L’économiste Modibo Mao Makalou revient sur les enjeux du passage à la monnaie unique de la CEDEAO prévue pour 2027. Il analyse la position du Mali entre l’UEMOA et l’AES, ainsi que les défis d’une souveraineté monétaire réelle pour les États africains.
Le débat sur le FCFA s’intensifie au moment où la région connaît de fortes recompositions politiques. Quelle lecture en faites-vous ?
Modibo Mao Makalou : En effet, il existe présentement 2 zones monétaires à l’intérieur de la Communauté Économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui disparaîtront avec le lancement de la monnaie unique de la CEDEAO, l’ECO qui est prévu pour 2027. Il existe 8 monnaies en Afrique de l’Ouest pour 15 pays : les 8 pays membres de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) qui possèdent une monnaie commune, le franc CFA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger Sénégal et Togo), et les 7 autres pays membres de la CEDEAO qui possèdent une monnaie nationale : le cédi au Ghana, le dalasi en Gambie, le dollar libérien au Libéria, le franc guinéen en Guinée, le leone en Sierra Leone, le naira au Nigeria, et l’escudo au Cap-Vert verront leur monnaie disparaitre au profit de l’ECO en 2027. Ces monnaies nationales à l’exception de l’escudo du Cap-Vert sont regroupées au sein de la Zone Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO) et ne sont pas convertibles entre elles, ce qui augmente les coûts de transactions et tend à défavoriser les échanges commerciaux formels. L’UEMOA et la ZMAO utiliseront la monnaie unique ECO lorsqu’elle sera lancée à l’horizon 2027 car le FCFA et les 7 autres monnaies pourront disparaitre même si l’idée d’une monnaie commune parait plus probable.
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Le Mali, membre de l’UEMOA mais aussi de l’AES, peut-il durablement concilier les deux cadres ?
MMM : Une union économique et monétaire pourrait favoriser une utilisation plus efficace des ressources et stimuler la croissance économique. Les 3 pays membres de la Confédération de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) ; Burkina Faso, Mali et Niger sont aussi membres avec 5 autres pays (Bénin, Cote d’ivoire, Guinée Bissau, Sénégal, et Togo), de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) qui est une organisation d’intégration économique et monétaire régionale établie par le Traité de Dakar du 10 janvier 1994. Parmi les objectifs de l’UEMOA on peut citer la création d’un marché commun avec la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux, du droit d’établissement aux personnes pour les activités libérales et les salariés ainsi que l’amélioration de la compétitivité, de la concurrence, et de la convergence des politiques économiques et sociale, de même que l’élaboration d’un tarif extérieur commun (TEC) à l’encontre des non-membres, et l’adoption d’une politique commerciale et des politiques sectorielles. A priori, aucune incompatibilité n’existe pour le moment entre l’AES et ‘l’UEMOA même si l’AES ambitionne d’être une union économique et monétaire à terme.
Quels seraient les avantages et inconvénients pour le Mali d’une monnaie nationale indépendante ?
Le futur Eco pourrait-il renforcer la souveraineté économique des pays africains ou simplement rebaptiser le FCFA ?
MMM : La création d’une monnaie nationale est une décision politique qui doit répondre à des impératifs techniques de fixation du taux de change (quantité de monnaie nationale qu’on peut échanger contre une unité de monnaie étrangère) pour faciliter les échanges avec les principaux partenaires commerciaux tout en assurant la stabilité des prix donc d’assurer le maintien du pouvoir d’achat des citoyens. La création d’une monnaie nationale implique la création d’un institut d’émission qui servira de banque centrale nationale. Celle-ci agira principalement comme une banque pour les banques commerciales en contrôlant les flux de monnaie et de crédits dans l’économie, de manière à assurer son premier objectif, en l’occurrence, la stabilité des prix.
Les banques commerciales pourront alors solliciter des prêts auprès de la Banque Centrale (des réserves de banque centrale), qui leur servira en grande partie à couvrir des besoins de liquidités à très court terme. Le principal instrument dont dispose la Banque Centrale pour réguler le crédit dans l’économie et pour contrôler la quantité de monnaie en circulation et, par conséquent, la demande de réserves de banque centrale émanant des banques commerciales, consiste à fixer les taux d’intérêt (le coût du crédit).
La création d’une monnaie doit se faire en fonction de la quantité et de la qualité de la production de biens et services dans notre économie et de nos échanges de biens et services avec nos principaux partenaires économiques et commerciaux. Il est surtout crucial d’avoir une banque centrale autonome qui aura les fonctions suivantes : assurer la stabilité des prix ; gérer les réserves officielles de change ; veiller à la stabilité du système bancaire et financier ; promouvoir le bon fonctionnement et assurer la supervision du système financier et bancaire ; et assurer la sécurité des systèmes de paiement.
La monnaie joue un rôle très important pour ce qui concerne les objectifs de la politique économique non seulement pour préserver le pouvoir d’achat des citoyens mais aussi pour les transactions économiques d’un pays avec les autres pays. Rappelons que la solidité d’une monnaie est établie selon les normes internationales lorsque les avoirs extérieurs nets (liquidités disponibles en or et devises) de la Banque Centrale peuvent couvrir 3 mois d’importations. Il est important de souligner que l’ECO sera une monnaie ouest africaine émise par une banque centrale fédérale dont le taux de change sera flexible et adossé à un panier de monnaies internationale. Les pays de l’Afrique de l’Ouest qui respecteront les critères de convergence macroéconomiques de la CEDEAO seront éligibles pour adopter l’EC0 en 2027 selon la CEDEAO.
Quel rôle le secteur privé peut-il jouer dans cette transition monétaire et financière ?
MMM : Afin d’accélérer l’intégration régionale et le développement de nos pays, la politique monétaire ne peut se substituer à une politique de développement holistique et durable. Les pays de l’UEMOA doivent donc continuer à améliorer la viabilité des finances publiques et financer davantage les économies nationales. Le secteur privé est un moteur de la croissance économique, cependant il fait face à des difficultés de financement surtout pour les investissements nationaux ou sous régionaux. Il importe donc de mobiliser l’épargne à travers la création des marchés financiers et baisser les taux d’intérêt et augmenter la durée des prêts auprès des banques et établissements financiers pour ce qui concerne le financement des investissements productifs mais aussi sociaux et environnementaux.
Enfin, pensez-vous que les citoyens comprennent vraiment les enjeux autour du FCFA ?
MMM : La BCEAO est l’Institut d’émission commun des Etats membres de l’UMOA et de l’UEMOA, chargé notamment d’assurer la gestion de leur monnaie commune, le Franc de la Communauté Financière Africaine (FCFA), de leurs réserves de change et de mettre en œuvre la politique monétaire commune. L’Accord de Coopération monétaire signé entre l’UMOA et la France en décembre 1973 a été modifié en décembre 2019 avec des révisions importantes y compris la fermeture du compte d’opérations de la BCEAO auprès du trésor français. La France devient toutefois le garant de dernier ressort du FCFA pour assurer la convertibilité illimitée du FCFA en euro et maintenir sa parité fixe avec l’euro, cependant les représentants français ne siègent plus dans les organes de gouvernance de la BCEAO (conseil d’administration, comité de politique monétaire et commission bancaire). Notons par ailleurs que la pérennité des accords de coopération monétaire après la mise en place de l’euro est garantie par la décision du conseil européen du 23 novembre 1998 n° 98/683/CE “concernant les questions de change relatives au franc CFA et au franc comorien”.
