À l’occasion de la 35ème Journée panafricaine des Femmes (31 juillet), le Mali dresse un bilan contrasté de la situation des droits de ses citoyennes. Malgré un cadre légal solide, les inégalités sociales et économiques persistent, freinant la pleine réalisation de l’égalité. Cette journée rappelle l’urgence d’agir pour transformer les avancées juridiques en droits concrets pour toutes les Maliennes.
Le Programme 2030 des Nations unies sur le développement durable est un engagement mondial fondé sur le respect des droits de l’Homme et de l’environnement. Une boussole à travers laquelle on mesure désormais les progrès pour une égalité de chances. Si le Mali dispose d’un cadre législatif propice, la réalisation d’une justice sociale, notamment en faveur des femmes, reste confrontée à des défis importants.
Le cadre législatif relatif à l’égalité des sexes est riche de plusieurs textes nationaux et internationaux auxquels le Mali a souscrit. Il comprend entre autres la Convention internationale de l’ONU sur les droits économiques sociaux et culturels, qui a été ratifiée par le Mali le 16 juillet 1974, ainsi que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ratifiée par le Mali le 10 septembre 1985.
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Le Mali a souscrit à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples le 21 juin 1981 et à son Protocole facultatif relatif aux droits des femmes en Afrique. À cela s’ajoute la Constitution adoptée le 22 juillet 2023, qui prône l’égalité. Ces instruments juridiques nationaux, internationaux et régionaux s’inscrivent donc dans le cadre de l’établissement d’une justice sociale, afin que toutes les personnes jouissent de leurs droits en termes de participation à la vie publique. C’est dans ce cadre que, pour favoriser la participation à la prise de décision, la loi N°2015-052 du 18 décembre 2015 instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives a été adoptée.
L’adoption de ces textes peut donc être considérée en soi comme une « avancée », estime Diarra Djingarey Maïga, Présidente du Mouvement féministe du Mali (MFM). Mais si les lois permettent la participation de tous, la pratique limite la jouissance équitable de leurs droits par les citoyens, en fonction notamment de leur sexe et des stéréotypes associés.
Inégalités de fait
Malgré l’existence de ces lois, les inégalités persistent dans la pratique. En raison d’une tradition de forte oralité, où les interdits et les permissions sont plus forts que les lois, ajoute Mme Maïga. Si on y ajoute le poids des religions, cela accentue les disparités. Une personne s’identifie d’abord par sa famille, son ethnie, sa communauté ou sa religion. Et lorsque les interprétations « erronées » se mêlent aux difficultés d’analyse, les femmes sont souvent peu nombreuses à faire la part des choses. Dans la plupart des cas, les rôles souvent dévolus aux femmes limitent leurs compétences et capacités. Mais c’est aussi dans les textes mêmes que subsistent les « injustices ». L’ordonnance n° 02-02/PRM du 22 mars 2000 portant Code domanial et foncier a reconnu la coutume comme mode d’accès à la propriété foncière. Or, de façon coutumière, les femmes n’ont généralement pas accès à la propriété, ce qui limite de fait leur jouissance de ce droit.
« L’emploi constitue l’un des domaines dans lesquels les inégalités entre femme et homme sont les plus prononcées », relève le livret homme-femme de l’Institut national de la statistique (INSTAT), publié en février 2024. « Le travail de la femme est en général sous-évalué, notamment dans les pays en développement, la raison principale est le fait que les activités ménagères, presque entièrement assumées par les femmes, sont improductives et ne sont généralement pas perçues comme du travail ».
Selon le rapport, les femmes sont moins rémunérées que les hommes, quels que soient le milieu de résidence, le groupe d’âge et le niveau d’instruction. En 2020, en milieu urbain, 35,1% des femmes étaient payées en dessous du SMIG, contre 6,3% des hommes. Même si cette proportion a diminué en milieu rural, où 31,2% des femmes sont rémunérées contre 9,8% des hommes, toujours en dessous du SMIG.
Au niveau du groupe d’âge, les femmes âgées de 15 à 24 ans sont beaucoup plus nombreuses que les autres tranches d’âge, avec 72% payées en dessous du SMIG, contre 31,4% chez les hommes. Les femmes n’ayant aucun niveau d’instruction (86%) sont plus nombreuses que les autres niveaux d’éducation qui n’atteignent pas le SMIG. Chez les hommes, les sans niveau sont plus importants, avec 19,4%, que les autres niveaux d’instruction.
Le niveau d’éducation est également l’un des domaines où l’on observe cette inégalité. Selon les résultats de l’enquête, environ six personnes sur dix (60,4%) sont sans instruction, une petite portion de la population a atteint le niveau universitaire (1,3%) et seulement 5,1% a atteint le niveau d’éducation secondaire. La partie restante, qui représente près d’un tiers de la population, n’a pas dépassé le niveau primaire. Les résultats selon le sexe montrent que les hommes sont plus scolarisés que les femmes à partir du secondaire. En effet, 5,9% des hommes ont un niveau secondaire contre 4,3% des femmes. Au primaire, 30,5% ont accès à l’éducation, contre 35,9% pour les hommes, alors qu’ils sont 1,8% au niveau supérieur contre 0,9% pour les femmes.
Violences et mariages précoces
De façon globale, la remise en cause des droits humains, en particulier ceux des femmes, se manifeste à travers la violence sous plusieurs formes, des violences physiques aux violences émotionnelles, en passant par les mariages précoces et forcés. En Afrique de l’Ouest, 44% des femmes de 20 à 24 ans sont mariées avant l’âge de 15 ans. Au Mali, cette proportion atteint 61%, en contradiction avec les engagements internationaux du pays, qui fixent l’âge du mariage à la majorité civile.
« Violations perpétuées »
En raison d’une peur de la stigmatisation, certaines victimes « préfèrent souffrir que de dénoncer », déclare Mme Diawara Bintou Coulibaly, Présidente de l’Association pour la défense et le progrès des femmes (APDF). Mais elle note tout de même un changement dans ce domaine. « En 2023, nous avons géré 475 dossiers », témoigne-t-elle. Ce qui prouve que « petit à petit les femmes dénoncent et c’est une avancée ». Malgré les préjugés, certaines femmes acceptent de « se jeter à l’eau », parce qu’elles « n’ont pas où s’exprimer », ajoute Mme Diawara. Souvent invitées à endurer, les victimes de violences ont parfois un choix difficile entre dénoncer ou renoncer, au prix de leur santé ou de leur vie. Un dilemme face auquel les organisations de défense des droits humains prônent la sensibilisation et une application effective des textes.
Sensibiliser
Pour changer la donne, il faut faire comprendre sur l’égalité des sexes et adopter un langage uniforme qui permettra à tout le monde d’appréhender les concepts, quels que soient son niveau et sa langue, suggère Mme Diarra. L’égalité des genres doit devenir une réalité. Au-delà des lois, des politiques et des décideurs, un lobbying est nécessaire pour aboutir au changement de comportement sur l’égalité des sexes.
La lutte doit être plus ancrée, reconnaissent les défenseurs des droits de la femme. Les communautés locales doivent s’engager afin d’amener les décideurs à opter pour le changement. Parallèlement, les efforts doivent se poursuivre pour les changements et la « relecture des lois inégalitaires du niveau local au niveau national ».
D’après l’Indice de l’Égalité des genres en Afrique produit par la Banque Africaine de Développement (BAD), qui mesure trois dimensions : économique, sociale, représentation et autonomisation, le score régional du Sahel est de 32,4% pour 5 pays dont le Mali. Il en résulte un écart entre les femmes et les hommes de 67,6% sur ces trois dimensions. Ce qui indique un fort taux d’inégalités dans la région. Des efforts doivent donc être faits afin de réduire ces inégalités, selon le Bulletin des droits des femmes au Mali de l’UNFPA publié en mars 2024. Le Mali compte aujourd’hui une population d’environ 22,40 millions d’habitants, répartie quasi équitablement entre 11,26 millions d’hommes et 11,14 millions de femmes.
Fatoumata Maguiraga