD pourraient élargir et diversifier leurs sources de financement, ce qui leur permettrait de soutenir des initiatives d’adaptation et d’atténuation dans les régions les plus vulnérables du monde.

 

L’époque des projets pilotes et des interventions parcellaires est révolue. Pour bâtir un avenir de durabilité et de résilience face au climat, il est urgent que les BMD développent à plus grande échelle des solutions à fort impact, qu’elles s’ouvrent à l’innovation financière, et qu’elles favorisent la coopération mondiale. Forte de son expérience de plus d’un demi-siècle, la BID est prête à jouer son rôle.

 

Muhammad Al Jasser est président du Groupe de la Banque islamique de développement.

 

 Project Syndicate, 2025.
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Festival Sogobô 2025 : Les marionnettes au service de la paix et du développement

Depuis le 20 mai, le Musée national du Mali accueille la deuxième édition du Festival international Sogobô, porté par la Compagnie Sogolon. Devant un public nombreux, marionnettes géantes, masques rituels et danses initiatiques célèbrent la mémoire et l’ancrage culturel.

« Ce que vous voyez là, ce ne sont pas que des objets. Ce sont des voix, des héritages. Ce sont nos bibliothèques vivantes », rappelle Yaya Coulibaly, figure tutélaire du théâtre africain de marionnettes, dont l’œuvre est classée au Patrimoine mondial immatériel. Il voit dans cette édition un moment décisif pour sensibiliser la jeunesse à la richesse de l’oralité. Selon lui, « la marionnette, c’est politique, éducatif et profondément spirituel ».

Le terme « Sogobô » signifie « sortie des masques et marionnettes » en bambara. Une tradition ancestrale que Yaya Coulibaly s’efforce de préserver et de moderniser depuis la création de sa compagnie en 1980. « Je dépends des marionnettes, ma famille vit uniquement pour cela. C’est ma banque, c’est mon territoire, c’est mon livre, c’est tout mon domaine et chaque jour que Dieu nous donne », confie-t-il.

Le thème retenu cette année, « La culture, facteur de paix, de cohésion sociale et de développement socio-économique », donne le ton d’un programme riche, marqué par des spectacles inspirés des épopées bambaras, des restitutions de formations dans les quartiers périphériques et la participation de jeunes artistes issus de l’Institut national des arts et du Conservatoire. Le centre Happy Théâtre de Dialakorodji a notamment présenté une performance poignante sur les violences domestiques.

Le programme comprend également des ateliers de fabrication et de manipulation, des expositions, des conférences-débats et des master classes. Ces activités visent à renforcer les liens sociaux et à promouvoir la culture comme levier de développement.

En coulisses, l’organisation repose sur un équilibre fragile entre passion et faibles ressources. Aucune enveloppe budgétaire officielle n’a été rendue publique, mais les organisateurs évoquent des « moyens très limités », partiellement compensés par l’appui logistique de l’UNESCO et de partenaires comme Moov Africa ou Instruments 4Africa. « Il faut créer de la valeur culturelle avec presque rien, mais nous tenons debout », résume un membre de l’équipe.

Le festival joue aussi un rôle discret mais essentiel, en ce sens qu’il rémunère des dizaines d’artisans, couturiers, musiciens, forgerons, sculpteurs et jeunes comédiens. Il ravive des réseaux de transmission souvent rompus et remet en lumière des figures comme les Trésors Humains Vivants du Mali.

Le Festival international Sogobô s’impose comme un rendez-vous majeur pour les amateurs d’art et de culture, offrant une immersion rare dans l’univers des masques et marionnettes du Mali.

MD

Ligue 1 de Basket : Les playoffs en ligne de mire

Les matchs du carré d’as du championnat national de Basket Ligue 1 Orange ont débuté le 19 mai sur les deux tableaux, masculin et féminin. Il s’agit de l’ultime étape avant les playoffs, qui détermineront les équipes championnes du Mali pour la saison 2024 – 2025.

Les quatre meilleures équipes à l’issue de la saison régulière s’affrontent. Chez les Messieurs, il s’agit du Stade Malien de Bamako, de l’AS Police, de l’USFAS et du Centre de référence de Basketball de Tombouctou (CRBT). Dans le tableau féminin, les mêmes équipes s’affrontent, sauf le CRBT, remplacé par le Djoliba AC.

Pour son entrée en lice, le champion en titre, le Stade Malien de Bamako, porté par Ibrahim Cissé (16 points, 2 rebonds, 3 passes décisives), a envoyé un signal fort à tous les prétendants en s’imposant largement devant l’USFAS 82 – 42, soit une différence de 40 points entre les deux formations.

Les Blancs de Bamako ont enchaîné avec une deuxième victoire face à l’AS Police le 20 mai (92 – 71) et sont quasiment qualifiés pour les playoffs, même avec un dernier match à disputer ce jeudi 22 mai face au CRBT.

Lutte pour le 2ème ticket

Les Tombouctiens, qui ont créé la sensation lors de leur premier match en venant à bout de l’AS Police (77 – 68), ont ensuite été défaits par l’USFAS (76 – 72). Avec une victoire chacun en deux matchs, le CRBT et l’USFAS, qui sera opposé à l’AS Police, quasi éliminé, vont se livrer un duel à distance ce jeudi pour le 2ème ticket.

À l’instar de l’équipe masculine, les Dames du Stade Malien de Bamako ont également obtenu deux victoires en autant de rencontres et ont décroché leur ticket pour les playoffs avant la 3ème journée. Elles se sont imposées respectivement face à l’USFAS (86 – 58) et à l’AS Police (69 – 50), avant d’affronter le 22 mai le Djoliba AC.

Les Rouges de Hérémakono, qui se sont relancées lors de la 2ème journée face à l’USFAS (87 – 50) après leur défaite inaugurale contre l’AS Police (71-74), sont dans l’obligation de gagner ce 3ème match face au Stade Malien.

Le 2ème ticket pour les playoffs chez les Dames pourrait également revenir à l’AS Police, si les Policières, vainqueures face au Djoliba AC puis battues par le Stade Malien, prenaient le dessus lors de la 3ème journée sur l’USFAS, déjà éliminée.

Mohamed Kenouvi

Syndicats de l’Éducation et leur financier : Difficile compromis

Moins d’un mois après l’accord entre les syndicats de l’Éducation signataires du 15 octobre et les autorités, l’accalmie semble compromise. Un arrêt de travail prévu ce 21 mai 2025 vient d’être suspendu en attendant de nouvelles négociations.

Les syndicats de l’Éducation signataires du 15 octobre 2016 du District de Bamako, constitués du SYPESCO, du SYNEFCT, du SYNEM, du COSES, de la FENAREC et du SYLDEF, avaient entamé un arrêt de travail du 23 au 25 avril 2025. Ce mouvement avait été suspendu le 24 avril après « satisfaction des revendications ».

Cette grève des syndicats enseignants avait deux points de revendication : le départ sans délai du billeteur de l’Académie d’Enseignement de Bamako Rive Gauche et le rétablissement immédiat et effectif de toutes les primes d’enseignants suspendues.

La Coordination des syndicats d’enseignants accusait alors le financier d’avoir suspendu des primes auxquelles ils avaient droit. Un point concerne une cinquantaine d’enseignants fonctionnaires des collectivités territoriales en détachement au niveau d’autres départements.

Goulot d’étranglement

Entre les syndicats de l’Éducation et leur financier, le point d’achoppement était le départ de ce dernier de son poste. Cette décision, prise le 20 mai 2025, a provoqué le mot d’ordre d’arrêt de travail suspendu de justesse, à la demande de la centrale syndicale UNTM.

Il faut rappeler que les primes objet du différend entre les deux parties sont des « primes supplémentaires » qui doivent être payées par le service d’accueil.

Selon une note explicative émanant du financier de l’Académie d’enseignement, ces primes ont été payées par l’Académie d’enseignement dont ils relèvent par méconnaissance. C’est pourquoi elles avaient été suspendues une première fois en 2023. Suite à un préavis des syndicats signataires du 15 octobre 2016 et à une conciliation, il avait été convenu du paiement des primes pour les enseignants mis à disposition et du paiement d’une prime de risque aux professeurs d’informatique.

Ce « rétablissement » a fini par questionner le financier, qui a tenu à respecter les dispositions de la loi N°2018-035 du 27 juin 2018 portant statut des fonctionnaires des collectivités territoriales, dont l’article 51 stipule : « le fonctionnaire mis à disposition relève, du point de vue traitement, de la collectivité territoriale de départ. Toutefois, il peut bénéficier d‘avantages supplémentaires à la charge de la structure d’accueil ».

L’accord trouvé comprenait le rétablissement des primes au mois de mai et le rappel du mois d’avril, ainsi que le départ du financier, qui vient d’être acté, ce qui a provoqué la réaction du syndicat des financiers.

Soumaila Lah : « Le vrai chantier, c’est l’exemplarité du pouvoir »

Suite à la présentation du Plan d’Action Gouvernemental (PAG) 2025–2026 par le Premier ministre devant les membres du CNT, le 16 mai 2025, Soumaila Lah, chercheur-analyste, en livre une lecture lucide, critique et argumentée. Pour cet analyste indépendant, le vrai défi n’est pas d’accumuler les promesses, mais de garantir leur concrétisation, dans un contexte de tensions politiques persistantes.

La sécurité est de nouveau la grande priorité budgétaire. Est-ce soutenable ?

La défense et la sécurité ont toujours constitué les plus grosses poches budgétaires de l’État malien. Ce n’est pas nouveau et cela s’inscrit dans une continuité, avec des lois d’orientation et de programmation militaire, de réforme du secteur de la sécurité. Le gouvernement les considère comme prioritaires. Cependant, il s’agit là encore de prévisions. Leur exécution dépendra des capacités réelles à mobiliser les ressources. Si ces fonds ne sont pas disponibles, il faudra redéployer les moyens en puisant dans des secteurs jugés moins urgents, ce qui pourrait se faire au détriment de services sociaux déjà fragiles. L’équilibre budgétaire, dans un contexte aussi tendu, devient alors un enjeu majeur.

Les réformes annoncées (Relecture des lois, SIGRH) peuvent-elles garantir une meilleure gouvernance ?

Je ne le pense pas. Ce n’est pas une simple question de textes. Le vrai chantier, c’est l’exemplarité du pouvoir. Aucun logiciel, aucune relecture de loi ne remplace la volonté politique d’être exemplaire. Tant que ceux qui dirigent ne montrent pas l’exemple, les autres suivront difficilement. Revenir sur des textes déjà modélisés, vouloir tout changer sans raison claire, c’est parfois détourner l’attention, ou, pire, chercher à légitimer des desseins inavoués. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un pouvoir sobre, transparent et respectueux de la loi.

L’objectif agricole de 11 millions de tonnes est-il réaliste ?

C’est ambitieux, mais difficile à croire dans l’immédiat. Les capacités logistiques et techniques du pays sont encore mal connues. Il y a des aléas climatiques, des problèmes de distribution d’intrants. Et, surtout, on assiste depuis quelque temps à une inflation de promesses non suivies d’effets. Tant que les conditions ne sont pas réunies de façon concrète, cette projection reste une annonce politique parmi d’autres.

Peut-on croire à des élections transparentes bientôt ?

Je reste très sceptique. L’AIGE, bien qu’installée, ne dispose ni des moyens suffisants ni de l’autonomie nécessaire. On connaît les conditions floues de sa mise en place et ce flou persiste. Cela fait des années que le pouvoir répète les mêmes engagements, sans action concrète. Le Premier ministre a encore tenu un discours sans garanties, sans feuille de route claire. On est dans l’effet d’annonce, pas dans l’action réelle.

Charte pour la paix et la réconciliation : Outil d’unité ou texte vidé de l’essentiel ?

Annoncée comme un texte de référence, la Charte nationale pour la paix et la réconciliation est en voie d’achèvement. Mais certains sujets majeurs, comme le sort des partis politiques, ont été exclus de ses discussions. Ce choix interroge sur sa portée réelle dans un contexte politique toujours tendu.

Selon Zeïni Moulaye, ancien ministre et membre de la Commission, la Charte vise à « unir tous les fils du Mali autour de l’essentiel » et doit servir de socle aux politiques de sécurité, de paix et de réconciliation. C’est ainsi qu’elle intègre cinq grands thèmes – Paix, Sécurité, Réconciliation nationale, Cohésion sociale et Vivre ensemble – et valorise plus de vingt mécanismes de règlement locaux issus des différentes cultures du pays. Le texte n’a pas vocation à être un document partisan, a précisé Zeïni Moulaye, mais plutôt un outil transversal à portée nationale.

Le volet Sécurité, piloté par le Général à la retraite Yamoussa Camara, insiste sur la nécessité d’un maillage sécuritaire complet du territoire en s’appuyant sur une collaboration active entre forces armées et populations civiles. Trois fonctions stratégiques sont retenues, la protection, l’anticipation et l’intervention. Le Général Camara a rappelé que les mesures d’autodéfense communautaire doivent être encadrées et intégrées à une stratégie nationale afin d’éviter les dérives constatées ces dernières années.

Sur le plan judiciaire, le Dr Marie-Thérèse Dansoko a souligné que la Charte aborde les questions de justice de manière globale, en intégrant la lutte contre l’impunité, la corruption, la délinquance financière et l’enrichissement illicite. La justice transitionnelle est également traitée, avec une reconnaissance du rôle des autorités traditionnelles dans la résolution des conflits mineurs, sans exclure les voies judiciaires classiques. Pour elle, « la réconciliation ne peut se faire au détriment de la justice ».

Suspens autour de l’ancrage juridique

Mais, au-delà du contenu, des zones d’ombre persistent. Le document est « pratiquement achevé », selon la Commission, mais son ancrage juridique n’est pas encore défini. Ce sera à la Présidence, avec l’avis de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle, de déterminer son statut légal. Ce flou soulève des inquiétudes sur la portée réelle de la Charte à court et moyen terme.

Autre interrogation de fond : nombreux sont ceux qui se demandent pourquoi la question du sort des partis politiques, et notamment leur dissolution, n’a pas été confiée à cette Commission, déjà mandatée pour traiter de la paix et de la cohésion nationale ? Le Dialogue Inter-Maliens d’avril 2024, à l’origine de la création de cette Charte, avait pourtant abordé des sujets éminemment politiques. C’est cette même instance qui avait proposé l’élévation du Colonel Assimi Goïta et de 5 autres officiers supérieurs au grade de Général, décision entérinée depuis. Et, selon plusieurs sources, l’avant-projet de la Charte avait également recommandé la libération, en décembre 2024, de onze personnalités politiques arrêtées en juin de la même année. Ces éléments démontrent que la Commission a déjà traité de dossiers politiques sensibles.

Dès lors, pourquoi avoir choisi d’écarter cette même Commission de la gestion du dossier explosif des partis politiques et de leur avenir, en lui préférant un nouveau cadre – les Concertations nationales du 16 au 29 avril  – annoncé tardivement et préparé dans l’urgence ? Une meilleure articulation entre les deux cadres aurait peut-être permis une sortie de crise plus apaisée, dans un climat de confiance renforcée.

Publication retardée

De plus, le retard dans la publication officielle de la Charte interroge. Annoncée comme prioritaire dès 2024, sa remise au chef de l’État n’interviendra qu’à la fin du premier semestre 2025. Entre-temps, le pays a connu des bouleversements majeurs, tant sur le plan sécuritaire que politique, sans que ce texte ait pu jouer son rôle d’outil d’apaisement et de cohésion.

Autre aspect non négligeable, le Programme d’action gouvernementale 2025-2026 évoque bien la paix et la réconciliation dans l’un de ses huit axes, mais sans lien direct explicite avec le document en cours. Il reste donc à espérer que cette Charte, une fois remise, ne devienne pas un texte de plus, mais bien un guide concret d’action accepté par tous, y compris par ceux qui, jusqu’ici, n’ont pas été associés à son élaboration.

MD

Dissolution des partis politiques : Le grand nettoyage

Le 13 mai 2025, les autorités de la Transition ont annoncé par décret présidentiel la dissolution de l’ensemble des partis politiques et des associations à caractère politique. Officiellement présentée comme une étape décisive et un passage obligé vers la mise en œuvre des recommandations des Assises Nationales de la Refondation, cette mesure marque une rupture sans précédent dans l’histoire démocratique du pays.

Purge salutaire d’un système politique défaillant ou glissement préoccupant vers un pouvoir sans contrepoids ? La dissolution des partis politiques sur l’ensemble du territoire national ainsi que des associations à caractère politique continue de soulever des interrogations.

Le gouvernement de transition justifie cette mesure par la nécessité de reconstruire la scène politique sur des bases assainies, suite au constat, au fil des années, d’un pluralisme politique, vidé de sa substance, qui a réduit les partis à des instruments d’opportunisme électoral.

Plus de 280 partis politiques étaient enregistrés, dont une large majorité sans réelle activité ni ancrage territorial. En mettant fin à cette « cacophonie », le gouvernement entend ouvrir la voie à une nouvelle ère de gouvernance politique, mieux structurée et plus éthique.

Lors d’un point de presse tenu le 14 mai dernier, le ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Réformes politiques et du Soutien au processus électoral, Mamani Nassiré, a indiqué que la décision du gouvernement était la suite logique des différentes réformes engagées sous la Transition depuis quelques années.

« La dissolution des partis politiques constitue une voie que nous avons trouvée pour appliquer l’une des recommandations fortes, qui a été d’ailleurs faite par l’ensemble des forces vives de la Nation ayant participé aux Assises Nationales de la Refondation, à savoir la réduction du nombre des partis politiques », a confié pour sa part le Premier ministre Abdoulaye Maïga le 19 mai 2025 devant les membres du Conseil national de Transition.

L’analyste politique Ousmane Bamba partage cet avis. « Je fais la part des choses entre la démocratie et la dissolution des partis politiques. Cela n’a rien d’anti-démocratique. Selon moi, cela permet simplement une réorganisation », soutient-il.

Des voix contre

La décision du 13 mai a été accueillie avec indignation par une grande partie de la classe politique dissoute. Dénonçant une dérive autoritaire, certains dirigeants de formations politiques ont annoncé des recours en justice, tant devant les juridictions nationales que régionales et internationales, pour obtenir l’annulation du décret de dissolution des partis politiques.

L’ancien ministre de la Justice Mamadou Ismaïla Konaté regrette pour sa part « un recul historique du Mali en matière de démocratie ». « Cette dissolution des partis politiques confirme une volonté assumée d’installer un pouvoir militaire personnel, en dehors de tout processus démocratique. C’est un acte de guerre contre le pluralisme, l’État de droit et la liberté », dénonce l’ancien Garde des sceaux du Mali.

Dans un communiqué publié le 16 mai 2025, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Volker Türk, a lui aussi appelé les autorités de la Transition malienne à abroger le décret de dissolution des partis et à rétablir pleinement les droits politiques dans le pays.

« Le Président de la Transition doit abroger ce décret draconien et toute restriction de la participation politique doit être conforme aux obligations internationales du Mali en matière de droits humains », a-t-il demandé.

Mais, dans un contexte où la Transition bénéficie d’un contrôle institutionnel renforcé et où les appels à la souveraineté nationale priment sur les injonctions extérieures, peu d’observateurs s’attendent à une issue favorable à court terme.

Les voies de recours, bien que légitimes, semblent symboliques face à la volonté politique affirmée de recomposition du champ politique.

Vers un système politique rationalisé ?

Le gouvernement ne cache pas ses intentions. Une nouvelle Charte des partis politiques est en cours d’élaboration. Le futur texte vise à définir un nouveau cadre légal, plus strict, pour autoriser l’existence et le fonctionnement des partis au Mali. Plusieurs pistes issues des recommandations des forces vives de la Nation sont déjà à l’étude.

D’abord, la mise en place de critères rigoureux de création, pour éradiquer les partis de façade et favoriser l’émergence d’acteurs politiques crédibles et enracinés. Parmi ces critères, entre autres, une implantation effective dans plusieurs régions, un fonctionnement interne démocratique et transparent et une caution de 100 millions francs CFA pour la création de tout parti politique.

Ensuite, la moralisation de la vie politique est érigée en principe fondateur. En vue de restaurer la confiance entre citoyens et représentants politiques, le futur texte pourrait interdire l’accès à la direction d’un parti à toute personne condamnée pour des faits de corruption ou de détournement de fonds publics.

Le financement public des partis sera lui aussi repensé. Pour éviter que les subventions publiques ne servent à enrichir quelques individus au lieu de soutenir l’action politique, la nouvelle charte pourrait supprimer tout simplement ce financement, comme recommandé d’ailleurs par les forces vives, ou établir de nouveaux mécanismes avec un contrôle renforcé de la Cour des comptes.

Enfin, des réflexions sont en cours autour de la limitation du nombre de partis autorisés. Si lors des dernières consultations des forces vives, fin avril dernier, elles avaient recommandé un maximum de cinq partis politiques dans le pays, certains évoquent l’instauration d’un système de regroupements politiques ou de blocs afin de structurer durablement la scène politique autour de grandes forces idéologiques cohérentes. Une telle configuration pourrait renforcer la lisibilité du débat public et la stabilité des institutions.

« Il faut que les nouveaux partis politiques naissent sur la base d’une idéologie. Les gens ont détaché la politique de l’idéologie. Or si l’on détache la politique de l’idéologie, on ne pourra plus faire la différence entre les partis politiques et le peuple n’aura plus de grille de lecture pour faire un choix conscient et civique », appuie l’analyste politique Ousmane Bamba.

Nouvelle architecture en vue

La dissolution des partis politiques actée le 13 mai 2025 ne signe pas la fin du jeu politique au Mali, mais son redémarrage sur des bases profondément remaniées. Pour exister dans le cadre du nouveau dispositif légal en gestation, les anciens partis devront se restructurer ou fusionner et revoir leur mode d’organisation. Si certains disparaîtront, d’autres renaîtront sous de nouvelles formes.

Lors de ce « nouveau départ », de nouveaux acteurs pourraient émerger. Des mouvements citoyens, des collectifs de jeunes, des personnalités issues de la société civile ou de la diaspora, ou même des jeunes leaders issus des anciennes formations politiques pourraient incarner une nouvelle dynamique. Le renouvellement générationnel et idéologique, souvent souhaité mais rarement observé, pourrait enfin s’amorcer.

Toutefois, cette probable recomposition de la scène politique ne va pas sans risques. Certains craignent que la refondation de la vie politique en cours dans le pays ne serve à verrouiller le système au profit d’un cercle restreint de fidèles du pouvoir.

Si la tentation d’exclure ou de marginaliser les voix discordantes semble bien réelle, le défi pour la Transition sera de concilier assainissement politique et pluralisme démocratique.

Le ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Réformes politiques et du Soutien au processus électoral, Mamani Nassiré, assure que le gouvernement mettra tout en œuvre pour élaborer la nouvelle charte dans un contexte inclusif.

Dans le processus de rédaction du nouveau texte, il affirme que les autorités de la Transition feront appel à toutes les personnalités qui peuvent y contribuer, y compris les anciens acteurs politiques.

Mohamed Kenouvi

Cinéma : Le 7ème art à l’épreuve du temps et du numérique

Jadis fleuron du 7ème art africain avec des figures emblématiques telles que Souleymane Cissé (Yeelen, Prix du Jury à Cannes en 1987), le cinéma malien traverse aujourd’hui une période d’incertitude et de transition complexe. Depuis la dernière consécration majeure en 1995, avec « Guimba, un tyran, une époque » de Cheick Oumar Sissoko, le Mali n’a pas remporté l’Étalon d’or de Yennenga au FESPACO, ce qui souligne les défis persistants du secteur.

Le Centre National de la Cinématographie du Mali (CNCM) dispose d’un budget limité, souvent insuffisant pour soutenir une production régulière et de qualité. En 2019, le CNCM avait annoncé un budget de plus d’un milliard de francs CFA pour relancer le cinéma malien, mais les résultats tardent à se concrétiser et laissent les intervenants du secteur dans le désarroi. Parallèlement, la fermeture de nombreuses salles de cinéma réduit l’accès du public aux œuvres locales, entravant la diffusion et la rentabilité des productions.

L’essor des plateformes de streaming telles que Netflix, YouTube et Amazon Prime a transformé la consommation audiovisuelle en Afrique. De plus, Nollywood, l’industrie cinématographique nigériane, a su tirer parti de cette révolution numérique en devenant la deuxième plus grande industrie cinématographique mondiale en termes de volume de production. En revanche, le cinéma malien est sous-représenté sur les plateformes, ce qui limite sa visibilité et son accès à de nouveaux marchés. Le 7ème art malien, bien que voyant le train en marche, n’arrive toujours pas à s’accrocher à la locomotive.

Rôle social et perspectives de collaboration

Malgré ces défis, des cinéastes maliens comme Hawa Sogoba, Fatou Cissé, Mariam Cissé, Fousseyni Maïga, Tapa Kéïta ou Youssouf Doumbia continuent de produire des œuvres engagées, abordant des thématiques de réconciliation et d’espoir dans un contexte de conflits. Par exemple, Hawa Sogoba a souligné l’importance de collaborations entre le Mali et des industries cinématographiques dynamiques comme Nollywood pour ouvrir de nouvelles perspectives et inspirer une nouvelle génération d’artistes.

D’après certains observateurs, pour revitaliser le cinéma malien, une stratégie intégrée est nécessaire. Laquelle passera par une augmentation des investissements, le développement d’infrastructures modernes, la formation des professionnels et surtout l’intégration dans les circuits de diffusion numériques. Par ailleurs, à travers une volonté politique affirmée, en s’appuyant sur son riche héritage culturel et en s’adaptant aux nouvelles dynamiques du marché, le Mali peut aspirer à retrouver une place de choix sur la scène cinématographique africaine et internationale.