Présidentielle 2018 : Après 5 ans, IBK de retour à Kidal

Le président IBK est actuellement à Kidal jusqu’à demain matin dans le cadre de sa tournée électorale. Sur place, il a rencontré les responsables de la CMA, les autorités traditionnelles et échangé avec la population, sur des questions cruciales comme la mise en oeuvre de l’accord de paix, le statut de l’Azawad et la sécurisation du processus électoral.

Cela faisait 5 ans que le président IBK n’avait pas foulé du pied le sable de Kidal, où il a atterri ce jeudi 19 juillet aux environs de treize heures dans un avion affrété de Gao par la Minusma. Sa venue dans ce bastion du Nord, fief des ex-rebelles de la CMA, s’est faite dans une relative discrétion. Cette étape, fortement symbolique dans la tournée électorale du candidat, avait d’abord été annoncée pour le 9 juillet dernier avant d’être à nouveau décalé au 19 juillet.

Sur le Tarmac de l’aérodrome de la Minusma, le président-candidat a été accueilli par Bilal Ag Chérif, président en exercice de la CMA, Mohamed Ag Intalla, l’Aménokal des Ifoghas ainsi que par les autorités traditionnelles de la ville.

Le cortège composé de plusieurs véhicules 4×4 s’est ensuite dirigé vers le siège du DDR, un ancien hôtel, ou le président a pris ses quartiers et a déjeuné avec ses hôtes avant de gagner le siège de l’autorité intérimaire, en fin d’après-midi, pour un meeting. C’est en présence des différents cadres et responsables de la CMA, de la société civile, des femmes et des jeunes, que le président candidat a fait un discours où il s’est engagé à construire sur place un aérodrome international, ainsi qu’un hôpital régional. Le président-candidat a ensuite pris part à des échanges directs avec l’assistance, notamment sur le retard dans la mise en œuvre de l’Accord et la question de la reconnaissance de l’Azawad.

Le président et ses collaborateurs passeront la nuit dans la ville où un impressionnant dispositif de sécurité a été déployé. Dans les airs d’abord, où les chasseurs de la force française Barkhane ont patrouillé le ciel lors du déplacement du président, et sur terre où sa sécurité est assurée à 100 % par les forces de la CMA et de la CSMAK, la police locale. Pour l’occasion, la ville a été bouclée à l’intérieur comme à l’extérieur, jusqu’à quelques kilomètres autour de Kidal. Les Famas, récemment intégrés dans le Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC), n’ont pas été convié à sortir de leur camp pour venir renforcer le dispositif de protection du président-candidat.

Si il y a 5 ans, l’ambiance était un peu tendue avec notamment des manifestations contre la venue du candidat, il n’en a rien été pour sa seconde visite dans la cité des Ifoghas, même si les « vives IBK » n’ont pas ponctué l’arrivée du président-candidat comme on a pu l’entendre sur d’autres étapes de sa tournée. On pouvait tout de même lire sur des banderolles, des messages de bienvenue à l’adresse d’Elhadj Ibrahim Boubacar Keita. « Pour nous, c’est comme la visite de n’importe quel candidat à l’élection présidentielle. Ce qui nous importe, c’est leur potentiel à mettre en œuvre l’accord de paix d’Alger. Nous avons déjà expérimenté IBK ces 3 dernières années. Nous nous baserons sur ce qu’il va dire et les propositions concrètes qu’il va faire, sachant que parfois les déclarations faites ne sont pas forcément suivis d’effet », affirme Mohamed Ould Mahmoud, actuel porte-parole de la CMA, qui réfute toute inclinaison particulière pour le président candidat. « Il y a des cadres de la CMA qui le connaissent, depuis même avant le temps de l’Accord, mais nous savons aussi que pour ce qui est de l’Accord, il n’a pas fait grand-chose. En fait, on ne sait pas si ça a évolué avec lui. Ça a plutôt évolué avec le premier ministre actuel, Soumeylou Boubeye Maiga. On a quand même eu à faire à 4 premiers ministres ! Donc, nous ne sommes pas forcément très proches d’IBK, mais nous restons quand même très liés à la mise en œuvre de cet accord, car c’est la seule chose qui nous lie avec le Mali et c’est le candidat qui nous satisfera le plus à ce niveau qui aura notre faveur » poursuit Mohamed Ould Mahmoud.

Pour Nasser, habitant de Kidal, qui déclare sans ambage, « je ne voterai pas ! », ce ne sont pas les quelque 30 000 potentiels votants que vise le gouvernement malien à travers cette venue à Kidal, mais plus la garantie que, « les élections se tiendront bien à Kidal le 29 juillet de 8 h à 19 h et sans incident. Ça démontrerait que Kidal est devenue une ville malienne comme les autres », explique-t-il.

Le bon déroulement du processus électoral, c’est justement l’un des enjeux des discussions que le président-candidat aura avec les responsables de la CMA avec qui il devrait s’entretenir dans la soirée. « La CMA a posé des conditions pour être impliquée dans le processus électoral : la prise en charge des militaires, la sécurisation des élections, les autorités intérimaires au niveau des cercles. Ce sont autant de questions auxquelles nous attendons des réponses, car nous voulons dans les zones que nous contrôlons, assurer la sécurité du processus électoral à 100 %. Nous sommes un mouvement politico-militaire et nous entendons jouer un rôle important et prépondérant dans la sécurisation de ce processus », avertit le porte-parole de la CMA.

Ces audiences avec des personnalités de la CMA, pourraient achever de convaincre ceux qui doutent encore, à 5 jours de la visite de son principal concurrent Soumaila Cissé, même si, comme le concède ce cadre de la CMA sous anonymat, « plusieurs responsables de la CMA soutiennent IBK, car ils estiment qu’il y a eu un début d’exécution de certains points de l’accord sous son mandat. Pour eux, il vaut mieux le soutenir pour parachever ce qu’il a commencé ».

Le candidat IBK devrait quitter Kidal demain matin pour s’envoler  pour Tombouctou.

Étienne Poudiougou : « C’est une manœuvre pour m’évincer de la mairie de Koporo-Na »

Étienne Poudiougou, maire de Koporo-Na (cercle de Koro) a été suspendu le 14 avril dernier de ses fonctions pour avoir rédigé une lettre intimant à la communauté peule de quitter sa commune. L’élu, traité de « raciste » par certains, qui vit aujourd’hui caché, a expliqué à Journal du Mali les tenants et aboutissants d’une affaire qui a secoué le pays tout entier.

Dans quelles circonstances avez-vous été amené à rédiger cette lettre ?

Je tiens d’abord à dire qu’il n’y avait pas de confrontation entre Peuls et Dogons dans mon village, pas de situation conflictuelle. Le samedi 7 avril, il y a eu une réunion sur la paix et la réconciliation à Pel Maoudé. À l’issue de la rencontre, les participants étaient convaincus que ces histoires de conflits entre Peuls et Dogons allaient prendre fin et étaient satisfaits. Parallèlement se tenait à Koro une autre réunion, rassemblant les chasseurs de Koro et de Koporo-Na. Peu de temps après, des soi-disant chasseurs de Koporo-Na sont revenus avec un papier, qu’ils ont distribué aux chefs de village, leur intimant de chasser les Peuls de leurs localités.

Il y avait donc déjà eu un appel à chasser les Peuls ?

Oui, et j’en ai été le premier surpris quand j’ai été saisi de la diffusion de cette propagande. J’ajoute que le dimanche j’avais reçu des appels disant que, pendant notre réunion, j’avais demandé à ce que l’on chasse les Peuls de la commune. Dès le lundi 9 avril, j’ai convoqué d’urgence tous les chefs de village. Je leur ai dit que cette situation était inacceptable, car nous vivons avec les Peuls depuis toujours et que les chasser était impensable. Ils étaient d’accord et nous avons décidé d’envoyer une mission à Koro pour avertir de ce qu’il se passait. Nous avons contacté les chasseurs pour qu’ils préviennent leur coordination à Koro. Il y avait 7 personnes dans la délégation, dont moi-même. Le 10 avril, tout le monde était présent, sauf les chasseurs. Nous sommes repartis. Durant notre trajet, nous les avons appelés plusieurs fois, mais ceux que nous avons contacté ont refusé de décrocher leur téléphone.

Vous pensez que les chasseurs sont derrière cette propagande ?

Le chef des chasseurs de Koporo-Na, ainsi que l’adjoint de la coordination des chasseurs, que nous avons rencontrés, nous ont fait savoir que leur confrérie n’était pas au courant et n’avait rien à voir avec cela. Je doute que ceux qui ont décidé ça soient vraiment des Dozos. Toujours est-il que je suis revenu à Koporo-Na pour y passer la nuit. J’ai été appelé par un proche qui m’a dit que deux personnes étaient venues le voir et lui avaient dit que je devais faire un communiqué demandant aux Peuls de quitter le territoire de la commune. Si je refusais, je serais tué, ainsi que ma famille et tous les Peuls. J’ai eu peur et j’ai écrit la lettre, pour me protéger, protéger ma famille et protéger les Peuls de ma commune.

Pourquoi ne pas en avoir d’abord parlé aux autorités ?

J’ai agi sous la menace et parce que je n’avais aucune protection. Je suis d’ailleurs toujours menacé. Je me désengage de cette lettre. C’est parce que j’ai refusé que le message de propagande soit diffusé partout dans ma commune que j’ai été considéré comme un ennemi. Les Peuls de Koporo-Na peuvent témoigner que ce n’est pas mon genre de tenir de tels propos. Je n’ai aucun sentiment xénophobe envers eux, nous avons toujours vécu en harmonie.

L’avis manuscrit rédigé le 12 avril dernier par Etienne Poudiougou, maire de Koporo-Na.

Selon vous, qui se cache derrière ces menaces et dans quel intérêt ?

Je suis visé par des personnes mal intentionnées. Pour que leur propagande soit crédible, elles m’ont forcé à écrire cette lettre en tant que maire. C’est une manœuvre politicienne pour m’évincer de la mairie, en faisant peser sur moi de graves accusations. Les deux personnes qui ont proféré ces menaces de mort sont connues, ce sont des émissaires de mes concurrents politiques. Je fais partie de l’UDD (Union pour la Démocratie et le Développement), le Président de la section de Koro, à laquelle j’appartiens, est Maître Hassan Barry. Comment peut-on me considérer comme raciste alors que le Président de la section locale de mon parti est un Peul ?

Qui sont ces concurrents politiques ?

Je ne peux pas les citer. Cela a commencé lorsque le maire élu est décédé. J’ai été désigné pour être le nouveau maire, ce qui a créé des contestations et des jalousies. Certains ont refusé ma nomination. L’affaire est allée jusqu’à la Cour suprême, mais leur requête n’a pas abouti. L’UDD a conservé la mairie. Les perdants n’ont jamais accepté cela malgré la décision de la Cour suprême.

La communauté peule a-t-elle commencé à quitter le commune ?

les Peuls sont toujours là , aucun chasseur n’est venu leur dire de partir. Aucun peul n’est venu me visiter à ce sujet.

Craignez-vous toujours qu’on attente à votre vie et comment voyez-vous l’avenir ?

J’ai quitté Koporo-Na pour me protéger. J’ai quitté ma maison et je suis parti loin. Je ne peux pas vous dire où je me trouve. Je reviendrai, mais actuellement la situation ne le permet pas. Je suis victime d’une conspiration et je ne sais pas ce que l’avenir me réserve.

Ouagadougou : l’Ambassade de France et l’État-major des armées visées

La capitale burkinabé a subi ce vendredi matin aux alentours de 10h plusieurs attaques d’hommes armés. Des tirs ont été entendus à l’ambassade de France située dans le quartier de la Primature ainsi qu’à l’État-major des armées ou une forte explosions à retentit. Une fumée noire s’élève au-dessus des bâtiments. Les forces spéciales burkinabés sont rapidement intervenues. Selon le gouvernement burkinabé, les attaques visaient l’ambassade de France et l’état-major des armées. 3 assaillants dont l’identité n’est pas encore confirmée ont été ‘’neutralisés’’ selon le porte-parole du gouvernement, alors que le Service d’information du gouvernement (SIG) burkinabé a précisé que quatre assaillants avaient été « neutralisés » lors de l’attaque de l’ambassade . Le gouvernement français a appelé ses ressortissants à rester ‘’confinés’’ et indique que situation est ‘’ sous contrôle’’ à l’ambassade et à l’institut français.

et le ministre de la Défense, Jean Claude Bouda, a dit à Reuters que trois assaillants avaient été tués à l’état-major.

Bien que pour le moment l’identité et le mobile des assaillant soient encore flou, la piste terroriste semble très probable.

Talataye : Vivre dans la peur

Depuis une dizaine de jours, la commune rurale de Talataye, une localité isolée située dans le cercle d’Ansongo, est en proie à de vives tensions. Terrorisme ou conflit interethnique, enjeu sécuritaire et jeux d’intérêts entre groupe armés, ont installé un climat délétère dans cette commune, restée longtemps dans le giron de la CMA et qui vit depuis des années comme repliées sur elle-même.

En ville, quand ils sortent, les gens ne s’attardent plus, le marché de Talataye d’habitude très fréquenté qui attire les samedi, forains, éleveurs et commerçants des alentours, comme du Niger et de l’Algérie a désempli, la peur et l’incertitude ont gagné la population depuis l’attaque par des hommes armés non-identifiés, le 2 février dernier, du village voisin d’Inwelane, qui a fait 4 victimes, dont l’imam de la mosquée pris en otage puis égorgé par les assaillants. La présence d’un important contingent du Mouvement pour le Salut de l’Azawad ( MSA ) épaulé par le GATIA ( Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés ), qui ont pris en chasse ces hommes armés qualifiés de djihadistes, au lieu d’amener la sécurité et l’apaisement semble avoir exacerbé les tensions. « Le MSA, après avoir pourchassé les présumés djihadistes, est revenu en armes à Talataye quatre jours plus tard. Ils nous ont dit que ceux qui ont attaqué Inwelane étaient des djihadistes et qu’ils avaient été guidés par des gens de Talataye. Ils cherchaient 5 personnes, mais ils ne les ont pas trouvées, car la plupart des hommes apeurés ont quitté le village ne laissant que les femmes et les enfants. C’est là que le harcèlement, les arrestations et les violences ont commencé et ont duré 3 jours », confie amèrement ce commerçant, affecté psychologiquement et qui songe depuis ces événements à quitter la commune. Pour le MSA, dans cette localité où l’on tient à la mosquée des prêches rigoristes, où on contraint les femmes à ne pas se rendre au marché et à se vêtir convenablement, la proximité de certains habitants avec les djihadistes ne semblait faire aucun doute.

Pourtant, dans la commune, bien que l’on ne sache pas réellement qui sont les assaillants, la thèse d’une attaque commise par des éléments djihadistes ne convainc pas vraiment. Les regards se tournent plutôt vers Inwelane où quelques semaines auparavant un éleveur peul a été assassiné et son bétail volé par des hommes armés du village, un état de fait loin d’être rare dans la zone.

Djihadistes ou conflit interethnique ?

« Les gens d’Inwelane et de Talataye appartiennent à la même communauté, les Daoussahak. La majorité des combattants du MSA viennent du village d’Inwelane et ils sont tous armés là-bas. Les gens de Talataye ont désapprouvé l’assassinat de ce Peul, ils en ont même appelé à la justice pour dire qu’ils ne veulent pas de ça chez eux, qu’ils ne veulent pas de problème avec d’autres communautés, une position qui n’a pas vraiment été appréciée à Inwellane. Je pense que cette attaque était surtout un règlement de compte. Si le MSA préfère dire que ce sont des terroristes, c’est peut-être qu’en disant cela ils pensent pouvoir obtenir un soutien du gouvernement ou de la communauté internationale», affirme cet habitant de la commune sous anonymat.

Un avis partagé par Salah Ag Ahmed, le maire de Talataye : « Je ne peux pas dire que ceux qui ont attaqué Inwelane sont des terroristes. Mais ils étaient majoritairement composés de Peuls et malheureusement les gens, dans l’ignorance, considèrent que tous les Peuls sont avec les terroristes. Quand les gens ont appris qu’un Peul avait été assassiné et volé, ils ont tout de suite su qu’il y aurait une réaction et ça n’a pas tardé », explique-t-il.

En dehors de cette attaque qui semble être à forte connotation ethnique, un autre enjeu, en forme de bras de fer, oppose la population de Talataye au MSA : la sécurisation de la commune, dans laquelle le mouvement armé aimerait implanter un poste de sécurité.

Sécurité et jeux d’intérêts

À Talataye, on voit d’un très mauvais œil l’installation d’une force armée dans le village, qui pourrait remettre en question la paix relative qui règne dans la commune. « La population de Talataye était en parfaite entente avec tous ses voisins, l’arrivée d’un groupe armé va créer plus de problèmes. S’il y a des attaques, la population dans sa grande majorité préfère que ce soit résolu d’une autre manière que par la force, parce qu’avec la force des représailles s’ensuivront. », soutient le maire de la commune. « Je n’ai aucune confiance dans les groupes armés, car ils sont comme les terroristes, ils ne suivent aucune loi, ils font ce qu’ils veulent », assène cet autre habitant.

Reste que la commune de Talataye demeure une zone convoitée par les groupes armés car elle est en quelque sorte une plaque tournante entre l’Algérie et le Niger. Le marché y est très important d’un point de vue économique et ces retombées conséquentes pourraient permettre à ces groupes de financer certaines de leurs activités. « C’est une zone qui a longtemps échappé au contrôle des mouvements armés qui sont vers Ménaka, le GATIA et le MSA , ça devient même un défi pour eux de la contrôler », explique Salah Ag Ahmed

« Moussa Ag Acharatoumane, le Général Gamou, Alghabass Ag Intalla, ils sont tous venus à Talataye, ils ont fait des réunions avec les responsables de la localité. ils veulent avoir leur part dans la gestion de la commune, car c’est une zone importante. Je pense que la population préférerait être sécurisée par le HCUA ( Haut conseil pour l’unité de l’Azawad ) puisque le maire est de ce mouvement. Il habite à Kidal et vient très rarement ici. Il doit certainement y avoir une rivalité entre la CMA ( Coordination des mouvements de l’Azawad ) et le MSA pour contrôler la zone », ajoute cet élu d’un village voisin.

À Talataye, un des villages où le drapeau du MNLA ( Mouvement national de libération de l’Azawad ) a flotté pour le première fois avant même l’éclatement de la rébellion, cette question de la sécurisation de la commune a pour le moment engendré un statu quo. Le MSA est parti avec armes et bagages, en début de semaine, en direction d’Indelimane, mais la population sait déjà qu’ils reviendront. La gestion de cette petite localité du cercle d’Ansongo reste un enjeu pour ces groupes armés qui ne semblent considérer la population que comme un faire-valoir à sécuriser, posant par la même des questions qui pour le moment restent sans réponse : peut-on protéger une population contre son gré ? et qui protégera cette population de ses protecteurs ?

EXCLUSIF/ Zeina Walet Ilady : « Barkhane doit partir ou c’est nous qui partirons ! »

Depuis le début du mois d’octobre à Kidal, au Nord du Mali, les manifestations s’enchaînent contre la Force Barkhane et ses méthodes. La mort entourée de mystère, il y a un an, de Cheikh Ag Aoussa, ex-numéro 2 d’Ansar Dine, chef militaire redouté et sulfureux du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), dans l’explosion de son véhicule, est venue s’ajouter à l’hostilité suscitée par les récentes actions coups de poings de la force française. Beaucoup à Kidal pointent du doigt son rôle trouble dans la mort de ce faucon de la rébellion touarègue. Au premier plan, Zeina Wallet Ilady, la veuve de Cheick Ag Aoussa, instigatrice des manifestations qui agitent la capitale de l’Adrar des Ifoghas. Cette femme d’influence est déterminée à tout faire pour que la force Barkhane « dégage » de la région.

La force Barkhane a procédé à plusieurs interventions qui se sont soldées par des arrestations dans Kidal et sa région depuis le début du mois d’octobre. Des manifestations contre Barkhane, dont vous êtes l’une des principales instigatrices, ont lieu depuis, chaque semaine. Pourquoi une telle hostilité envers la force française ?

Depuis que Barkhane est ici, je ne vois pas ce qu’ils ont fait de bien pour Kidal. Ils arrêtent nos hommes, prennent des innocents qu’ils nomment terroristes et quand ils ont fini avec eux, ils les donnent au Mali. Quand on se tourne vers le Mali pour les faire libérer, il faut donner de l’argent, prendre des avocats, payer 2 à 3 millions de francs CFA. Ils « bouffent » ça et personne ne sort. Puis Barkhane revient encore pour prendre les gens en disant que ce sont des terroristes. Pour moi, c’est Barkhane les terroristes ! Moi, c’est eux que je crains. Leurs actes sont comme ceux des terroristes. Ils rentrent dans les maisons des personnes, les violentent, parfois les tuent, brûlent leurs biens. Pour  moi, c’est la même chose.

Pourtant ils luttent contre le terrorisme justement. Il y a eu des résultats…

On n’est pas contre Barkhane parce qu’on serait avec les terroristes ou parce qu’ils luttent contre le terrorisme. Mais Barkhane ne combat pas les terroristes, ils font de vastes coups de filet et s’en prennent aux gens de la région. Au final, c’est eux qui nous terrorisent ici chez nous, ils font ce qu’ils veulent. Je suis en charge de la gestion de la ville d’Abeïbara concernant la santé, la nourriture, l’éducation, etc. Je travaille aussi à faire revenir les jeunes dans la région. Mais personne ne souhaite revenir. Quand on essaie de les sensibiliser au retour, ils répondent : « On va nous prendre pour des terroristes, ils vont nous mettre en prison et qui nous défendra demain ? ». Comment voulez-vous les sensibiliser dans ces conditions ? On est contre tout ce que fait Barkhane ici.

 Durant vos manifestations on pouvait entendre et lire sur des banderoles les slogans « Barkhane dégage ! », « Dehors la France ! ». Souhaitez-vous vraiment le départ de la force Barkhane qui, par ailleurs, est aussi impliquée dans des actions de développement à Kidal ?

Mon souhait est que Barkhane quitte la région de Kidal. Ils savent que le terrorisme n’est pas concentré à Kidal ou dans la région. Ils savent où sont les terroristes, ils n’ont qu’à y aller avec leurs hélicos. À Kidal, ils ne développent rien. Ils ont donné un financement pour une école, ils ont refait la peinture, placer des fenêtres et mis une plaque qui prouve qu’ils ont fait quelque chose pour Kidal. Pour les autres actions de développement, je ne sais pas si c’est Barkhane, je pencherais plus pour la MINUSMA.

Vous ne mettez pas la MINUSMA dans le même sac que Barkhane ?

La première manifestation qu’on avait faite, c’était il y a un peu plus d’un an contre la MINUSMA car elle avait tué, lors d’une marche de contestation, deux jeunes. Pour moi, il y a moins de problèmes avec la MINUSMA car elle vient en aide aux populations, elle aide au développement de la région, elle transporte nos gens. Certains, durant nos manifestations, ont voulu s’en prendre à la MINUSMA. Je condamne ça. On a plus de problèmes avec Barkhane qu’avec la MINUSMA.

Jusqu’où êtes-vous prête à aller avec ces manifestations ?

C’est simple, Barkhane doit partir ou c’est nous qui partirons ! Soit elle nous laisse Kidal ou bien on s’en va ! Chaque nuit, leurs avions survolent Kidal, on a du mal à dormir avec ça. Il y a aussi leurs patrouilles qui posent problème. Depuis un certain temps ils ne viennent plus chez moi, mais avant il venait devant ma porte. Les enfants n’osaient pas sortir, les gens n’osaient pas rentrer. Même quand la porte était fermée, ils venaient regarder dans ma cour. Je ne sais pas pourquoi. Nous allons continuer de manifester contre Barkhane chaque lundi, jusqu’à ce qu’il y ait une solution !

 Avez-vous essayé de rencontrer la force française pour vous expliquer avec eux ?

Je n’ai pas parlé avec Barkhane, je n’ai même pas cherché à parler avec eux. Le 8 octobre dernier, date anniversaire de la mort de Cheikh (Cheikh Ag Aoussa, son époux – ndlr), lorsque la population est sortie pour manifester, Barkhane est sortie du camp avec ses véhicules dans la foule, alors qu’il y avait beaucoup de tension. Les gens mécontents leur ont jeté des pierres. Elle aurait dû normalement rester dans son camp parce que les gens manifestaient. Ils ont été caillasses parce qu’on ne veut plus les voir dans la ville.

Cela fait un an que Cheikh Ag Aoussa, votre mari, est décédé dans l’explosion de son véhicule, non loin du camp de la MINUSMA. Pour vous, que s’est-il passé ce 8 octobre 2016 ?

Ce jour-là, mon mari m’a dit qu’il avait une réunion à laquelle il devait assister au camp de la MINUSMA, une réunion de sécurité. Donc, à 15h, il est parti. Il devait revenir à 17h pour venir me chercher et me mener chez ma mère, que je devais aller visiter. À 18h, il n’était toujours pas revenu. Je l’ai appelé, il ne répondait pas au téléphone. Après ça, on a entendu une grosse explosion en provenance du camp de la MINUSMA. Quelques instants après, les gens m’ont appelé et m’ont dit que c’est le véhicule de mon mari qui avait sauté.

Se sentait-il menacé ? Vous avait-il fait part de quelque chose ?

Je n’ai vu aucun signe particulier, mais je sais qu’avant ça, plusieurs fois, il y a les soldats de Barkhane qui sont venus le voir à la maison. Ils disaient à Cheikh qu’il travaillait avec des terroristes. Quand il y a eu l’attaque terroriste à Nampala, où 17 soldats maliens ont été tués, quelques mois auparavant, ils sont venus chez moi et ils ont montré un rapport à mon mari. Ils lui ont dit qu’à Nampala, les armes qui ont été saisies provenaient de chez nous. Cheikh leur a dit d’entrer. Ils lui ont dit qu’il y avait des gens d’Ansar Dine parmi les attaquants. Cheikh leur a répondu que s’ils savaient qu’il y avait des gens d’Ansar Dine alors il fallait aller les prendre. J’étais là, je suis au courant de ça.

Qui a assassiné votre mari, selon vous ?

Les Français m’ont pris mon mari. Je suis sûre que ce sont eux qui ont fait ça. À chaque fois que je suis allée au camp de la MINUSMA, j’ai toujours été fouillée. Ils vous font sortir de la voiture, ils vous fouillent, ainsi que le véhicule. Ça a été aussi le cas pour Cheikh avant qu’il ne rentre dans le camp ce jour-là, comme à chaque fois qu’il s’y rendait avec ses dossiers. Donc, c’est impossible que son véhicule ait pu entrer avec une bombe à l’intérieur du camp sans que la MINUSMA ou Barkhane ne soit au courant. Il n’y a qu’à l’intérieur que ça a pu se faire. Pour moi, c’est sûr que ça a été organisé, peut-être entre la MINUSMA et Barkhane, mais les responsables sont dans ce camp.

L’enquête n’a pas pu établir qui étaient les auteurs. Un an après, cherchez-vous toujours à savoir ce qu’il s’est réellement passé ?

Je continuerai à me battre pour savoir ce qui s’est passé, même si je ne sais pas comment je peux faire, comment je peux savoir. Mais je n’ai pas peur de mourir pour ça. Vous sentez-vous menacée ? Bien sûr. J’ai peur pour moi et pour la population. J’ai vu comment ils agissent ici. Je sais que je suis en danger quand je dis à Barkhane de dégager, mais je ne peux pas laisser faire ça.

Pour vous, la paix et la sécurité dans Kidal et sa région sont-elles possibles sans la présence des forces françaises ?

La paix, c’est la route qu’a prise la CMA depuis la signature de l’Accord de paix. Je suis d’accord avec ça, même si, selon moi, il n’y aura pas de paix véritable sans séparation d’avec le Mali. Le principal problème de la sécurité ici, c’est le manque de développement et de travail pour les jeunes. S’il y a ça, l’insécurité va diminuer, même si elle ne disparaîtra pas tout à fait. Mon souhait le plus cher est que Barkhane quitte Kidal. Quand ils seront partis, la sécurité sera une autre question à résoudre, et on verra à ce moment-là ce qu’il y aura lieu de faire.

Barkhane : « Nous montons nos opérations sur la base de renseignements solides »

La force Barkhane, suite à plusieurs opérations récentes, se retrouve dans le collimateur de la population de Kidal, qui manifeste régulièrement pour exiger son départ. Sur les réseaux sociaux, elle est la cible d’une campagne de critiques virulentes. Le Lieutenant – Colonel Philippe Bou, porte-parole de la force, a répondu aux questions du Journal du Mali sur cette hostilité visant la force française, qui semble déranger, particulièrement dans la région de Kidal.

Barkhane a procédé, ces dernières semaines à des interventions et des arrestations à Kidal et dans sa région. Qu’est-ce qui les a motivées et est-ce dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ?

Barkhane a pour mission principale de lutter contre le terrorisme. A ce titre, nous montons des opérations sur la base de renseignements solides et nous les conduisons seuls ou avec des forces partenaires, comme les FAMa. Ces interventions conduisent à prendre sur le fait des individus en possession de ressources liées à des activités terroristes, comme de l’armement, des munitions, du matériel explosif, ou pouvant servir à différents types d’attaques. De fait, les individus détenant ces ressources ont des comptes à rendre à la justice du Mali. Ceux qui n’ont rien à se reprocher mais qui se trouvent suspectés d’être en relation avec des groupes terroristes au moment de l’action sont naturellement relâchés après vérification.

Dans quelle mesure Barkhane peut-elle décider de perquisitionner le domicile d’un suspect, en utilisant la force si nécessaire ?

Contrairement aux groupes armés terroristes (GAT), nous agissons en toute transparence, dans un cadre en totale conformité avec le droit international et en liaison avec les autorités maliennes. Comme tout le monde le sait, les GAT sont armés et dangereux, pas seulement pour Barkhane. Faut-il rappeler le bilan des actions des GAT sur la population ? Donc, sans dévoiler quoi que ce soit sur nos méthodes, pour des questions de sécurité opérationnelle, Barkhane adapte son dispositif et ses moyens à la menace et à l’environnent du moment, en toute légalité.

Qu’ont permis toutes les dernières opérations ?

Elles ont été fructueuses. Dans le cas de l’action menée à Kidal le premier octobre, par exemple, du matériel conséquent a été saisi dans les habitations, notamment de l’armement, des munitions et des ressources importantes qui entrent dans la composition d’engins explosifs improvisés, comme des détonateurs ou du cordeau détonant. Ces engins explosifs provoquent la mort, indifféremment, de soldats ou de la population civile le long des routes. Les personnes résidant dans ces habitations ont donc des comptes à rendre à la justice. Ce qui n’a pu être saisi a été détruit, pour éviter un emploi pour des actions terroristes. Toutes nos actions, qui permettent localement de désorganiser, démanteler et neutraliser des réseaux de GAT ont été réalisées en totale transparence, avec les autorités de Kidal et la justice malienne.

Ces opérations ont déclenché plusieurs manifestations à Kidal. Barkhane est accusée d’avoir volé des bijoux, de l’argent. Pourquoi ces saisies et que deviennent ces biens personnels ?

Nous avons parfaitement suivi les manifestations dans la ville de Kidal. Qu’elles réunissent quelques centaines de personnes ou les plus modestes. Celles qui sont spontanées et celles qui sont orientées, provoquées, téléguidées. Il s’agit en fait de campagnes de dénigrement. Concernant les saisies, Barkhane agit en totale conformité avec le droit international et avec les autorités maliennes. Si du matériel saisi lors d’une opération doit être rendu après exploitation, il le sera systématiquement. Même si certaines procédures peuvent prendre un peu de temps. Plus précisément, s’agissant des bijoux et de l’argent par exemple, sachez que nos prises font l’objet d’un procès-verbal de la gendarmerie et que l’ensemble est remis, soit aux intéressés, si aucune charge n’est retenue contre eux, soit aux autorités maliennes, contre PV contradictoire, dans le cas inverse.

L’action de Barkhane est de plus en plus critiquée. Des véhicules de la force ont même été récemment caillassés. Certains vont même jusqu’à parler d’une « force d’occupation ». Comment expliquez-vous cela ?

Barkhane ne répond pas aux allégations. Elle agit, elle fait ce qu’elle dit, elle fait agir. Nos nombreux contacts avec la population et les autorités nous permettent de savoir que nos actions sont appréciées dans le domaine de la sécurité, mais aussi dans le partenariat avec les forces de sécurité maliennes, dans le domaine de la santé, de l’éducation ou de l’eau. Depuis le début de l’année 2017, 78 actions d’aide au développement ont été entreprises. Plus d’une vingtaine sont des projets d’envergure. Il faut plutôt regarder ce que nous apportons au Mali et à sa population, en termes de contribution à la sécurité et au développement.

Que compte faire Barkhane contre ces opérations visant à discréditer son action ?

Tôt ou tard, les masques tombent. Les gens comprennent où sont leurs intérêts. Les jeunes kidalois qui se sont vu récemment détruire leur sonorisation, mise en place pour une grande rencontre de football, dans le but de leur interdire le concert qui devait suivre, savent parfaitement ce que l’on veut leur imposer. C’est aux Maliens de se prendre en main et de préparer leur avenir, qui passe principalement par la sécurité. A Barkhane, nous poursuivrons notre mission en appui au Mali et à sa population.

 

Ménaka : Le MSA se désagrège

Il y régnait un calme quasi-exceptionnel, mais, depuis quelques semaines, la région de Ménaka tombe dans l’insécurité, avec des affrontements entre le MSA et des groupes armés vers la frontière nigérienne. Ces affrontements ont créé une fissure au sein du mouvement, avec la démission, le 11 octobre dernier, de  certains chefs de fractions de la communauté Daoussahak, au profit du HCUA, membre de la CMA. L’un d’eux, Siguidi Ag Madit, de la fraction Idoguiritan, a expliqué au Journal du Mali les raisons qui les ont poussé à faire ce choix.

Quels sont les chefs de fractions qui ont démissionné du MSA pour le HCUA ?

Le maire de la commune  d’Inekar, Almahmoud Ag Hamad Taha ; Alhassane Ag Afoya, ancien Président du conseil de cercle de Ménaka ; le marabout Hamad Ehya Ag Alwafi,  Rhissa Ag Mahmoud, chef de la fraction Tabhaw, et moi-même, chef de la fraction Idoguiritan, la plus grande fraction de la région de Ménaka, avons décidé de démissionner du MSA avec nos fractions.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à quitter le mouvement ?

La principale raison est directement liée à Moussa Ag  Acharatoumane, le chef du MSA. Quand il y a eu les affrontements entre la CMA et le GATIA, il avait dit que nous, les Daoussahaks, n’étions pas concernés et qu’il faut que nous ayons notre propre un mouvement. C’est ce que nous avons fait. Almahmoud Ag Hamad Taha et moi étions les seuls à le soutenir, ce jour-là. Depuis, il n’a fait que prendre des décisions sans nous consulter, il n’y a pas eu un seul jour où il nous a appelés pour  que nous prenions des décisions ensemble. Une de ces décisions nous a causé tous les problèmes du monde.

Laquelle ?

Quand il est allé au Niger, nous avons appris qu’il avait signé un accord pour combattre les Peulhs et les Arabes. Depuis, ces communautés nous font la guerre et nous n’avons pas les moyens de nous défendre. Il nous a aussi mis en guerre avec  les Imajaghans, dont le chef traditionnel est le député Bajan Ag Hamatou. Tous ces affrontements nous ont affaiblis et maintenant nos populations ne peuvent plus retourner chez elles, car les Daoussahaks ont tué un nombre important de Peulhs. Je n’ai jamais vu une telle catastrophe arriver à Ménaka. Ce problème-là nous préoccupe au plus haut niveau. C’est la paix que nous voulons. Il  ne va plus nous mettre en guerre contre les autres.

Quand Moussa est allé au Niger, qu’est ce qu’il a signé exactement ?

Nous avons appris qu’il nous avait engagés, nous, les Daoussahaks, dans une guerre contre les Peulhs pour aider à combattre le MUJAO, alors que le MUJAO est en guerre contre les forces étrangères. Si nous nous mettons en travers du chemin du MUJAO, il nous chassera de notre terroir. Le MSA ne peut plus faire face à ces gens-là, il ne peut plus nous protéger. Les  déplacés et les morts dont vous entendez parler, c’est à cause de cela.

Donc, ces Peulhs qui vous combattent font partie du MUJAO ?

Moi je ne sais pas vraiment. Je sais seulement que ce sont des Peulhs et des Arabes. Nous cohabitions ensemble paisiblement mais maintenant ils nous font la guerre à cause de ces décisions.

Quelles seront les conséquences de votre démission pour  le MSA ?

Je ne sais pas, mais nous ne sommes plus d’accord avec le leadership de Moussa. On ne peut plus tolérer que des gens d’ailleurs viennent travailler à Ménaka puis nous laissent. Moussa Ag Acharatoumane ne prenait que des personnes originaires de Talatayte (commune d’Ansongo – NDLR), pour tout ce qu’il faisait, et personne parmi nous, à Ménaka.

Vous étiez auparavant au MNLA. Pourquoi avoir choisi le HCUA?

Oui, c’est vrai, nous étions au MNLA. Notre engagement était avec le MNLA car c’est là-bas que nous étions et avions combattu. Mais nous ne nous sommes rendu compte de notre choix qu’après avoir déjà donné notre parole au HCUA. En même temps, il se trouvait que c’est avec Alghabass Ag Intallah (chef du HCUA – ndlr) que nous étions en contact. Nous avons intégré le HCUA aussi pour nous protéger de toutes ces guerres. Ce n’est pas pour l’argent ou autre chose.

Qu’espérez-vous de ce ralliement à la CMA ?

On n’aurait jamais dû quitter la CMA, surtout au moment où il y a eu des avantages,  avec l’Accord de paix. Le MSA n’est pas un grand mouvement, comme la CMA et la Plateforme. Nos enfants n’auront pas de place dans l’intégration, ni de  travail. C’est pour cela aussi que nous avons pris cette décision.

Commune de Dioungani : Les Chrétiens pris pour cible

Il est 14h30 quand, dans une cacophonie motorisée, 12 hommes armés convergent vers l’église catholique du village de Douna, chef-lieu de la commune de Dioungani, dans le cercle de Koro. Aux cris d’Allah Akbar, ils s’élancent en direction du bâtiment religieux. Les villageois comprennent vite ce qui va se passer et rentrent se cloîtrer chez eux. Nous sommes le vendredi 6 octobre, une date que la population et la communauté chrétienne de Douna n’oublieront pas. Deux longues heures d’une séquence violente et choquante, mais qui dans la commune, ces 8 derniers mois, est loin d’être inédite.

Une poignée d’hommes a pris position sur les principaux axes menant à l’église, tandis que d’autres escaladent le bâtiment et entreprennent méthodiquement de casser la croix en béton équipée d’un haut-parleur qui trône sur le toit. Elle finit par dégringoler et se briser au sol, accompagnée de clameurs de satisfaction. « Une femme est sortie et a essayé de leur faire entendre raison. Ils l’ont battue ! Malgré les coups, elle leur a dit qu’elle préférait être tuée que de ne rien dire. L’un des hommes a pris son coupe-coupe et lui a tailladé le bras », se remémore un habitant de Douna qui tient à garder l’anonymat. Une fois le lieu de culte décapité de son symbole, les hommes pénètrent dans l’église et rassemblent tout ce qu’ils peuvent : meubles, crucifix, portrait de la Vierge, effigie de Jésus, rideaux, nappe d’autel. Ils jettent le tout sur le sol en un grand tas. « Avec de l’essence, ils y ont mis le feu. Tout a flambé. Ils ont pris leur temps », témoigne un autre villageois. Les flammes ont déjà bien noirci les murs de l’église et calciné ce qui s’y trouvait, quand les profanateurs quittent le village en trombe, criant à la population abasourdie qu’il est interdit désormais d’y prier.

Malgré la destruction de nombreuses antennes-relais dans la commune, où plusieurs villages sont coupés du monde, la nouvelle se propage comme une traînée de poudre. 24 h plus tard, un contingent de l’armée malienne se rend sur place, inspecte l’église, fait une ronde, puis s’en retourne à sa base de Koro. À Douna, l’attaque a surpris, comme dans la paroisse de Barapeli, dont le petit village dépend. L’effroi a saisi les communautés qui redoutent que les djihadistes ne mettent en péril la présence chrétienne dans la commune.

Actes antichrétiens en augmentation « C’est la cinquième communauté visée », souligne un élu de la commune, « les djihadistes veulent imposer leur loi. Ils brûlent les églises et veulent chasser les Chrétiens ». « Depuis quelques mois, ils interdisent toutes les activités religieuses chrétiennes. Si ce n’est pas respecté, ils menacent de revenir pour sévir plus fort », confirme l’Abbé Edmond Dembélé, Secrétaire général de la Conférence épiscopale du Mali.

C’est le 15 avril dernier, lors de la nuit de Pâques, qu’une première attaque contre une église chrétienne est signalée à Didia, un village de la commune de Dioungani. Là-bas, les djihadistes ont intimé aux Chrétiens du village de ne plus sonner la cloche et de ne plus se rassembler. Le 15 août, ils s’en prennent au village de Djanwelli, dans la même commune, avec un procédé particulier. « Ils ont rassemblé Chrétiens et Musulmans sur la place publique et ont prêché le coran durant 3 heures, avant de leur ordonner de ne plus jouer du tam-tam et de ne plus chanter pendant la prière », raconte un commerçant du cercle de Koro. Le 26 août, c’est l’église du village de Bodwall qui est attaquée. « Ils ont voulu casser la cloche de la petite église, mais ils n’ont pas réussi. Alors, ils sont allés au hangar à palabre des Dogons et leur ont dit de dire aux Chrétiens de détruire leur église », poursuit le commerçant. Le 19 septembre dernier, ils défoncent les portes de l’église de Dobara, toujours dans la commune de Dioungani, rassemblent à l’extérieur tout ce qu’ils peuvent y trouver et y mettent le feu, avant de menacer de mort tous ceux qui dorénavant viendraient y prier.

Chasser les Chrétiens Dans l’importante paroisse chrétienne de Barapeli, qui s’étend sur 8 150 km², forte de 45 églises et de plus de 130 communautés dynamiques qui n’hésitent pas à bousculer les prêtres pour l’apostolat (propagation de la foi), on ne comprend pas pourquoi ces attaques visent seulement la commune de Dioungani. « La cohabitation entre Chrétiens et Musulmans était bonne. Dans les différentes fêtes religieuses, ils se rendaient mutuellement visite. Depuis l’arrivée des djihadistes, les choses ont changé. Certains, à l’est de Barapeli, pensent qu’il y a plus d’églises que de mosquées », relève un habitant. Une affirmation plausible pour ce prélat de la paroisse : « il est vrai que ces hommes armés, quand ils sont venus à Douna, ont dit à certains musulmans, « ils ont des églises partout et vous vous n’avez même pas assez de mosquées », et ils ont ordonné à ces gens d’en construire. En se basant là-dessus, on peut se dire que, peut-être, le dynamisme de nos communautés fait qu’ils pourraient se sentir un peu menacés », avance-t-il.

Une autre raison est évoquée par cet employé d’une ONG locale, qui rappelle que depuis des mois les djihadistes, au nom de l’Islam, ont interdit le tabac ainsi que les boissons alcoolisées. « À Douna, il y a deux églises. Ils ont seulement attaqué celle des Catholiques, pas celle des Protestants. L’église catholique a été attaquée parce que la consommation d’alcool n’y est pas prohibée alors que les Protestants l’interdisent. Dans le village, il y avait un maquis à côté de l’église attaquée. Après l’avoir saccagée, les djihadistes sont partis trouvés des consommateurs là-bas. Il y en avait deux, un Dogon et un Peul. Ils les ont frappé, ont bandé les yeux du Peul et sont partis avec. On a plus de nouvelles depuis », ajoute-t-il.

Pour l’Abbé Edmond Dembélé, la consommation d’alcool reste une explication négligeable. « Ce n’est pas seulement du côté des Catholiques, les adeptes de la religion traditionnelle, partout sur le territoire du Mali, sont aussi des consommateurs d’alcool. Je pense qu’il y a d’autres explications un peu moins sommaires ».

Dans les villages attaqués de la commune de Dioungani, désormais les Chrétiens font profil bas. Ils ne vont plus prier à l’église, conscients que ces lieux de culte sont devenus une cible privilégiée des djihadistes. « Nous leur avons dit de ne pas aller y prier pour leur sécurité et parce qu’il y a eu une forme de profanation de ces lieux de culte. Pour nous Chrétiens, ce qu’il s’est passé, ce sont des blasphèmes contre Dieu, Sa parole et Son église. Les fidèles sont inquiets. On est passé à un cran supérieur. Ils ne savent pas si demain ils se lèveront sur leur pied. Mais ils ne souhaitent pas partir, parce que le Mali est un pays laïc, que c’est leur village et qu’ils espèrent que des solutions seront trouvées et que le calme et la cohabitation pacifique qui régnait jusqu’ici reviennent », explique un curé.

À Douna, les blessures du 6 octobre mettront beaucoup de temps à se refermer. Pour les Chrétiens les plus âgés du village, qui ont vu la communauté se constituer, l’église se bâtir, ces images indicibles, ne pourront jamais être effacées.

Oumar Aldjana : « L’ANSIPRJ va complètement intégrer le MNLA »

Oumar Aldjana, chef politique et militaire de l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (ANSIPRJ), jette l’éponge. Il met un terme à son combat armé pour défendre la cause peule et rejoint le MNLA. Les intrigues politiques des leaders peuls à Bamako, les divisions, la suprématie des combattants de la Katiba Macina dans le centre du Mali, l’ont amené à prendre cette décision. « Quelque part dans l’Azawad », où il se trouve actuellement, l’ancien leader de la cause peule a expliqué au Journal du Mali ce revirement brutal, ainsi que les nouveaux combats qu’il compte mener.

Pourquoi avez-vous décidé de cesser de défendre la communauté peule ?

J’ai décidé cela après avoir analysé la situation de la communauté peule, à Bamako et sur le terrain. J’arrête le combat parce que les Peuls ne sont pas solidaires. À Bamako, ils ne mènent que des luttes politiques, qui sont des luttes de revenus, pas pour un revenu général, mais pour un revenu individuel ou de groupe. Ils sont très mal organisés, ils n’ont pas pu faire sortir la communauté de la crise. Tous les responsables de ces associations peules sont tous divisés. Nous n’arrivons plus à nous comprendre autour d’un même objectif. Je ne serai pas un pion du virus qui frappe ma communauté. J’ai voulu contribuer à la cause des Peuls et non créer le désordre. Mais je continuerai, en tant qu’observateur, à soutenir la cause peule à 100 %.

Comment vos hommes ont-ils réagi à votre décision ?

Vous savez, sur le terrain, beaucoup de Peuls sont engagés pour mener une lutte qui est le djihad.  Moi, je suis dans ma région et j’applique ma religion, mais je ne suis pas prêt à me convertir ou à convertir les miens à intégrer les rangs des moudjahidines. Les Peuls qui ont embrassé cette cause refusent qu’il y ait une autre force peule sur le terrain, une force qui ne soit pas djihadiste. Je ne souhaite pas combattre ces gens et mes moyens ne me permettent pas de les combattre. Après de longues concertations avec nos différents bureaux politiques, mes hommes ont convenu que mon idée était la meilleure, car nous ne sommes pas actuellement en position de combattre les djihadistes. Je sais que beaucoup de Peuls ne vont pas me comprendre, mais le temps seul me jugera.

Que va devenir votre mouvement, l’ANSIPRJ ?

L’ANSIPRJ, branche politique et combattante, va complètement intégrer le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et désormais en suivre les règlements et idéaux.

Pourquoi le MNLA ?

Je faisais partie du MNLA avant de fonder l’ANSIPRJ. Je crois en ce que le MNLA fait, j’ai confiance en Bilal Ag Acherif. Je n’ai jamais démissionné du MNLA. Il n’y a jamais eu une rupture de contact entre nous. J’ai été démarché par plusieurs mouvements, comme le CPA, le HCUA, le MAA. Je ne veux pas faire partie d’un groupe qui lève son arme pour l’injustice ou l’amalgame. Je crois donc qu’il est mieux de revenir dans mon mouvement, le MNLA.

C’est une bonne opération pour le MNLA, avec les listes de combattants à fournir en vue du DDR. Combien êtes-vous à le rejoindre ?

Effectivement, notre venue au MNLA va nous permettre d’intégrer et de respecter le processus de l’Accord d’Alger. Je n’ai pas le nombre exact de nos combattants qui vont rejoindre le MNLA, parce que chez nous c’est la majorité qui compte et que cette majorité a été d’accord pour rejoindre le mouvement.

Que pouvez-vous apporter au MNLA, alors que son aura est affaibli au sein de la CMA ?

Je vais désormais me battre pour l’Azawad et pour la communauté nomade, pour tout ce que Bilal Ag Achérif peut demander et qui est légitime. Pour moi, la CMA fait trop profil bas. Quand je vois ces multiples rencontres à Bamako, ces chefs rebelles qui sont trop intéressés par les perdiem alors que des communautés leur on fait confiance pour les mettre à leur tête, cela me déçoit beaucoup. Je ne comprends pas tous ces chefs rebelles qui siègent à Bamako. Je suis Peul, mais aussi Tamasheq. Je veux mener ces combats au côté de mes frères nomades, car la lutte continue.

 

Région de Mopti : La pieuvre Katiba Macina

« Le gouvernement travaille à stabiliser la situation sécuritaire dans la région centre du pays », affirmait le Président IBK, en évoquant la situation préoccupante au centre du Mali, à la tribune des Nations-Unies, le 19 septembre dernier. Pourtant, cette situation sécuritaire, qui n’a jamais vraiment été traitée, a empiré et permis à la Katiba Macina d’étendre sa mainmise sur la majeure partie des cercles de la région de Mopti.

Là-bas, des hommes armés à moto traquent et exécutent les agents de l’État ou les chefs de villages, kidnappent ceux qui ne veulent pas adhérer à leur mouvement, interdisent fêtes et baptêmes, soumettent la population à leur charia, imposent leur loi dans une grande partie des territoires enclavés de la région centre. « Si ce que vous entreprenez ne leur plaît pas, ils viennent vous stopper, vous bastonnent et personne ne réagit. Personne ne parle, par crainte d’être éliminé. Ça nous tient dans la peur. Ils sont les chefs ici, cela ne fait aucun doute ! », témoigne un habitant du cercle de Tenenkou.

Au fil des témoignages, on comprend vite que pour les habitants, la situation a empiré. Par manque de représailles, les djihadistes en toute impunité ont intensifié leurs actions. « Pour nous, l’État a démissionné laissant le champ libre aux djihadistes qui peuvent imposer leur loi », déplore ce commerçant de la ville de Tenenkou.

Les maîtres du centre En l’espace de quelques années, les hommes d’Amadou Kouffa, ont pu conquérir à peu près tous les territoires du Macina qu’ils revendiquent, sans réelle opposition ou résistance. « Quand ils se déplacent, ils sont généralement par 2, sur 3 ou 4 motos, et quand vous voyez 6 motos ou plus, ça veut dire qu’il va y avoir une attaque », décrit ce même commerçant. Pour lui, il ne fait aucun doute que la ville de Tenenkou, le coeur, la capitale du Macina, est visée par Kouffa et ses hommes. « On reçoit souvent des menaces, comme pour la Tabaski, mais les FAMA sont présents donc ils ne font rien. La vie continue, mais la psychose est là », assure-t-il. « Ils sont quasiment partout, c’est vrai », confirme cet enseignant de la ville, « ils ont quadrillé tous les cercles. Nous avons pensé qu’avec la crue des eaux ils ne pourraient pas se mouvoir. Mais nous avons constaté depuis quelques mois qu’ils ont même des pirogues et des pinasses à moteur. Ils interviennent et stoppent les gens même sur le fleuve  », poursuit-il.  « Dans les petits villages et les hameaux, ils viennent pendant la foire. Ils ne veulent pas voir de femmes mêlées aux hommes, dans les voitures ou les pirogues et les cravachent si elles ne sont pas voilées. Il y a des femmes qui se voilent chez nous, mais c’est devenu une obligation, avec des châtiments corporels si on ne s’y soumet pas. Ce n’est pas possible ! », s’agace ce chef de famille.

Depuis quelques mois, dans de nombreux cercles de la région de Mopti, la charia est appliquée à des degrés divers, de gré ou de force. « Souvent, vers le crépuscule, ils sortent et prennent les gens en otage dans les mosquées. Sous la contrainte de leurs fusils, ils font leurs prêches pour forcer les gens à les suivre, à faire ce qu’ils veulent. Même les grands marabouts sont agressés, comme celui de Dialloubé. Tout ça effraie les gens ! », explique un agent de santé du cercle de Youwarou, l’un des seuls corps de fonctionnaires de l’État à être autorisé par les djihadistes à circuler et travailler librement.

Une armée immobile Plusieurs personnes de la région confirment cette injonction générale à des pratiques plus rigoristes de l’islam. Seules les grandes villes où les forces de l’armée malienne sont cantonnées sont épargnées, alors qu’à quelques kilomètres, en brousse, la réalité est toute autre. « L’armée reste cantonnée en ville et ne patrouille pas aux alentours, car on lui a donné la consigne ferme de ne bouger que sur instruction. Et les instructions ne viennent pas », poursuit notre agent de santé. « Je pense que c’est dû aux complicités des djihadistes avec la population. Il suffit qu’un véhicule militaire sorte en brousse pour que l’information soit donnée et que les djihadistes placent des engins explosifs sur les routes. L’armée malienne a beaucoup souffert de ça dans le cercle de Tenenkou. Elle a enregistré beaucoup de morts », ajoute-t-il.

Les effectifs et les véhicules militaires peu adaptésà la réalité du terrain, face à des hommes armés à moto qui peuvent disparaître dans les brousses parmi les populations, sont pointés du doigt par de nombreux habitants, mais aussi un certain manque de volonté politique. « Si l’armée faisait ses patrouilles au niveau des hameaux, des villages, peut-être qu’ils cesseraient. Mais ils ne le font pas. À mon avis, jusque-là, on a pas vraiment voulu chasser les djihadistes de ces zones. Dans le Macina, à Diabaly, Diafarabé, Dogo, etc., on sait exactement ou se trouve les djihadistes. Les gens là-bas peuvent vous dire où ils sont », indique cet habitant de Mondoro dans le cercle de Douentza.

Une katiba en évolution Dans ce contexte où l’État est faiblement présent, les habitants de la région de Mopti sont partagés entre le recours à la force pour chasser les djihadistes et l’organisation de cadre de concertation pour discuter avec eux. « Il faut que l’on identifie leurs chefs et que l’on s’assoit pour discuter. La plupart de ces hommes sont des chômeurs. Il faut créer de l’emploi, si chacun a de quoi vivre, sans quémander ou voler, ils cesseront tout ça. En attaquant, on risque de tuer des innocents. L’État tirera sur ses propres enfants et ce n’est pas une solution », avance cet élu du cercle de Youwarou.

Toujours est-il que prochainement seront déployées dans la région, les forces de la Minusma et du G5 Sahel. Rien de nature à inquiéter les hommes de Kouffa aux dires de certains. «  La mise en place du G5 Sahel coïncide un peu avec la mise en place du G5 des djihadistes », lance le Dr Bréma Ély Dicko, chef du département sociologie-anthropologie de l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako et fin connaisseur de la région. « On assiste à une évolution dans les modes opératoires. Les djihadistes sont en train d’aller vers la deuxième étape de leur implantation, qui consiste à inviter les populations à aller vers des pratiques plus rigoristes de l’islam. Vers un islam fondamentaliste. Ce ne sont plus seulement les représentants de l’État qui sont menacés, mais les populations locales, sommées de pratiquer un islam pur, débarrassé de tout syncrétisme. C’est ce que l’on voit notamment à Kouakourou et à Dialloubé », explique le chercheur, qui avoue ne pas entrevoir de portes de sortie à cette situation critique, et qui craint que la logique du tout militaire, sans appui des populations, ne parvienne à venir à bout d’un phénomène désormais bien enraciné.

 

 

Nord et Centre du Mali : guerre contre l’éducation ?

Pour la nouvelle année scolaire, il y aura une augmentation de 70 % du nombre d’écoles fermées par rapport à l’année scolaire 2015 – 2016. Une situation due principalement aux menaces des groupes armés et au climat d’insécurité, mais aussi à une certaine méfiance envers le système scolaire national.

Leurs enseignants ont fui sans jamais revenir. Leurs écoles ont été saccagées, incendiées, par des individus armés. Dans le Nord et le Centre du Mali, les écoles fermées sont légion et créent une génération sacrifiée de garçons et de filles déscolarisés. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), l’année 2016 – 2017 s’est terminée avec 500 écoles fermées, soit 31 % de l’ensemble du Centre et du Nord du pays, et 150 000 enfants déscolarisés. La région de Mopti, avec 248 écoles fermées, est la plus touchée. « Les djihadistes ordonnent de fermer toutes les écoles non coraniques. Ils sont hostiles à l’école de la République. Partout où ils passent, ils menacent les enseignants, qui ont tous déserté. Pour eux l’école fondamentale vient du Blanc, et ils n’aiment pas ça », explique un habitant de Youwarou. Dans les territoires enclavés de la région de Mopti, où l’État et l’armée ne sont présents que dans les grandes villes et où l’islam est fortement enraciné, on rencontre aussi une hostilité naturelle envers l’école de la république, un état de fait antérieur à la présence des djihadistes. « Chez nous, c’est une question de culture. Auparavant, il y avait même des parents qui allaient jusqu’à payer des directeurs ou des enseignants pour que leurs enfants ne soient pas recrutés. Beaucoup profitent de la situation créée par les djihadistes car ils considèrent qu’un enfant qui va à l’école française deviendra difficilement un bon musulman », souligne un enseignant du cercle de Tenenkou, où 91 établissements scolaires sont fermés depuis l’année dernière.

Cursus franco-arabe, une solution ?  « Les écoles publiques sont mal vues parce que c’est le français qu’on y enseigne et que la population, comme les djihadistes, préfère les écoles coraniques », confirme Sékou Bakaye Traoré, Président du Conseil de cercle de Youwarou. Pour lui, il y a une solution qui pourrait favoriser qui pourrait favoriser la réouverture des écoles dans la région : la mise en place d’un système où l’on pourrait conjuguer apprentissage de l’arabe et du Coran et cursus conventionnel. « Je pense que l’État doit entreprendre certaines réformes. Il faut introduire l’arabe dans nos écoles dès le primaire. Les écoles franco-arabes, la population a toujours souhaité ça. Enseigner le français ici encourage l’islamisme. Je pense que si on fait ça, il y aura des effets importants. Ce sont des décisions politiques à prendre, mais je suis convaincu que, pour rouvrir les écoles, il faut modifier un peu les programmes », affirme-t-il.

 

Kouakourou : Résister ou se soumettre ?

À Kouakourou dans la région de Mopti, depuis plus de trois semaines, la population est cloîtrée, prise dans l’étau que resserrent peu à peu les djihadistes, qui occupent la forêt, empêchant quiconque d’entrer ou de sortir par voie terrestre ou fluviale. La présence passive de l’armée, dans une zone où les relations entre djihadistes et populations sont souvent complexes, exacerbe les tensions dans ce terroir où la loi du plus fort a le plus souvent cours.

« Dans tout Kouakourou, vous ne trouverez personne pour vous dire ce que nous vivons sur le terrain », affirme, méfiant, Moussa Kondo, ex-élu de la ville. Dans cette commune du cercle de Djenné, balayée par une crise sans précédent, le mot d’ordre est de se taire. « On parlera quand la situation sera meilleure », assure Kondo, même si les choses vont de mal en pis, comme la foire du village, activité économique principale de ce chef-lieu, qui depuis 3 semaines n’a plus ouvert ses portes. Et s’il n’y avait que ça. Les djihadistes, en représailles, ont brûlé les principaux moyens de subsistance du village, enlevé le cheptel et détruit plusieurs périmètres rizicoles. « Il y a vraiment un blocus là-bas , il ne peuvent ni entrer ni sortir, ni aller aux champs, les animaux de labours ont éte emmenés. Comme le blocus ne date pas de très longtemps, apparemment ils parviennent à s’auto-suffire. Même sur le fleuve quand vous essayez de passer pour aller à Mopti, les djihadistes interceptent les pirogues et les font retourner. Ils sont en état de siège ! », explique un habitant d’une commune voisine du cercle de Djénné. Kouakourou est en crise et la population en résistance. Les hommes patrouillent dans les rues, dans un climat de tension permanente qui redouble une fois la nuit tombée. « Tout le village est sur le pied de guerre. Tous les jeunes sont sortis, avec des gourdins, des haches, des harpons, des fusils de chasse. C’est inédit ! Nous faisons avec les moyens du bord, nous gérons ça à notre manière. Nous pensons que ça pourra marcher », lâche Moussa Kondo, la voix lasse, fatigué de rester en alerte de longues heures jusqu’à l’aube.

« Tout le village est sur le pied de guerre. Tous les jeunes sont sortis, avec des gourdins, des haches, des harpons, des fusils de chasse »

Les djihadistes, installés depuis 2015 dans la forêt voisine de Korori, ont fait récemment monter d’un cran la rigueur de leur charia, en exigeant des femmes et des filles qu’elles portent le voile. « Ils ont commencé à frapper les femmes qui n’obtempéraient pas, et pas seulement à Kouakourou. Ici, c’est principalement un village bozo, des pêcheurs, et à présent ils ne veulent plus que les femmes pêchent et ils les battent. Les hommes se sont révoltés et tout est parti de là », explique Abdramane Diallo, natif de la commune et membre de l’association Tabitaal Pulaaku, qui suit la situation de très près. « Les gens disent que les djihadistes sont des Peuls mais il y a plusieurs ethnies parmi eux, ils parlent la langue c’est vrai mais c’est la langue que tout le monde parle ici. Ils sont en armes, entraînés et capables du pire. Les villageois pensaient pouvoir leur tenir tête seuls, puis ils ont fait appel à l’armée, qui est venue et repartie, pour revenir encore. Les contingents sont là, ils campent et il ne se passe rien », déplore Abdramane Diallo.

Photo : AF 2014

Résister ou se soumettre « Les militaires sont avec nous et le village est mobilisé. Nous sommes derrière l’État », lance Moussa Kondo avec conviction. Pourtant, certains pointent du doigt l’inaction manifeste des forces de sécurité. « Elles sont en ville, mais il n’y a pas de patrouilles. Les djihadistes sont à quelques kilomètres et elles n’y vont pas. Rien ne bouge, rien ne change, le village est toujours sous embargo », confie une source sous anonymat.

« Là-bas, l’armée est plus le problème que la solution »

Pour Abdramane Diallo, la présence de l’armée dans la zone cause problème : « L’armée malienne n’est pas là-bas et quand elle vient c’est pour de timide opération coup de poing et puis elle s’en va, ça aggrave la situation car les djihadistes sont fâchés de savoir que les habitants ont fait appel à l’armée. Vous savez, avant qu’elle ne vienne, la population souhaitait négocier. Les djihadistes connaissent les villageois, ils cohabitent depuis deux ans. Généralement, ce sont des enfants du terroir, qui sont nés ou ont grandi ici. L’armée malienne doit soit jouer son rôle régalien, et les chasser, soit partir, et laisser la population transiger. Là-bas, l’armée est plus le problème que la solution ».

Pour certains, une autre solution serait le retour du maire de Kouakourou, parti au Hadj et bloqué à Bamako sans possibilité de pouvoir regagner son village.  « Il sait comment négocier avec les djihadistes et a compris qui si on ne se mêlait pas de leurs affaires, on pouvait vivre tranquille. Mais c’est aussi un problème politique », poursuit Abdramane Diallo, « l’opposant au maire de Kouakourou, qui voulait sa place, est celui qui a mobilisé pour mettre sur pied cette résistance ».

Pour la population de Kouakourou, comme des communes des cercles de la région de Mopti, sous la férule des djihadistes, l’avenir est chargé d’incertitudes. Il n’existe en tout et pour tout que deux possibilités, résister ou se soumettre. Par manque d’État, la seconde solution est souvent jugée plus salutaire. « Tout le monde les rejette, personne n’est d’accord avec eux, mais ils s’imposent avec leurs armes. Il n’y a pas d’État. Ceux qui sont censés le représenter ne font que passer et ne posent aucun acte pour nous sortir de nos problèmes. Que voulez-vous faire, à part négocier ? », interroge un habitant du cercle de Mopti, qui ne voit malheureusement pas, dans l’état actuel des choses, d’autre choix.

 

CMA et Plateforme s’engagent pour la paix

La Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme des Mouvements du 14 juin 2014 avaient prolongé de 30 jours à partir du 06 septembre 2017, le précédent accord de trêve de 15 jours. Après 5 jours de négociations sérrées, les différentes parties ont enfin abouti à la signature, mercredi 20 septembre, d’un document intitulé : Engagements, qui marque le fin des hostilités entre les deux mouvements et pose les jalons d’une mise en oeuvre effective de l’Accord.

Les négociations entre la CMA et la Plateforme ont débuté vendredi 15 septembre dernier à l’ex-Cres de Badalabougou. C’était en présence du ministre de la Réconciliation nationale Mohamed Elmoctar, du haut représentant du président de la République Mamadou Diagouraga et du représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, Mahamat Saleh Annadif. La CMA était représentée par Bilal Ag Achérif et plusieurs personnalités tandis que la délégation de la plateforme était représentée par Me Harouna Touré et plusieurs leaders du mouvement. Durant cinq jours des tractations ont été menées par le ministre de la Réconciliation nationale et la médiation internationale pour concilier les points de vue divergents et aboutir à un document acceptable par tous. Lors de cette première journée, le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies a exprimé son agacement face au double jeu des protagonistes qui, depuis deux ans bloquent la mise en œuvre de l’Accord. «  Nous avions patienté. Nous avions beaucoup attendu » avait lancé le patron de la mission onusienne avant de prévenir : « notre patience a des limites ». Une impatience que le ministre de la réconciliation nationale a aussi exprimé en appelant les concernés à prendre leurs responsabilités.

C’est donc chose faite, désormais, ose-t-on croire. Le dialogue et les concertations semblent avoir fini par avoir raison sur la violence. Mercredi 20 septembre, les deux mouvements ont signé un document dit ‘’Engagements’’ lors d’une cérémonie présidée par le chef de file de la médiation internationale l’ambassadeur algérien Boualem Chebihi. A ses côtés, le ministre de la Défense Tiena Coulibaly, le représentant de la plateforme Fahad Ag Almahmoud, le représentant spécial adjoint de la MINUSMA Koen Davidse et le représentant de la CMA Bilal Ag Achérif.

Le chef de file de la médiation a salué l’exercice qui a permis « aux frères d’échanger », même de façon passionnée, mais avec un ferme engagement pour la paix et la réconciliation. Il a exprimé sa reconnaissance aux participants de ces cinq jours de travaux inlassables. Prenant la parole au nom du gouvernent, le ministre de la Défense et des anciens combattants s’est dit «  heureux » de la tenue de cette cérémonie. Pour le ministre, le gouvernement du Mali est très engagé pour la mise en œuvre de l’Accord car « les populations du Nord du Mali ont attendu très longtemps ». « La plateforme se réclame des populations, la CMA se réclame des populations et le gouvernement se réclame des populations » c’est pour cela que c’est un devoir pour chacun que la situation change a-t-il déclaré. La Minusma à travers son représentant spécial adjoint aux affaires politiques, très impliqué dans la résolution des divergences a félicité les responsables des mouvements, la communauté internationale et le gouvernement, qualifiant de « bonne nouvelle » la signature annoncée. A son tour, le représentant de la plateforme, espère qu’à la sortie de cette signature «  la coexistence pacifique et la fraternité entre des frères partageant le même espace géographique » sera une réalité. Il a assuré que la plateforme respectera tous les engagements qu’elle aura à prendre et espère qu’à l’avenir celle-ci n’aura plus à répondre à la question selon lui « extrêmement gênante », pourquoi ne faites vous pas la paix avec vos frères ?

Une commission de haut niveau verra prochainement le jour pour combler les attentes. Le représentant de la CMA quand a déclaré que cet événement est « le fruit des efforts des parties, de leurs engagements profonds à la recherche d’une stabilisation effective ». Bilal Ag Achérif a invité tous les acteurs engagés dans le processus à joindre leur effort à cet engagement pour l’atteinte des objectifs. Il a en outre appelé à condamner les criminels qu’ils soient de la CMA ou des autres rangs. « A la sortie de cette cérémonie les conditions doivent être réunies pour que les autorités intérimaires soient opérationnelles où qu’elles se trouvent, pour que les populations locales sentent la présence d’une administration qui parle en leur nom » a souhaité le représentant de la CMA.

C’est après toutes ces interventions des acteurs impliqués dans la mise en œuvre de l’Accord de paix que le document dit ‘’Engagement’’ a été signé par les parties. Le document comprend deux titres. Le premier concerne les mesures de confiance qui passent par l’organisation du retour ordonné des éléments de la Plateforme à Takalot dans un délai maximum de deux semaines à compter de la signature du présent engagement, sous l’égide de la CTS avec l’appui de la MINUSMA ; la cessation immédiate, totale et définitive de toute forme d’hostilité ; la libération des détenus ; l’engagement d’œuvrer à la clarification du sort des personnes disparues et à ne protéger aucun auteur de crime ; l’établissement d’une commission de haut niveau pour renforcer la cohésion entre les deux parties, chargée de traiter toutes problématiques qu’elles soient d’ordre politique, institutionnel, humanitaire et sécuritaire. Le second titre du document est relatif à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, il s’agit entre autres : de relancer la finalisation avec le gouvernement d’un chronogramme consensuel pour la mise en œuvre intégrale de l’Accord pour la paix, d’ici la fin du mois de septembre, avec comme priorités : l’opérationnalisation des MOC de Kidal, de Tombouctou et de Ménaka ; l’installation des combattants des mouvements signataires sur les sites de cantonnement retenus par la CTS et leur prise en charge immédiate par le gouvernement ; l’opérationnalisation immédiate de l’autorité intérimaire de Kidal à travers la passation diligente de services et parachèvement de l’installation de l’administration dans les cinq régions ; de toutes autres priorités dont les trois parties signataires conviennent. Dans le document la CMA et la Plateforme s’engagent à jouer leur partition dans la mise en œuvre diligente de l’Accord pour la paix et la réconciliation et appellent le Gouvernement à en faire de même. Les deux parties prennent des mesures qu’elles jugent appropriées aux fins de sensibiliser les populations et leurs bases respectives à l’importance du respect des arguments ci-dessus.

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Oumar Cissé : « L’enlèvement d’Amadou Ndjoum avait pour seule motivation l’argent »

Le Collectif pour la libération d’Amadou Ndjoum et des Otages Maliens a été au cœur d’une large mobilisation, sur le terrain et les réseaux sociaux, pour faire libérer l’agent de l’INPS, kidnappé par la Katiba Macina le 26 avril et libéré le 13 septembre 2017. Oumar Cissé, l’un de ses membres fondateurs, révèle au Journal du Mali les raisons de son enlèvement, ainsi que les différents facteurs et acteurs qui ont œuvré à sa libération.

Pourquoi a-t-on kidnappé Amadou Ndjoum ?

Il y a beaucoup de versions. Selon ce que nous avons pu établir, l’enlèvement serait dû au fils d’un des retraités qui recevait sa pension d’Amadou Ndjoum. Ce jeune en déshérence a fait allégeance à la Katiba Macina et aurait décidé d’enlever Ndjoum pour se faire de l’argent, en lançant une fausse accusation contre lui. Leur intention n’était pas de lui faire du mal. L’enlèvement d’Amadou Ndjoum avait pour seule motivation l’argent.

Pourtant Amadou Ndjoum avait 10 millions de francs CFA, l’argent des pensions, sur lui quand il a été enlevé ?

Je ne pense pas que les ravisseurs savaient qu’il avait cet argent avec lui au moment où ils sont venus l’enlever.

Qu’est-ce qui a conduit à sa libération ?

C’est la conjonction de plusieurs facteurs. Au niveau du Collectif, nous avons été en contact un moment avec les ravisseurs d’Amadou Ndjoum. Nous avons essayé de négocier sa libération et avons largement mobilisé pour qu’il ne tombe pas dans l’oubli. Il y a aussi des élus locaux qui sont intervenus pour tenter de le faire libérer. Une parente d’Amadou Ndjoum, une dame âgée, est allée voir les djihadistes à Dogo pour demander sa libération. Je pense que cela a été décisif, car il y a eu une sorte de conseil au niveau de la katiba, qui, par la suite, a décidé de relâcher Amadou Ndjoum.

Les autorités maliennes ont-elles joué un rôle dans cette libération ?

À mon avis, l’État n’a rien avoir avec cette libération.

Certains ont parlé d’une rançon versée. Qu’en est-il ?

J’ai appris d’un notable local que, lors des négociations avec les ravisseurs, ces derniers avaient demandé 750 000 francs CFA. Les notables ont pu rassembler 650 000 francs et les leur ont donnés, ce qui a amené une première promesse de libération.

Les djihadistes auraient aussi demandé la libération d’un prisonnier en échange d’Amadou Ndjoum ?

Oui, il y avait une intention de leur part d’obtenir un échange de prisonniers, mais cela ne s’est pas fait. Nous avons appris que durant les négociations pour faire libérer Amadou Ndjoum, l’un deux avait indiqué qu’un membre imminent de leur katiba, le beau-père d’Amadou Kouffa, un certain Dicko, avait été arrêté à Sévaré alors qu’il faisait route pour Bamako. Ils sont revenus sur leur première promesse pour faire libérer ce Dicko. La famille Ndjoum a saisi la section Droits de l’Homme de la Minusma, mais il y avait plus de 25 Dicko accusés d’activités terroristes incarcérés à Bamako. Finalement l’échange n’a pas eu lieu, Je crois que l’État n’a pas jugé bon de libérer ce terroriste considéré comme extrêmement dangereux.

 

Attaque d’une rare intensité contre le camp de la Minusma à Kidal

Ce mercredi 20 septembre aux environs de 5h30 du matin, deux postes avancés de la Minusma ont été attaqués par des hommes armés, puis les assaillants ont ciblé le camp de la Minusma avec de nombreux tirs d’obus avant de lancer un assaut. Si aucune victime n’est à déplorer, pour le moment, les dégâts matériels à l’intérieur du camp semble importants.

C’est à l’heure de la prière, vers 5h30 du matin que la ville de Kidal a senti plusieurs fois la terre trembler et entendu de nombreuses détonations provenant de deux postes avancés de la Minusma à l’entrée Est qui va vers l’aéroport tenu par des Guinéens et vers la sortie de Gao, tenu par des Tchadiens. « Cette attaque contre des positions de la Minusma à Kidal a été plus violente que les fois précédentes. Ils ont attaqué ces positions de la Minusma tenues par des forces africaines, car ils ont compris qu’après un petit échange de tirs, ils fuient. Seul les Tchadiens leur ont tenu tête, non seulement, ils tiennent leur positionet en plus ils avancent », témoigne cet habitant de Kidal joint au téléphone.

Après avoir attaqué les deux postes avancés, les assaillants ont ciblé de tirs d’obus nourris, le camp de la Minusma avant de tenter un assaut à l’arme automatique. Les forces internationales ont très rapidement répliqué, les nombreux tirs échangés, ont secoué la ville. Plusieurs obus tirés pas les assaillants sont tombés à l’intérieur du camp principal causant de nombreux dégâts. Les combats ont duré environ 45 minutes avant que les assaillants ne disparaissent. « Avec les nombreux tirs qu’il y a eus, ça a dû faire des dégâts matériels importants dans le camp, c’est sûr, parce qu’il y a eu une très grosse et épaisse fumée noire qui a jailli du camp, pendant un bon moment, on a senti qu’il y a quelque chose de très gros qui a brûlé, ça a créé des nuages de fumée noire et ça a recouvert une grande partie du camp et ses alentours », poursuit ce même habitant.

Selon un employé du camp de la Minusma à Kidal, joint au téléphone, des maisons du personnel auraient été touchées et fortement endommagées par les tirs d’obus. Une autre source interrogée avance que « les réserves de carburant à l’intérieur du camp ont été touchées ».

Cette attaque contre des positions de la Minusma est loin d’être inédite. Mardi 19 septembre, dans le quartier Aliyou, un véhicule de la Minusma avait heurté un engin explosif improvisé. Cependant, l’attaque a surpris à Kidal, une ville ou pourtant les échanges de coups de feu ne surprennent plus vraiment les habitants. « Il y a eu des attaques de ce genre plusieurs fois, mais les tirs d’obus ont été cette fois-ci très nombreux et très intense des deux côtés », explique cet employé humanitaire résident du quartier Aliyou. « Vous savez les tirs chez nous, c’est quotidien. La veille au soir, pour le mariage de la fille de la co-présidente des femmes du MNLA avec un gars de la CMA, il y avait eu de gros tirs à l’arme automatique, à la mitrailleuse lourde, à une cadence très élevée, on pensait même que c’était des combats qui avaient débuté. Mais ce matin, avec les détonations et la terre qui a tremblé ce n’était pas habituel », ajoute-t-il.

À Kidal alors, quel les forces de la Minusma patrouillent les rues et que les hélicos surveillent le ciel, les rumeurs vont déjà bon train concernant les raisons de cette attaque. « Il y a des gens qui pensent que cette attaque est arrivée en réaction à la non-obtention de visa d‘Alghabass pour les USA, je trouve que c’est un peu exagéré, mais des gens interprètent ça comme ça ici », indique cette source proche des mouvements. « Cette attaque peut-être une sorte de défi des djihadistes pour dire qu’ils sont toujours là, qu’ils sont toujours capables de perpétrer de tels actes au moment où il y a l’assemblée générale des Nations-unies à New-York. Mais, ils ont leur agenda propre, il y a non seulement les Nations-unies, mais aussi les négociations pour la paix entre la CMA et la Plateforme et le retour de l’administration à Kidal. Ça ne les arrange pas eux. Car dans la région de Kidal, c’est Ansar Dine qui opère », conclut cette même source.

EXCLUSIF : Amadou Ndjoum : « Mon bon comportement a été mon ticket de survie »

Mercredi 20 septembre aux environs de 18h, Amadou Ndjoum, l’agent de l’INPS kidnappé par la Katiba Macina, pénétrait dans Diafarabé, libre. L’homme fatigué, après plus de 4 mois de captivité en clandestinité, est malgré tout souriant. Quelques jours plus tard, il confiait au Journal du Mali le récit, parfois surprenant notamment sur la mansuétude de ses geôliers, de son enlèvement jusqu’à sa libération.

Depuis votre libération, comment vous-portez-vous ?

Je suis fatigué mais je vais bien. Depuis que j’ai été libéré, j’ai l’impression que je suis toujours en train de rêver ma libération. Je me demande si c’est vrai, c’est encore un peu confus dans ma tête. Je me sens fatigué. Là-bas je me couchais à 21h et je me réveillais à 5 h du matin car je ne pouvais plus dormir. Quand un nouveau jour se levait, c’était le signe du retour à la réalité, des soucis qui commencent, une nouvelle journée à affronter. Chaque jour qui passait était comme des années pour moi.

Pouvez-vous revenir sur votre enlèvement, le 26 avril dernier, comment cela s’est-il passé ?

J’ai quitté Mopti le 25 avril, je partais à Youwarou pour le paiement des pensions, chose que je fais mensuellement depuis 2010. Arrivé à Walado qui est environ à 25 km de Youwarou, il faut prendre le bac pour traverser avec les véhicules et continuer sur Youwarou. Nous étions deux sotramas à attendre le bac. Un homme est venu à moto enturbanné, il a intimé au conducteur de bac de ne faire traverser personne et d’immobiliser tous les véhicules. Quelques minutes sont passées et des hommes à bord de trois motos ont traversé de l’autre côté pour venir dans notre direction. Ils étaient en tout six, enturbannés et armés. Ils se sont directement dirigés vers moi. Ils m’ont demandé mon identité, où j’allais. Je leur ai dit qui j’étais et que j’allais à Youwarou. Ils ont voulu savoir ce que j’allais faire là-bas. J’ai répondu que j’allais payer les pensions. « Ah, donc c’est toi! » a dit l’un d’entre eux. J’ai compris qu’ils avaient ordre de venir me chercher. Ils ont pris mon sac. Nous sommes partis. On a traversé le fleuve en pirogue avec les motos. Arrivé sur la terre ferme, on m’a bandé les yeux, on m’a mis sur une moto, on a beaucoup roulé, on s’est juste arrêté à un moment pour prier et la nuit, on est arrivé dans un endroit que je ne connaissais pas. Je n’avais pas l’esprit tranquille car je ne savais pas où ils me menaient et ce qu’ils voulaient.

Vous ont-ils dit à ce moment-là pourquoi ils vous ont enlevé ?

Oui. Après la prière, ils ont ouvert mon sac où j’avais mes bordereaux de paiement, mes portables et tout. Ils ont tout enlevé. Ils m’ont dit qu’ils savaient que je partais chaque mois à Youwarou pour aller payer le salaire des militaires et des gendarmes de Youwarou. Je leur ai dit que non. J’ai essayé de leur expliquer en leur montrant les bordereaux, les noms et les paiements mais ils étaient illettrés, ils n’arrivaient pas à comprendre. Ils m’ont dit que ce que je disais était faux. Je leur ai demandé d’enquêter à Youwarou et voir si ces noms sont des porteurs d’uniformes ou des civils. Je savais que ma vie dépendait de ça et que s’ils comprenaient que je ne m’occupe pas des salaires des militaires, ce ne serait pas les mêmes conséquences. Pour eux, j’étais un militaire en civil qui cachait ce qu’il faisait pour payer ses collègues de l’armée. Ils ont pris mes affaires, compter mon argent, ils ont tout daté et scellé et ils m’ont dit que le jour que je serais libre, ils me le rendront.

Photo: Olivier Dubois

Savez-vous qui a pu leur dire que vous faisiez ces tournées pour payer les militaires ?

Ils m’ont dit que c’est quelqu’un qui me connaît très bien, quelqu’un qui savait quand et où je partais faire ma tournée. Cette personne leur a raconté que comme je payais les militaires, j’étais leur ennemi aussi. Je n’ai pas encore de preuve formelle sur l’identité de cette personne, mais je le saurai.

Vous avez été en captivité pendant plus de 4 mois, comment avez-vous été traité et comment êtes-vous parvenu à tenir ?

J’ai essayé d’être comme ils sont et de garder la foi. Je ne peux pas vraiment dire que j’ai été maltraité. Ce qu’ils mangeaient, c’est ce que je mangeais, c’était l’égalité totale. Je peux même dire que j’étais mieux traité que les autres du groupe. Ils faisaient tout pour me protéger. Malgré les conditions dans lesquelles nous vivions, ils faisaient en sorte que j’aille bien. Durant ma captivité, ils venaient me demander mes habitudes, ils voulaient savoir ce que je prenais, ce que je voulais. Ils m’apportaient de l’eau pour me laver, ce sont eux qui lavaient le linge pour moi. J’avais pas mal de droit sauf la cigarette car ils n’aiment pas ça, mais bon, moi je ne fume pas. Nous dormions principalement à l’extérieur. J’avais une natte, j’avais des couvertures. Côté nourriture, les 3 repas étaient respectés, on mangeait ensemble. J’ai observé les 30 jours de carême avec eux et malgré les conditions de détention, j’y suis parvenu à leur grand étonnement. La Tabaski, on l’a fêté ensemble. J’étais avec eux tout en pensant à ma famille. Je n’étais pas ligoté je pouvais quand même bouger. Je passais mes journées assis ou couché, je me levais pour la prière. Là-bas, on ne te dit rien, tu n’entends rien de l’extérieur, le temps était très long.

Avez-vous songé à vous échapper pendant votre captivité ?

Non je n’y ai pas pensé. C’est peut-être ça aussi qui m’a beaucoup favorisé. Je ne leur ai pas aussi menti. J’ai été enlevé pour une fausse accusation. J’ai pensé que comme ce qu’ils me reprochent est faux, je ne resterai pas longtemps leur prisonnier. Ça m’a permis de garder espoir. Je me suis bien comporté. Ils ont petit à petit eu confiance en moi. Au début, ils pensaient que j’allais m’échapper. Mais ils ont compris que je n’allais pas le faire. Les chefs me disaient que j’étais une personne de confiance. J’étais une sorte de prisonnier modèle pour eux. Ils m’ont même dit que c’est la première fois qu’ils capturent quelqu’un et qu’ils le félicitent et l’apprécient. Je pense que mon bon comportement durant ces longs mois a été mon ticket de survie.

Qui étaient vos ravisseurs, avez-vous pu communiquer avec eux, créer des liens ?

C’était les hommes d’Amadou Kouffa. Nous communiquions, car nous parlions la même langue, la langue peule et nous pratiquions la même religion, l’Islam. Il n’y avait que des hommes, il y avait aussi des enfants, des talibés, qui venaient nous visiter d’eux-mêmes. Je ne peux pas estimer leurs nombre car je n’étais pas directement avec eux. Il y avait une garde rapprochée, au moins 3 ou 4 personnes qui m’entouraient et me surveillaient. Ils discutaient toujours à distance, ils se méfiaient, ils ne voulaient pas que je les vois à visage découvert ou que j’entende certaines conversations.

Vous a-t-on souvent fait déplacer durant votre captivité ?

Jusqu’à ma libération, on m’a déplacé au moins 3 fois. J’avais toujours les yeux bandés pour ne pas savoir ou j’étais et ne pas les reconnaître. Les déplacements se faisaient à moto.

 

Y’avait-il d’autres otages avec vous ?

Non, j’étais le seul avec eux.

Vous ont-ils parlé de négociation visant à vous faire libérer ?

Non pas vraiment. Après 20 jours, ils sont venus me voir et ils m’ont dit que mes parents demandaient une preuve de vie et qu’il fallait faire une vidéo. C’est la vidéo que vous avez dû voir.

Quand j’ai demandé s’ils avaient fixé une rançon, ils n’ont rien dit. Chaque fois que je posais des questions ils me disaient « on est en train d’en parler avec ta direction, on est là-dessus ». Ils m’ont ensuite dit qu’ils n’ont jamais demandé de rançon à qui que ce soit. Je ne sais pas pourquoi ils m’ont libéré. Je pense que c’est Dieu qui m’a blanchi.

Comment s’est déroulée votre libération ?

Le mercredi 20 septembre, vers 15h, ils sont venus me chercher, je m’en souviens parce que j’ai prié à 14h. Ils m’ont dit de prendre mon sac et de les suivre. Je pensais que nous partions pour une autre destination. On a roulé jusqu’à environ deux ou trois kilomètres d’une ville. On s’est arrêté. On était deux seulement. Il m’a demandé si je connaissais l’endroit. J’ai répondu que non. Il m’a dit que c’était Diafarabé, puis il m’a dit que ses supérieurs lui ont demandé de me libérer aujourd’hui. Il m’a montré au loin des antennes et il m’a dit que c’est là-bas, dans la ville, que je devais aller. Il devait être 18h. Je n’avais plus qu’à marcher pour m’y rendre. Il m’a donné 5000Fcfa, pour payer le passage en pinasse ou en pirogue et il est parti. C’est quand il s’est éloigné avec sa moto que j’ai compris que j’étais réellement libre. J’ai marché et suis entré dans Diafarabé. Je ne connaissais personne là-bas. Il y avait des jeunes qui jouaient au ballon. Je me suis approché, j’ai demandé s’il connaissait la seule personne que je connaissais et qui habitait à Tenenkou. Chacun a appelé des camarades pour essayer de trouver cette personne. Je me suis présenté, je leur ai dit que j’étais Ndjoum, l’agent de l’INPS qui a été enlevé par les djihadistes. L’un des garçons présents a été très surpris, il était le fils du président des retraités de l’INPS de Diafarabé. On est allé voir son père qui était très ému. Je suis resté là-bas, je me suis lavé, j’ai mangé. Ensuite on a appelé notre direction. Ils ont pris la route pour venir me chercher en bateau, le rendez-vous était à 1h du matin. Ça a pris un peu de retard, le bateau est arrivé à 5h du matin, et on a enfin embarqué pour Mopti ou j’ai pu retrouver ma famille.

Aujourd’hui libre, que ressentez-vous et qu’allez-vous faire ?

Tous ces longs mois, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, je me disais pourquoi tout ça. On m’accuse de quelque chose qui n’est pas vrai. Ce qui m’est arrivé, c’est quelque chose que l’on ne peut pas prévoir. Là-bas on ne sait pas qui est qui. En tout cas je ne partirai pas, je resterai où je suis. Ma direction qui m’a demandé de venir à Bamako. Je dois les voir lundi. Je dois aussi voir les autorités. Je vais demander à avoir un congé pour me reposer et retrouver ma famille.

Amadou Ndjou entouré de proches à Bamako.

De nombreuses personnes se sont mobilisées pour faire en sorte qu’on ne vous oublie pas et tenter de vous faire libérer. Qu’avez-vous à leur dire ?

Quand j’ai appris cela, je ne savais même pas quoi dire. J’ai senti que vraiment on ne m’avait pas abandonné. Même si j’étais coupé de toutes informations, je tentais de garder espoir. Cette mobilisation, ces soutiens, ça m’a redonné des forces, savoir qu’il y avait tous ces hommes et ces femmes, ma famille, derrière moi. Si je suis aujourd’hui libre c’est grâce à eux et je les en remercie infiniment.

Contre le terrorisme, sortir du « tout sécuritaire »

En un peu plus d’une décennie, le Mali comme le Sahel, est devenu l’un des points les plus chauds des conflits armés en Afrique et fait l’expérience, de façon inédite, du terrorisme, qui gagne du terrain. Les pays du G5 Sahel tentent de répondre à ces menaces en mettant sur pied une force commune pour combattre les groupes djihadistes, qui utilisent notamment le Nord Mali comme base de repli. Alors que cette force est en passe de devenir opérationnelle, des voix s’élèvent contre cette énième réponse sécuritaire et plaident pour une analyse plus profonde des causes des conflits qui ne soit pas uniquement axée sur le tout sécuritaire.

Le Mali, dont une partie importante du territoire échappe au contrôle de l’État, est une zone durement touchée par la crise sécuritaire sahélienne, où les conflits armés à grande échelle sont récurrents et la violence très répandue. Le principal facteur responsable de cette situation préoccupante serait, selon certains observateurs, si on devait le résumer en un seul mot, « l’injustice », rendue permanente ou persistante par son corollaire politique : État en déficit, mal gouvernance, corruption, crises alimentaires successives, frustrations accumulées. « Il y a une grande masse de la population qui est là, dans une situation désastreuse. D’année en année, les choses s’aggravent. Donc, à mesure que l’injustice grandit, il y a des réactions violentes et différentes forces qui essaient de tirer profit de cela », explique Moussa Tchangari, Secrétaire général d’Alternative Espaces Citoyens, à Niamey et membre de la Fondation Frantz Fanon. Les djihadistes profitent de ce « terreau favorable » créé par ces injustices pour islamiser le conflit, utiliser les frustrations pour recruter indéfiniment et attirer l’Occident dans le piège de l’intervention. « Les terroristes sont aussi des gens révoltés, qui pensent avec leurs actions pouvoir apporter un changement qui aille dans le sens de leur propre agenda politique», poursuit le chercheur.

Erreurs et stratégies Cette situation, qui échappe au contrôle de l’État, est gérée par les forces étrangères de la communauté internationale, installées dans le pays, qui doivent aider à trouver une solution. « Dans cette crise, la communauté internationale a au moins 40 ans de retard », lance le Dr Bakary Sambé, enseignant-chercheur, coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique et directeur du think tank Timbuktu. « Dans les années 70, elle n’avait pas les moyens de fournir de l’aide à l’Afrique, frappée par la sécheresse, à cause du choc pétrolier qui touchait l’Europe et les États-Unis. Les pays vendeurs de pétrole ont utilisé la prédication et l’humanitaire pour s’implanter au Sahel. Puis, dans les années 80, la communauté internationale a commis une deuxième erreur, d’appréciation. Elle a imposé aux pays des politiques d’ajustements structurels, qui voulaient dire en quelque sorte : investissez le moins possible dans l’éducation, la santé, etc. et les puissances dites islamistes sont venues carrément occuper le terrain, via des centres culturels, des écoles, des services sociaux de base, pendant que l’État tentait de faire face au défi du déficit d’État. 40 ans après, la communauté internationale élabore des stratégies Sahel pour combattre les terrorismes, alors qu’ils sont là depuis 40 ans. La situation conflictuelle est en partie due à ces deux erreurs », affirme l’enseignant-chercheur.

Armes contre idéologie Toujours est-il que pour faire face à la situation sécuritaire au Mali et dans le Sahel, les pays du G5 (Mauritanie, Tchad, Mali, Niger et Burkina Faso), soutenus par la France, se sont « unis face au terrorisme » et tentent de mettre sur pied une force régionale conjointe, qui comptera 5 000 militaires des cinq pays. Son centre de commandement a été inauguré le samedi 9 septembre, à Sévaré, par le chef de l’État malien, mais son financement, 450 millions d’euros annuels, peine toujours à être bouclé. Le premier bataillon de cette force dite du G5 devrait être opérationnel dès le mois de septembre et les premières opérations militaires transfrontalières menées dès le mois d’octobre. Pour autant, l’efficacité de cette énième force censée combattre le terrorisme au Sahel est loin de convaincre. « La façon dont on pose le problème n’est pas la bonne. On pense qu’on le résoudra avec une force militaire qui aura des moyens. Nos pays font fausse route. Il y a beaucoup de choses à destination de la population qui ne coûtent pas autant d’argent et qu’il faut faire. Il faut commencer par tout ce qui dépend de nous, ce pour quoi on a déjà les moyens, qui ne coûte pas d’argent mais demande de la volonté. Pourquoi ne commence-t-on pas d’abord par ça, au lieu de s’épuiser à obtenir le soutien de la communauté internationale quand on n’a pas celui de son peuple ? Ça montre vraiment le décalage », observe Moussa Tchangari. Pour le Dr Bakary Sambé, il faut privilégier les approches multiples et non seulement se concentrer sur le recours à la force pour résoudre un problème aux racines profondes. « Si la solution militaire était une solution pour combattre le terrorisme, il n’y aurait plus de Talibans en Afghanistan, alors que Trump veut y retourner. Il n’y aurait plus de djihadistes au Nord du Mali. Vous savez, je n’ai jamais vu une idéologie défaite par les kalachnikovs », conclut, sceptique, l’enseignant-chercheur.

 

Sanctions de l’ONU au Mali : 3 questions à Yvan Guichaoua, maître de conférences et spécialiste du Sahel

Est-ce que le régime de sanctions de l’ONU peut être un instrument efficace ?

Pour l’instant aucune sanction n’est prise. Avec cette nouvelle résolution, les Nations Unies se dotent d’un nouvel outil juridique contre ceux qui entravent le processus de paix. Elles étendent leur arsenal punitif potentiel. Mais il reste beaucoup d’étapes avant qu’une sanction concrète puisse être envisagée : il faut que des experts soient nommés, qu’ils puissent rassembler des éléments de preuve, qu’ils soient écoutés par les décideurs et qu’enfin les éventuelles sanctions soient appliquées. Ce n’est pas pour demain, mais peut-être après-demain. La situation est tellement dégradée désormais au Mali que personne ne se satisfera des gestes symboliques, des froncements de sourcils et des formules aseptisées que la MINUSMA emploie dans chacun de ses communiqués. Et puis pourquoi se doter d’un tel outil, aux dispositions si explicites, par exemple en matière de lutte contre les trafics, pour ne pas y recourir in fine ?

Seront-elles être suffisantes, selon vous, pour contraindre chaque partie à avancer dans l’application de l’accord de paix ?

Ce nouvel outil vise en priorité les signataires de l’accord de paix ; il ne concerne donc qu’une partie du problème de la violence au Mali. La communauté internationale n’a toujours pas trouvé d’instrument non coercitif pour régler la question des mouvements djihadistes. Pour ce qui est des signataires, l’étau se resserre autour d’acteurs connus pour jouer sur plusieurs tableaux et que l’on sait capables de déstabiliser la situation selon leurs intérêts du moment. Ces gens se savent dans le viseur de la communauté internationale et la perspective d’être punis va peut-être les inciter à se montrer plus accommodants. En même temps, les ancrages politiques et dans l’économie parfaitement licite de ces groupes d’intérêts, les rendent difficiles à déboulonner sans effets collatéraux imprévisibles. Mais après tout, les FARC en Colombie  sont la preuve qu’un mouvement qui s’est criminalisé peut être décriminalisé.

Autrement, comment empêcher les parties de faire obstruction à la paix ?

On peut utiliser le bâton, comme c’est le cas avec ce nouvel outil, ou la carotte, comme ce fut le cas à Alger. On peut aussi multiplier les échelles d’interventions : traiter le clivage Nord-Sud comme à Alger ou les rivalités intercommunautaires comme à Anéfis en 2015. En travaillant sur ces deux axes, de proche en proche, par exemple en développant des démarches plus inclusives, on peut imaginer parvenir à des équilibres sécuritaires temporaires. Mais la reconstruction de la légitimité politique prend nécessairement du temps et elle ne peut guère être pilotée de l’extérieur. Le processus est d’autant plus fragile qu’il se produit sous l’œil plus qu’attentif des mouvements djihadistes. Il est parfaitement vain de faire comme si on avait des disputes à résoudre entre gens raisonnables d’un côté et un ennemi uniforme irrémédiablement perdu pour le dialogue de l’autre. Les mobilisations violentes des uns et des autres sont interdépendantes et pourtant les réponses de la communauté internationale sont totalement compartimentées. On pourrait aussi se demander comment éviter que d’autres parties n’émergent. On voit que d’autres foyers de violence potentielle s’ouvrent : entre communautés peules et dogons, ou parmi les jeunes de Gao récemment. Il y a un impératif de court terme de protection impartiale des populations sans laquelle rien n’est possible à plus long terme.

 

Nations Unies : Les sanctions sont-elles efficaces ?

Les sanctions ciblées sont de plus en plus souvent utilisées par l’ONU quand la diplomatie n’a pas donné les résultats escomptés. Elles sont censées permettre d’éviter des atteintes à la paix et à la sécurité internationale, mais, après plus de vingt ans d’expérience, peut-on vraiment dire qu’elles sont efficaces ?

Le couperet est tombé pour la Corée du Nord. Une résolution proposée par les États-Unis et soutenue par la Russie et la Chine a été adoptée par le Conseil de sécurité, lundi 11 septembre, pour punir l’essai nucléaire de Pyongyang du 3 septembre dernier. Cette nouvelle résolution, qui ampute le régime communiste d’une importante manne financière, vient s’ajouter à sept précédentes qui n’ont pas fait fléchir le leader nord coréen qui compte continuer son programme nucléaire et ses essais de tirs balistiques.

Un succès mitigé Les sanctions, embargo sur les armes, gel des avoirs, interdictions de voyager, interdictions visant les produits de base ou restrictions financières, bien qu’ayant fonctionné dans quelques pays comme la Libye ou l’Afrique du Sud, ne parviennent généralement pas à atteindre leurs objectifs. Une étude faisant autorité sur la question, parue en 2006, a montré qu’elles sont efficaces au mieux 30 % des fois et qu’elles ont rarement, ou peu, changé les choses. En Iran, elles n’ont pas dissuadé la République de poursuivre son programme d’armement nucléaire, et en Russie elles furent incapables de contraindre le Président Vladimir Poutine à changer de politique concernant l’Ukraine. Les sanctions ont même eu pour effet de renforcer sa popularité dans l’opinion publique russe. « Le régime des sanctions a une efficacité variable. Mises en place contre Al-Qaeda et les Talibans,  en 1999 et étendu à l’État Islamique (EI), elles ont eu des effets considérables sur les ONG prosélytes ou le système bancaire, longtemps peut regardant. Les conséquences opérationnelles directes ont été, en revanche, assez faibles. La démarche, cependant, reste essentiellement politique et personne n’a envie de figurer sur une liste de cette nature. Les terroristes s’en moquent, mais ceux qui leur sont liés tout en espérant avoir une carrière politique y sont très sensibles », explique Yves Trotignon, analyste, spécialiste du terrorisme. Malgré la nature des sanctions, qui a évolué pour passer de mesures globales imposées aux États à des actions ciblant des individus, des petits groupes ou des entités, nombre d’experts affirment que leur impact reste limité. « Les sanctions ne peuvent être un objectif en soi », explique Laurent Bigot, ancien diplomate français et consultant, qui pense qu’elles doivent être combinées avec d’autres leviers pour être efficace. « Elles accompagnent une stratégie générale et permettent de faire pression. Mais elles peuvent avoir aussi un effet pervers et tendre la situation », conclut-il.