Le 13 mai 2025, les autorités de la Transition ont annoncé par décret présidentiel la dissolution de l’ensemble des partis politiques et des associations à caractère politique. Officiellement présentée comme une étape décisive et un passage obligé vers la mise en œuvre des recommandations des Assises Nationales de la Refondation, cette mesure marque une rupture sans précédent dans l’histoire démocratique du pays.
Purge salutaire d’un système politique défaillant ou glissement préoccupant vers un pouvoir sans contrepoids ? La dissolution des partis politiques sur l’ensemble du territoire national ainsi que des associations à caractère politique continue de soulever des interrogations.
Le gouvernement de transition justifie cette mesure par la nécessité de reconstruire la scène politique sur des bases assainies, suite au constat, au fil des années, d’un pluralisme politique, vidé de sa substance, qui a réduit les partis à des instruments d’opportunisme électoral.
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Plus de 280 partis politiques étaient enregistrés, dont une large majorité sans réelle activité ni ancrage territorial. En mettant fin à cette « cacophonie », le gouvernement entend ouvrir la voie à une nouvelle ère de gouvernance politique, mieux structurée et plus éthique.
Lors d’un point de presse tenu le 14 mai dernier, le ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Réformes politiques et du Soutien au processus électoral, Mamani Nassiré, a indiqué que la décision du gouvernement était la suite logique des différentes réformes engagées sous la Transition depuis quelques années.
« La dissolution des partis politiques constitue une voie que nous avons trouvée pour appliquer l’une des recommandations fortes, qui a été d’ailleurs faite par l’ensemble des forces vives de la Nation ayant participé aux Assises Nationales de la Refondation, à savoir la réduction du nombre des partis politiques », a confié pour sa part le Premier ministre Abdoulaye Maïga le 19 mai 2025 devant les membres du Conseil national de Transition.
L’analyste politique Ousmane Bamba partage cet avis. « Je fais la part des choses entre la démocratie et la dissolution des partis politiques. Cela n’a rien d’anti-démocratique. Selon moi, cela permet simplement une réorganisation », soutient-il.
Des voix contre
La décision du 13 mai a été accueillie avec indignation par une grande partie de la classe politique dissoute. Dénonçant une dérive autoritaire, certains dirigeants de formations politiques ont annoncé des recours en justice, tant devant les juridictions nationales que régionales et internationales, pour obtenir l’annulation du décret de dissolution des partis politiques.
L’ancien ministre de la Justice Mamadou Ismaïla Konaté regrette pour sa part « un recul historique du Mali en matière de démocratie ». « Cette dissolution des partis politiques confirme une volonté assumée d’installer un pouvoir militaire personnel, en dehors de tout processus démocratique. C’est un acte de guerre contre le pluralisme, l’État de droit et la liberté », dénonce l’ancien Garde des sceaux du Mali.
Dans un communiqué publié le 16 mai 2025, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Volker Türk, a lui aussi appelé les autorités de la Transition malienne à abroger le décret de dissolution des partis et à rétablir pleinement les droits politiques dans le pays.
« Le Président de la Transition doit abroger ce décret draconien et toute restriction de la participation politique doit être conforme aux obligations internationales du Mali en matière de droits humains », a-t-il demandé.
Mais, dans un contexte où la Transition bénéficie d’un contrôle institutionnel renforcé et où les appels à la souveraineté nationale priment sur les injonctions extérieures, peu d’observateurs s’attendent à une issue favorable à court terme.
Les voies de recours, bien que légitimes, semblent symboliques face à la volonté politique affirmée de recomposition du champ politique.
Vers un système politique rationalisé ?
Le gouvernement ne cache pas ses intentions. Une nouvelle Charte des partis politiques est en cours d’élaboration. Le futur texte vise à définir un nouveau cadre légal, plus strict, pour autoriser l’existence et le fonctionnement des partis au Mali. Plusieurs pistes issues des recommandations des forces vives de la Nation sont déjà à l’étude.
D’abord, la mise en place de critères rigoureux de création, pour éradiquer les partis de façade et favoriser l’émergence d’acteurs politiques crédibles et enracinés. Parmi ces critères, entre autres, une implantation effective dans plusieurs régions, un fonctionnement interne démocratique et transparent et une caution de 100 millions francs CFA pour la création de tout parti politique.
Ensuite, la moralisation de la vie politique est érigée en principe fondateur. En vue de restaurer la confiance entre citoyens et représentants politiques, le futur texte pourrait interdire l’accès à la direction d’un parti à toute personne condamnée pour des faits de corruption ou de détournement de fonds publics.
Le financement public des partis sera lui aussi repensé. Pour éviter que les subventions publiques ne servent à enrichir quelques individus au lieu de soutenir l’action politique, la nouvelle charte pourrait supprimer tout simplement ce financement, comme recommandé d’ailleurs par les forces vives, ou établir de nouveaux mécanismes avec un contrôle renforcé de la Cour des comptes.
Enfin, des réflexions sont en cours autour de la limitation du nombre de partis autorisés. Si lors des dernières consultations des forces vives, fin avril dernier, elles avaient recommandé un maximum de cinq partis politiques dans le pays, certains évoquent l’instauration d’un système de regroupements politiques ou de blocs afin de structurer durablement la scène politique autour de grandes forces idéologiques cohérentes. Une telle configuration pourrait renforcer la lisibilité du débat public et la stabilité des institutions.
« Il faut que les nouveaux partis politiques naissent sur la base d’une idéologie. Les gens ont détaché la politique de l’idéologie. Or si l’on détache la politique de l’idéologie, on ne pourra plus faire la différence entre les partis politiques et le peuple n’aura plus de grille de lecture pour faire un choix conscient et civique », appuie l’analyste politique Ousmane Bamba.
Nouvelle architecture en vue
La dissolution des partis politiques actée le 13 mai 2025 ne signe pas la fin du jeu politique au Mali, mais son redémarrage sur des bases profondément remaniées. Pour exister dans le cadre du nouveau dispositif légal en gestation, les anciens partis devront se restructurer ou fusionner et revoir leur mode d’organisation. Si certains disparaîtront, d’autres renaîtront sous de nouvelles formes.
Lors de ce « nouveau départ », de nouveaux acteurs pourraient émerger. Des mouvements citoyens, des collectifs de jeunes, des personnalités issues de la société civile ou de la diaspora, ou même des jeunes leaders issus des anciennes formations politiques pourraient incarner une nouvelle dynamique. Le renouvellement générationnel et idéologique, souvent souhaité mais rarement observé, pourrait enfin s’amorcer.
Toutefois, cette probable recomposition de la scène politique ne va pas sans risques. Certains craignent que la refondation de la vie politique en cours dans le pays ne serve à verrouiller le système au profit d’un cercle restreint de fidèles du pouvoir.
Si la tentation d’exclure ou de marginaliser les voix discordantes semble bien réelle, le défi pour la Transition sera de concilier assainissement politique et pluralisme démocratique.
Le ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Réformes politiques et du Soutien au processus électoral, Mamani Nassiré, assure que le gouvernement mettra tout en œuvre pour élaborer la nouvelle charte dans un contexte inclusif.
Dans le processus de rédaction du nouveau texte, il affirme que les autorités de la Transition feront appel à toutes les personnalités qui peuvent y contribuer, y compris les anciens acteurs politiques.
Mohamed Kenouvi