En cette période de rassemblement des ministres des 57 États membres du Groupe de la Banque islamique de développement à Alger, dans le cadre de la 51e réunion annuelle de la BID, il n’est plus possible d’ignorer les effets dévastateurs du changement climatique. Les incendies de forêt anéantissent des communautés entières, les inondations entraînent le déplacement des millions de personnes, et les vagues de chaleur font plusieurs centaines de milliers de morts. Ces phénomènes météorologiques extrêmes ne sont plus des anomalies ; ils constituent la nouvelle normalité, menaçant la vie humaine et les moyens de subsistance au sein des régions du monde les plus vulnérables au changement climatique, en particulier dans les pays du Sud.
Les réponses traditionnelles se révélant insuffisantes face à cette menace croissante, il est nécessaire que des financements innovants occupent le devant de la scène. D’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, pas moins de 3,6 milliards de personnes vivent actuellement dans des régions extrêmement vulnérables au changement climatique. Entre 2010 et 2020, le nombre de décès provoqués par les inondations, les sécheresses et les tempêtes dans ces régions a été 15 fois supérieur à celui observé dans les régions peu vulnérables, ce qui illustre la gravité et l’inégalité des effets de la crise climatique.
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Selon la pensée dominante, l’action climatique constitue pour les économies dépendantes des ressources une question de survie économique, tandis qu’elle offre un chemin vers une croissance et un développement durables pour les économies en voie de développement. Or, de nombreuses économies s’inscrivent dans ces deux catégories – étant à la fois en voie de développement et dépendantes des ressources – ce qui accentue la difficulté de l’élaboration et de la mise en œuvre de stratégies climatiques efficaces.
Bien qu’une stratégie globale de résilience face au climat soit essentielle pour renforcer la capacité des économies en voie de développement à résister aux chocs, la résilience et l’adaptation doivent aller de pair. Pour les pays vulnérables, cela peut signifier consolider les infrastructures de protection contre les inondations, investir dans des variétés agricoles résistantes à la sécheresse, et diversifier les sources de revenus afin de réduire la dépendance aux secteurs sensibles au climat.
Les modes de financement conventionnels n’en demeurent pas moins limités, à la fois en termes de sources et de mécanismes de mise en œuvre. Les mesures cruciales de protection sociale et les systèmes de soutien sont par conséquent bien souvent sous-financés ou insuffisants. Vient s’ajouter au problème une incertitude croissante autour de la disponibilité de financements concessionnels en provenance des pays développés.
Face à cette réalité, il est nécessaire que l’innovation financière devienne un pilier de la résilience climatique. Institutions financières, gouvernements et autres parties prenantes doivent collaborer afin de mettre au point de nouveaux mécanismes de financement, destinés à protéger les régions vulnérables au climat.
Constat encourageant, plusieurs fonds et mécanismes de financement innovants ont vu le jour pour soutenir les efforts de résilience et d’adaptation. Parmi ces avancées figurent le Fonds vert pour le climat, qui fournit une assistance financière aux pays en voie de développement ; la Climate Bonds Initiative, qui favorise la croissance du marché des « obligations climat » ; l’assurance climatique, qui contribue à la gestion et réduction des risques liés au climat ; l’adaptation communautaire, qui permet aux communautés locales d’élaborer et de mettre en œuvre leurs propres stratégies d’adaptation ; ainsi que les solutions fondées sur la nature, qui se concentrent sur la restauration et la protection des écosystèmes naturels. Ces financements sont malheureusement très loin de répondre aux besoins.
Les banques multilatérales de développement (BMD) jouent un rôle essentiel dans la fourniture des fonds permettant aux pays vulnérables de réduire leurs émissions et d’investir dans des projets d’adaptation. D’après le plus récent rapport conjoint des banques multilatérales de développement sur le financement climatique, les BMD ont fourni en 2023 un montant record de 125 milliards $ de fonds publics pour l’action climatique. Il convient de souligner que 60 % de ce montant – 74,7 milliards $ – a été dirigé vers des pays à revenu faible et intermédiaire, ce qui illustre l’engagement des BMD à soutenir les pays les plus exposés aux risques climatiques.
La Banque islamique de développement fournit des efforts importants dans ce domaine. En novembre 2024, la BID a approuvé un financement de 1,15 milliard $ visant à renforcer la sécurité alimentaire et hydrique au Kazakhstan, grâce à l’irrigation durable de 350 000 hectares de terres. Ce projet a pour objectif d’accroître de 30 % le rendement moyen des cultures, ce qui améliorera la résilience des communautés face aux catastrophes climatiques, ainsi que le bien-être économique de 1,3 million de personnes vulnérables.
À l’instar des autres BMD, la BID est confrontée au défi du renforcement de la résilience climatique dans ses 57 États membres, dont plus de la moitié sont plus vulnérables au changement climatique que la moyenne mondiale. Pour remédier à ces vulnérabilités, il est nécessaire, d’après les estimations, que 75 à 90 milliards $ soient investis chaque année jusqu’en 2030 dans des projets d’agriculture durable, d’approvisionnement en eau et d’infrastructure. Les flux financiers en direction de ces pays aux fins de l’adaptation s’élèvent en moyenne à 23,9 milliards $ par an, ce qui signifie un déficit de financement de 68 %, que la BID s’efforce activement de combler.
L’offre croissante de financements pour l’adaptation illustre la contribution indispensable des BMD aux efforts mondiaux pour le climat. La réussite ne saurait toutefois se mesurer par les seuls montants déboursés, mais par les résultats tangibles et réels. Bien que le financement de l’action climatique progresse quantitativement, son efficacité dépend d’un suivi rigoureux et d’une évaluation de l’impact. Il est par conséquent essentiel que soient mis en place de solides cadres de reporting, afin de renforcer la confiance des parties prenantes, et de canaliser davantage de financements vers des projets d’adaptation. Pour renforcer leur impact, il est également nécessaire que les BMD adoptent des modèles de financement ciblés, axés sur les résultats et les politiques.
Au-delà du renforcement des capacités institutionnelles des emprunteurs ainsi que du développement des financements ciblés, une opportunité s’offre aux BMD de stimuler la mobilisation de ressources en attirant des capitaux en provenance de sources non conventionnelles. Le cadre de durabilité de la BID en constitue l’une des illustrations. Grâce à ce dispositif, la BID a mobilisé plus de 6 milliards $ en émettant des obligations islamiques (sukuk), qui attirent des investisseurs musulmans et non musulmans.
Axée sur l’adossement d’actifs et le partage des risques, la finance islamique est intrinsèquement alignée sur les principes de durabilité. Ces dernières années, plusieurs instruments tels que l’assurance coopérative (takaful), les dotations caritatives (waqf) et les plateformes de crowdfunding basées sur la foi religieuse sont apparus comme des sources alternatives de financement climatique dans le monde musulman.
Consciente de la nécessité de solutions de financement climatique ciblées, la BID promeut et soutient activement ces mécanismes. En tirant parti d’un secteur de la finance islamique qui représente 4 500 milliards $, ainsi qu’en adoptant son modèle d’adossement d’actifs et de partage des risques, d’autres BMD pourraient élargir et diversifier leurs sources de financement, ce qui leur permettrait de soutenir des initiatives d’adaptation et d’atténuation dans les régions les plus vulnérables du monde.
L’époque des projets pilotes et des interventions parcellaires est révolue. Pour bâtir un avenir de durabilité et de résilience face au climat, il est urgent que les BMD développent à plus grande échelle des solutions à fort impact, qu’elles s’ouvrent à l’innovation financière, et qu’elles favorisent la coopération mondiale. Forte de son expérience de plus d’un demi-siècle, la BID est prête à jouer son rôle.
Muhammad Al Jasser est président du Groupe de la Banque islamique de développement.
Project Syndicate, 2025.
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