Politique




CEDEAO – Coups d’État : le tournant Niger ?

Le renversement du pouvoir du Président Mohamed Bazoum au Niger, le 26 juillet 2023, 4ème coup d’État en Afrique de l’Ouest…

Le renversement du pouvoir du Président Mohamed Bazoum au Niger, le 26 juillet 2023, 4ème coup d’État en Afrique de l’Ouest en 3 ans, plonge la région dans un climat de tension exacerbé par les prises de positions tranchées de certains dirigeants vis-à-vis des nouvelles autorités de Niamey. La CEDEAO, soutenue par une grande partie de la communauté internationale, se montre intransigeante sur un retour immédiat à l’ordre constitutionnel dans le pays. Alors que l’ultimatum donné aux militaires du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) prend fin ce dimanche, les jours prochains  s’annoncent incertains au Niger et dans le Sahel.

Tolérance zéro. C’est le maitre-mot des chefs d’États de la CEDEAO face au putsch du Général Abdourahamane Tchiani, 59 ans, chef de la garde présidentielle du Niger depuis 2011, devenu le nouvel homme fort du pays depuis le 28 juillet 2023. Pour joindre l’acte la parole, les dirigeants ouest-africains n’ont pas hésité le 30 juillet, lors d’un sommet extraordinaire de la CEDEAO, à prendre de sévères sanctions contre les militaires nigériens du CNSP.

Déclarant prendre toutes les mesures au cas où les exigences de la Conférence des Chefs d’États ne seraient pas satisfaites dans un délai d’une semaine pour assurer le rétablissement de l’ordre constitutionnel en République du Niger, ce qui n’exclut pas un usage de la force, ils ont décidé de la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la CEDEAO et le Niger et de la suspension de toutes les transactions commerciales et financières entre les États membres et Niamey.

Outre ces sanctions, les Chefs d’États de la CEDEAO ont également décidé du gel des avoirs de la République du Niger dans les banques centrales de la BCEAO, de celui de toutes les transactions de service, y compris les services publics, ainsi que des avoirs de l’État du Niger et des entreprises publiques et parapubliques logées dans les banques commerciales, de la suspension du Niger de toutes les formes d’assistance financière et de transactions avec toutes les institutions financières, notamment la BIDC et la BOAD, et de l’interdiction de voyage et du gel des avoirs des officiers militaires impliqués dans la « tentative de coup d’État ».

Bola Tinubu, le Président « anti-putsch »

S’il y a un signal fort que la CEDEAO veut désormais envoyer dans la sous-région, c’est l’image d’une institution forte qui ne laissera plus le champ libre aux renversements de pouvoirs démocratiquement installés.

Dès son arrivée à la tête de l’institution sous-régionale, le 9 juillet dernier, le Président nigérian Bola Tinubu, qui a affiché son intransigeance face aux auteurs de coups d’État, avait donné le ton. « Nous ne permettrons pas qu’il y ait coup d’État après coup d’État en Afrique de l’Ouest », avait-il martelé devant ses pairs pour sa première prise de parole en tant que nouveau leader de la communauté. L’un des premiers dirigeants du continent à condamner officiellement le coup d’État contre Mohamed Bazoum, Tinubu, « homme à poigne », est connu pour ses phrases « choc ». Le 30 juillet, à l’ouverture du Sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la situation politique au Niger, le septuagénaire n’y est pas allé de main morte. « L’un de nous est retenu en otage par sa garde présidentielle. Quelle calamité (…). C’est une insulte pour chacun de nous. Nous devons agir fermement pour restaurer la démocratie », a lâché le Président de la plus grande économie du continent, arrivé au pouvoir en mai dernier après avoir remporté dès le premier tour la présidentielle de février 2023.

Le 31 juillet, le chef d’État-major des armées du Nigéria, Christopher Musa, a réitéré sur un média étranger cette position. « Nous allons faire exactement ce que dit le Président Nous sommes prêts et dès que nous recevrons l’ordre d’intervenir nous le ferons. Nous sommes absolument sûr de réussir », a-t-il affirmé.

Des mots à l’action, le Chef d’État nigérian, et par ricochet toute la CEDEAO, est attendu au tournant sur le dossier nigérien. Même s’il semble résolument engagé dans une voie de réhabilitation de son homologue déchu, certains analystes soutiennent que Bola Tinubu court le risque de devenir un « tigre de papier », fort sur le discours mais peu influent et pragmatique en réalité. D’autant que les conséquences sécuritaires d’une intervention pourraient s’avérer dramatiques. Les groupes terroristes Boko Haram, État islamique ou encore JNIM pourraient profiter du chaos ambiant pour asseoir leurs emprises et étendre l’hydre terroriste à d’autres pays de l’organisation.

Issues incertaines

Avant la fin de l’ultimatum de la CEDEAO, le 6 août 2023, des actions sont en cours pour une solution à la crise politique au Niger. Après l’échec de la médiation tentée par le Président béninois Patrice Talon, c’est Mahamat Idriss Déby, Président de la Transition au Tchad, qui s’est rendu dans le pays et a rencontré les principaux protagonistes. Mais les lignes n’ont pas bougé suite à cette visite. Une nouvelle délégation de l’instance sous-régionale est depuis ce mercredi à Niamey pour tenter de trouver une issue pacifique.

En attendant de voir ce qu’il pourra se passer à partir de la semaine prochaine et l’expiration de l’ultimatum « ouest-africain », les analystes avancent plusieurs scénarios pour la suite des évènements au Niger. Allant de l’organisation d’un « coup d’État contre le coup d’État » à une intervention militaire de la CEDEAO avec des pays africains comme le Tchad et soutenue par les Européens, en passant par le soutien à un mouvement populaire de protestation interne contre le coup d’État ou encore des négociations avec les militaires du CNSP pour l’instauration d’une transition, les options sont aussi diverses que risquées pour la stabilité du pays et de la région.  Les militaires qui ont renversé Mohamed Bazoum ont envoyé une délégation conduite par le numéro 2 du CNSP, le général Salifou Mody au Mali et au Burkina le 2 août pour rencontrer les autorités de la transition. Les échanges ont porté sur le renforcement de la coopération sécuritaire notamment alors que les chefs d’état-major de la CEDEAO sont réunis à Abuja au Nigéria au même moment pour plancher sur une éventuelle intervention militaire. La Côte d’Ivoire a déjà fait savoir qu’elle enverrait des troupes si l’intervention était actée.

Incidences sur le Mali ?

Bien avant que le Niger ne tombe dans le cercle des pays de la CEDEAO qui sont dans une rupture de l’ordre constitutionnel, l’institution sous-régionale avait commencé par remettre la pression sur les pays en transition dans l’espace communautaire. Elle prévoyait d’envoyer le Président béninois Patrice Talon au Mali, au Burkina Faso et en Guinée pour relancer le dialogue au plus haut niveau avec leurs autorités respectives, en vue du respect des délais impartis aux transitions. Un nouveau sommet allait d’ailleurs être consacré début août à la situation dans ces 3 pays, selon une source proche de la CEDEAO, comme nous l’évoquions dans notre numéro précédent.

Les évènements au Niger vont-ils amener la CEDEAO, qui n’excluait d’ailleurs déjà pas de nouvelles sanctions, à durcir sa position vis-à-vis des autorités de transition maliennes quant au respect du chronogramme arrêté selon laquelle le pouvoir devrait être remis aux civils en février 2024 ?

Les relations entre le Mali, le Burkina Faso et la CEDEAO semblent à nouveau se dégrader. En réaction aux décisions de la Conférence des Chefs d’États de la CEDEAO du 30 juillet, les deux pays ont indiqué dans un communiqué conjoint le 31 juillet 2023, refuser d’appliquer ces « sanctions illégales, illégitimes et inhumaines contre le peuple et les autorités nigériens ».

« Les gouvernements de Transition du Burkina Faso et du Mali avertissent que toute intervention militaire contre le Niger s’assimilerait à une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali », poursuit par ailleurs le communiqué, dans lequel les deux pays préviennent aussi qu’une intervention militaire contre le Niger entrainerait leur retrait de la CEDEAO et l’adoption de « mesures de légitime défense en soutien aux Forces armées et au peuple du Niger ».

« La CEDEAO, avec le leadership de Bola Tinubu, ne comptait pas tolérer le non-respect du chronogramme de la Transition au Mali et une éventuelle nouvelle prolongation. Avec la nouvelle donne, le cas du Niger et la position des militaires au pouvoir au Mali, elle voudra prendre des mesures pour un retour dans les délais à l’ordre constitutionnel dans le pays, y compris de nouvelles sanctions », glisse un observateur.