Charte nationale pour la paix – Accord pour la paix : Deux trajectoires pour une même quête

Depuis près d’une décennie, le Mali cherche une solution durable à ses crises. Entre l’Accord pour la paix et la…

Depuis près d’une décennie, le Mali cherche une solution durable à ses crises. Entre l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger de 2015, rejeté en 2024, et la Charte nationale pour la paix, adoptée en 2025, deux approches divergentes incarnent la quête malienne de stabilité et de réconciliation. La seconde sera-t-elle en mesure de combler les lacunes de la première? 

Signé en 2015, ce qu’il est convenu d’appeler « Accord d’Alger » visait à pacifier le nord du Mali en impliquant le gouvernement et deux coalitions armées, à savoir la CMA (Rébellion) et la Plateforme (Pro État). Il s’inscrivait dans un cadre international robuste, orchestré par l’Algérie et soutenu par l’ONU, l’Union africaine, l’Union européenne, la CEDEAO, l’OCI et plusieurs puissances. Ce pacte reposait sur une régionalisation avancée, un plan structuré de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR), un mécanisme de gouvernance sécuritaire mixte, ainsi qu’un programme économique ambitieux, financé en partie par un fonds fiduciaire international. Il renforçait également la représentativité des populations du nord dans les institutions nationales et reconnaissait la diversité culturelle du pays. Pour garantir son exécution, il avait mis en place un Comité de Suivi de l’Accord (CSA), composé de toutes les parties signataires, de la médiation internationale et des partenaires techniques et financiers (PTF). Le CSA était chargé de suivre les étapes, d’arbitrer les différends et de proposer des solutions de mise en œuvre. Il comptait également plusieurs sous-comités spécialisés sur les volets politique, sécuritaire et économique. Ce mécanisme de suivi, inédit dans les précédents processus maliens, visait à encadrer le respect mutuel des engagements.

Malgré ce dispositif étayé, l’Accord a patiné, miné par l’insécurité persistante, la méfiance entre les parties signataires, la fragmentation des groupes armés et la complexité bureaucratique de son application. Moins de 30% de ses dispositions ont été mises en œuvre, selon les derniers rapports indépendants. Le Comité de Suivi de l’Accord (CSA), créé pour en superviser l’exécution, s’est progressivement enlisé et les réunions ont été boycottées ou interrompues à plusieurs reprises. En janvier 2024, le gouvernement de transition a annoncé sa dénonciation officielle de l’accord, estimant qu’il n’était plus adapté aux évolutions du terrain ni aux nouvelles aspirations du peuple malien.

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Voie endogène

En rupture avec ce modèle internationalisé, la Charte nationale pour la paix et la réconciliation, adoptée en juillet 2025, propose une voie endogène, fondée sur les traditions socioculturelles maliennes, le retour à l’autorité de l’État et un engagement civique renouvelé. Elle n’est pas un traité entre belligérants mais un texte de principes structurés autour de la souveraineté nationale, de la justice sociale, de la moralisation de la vie publique et de la promotion d’un Islam enraciné, tolérant et républicain. L’approche valorise les mécanismes coutumiers, le rôle des Cadis, la médiation communautaire, la parenté à plaisanterie et les solidarités locales comme socles de la reconstruction du lien social.

Cette Charte, fruit du Dialogue inter-maliens organisé entre février et mai 2024, s’inscrit dans une démarche de réappropriation nationale. Elle n’a été négociée avec aucune partie armée ni encadrée par une médiation extérieure. Le processus de rédaction, conduit par une Commission nationale, a exclu les formations politiques suspendues, la majorité des mouvements signataires de l’Accord d’Alger et les représentants des groupes armés jihadistes. Ce qui alimente les critiques sur son manque d’inclusivité. Des groupes comme la filiale sahélienne d’Al-Qaïda (JNIM) ont rejeté le document, évoquant une initiative unilatérale, sans interlocuteur ni compromis.

Énormes différences

Sur le fond, la Charte se distingue de l’Accord par l’accent mis sur des valeurs immatérielles. Elle engage la nation autour des principes de tolérance, de pardon, d’écoute mutuelle et de réconciliation. Elle met en avant la cohésion nationale, la réforme morale de l’administration, la promotion de la culture, de la mémoire collective et d’une gouvernance sobre et responsable. Elle va plus loin que l’Accord sur certains aspects éthiques et civiques, en tentant de refonder la paix à partir de l’intérieur, sans dépendance vis-à-vis d’acteurs étrangers. À la différence de l’Accord, la Charte ne traite pas de la représentativité territoriale dans les institutions nationales, ni de la réforme constitutionnelle, ni du statut des régions du Nord. Elle ne fait pas non plus mention d’un calendrier de mise en œuvre, d’indicateurs de suivi ou d’engagements budgétaires contraignants. Certains observateurs y voient une faiblesse, d’autres le choix assumé d’alléger les procédures pour favoriser l’appropriation sociale.

Mais elle est plus limitée sur les mécanismes tangibles de sortie de crise. Contrairement à l’Accord de 2015, elle ne prévoit aucun programme explicite de DDR, aucun quota d’intégration dans l’armée ou plan de réintégration structurée des ex-combattants et ne mobilise aucun financement international. Aucun cadre n’est défini pour un dialogue direct avec les principaux groupes armés actifs, comme le GSIM ou l’EIGS. En parallèle, un volet du DDR a été relancé par l’État malien début 2025. Ce processus, distinct de celui prévu dans l’Accord, vise l’intégration de 3 000 ex-combattants dits « républicains », 2 000 dans l’armée nationale et 1 000 dans des programmes d’insertion civile. Bien qu’il ne soit pas directement rattaché à la Charte nationale, ce programme traduit une volonté des autorités de réintégrer certains groupes armés dans une logique nationale, sans médiation étrangère ni négociation avec les groupes jihadistes. Par contraste, le DDR de l’Accord envisageait l’intégration de 21 000 ex‑combattants, en deux vagues successives de 13 000 puis de 8 000, dans les forces armées et la réinsertion socio-économique.

Double défi

La Charte pose ainsi donc un double défi, à savoir celui de son financement autonome et celui de son appropriation collective, dans un contexte marqué par la fragmentation de l’espace national et la défiance envers les institutions de la Transition. Sa mise en œuvre repose entièrement sur l’engagement de l’État, des collectivités, des communautés et des leaders religieux, sans levier externe de pression ni garantie internationale.

Ce changement de paradigme illustre deux visions. L’une, diplomatique et multilatérale, basée sur la négociation entre acteurs armés et institutions étatiques; l’autre, politique et culturelle, centrée sur une refondation interne portée par les Maliens eux-mêmes. L’Accord offrait une architecture ambitieuse, juridiquement encadrée, mais sa mise en œuvre a souffert de rivalités, d’ambiguïtés et de divergences d’interprétation. La Charte, plus légère institutionnellement, cherche à rétablir le lien civique et le pacte moral entre l’État et ses citoyens, sans répondre directement à la réalité des armes.

De plus, les risques liés à la Charte résident dans ses ressources limitées, l’absence d’appui logistique ou financier externe et l’exclusion de certains acteurs clés du terrain. Pourtant, elle incarne une volonté forte de réaffirmer la souveraineté nationale, de reconstruire la confiance interne et de construire un modèle de paix enraciné dans le patrimoine moral, religieux et coutumier du Mali.

Attentes non comblées

Dans plusieurs localités du nord et du centre, des populations expriment encore des attentes vis-à-vis de promesses restées inachevées depuis l’Accord de 2015, notamment en matière de sécurité, d’accès aux services de base et de développement local. La Charte, qui insiste sur la réconciliation nationale, est encore peu connue dans certaines zones rurales, malgré des efforts de sensibilisation. Cette asymétrie de réception souligne les défis liés à la vulgarisation et à l’appropriation d’un document conçu au sommet de l’État.

La trajectoire malienne reste en cours de définition. Elle est partagée entre la mémoire encore vive d’un cadre diplomatique structuré mais inachevé et l’émergence d’une architecture nationale recentrée sur les ressorts internes de cohésion. Les repères évoluent. La manière dont ces deux démarches s’inscrivent dans le vécu des populations, la capacité des institutions à en porter l’esprit et surtout l’évolution des dynamiques sécuritaires locales diront peut-être, à terme, laquelle aura été la plus opérante et efficace pour faire émerger une paix concrète et durable au profit des populations. Lesquelles ont souffert d’une crise dont le bout du tunnel n’est toujours pas à portée de vue.

MD