Une tentative de coup d’État menée par un groupe de militaires a été déjouée dimanche au Bénin. Si le président Patrice Talon reste en place, l’épisode révèle la fragilité du climat politique à l’approche de la fin de son mandat.
Dans la nuit de samedi à dimanche, puis à l’aube du 7 décembre 2025, des éléments des Forces armées béninoises attaquent la résidence du président Patrice Talon, à Porto-Novo, avant de se tourner vers les médias publics. Peu après, au moins huit soldats apparaissent à la télévision nationale. Casques sur la tête pour certains, treillis impeccables, ils lisent un communiqué solennel annonçant la « destitution » du chef de l’État, la suspension de la Constitution, la dissolution des institutions et la fermeture des frontières. Ils se présentent comme le « Comité militaire pour la refondation », dirigé par le lieutenant-colonel Pascal Tigri, promu de facto figure du putsch.
Le signal de la télévision et de la radio publiques est brièvement interrompu, renforçant l’impression que le pouvoir bascule. Au même moment, l’ambassade de France signale des coups de feu au camp Guezo, près de la résidence présidentielle, à Cotonou, tandis que des positions stratégiques de la capitale économique sont tenues par des militaires. Dans leur déclaration, les putschistes justifient leur acte par la gestion du pays, promettent une « nouvelle ère » et affirment parler au nom de l’armée et du peuple.
Tentative avortée
Mais la séquence bascule très vite. Dans la matinée, le ministre des affaires étrangères, Shegun Adjadi Bakari, intervient pour affirmer qu’il s’agit d’un « petit groupe » de militaires n’ayant réellement pris le contrôle que de la télévision, tandis que « la plus grande partie de l’armée » reste loyale. Quelques heures plus tard, c’est le ministre de l’intérieur, Alassane Seidou, qui prend la parole dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. Il annonce que la tentative de coup a été « déjouée », parle de mutinerie et insiste sur le fait que les forces armées et leur état-major ont « maintenu le contrôle de la situation ».
La présidence assure alors que Patrice Talon est sain et sauf et que l’armée loyaliste reprend progressivement la main sur les points sensibles. Des sources proches du palais soulignent que les putschistes n’ont jamais réussi à s’emparer du siège de la présidence, ce qui a limité leurs capacités réelles. Dans les rues de Cotonou, la vie reprend par endroits son cours, même si certains quartiers autour des bâtiments officiels, de la télévision nationale et de la résidence présidentielle restent sous forte surveillance. Aucun bilan humain précis n’est rendu public dans l’immédiat, les autorités se gardant d’avancer des chiffres de victimes ou d’arrestations.
Fin de mandat
L’épisode intervient dans un moment politique particulièrement sensible. Patrice Talon est au pouvoir depuis 2016 et a répété à plusieurs reprises qu’il quitterait la présidence en 2026, conformément à la limitation à deux mandats inscrite dans la Constitution. Son camp prépare déjà sa succession, avec le nom de l’ancien ministre des Finances Romuald Wadagni régulièrement cité comme dauphin potentiel, tandis que des figures de l’opposition ont été écartées de la compétition ou emprisonnées ces dernières années. Le Bénin, longtemps présenté comme un modèle démocratique en Afrique de l’Ouest, est ainsi entré dans une zone de turbulences politiques où la confiance entre pouvoir, opposition et une partie de l’opinion s’est nettement érodée.
La tentative de coup de ce 7 décembre s’inscrit aussi dans une séquence régionale lourde. Du Mali au Niger, en passant par le Burkina Faso et plus récemment la Guinée-Bissau, les renversements ou tentatives de renversement par la force se sont succédé, au point que certains parlent désormais d’une « ceinture des coups d’État » qui progresse vers le golfe de Guinée. Le Bénin était jusqu’ici cité comme l’un des États qui parvenaient à tenir ce phénomène à distance, malgré la pression des groupes armés dans le nord du pays. La journée de dimanche rappelle que même les régimes se voulant stables ne sont pas à l’abri de fractures internes, y compris au sein de l’appareil sécuritaire.
Condamnation
La réaction des partenaires régionaux et internationaux ne se fait pas attendre. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest condamne rapidement la tentative de renversement de l’ordre constitutionnel et réaffirme son soutien au président Talon. Des chancelleries occidentales appellent leurs ressortissants à la prudence, certains pays recommandant d’éviter les déplacements non essentiels dans la capitale pendant que la situation se stabilise.
Pour l’instant, le pouvoir à Porto-Novo et Cotonou cherche à projeter l’image d’un État qui a su résister à une dérive militaire. Mais derrière les déclarations officielles, de nombreuses questions restent ouvertes. Qui, au-delà de la figure de Pascal Tigri, a inspiré ou soutenu ce coup manqué ? Jusqu’où des frustrations politiques, économiques ou internes à l’armée ont-elles nourri le passage à l’acte ? Et comment le régime Talon entend-il répondre à ces signaux d’alerte, alors que s’ouvre la dernière ligne droite de son mandat ?
En ce 7 décembre 2025 au soir, le coup d’État a échoué, le président est toujours en place et les institutions n’ont pas été renversées. Mais le Bénin sort de cette journée avec une évidence : le vernis de stabilité cache des tensions qui, si elles ne sont pas prises en compte, pourraient resurgir demain sous d’autres formes.
