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Elimination du Mali de la CAN : Le chagrin et la pitié

« La plupart des gens abandonnent juste quand ils sont sur le point d’atteindre le succès. Ils abandonnent à la dernière…

« La plupart des gens abandonnent juste quand ils sont sur le point d’atteindre le succès. Ils abandonnent à la dernière minute du jeu, à un doigt de la victoire ». Deux fois candidat aux élections présidentielles aux États-Unis, en 1992 et 1996, Henry Ross Perot, homme d’affaires et politicien américain (1930-2019), a traduit bien avant la lettre le sentiment ressenti par l’écrasante majorité des Maliens lorsque, peu après 19h30, le glas sonna le samedi 3 février la déroute de l’équipe nationale du Mali face à sa rivale de la Côte d’Ivoire, au terme de 120 minutes d’une empoignade qui plongea tout un peuple dans le désarroi. Beaucoup de Maliens passionnés de foot ont été dévastés par un réel état de dépression insurmontable qui provoqua en eux un profond dégoût du football. Le désarroi est d’autant plus déconcertant que, de l’avis formel de nombreux observateurs, la meilleure équipe a perdu une confrontation qui était amplement à sa portée. Résultat irrationnel ? Le déroulement de la partie peut le laisser penser. Durant presque toute la rencontre, la possession du ballon était malienne. Mais quelle valeur accorder à une domination si elle ne se traduit pas par un avantage au tableau d’affichage ? La brillante inspiration technique qui semble caractériser le style de jeu malien, sans efficacité à la clé, n’est qu’un leurre et renvoie à une illusion de l’apparence.

À la 17ème minute, Adama Noss Traoré (29 ans), ne réussit pas à tromper le gardien ivoirien en tirant sans conviction le penalty qui venait d’être accordé au Mali. Manifestement gonflés à bloc, les Maliens, avec un milieu de terrain très actif, réussirent à priver leurs adversaires du ballon. Possession 62% contre 38%. À partir de la 44ème minute, suite à l’expulsion du défenseur central ivoirien Odillon Kossounou, le Mali évoluera à 11 contre 10. Le splendide but marqué à la 71ème par le feu follet Nene Dorgelès, ayant remplacé 9 minutes plus tôt Noss, saisi d’une étrange apathie sur le terrain, concrétisa la domination malienne.

Puis soudain, plus rien. Les Éléphants, piqués au vif, se lancèrent comme des morts de faim à l’abordage. On avait le sentiment que c’étaient les Maliens qui jouaient à 10 contre 20 Ivoiriens, comme le fera remarquer ironiquement à la fin de la partie le lutin attaquant ivoirien Alain-Max Gradel. Les Aigles avaient comme les ailes rognées. Ils s’embourbèrent dans de stériles escarmouches, malgré une timide éclaircie provoquée par le remplacement de Kamory Doumbia par Yves Bissouma qui, malheureusement, n’était pas assez saignant dans ses prises de balle, avec des relances plutôt timorées.

En faisant sortir Lassiné Sinayaoko qui, par sa puissance et sa force de pénétration, perturbait l’axe central ivoirien, le coach malien permit aux défenseurs ivoiriens de s’enhardir et d’oser aller en renfort à leur ligne d’attaque. La pression s’intensifiait sur la formation malienne, de plus en plus déconcentrée par des remplacements intempestifs, qui, au lieu d’apporter un regain d’entrain au rythme de jeu malien, contribuèrent à la confusion dans le dispositif tactique des circaètes.

La désorganisation dans le jeu, et surtout dans les têtes maliennes, était palpable. La sérénité s’était évaporée et tout pouvait arriver. Les attaques placées dont l’équipe malienne avait la maîtrise devenaient friables devant les contre-attaques des Ivoiriens. Alors que les substitutions ne produisaient que confusion et fragilité dans les rangs maliens, elles s’avéreront décisives chez les Ivoiriens. En 30 minutes, à la 90ème et à la 120ème, les rentrants Simon Adingra et Oumar Diakité réussirent à ruiner les espoirs maliens. L’expulsion du Capitaine Hamari Traoré à la 120ème + 5 pour contestation véhémente des décisions de l’arbitre égyptien Adel, ainsi que celle d’un joueur ivoirien, Oumar Diakité, qui écopa d’un 2ème carton jaune pour avoir ôté son maillot en célébrant son but, relèvent de l’anecdote. En fin de compte, les faiblesses de l’équipe nationale du Mali résidaient dans un manque d’expérience manifeste, la gestion des efforts, la fougue de la jeunesse et sans doute trop de pression inutile sur les épaules des joueurs, entraînant une perte de lucidité.

La rage de vaincre des Ivoiriens est venue à bout de la résignation malienne, créant une chape de plomb sur tout le Mali. À la télévision nationale, le Directeur des publications de l’AMAP (Agence malienne de presse et de publicité), Souleymane Bobo Tounkara, a eu beau jeu de rappeler le déficit criard dans les rencontres entre les deux voisins au détriment du Mali. Désormais, sur 40 rencontres entre Maliens et Ivoiriens, 4 victoires « kep » (seulement) sont à mettre à l’actif des premiers et 26, 6 fois plus, à celui des seconds. Jusqu’à quand ?

Que retenir de la rencontre de Bouaké ? Rarement dans une confrontation sportive la dimension psychologique aura atteint un tel degré. Quelques dizaines de supporters des Aigles maliens, aussi vaillants furent-ils, ont fait difficilement le poids face à environ 40 000 voix poussant au dépassement les représentants ivoiriens. Indiscutable avantage du terrain en faveur des Éléphants. Les Aigles ont fait montre d’une condition physique satisfaisante. Parfois même trop. Samedi, le Mali, à cause d’une trop grande ardeur dans l’engagement physique, malgré des gabarits moyens en général, a commis beaucoup plus des fautes que l’équipe adverse, même si, au chapitre des avertissements, le Mali, avec 3 unités, en a reçu 2 fois moins que la Côte d’Ivoire.

Au plan technique, l’équipe du Mali en a séduit plus d’un, y compris ses différents adversaires, notamment Burkinabé et Ivoiriens. Un fonds de jeu parfois chatoyant qui, malheureusement, est entaché de réflexes contre-productifs comme l’abus des rétro-passes (n’est-ce pas, Capitaine Hamari Traoré ?) ou encore une lenteur inacceptable dans la circulation du ballon. Le constat est sans appel. La cohésion entre les joueurs et entre les lignes laisse à désirer et montre de graves lacunes dans les automatismes, se traduisant par un taux de déchets anormalement élevé dans la surface adverse, où de nombreuses occasions de but ont été gâchées. On en arrive à se demander si le Mali dispose d’une équipe-type, tellement sa composition ne reflète pas une grande stabilité. L’entraîneur Djibril Dramé, a, à juste raison, dans ses commentaires avant-match de samedi, déploré le mauvais ratio entre les occasions de but et celles qui ont été converties. Cette tare est une tragique constante dans le football malien, depuis la nuit des temps. La promesse faite par Dramé pour remédier à cette situation mérite d’être saluée.

On ne le répétera jamais assez. La dimension psychologique est de plus en plus déterminante dans la pratique sportive. Sa place est primordiale dans l’accompagnement des pratiquants de sports de haut niveau. La Seleçao, encore appelée Auriverde (jaune et vert, en référence aux couleurs du drapeau brésilien), s’est toujours attachée les services de deux ou trois psychologues. La pratique est courante dans bien d’autres pays, et pas seulement pour le football. À Bouaké, le climat qui entourait la rencontre Mali-Côte d’Ivoire était sujet à caution. Le sport et les considérations extra-sportives ne sont pas compatibles.

L’émulation et la rivalité saines sont inhérentes à la confrontation sportive. Elles ne devraient cependant pas engendrer de passions malsaines. Elles engagent la responsabilité morale et juridique des instances faîtières sportives comme la FIFA (Fédération internationale de football association) et la CAF (Confédération africaine de football). Celles-ci ne semblent pas toujours se soucier des conséquences regrettables découlant de l’exaspération des comportements pervers dans l’encadrement des manifestations sportives qui, de plus en plus, mettent en jeu des intérêts matériels, économiques, financiers, voire politiques, excessifs. On n’est jamais à l’abri de dérives. Quant aux responsables qui tournent autour des Aigles, ils ne devraient jamais perdre de vue qu’haranguer les siens est légitime mais que les étouffer sous des considérations chauvines au point de les perturber, jusqu’à leur faire perdre leurs moyens, est malsain et doit être banni. Il est loin le temps d’Hitler qui se servait du sport pour faire l’apologie, aux Jeux Olympiques de 1936, de la prétendue suprématie de la race aryenne.

La pression était trop forte, aussi bien sur les joueurs maliens que sur leurs homologues ivoiriens et sur leurs encadrements techniques respectifsElle a quelque peu inhibé les joueurs maliens tandis qu’elle semble avoir stimulé l’amour-propre des Ivoiriens, qui avaient conscience d’avoir échappé à la catastrophe après la débâcle du 22 janvier, avec un cinglant 4 à 0 infligé par la Guinée équatoriale. Il ne serait donc pas tout à fait juste de tout mettre sur le compte d’Emerse Faé (40 ans), remplaçant de Jean-Louis Gasset, parrain de la déroute face aux Équato-guinéens. Sur le banc de touche, l’agitation frénétique et l’apparente absence de sérénité perceptibles chez Faé ne donnaient pas l’impression qu’il était l’inspirateur de la résurrection miraculeuse des Éléphants.

Quid de l’arbitrage ? Tout comme le Gabonais Pierre Ghislain Atcho, qui a bredouillé sa prestation lors de la rencontre Sénégal-Côte d’Ivoire, l’Égyptien Mohamed Abed Elsaid n’a pas été exempt de tout reproche au cours de la rencontre Mali-Côte d’Ivoire, pas plus que les assistants VAR (Video Assistant Referees / Assistants vidéo à l’arbitrage). La principale satisfaction à retenir est à mettre au compte du comportement fair-play observé chez des adversaires qui ne se sont jamais manqué de respect mutuel. Beaucoup de gestes sportifs courtois ont retenu l’attention, comme lorsque des joueurs, après quelques frictions, s’excusaient entre eux, à l’instar de Oumar Diakité, le bourreau du Mali, après un mauvais geste à l’endroit de Nene Dorgelès. Et tant d’autres gestes rappellent que des compétitions comme la CAN ne doivent pas être perçues autrement que comme des retrouvailles entre jeunes de pays liés par des valeurs infiniment supérieures aux trophées décernés à l’issue des joutes.

De tous les joueurs maliens, le gardien Djigui Diarra doit être crédité d’une excellente CAN pour ses multiples sauvetages lors des assauts adverses. Chapeau, l’artiste !