Santé




Hôpitaux publics : grands corps malades

Manque d’équipements, de personnel, de formation… Les structures étatiques de santé maliennes vivent une crise sans fin, occasionnant une multiplication…

Manque d’équipements, de personnel, de formation… Les structures étatiques de santé maliennes vivent une crise sans fin, occasionnant une multiplication des grèves des agents, à bout de souffle. Leurs maux impactent leurs capacités à soigner leurs patients.

« Le Mali était un grand corps malade auquel le traitement prescrit n’était pas adapté ou inefficace ». La formule est du Premier ministre Choguel Kokkala Maïga, qui la répétait tel un mantra durant les premières semaines de la « Rectification ». À l’interne, le grand corps malade médical peine encore dans sa rééducation. Des parties du corps sont gangrenées et ces gangrènes ont pour noms : grèves incessantes dans les structures sanitaires, plateau technique inadapté, personnel insuffisant. Le système de santé n’est ni adapté ni à la hauteur, selon des responsables syndicaux.

La Loi hospitalière malienne donne par exemple la possibilité à chaque citoyen de choisir le médecin de son choix alors que « l’idéal », selon les médecins, serait de respecter la pyramide de la santé. Cette pyramide souhaiterait que le malade passe d’abord par le CSCOM (Centre de santé communautaire), « qui est proche de lui et de son environnement », avant de passer au Centre de référence (CSRéf) au niveau de la commune, puis aux centres de troisième référence, les CHU (Centres hospitaliers universitaires).

« C’est l’un des premiers problèmes. Le malade quitte directement son quartier de résidence pour aller au CHU, avant même de passer au CSCOM. Cela pose énormément de problèmes. Il en a le droit parce que la loi lui donne cette possibilité. La pyramide n’est pas respectée, ce qui fait qu’il y a des détails qui peuvent échapper au médecin que le malade vient voir en troisième référence », explique le syndicaliste Djimé Kanté, Président de Globale Santé Solidarité.

Une autre difficulté, qui revient incessamment dans les justifications des mots d’ordre de grèves des syndicats de la santé, est le manque de personnel, « à tous les niveaux », dans les hôpitaux. Depuis près de trois ans, elle figure en bonne place dans les 12 revendications des médecins grévistes de l’hôpital du Point G. « Au service d’urgence, par exemple, nous n’avons que deux médecins qui se relaient. S’il faut qu’une seule personne gère une dizaine de lits en plus des urgences qui peuvent arriver, c’est compliqué. Ce qui fait que la prise en charge de certains malades ne se fait bien. Et cela pourrait être la cause de certains décès », regrette le Pr Guida Landouré, Secrétaire général adjoint du Syndicat national de la Santé, de l’action sociale et de la promotion de la famille au Point G.

Hygiène

Pour pallier l’obstacle, alors que « le marché est rempli de diplômés en médecine sans emploi », les syndicalistes appellent à leur insertion, « directement », dans la Fonction publique, « comme cela se fait dans plusieurs pays ». Au manque de personnel qualifié s’ajoute un problème d’hygiène. « Si nous prenons l’ensemble de nos structures de santé, elles sont toutes sales », fustige Djimé Kanté. « Quand je parle d’hygiène, je ne parle pas de ce que tout le monde voit, mais de bien plus. Par exemple, pour le nettoyage des matériels de blocs, des blouses… toutes les conditions ne sont pas respectées ». Ceci engendre, à l’en croire, comme conséquence la multiplication des maladies nosocomiales (contractées au cours d’un séjour dans un établissement de soins). « Vous venez souvent en tant qu’accompagnant d’un malade, mais vous-mêmes attrapez des maladies. Et il arrive souvent que les accompagnants de certains malades meurent et laissent leur patient. Il y a tous ces aspects. C’est pourquoi, j’aime le dire, nous n’avons pas un système de santé digne de soigner des êtres humains. Sous d’autres cieux, vous verrez des animaux mieux traités, mieux soignés que nous les Maliens », déplore le syndicaliste.

Les grands hôpitaux font aussi face au manque de financements. De l’avis des acteurs, le budget alloué aux structures de santé est « insignifiant » par rapport à ce qui doit y être injecté. « Gabriel Touré, par exemple ne trouve même pas 15% du budget dont il a besoin pour la bonne marche de l’hôpital auprès des décideurs, alors que les matériels médicaux coûtent énormément cher », atteste un ancien comptable de la structure sanitaire. Outre la cherté du matériel, des « malversations » dans les procédures d’achats et la gestion des appareils sont pointées du doigt par certains militants. « Des marchés sont passés n’importe comment. C’est à dire que si vous devez acheter un scanner, vous avez forcément besoin de l’avis du manipulateur, de celui qui va être responsable de sa maintenance. Mais ceux qui doivent doter les hôpitaux des matériels adéquats prennent ce qui leur tombe sous la main, là où ils ont un certain pourcentage, sans l’avis des experts. C’est pourquoi beaucoup ne font pas confiance aux analyses des hôpitaux publics », s’attriste un médecin syndicaliste.

Au tableau des difficultés hospitalières également, « des conditions d’accueil qui laissent à désirer ». Comme au CHU Gabriel Touré, dont même l’accès relève souvent du parcours du combattant à cause de l’encombrement du Grand marché. « L’accueil fait défaut et le nombre de caisses est insuffisant. Si vous venez à 8h dans cet hôpital,  souvent à 10h vous n’avez pas encore votre simple ticket de consultation. Vous perdez toute une journée pour une consultation qui ne prend pas plus de 10 à 15 minutes », déplore Bakary Konaté, Venu pour une consultation au CHU ce lundi 15 mai 2023, l’enseignant attend depuis longtemps dans la file d’attente. À Gabriel Touré, l’un des plus réputés hôpitaux au Mali, les difficultés sont légion. « Ici, souvent, même pour délivrer une ordonnance à quelqu’un vous ne trouverez pas de papier. Le personnel est totalement démotivé », charge un syndicaliste, d’après lequel la situation fait énormément de « mécontents » au niveau de la structure. « Bientôt nous allons déposer un nouveau préavis de grève, parce que des engagements ont été pris et n’ont jamais été respectés ».

Bras de fer

Grever face à leurs mille et une difficultés, c’est « l’arme » préférée des syndicats de la Santé. « C’est la seule arme dont nous disposons et nous l’utiliserons tant que les autorités continueront à refuser de satisfaire nos revendications », indique le Pr Guida Landouré. Ces revendications sont entre autres le retour du Secrétaire général du syndicat à l’hôpital du Point G, l’amélioration du plateau technique de l’hôpital, le recrutement de personnel et le paiement intégral des primes de garde. Depuis trois ans, le bras de fer persiste entre ce syndicat et les autorités. Il n’est pas sans conséquences. Dans une note datée du 3 avril 2023, Dr Brahima Dicko, médecin légiste au CHU du Point G, faisait état de plus de 600 décès entre janvier et mars 2023, dans « le contexte particulier de grève ou arrêt de travail » dans plusieurs services hospitaliers.

« Ce chiffre majeur de décès enregistrés (200 cas par mois en moyenne, dont certains évitables) exige une résolution diligente et holistique des problèmes au bénéfice des usagers désespérés, en attente anxieuse de soins », indiquait-il. Un rapport a été demandé aux différents services de l’hôpital pour faire la lumière sur cette affaire.

Les syndicats nient toute responsabilité et refusent de lier cela à leur grève, du moins « jusqu’à preuve du contraire ». Selon le Secrétaire général adjoint du Syndicat du Point G, « il y avait un problème de groupe électrogène au Point G. Quand le groupe électrogène part en panne et qu’il y a une coupure d’électricité dans des endroits comme le service de réanimation, cela engendre directement la mort des patients qui s’y trouvent, parce que ce sont des machines qui les maintiennent en vie ».