Lutte contre le Sida : Des avancées indéniables mais un financement incertain

À l’occasion du lancement, le 1ᵉʳ décembre 2025, du Mois national de lutte contre le VIH - Sida, la situation…

Bapha

À l’occasion du lancement, le 1ᵉʳ décembre 2025, du Mois national de lutte contre le VIH – Sida, la situation révèle une riposte marquée par des progrès réels mais fragilisée par la crise du financement extérieur. La baisse de la prévalence, l’amélioration de la prise en charge et le renforcement des capacités nationales contrastent aujourd’hui avec des menaces persistantes.

Depuis le début des années 2000, la lutte contre le VIH au Mali s’est progressivement structurée autour de politiques publiques plus efficaces, de l’implication active de la société civile et de l’appui constant des partenaires techniques et financiers. Cette dynamique collective a permis de réduire significativement la mortalité, d’améliorer l’accès au dépistage, de renforcer les services de prévention et d’augmenter le nombre de personnes sous traitement antirétroviral.

La prévalence au Mali, autrefois préoccupante, a régulièrement reculé, passant de 1,3% en 2010 à 0,76% en 2024. Cette évolution traduit les progrès accomplis dans la sensibilisation, la prévention et la prise en charge. Parallèlement, la couverture thérapeutique a connu une progression notable, passant de 5% au début des années 2000 à 68% aujourd’hui. La mortalité liée au VIH a quant à elle diminué d’environ 60% en vingt ans.

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Lors de la cérémonie du 1ᵉʳ décembre, le Secrétaire général de la Présidence, Dr Alfousseyni Diawara, a salué ces avancées, affirmant que le pays avait accompli des progrès considérables, tout en soulignant que l’épidémie était concentrée au sein de groupes vulnérables, ce qui exige une vigilance constante.

Il a rappelé que la réduction de la prévalence, la baisse des décès et le recul des nouvelles infections montrent que la majorité des personnes vivant avec le VIH connaissent désormais leur statut, sont traitées et vivent mieux.

Malgré des résultats encourageants, les autorités reconnaissent que des poches de vulnérabilité persistent et qu’il reste beaucoup à faire pour consolider les acquis et éliminer le Sida comme problème de santé publique dans les prochaines années.

Une épidémie maîtrisée mais toujours présente

Le Mali se distingue par une prévalence relativement faible, comparée à certains pays de la sous-région, mais l’épidémie reste significative dans plusieurs groupes de population, notamment les femmes, les jeunes et les enfants.

Le Secrétaire exécutif du Haut Conseil national de lutte contre le Sida (HCNLS), Dr Ichiaka Moumine Koné, a rappelé lors de la cérémonie qu’il fallait garder en tête une double réalité : celle des progrès indéniables et celle de la fragilité persistante de la riposte.

Il a indiqué que 62% des adultes séropositifs au Mali sont des femmes et que le pays a enregistré en 2024 un total de 4 003 nouvelles infections, contre 5 800 en 2022. Les décès liés au VIH ont également diminué, passant de 4 300 en 2022 à 3 236 en 2024.

Sur les 111 000 personnes vivant avec le VIH recensées dans le pays, 75 000 sont aujourd’hui sous traitement. Toutefois, les performances de la cascade 95-95-95 restent insuffisantes, avec 71% des personnes connaissant leur statut sérologique, 68% sous traitement et 58% présentant une charge virale supprimée. Les écarts sont particulièrement marqués chez les enfants, dont seulement 56% sont sous traitement et 49% ont une charge virale contrôlée.

L’un des défis majeurs est la prévention de la transmission mère-enfant (PTME). En 2024, sur 4 361 femmes enceintes séropositives attendues dans les structures de santé, seules 2 003 ont été mises sous traitement, soit une couverture de 46%.

Selon Dr Koné, cette situation reflète des efforts réels mais également des limites structurelles à surmonter, notamment en matière de prévention, de prise en charge pédiatrique et de protection de la femme enceinte.

La stigmatisation, les pesanteurs sociales, les lourdeurs administratives dans la chaîne d’approvisionnement et l’insuffisance du dépistage ciblé chez les jeunes et les femmes continuent de freiner la riposte. Le Mali bénéficie néanmoins d’un cadre multisectoriel dynamique, d’un tissu associatif actif et d’avancées significatives dans l’accès au dépistage et au traitement.

En 2025, le HCNLS a ainsi conduit plusieurs actions majeures : promotion du dépistage et de la connaissance du statut sérologique, extension et renforcement des sites de prise en charge pédiatrique, amélioration du diagnostic précoce et des laboratoires et intensification du dépistage parmi les femmes en âge de procréer et dans les services de santé reproductive.

Le renforcement continu des structures de prise en charge s’est traduit par l’amélioration des équipements, l’élargissement de l’offre thérapeutique et la disponibilité des médicaments pédiatriques. Par ailleurs, plusieurs organisations communautaires soulignent que l’implication des associations de personnes vivant avec le VIH a joué un rôle déterminant dans l’amélioration du suivi, la réduction de l’abandon de traitement et la sensibilisation des populations rurales, encore confrontées à des barrières sociales et géographiques importantes.

Un contexte mondial qui fragilise les acquis

Les progrès réalisés par le Mali interviennent dans un environnement international marqué par un recul du financement de la lutte contre le VIH. De nombreux pays d’Afrique subsaharienne subissent déjà les effets de coupes budgétaires importantes. La réduction progressive des financements américains, notamment ceux de l’Agence américaine pour le développement international et du programme PEPFAR, a également pesé lourdement sur les services de prévention, de dépistage communautaire et de prise en charge pédiatrique, traditionnellement soutenus par ces partenaires.

À l’échelle mondiale, près de 2,5 millions de personnes ont été privées de médicaments de prophylaxie pré-exposition et les programmes de prévention connaissent une pression croissante. Les projections indiquent que 3,3 millions de nouvelles infections supplémentaires pourraient survenir d’ici 2030 si cette tendance se poursuit.

Le Mali, dont plus de 80% du financement de la riposte dépend de partenaires extérieurs tels que le Fonds mondial, est particulièrement vulnérable à cette situation. « Cette dépendance fragilise notre capacité de planification à long terme et nous expose aux fluctuations des aides internationales », alerte Dr Koné.

Cette vulnérabilité menace la continuité de nombreux programmes essentiels : dépistage communautaire, prise en charge pédiatrique, prévention ciblée chez les jeunes et les femmes, approvisionnement en antirétroviraux et tests de diagnostic. L’une des principales inquiétudes est que les avancées scientifiques et techniques des dernières années ne puissent être maintenues faute de ressources. Cette incertitude pèse également sur les programmes de formation du personnel de santé, dont la mise à jour des compétences constitue pourtant un maillon essentiel pour maintenir la qualité de la prise en charge dans tout le pays.

Vers une riposte souveraine et durable

Face à ce contexte, la question du financement endogène s’impose comme une priorité stratégique. Le thème retenu pour le mois national de mobilisation 2025, « Sida, crise de financement extérieur, une opportunité pour promouvoir le financement souverain », traduit pleinement cette orientation. « Si la solidarité internationale est précieuse, notre lutte pour la santé de notre peuple ne peut plus reposer uniquement sur l’aide extérieure. Il est temps de faire du financement souverain un pilier de notre riposte », souligne Mme Djiré Mariam Diallo, Maire de la Commune III du District de Bamako.

Pour le Haut Conseil national de lutte contre le Sida également, cette crise doit être transformée en levier d’action. « Nous ne pouvons plus considérer la crise financière extérieure uniquement comme un choc négatif. Elle doit devenir une opportunité de rationaliser, réorienter et nationaliser notre riposte », insiste Dr Koné. Cette vision exige une refonte des mécanismes nationaux, un engagement renforcé de l’État, une gestion optimisée des ressources et une meilleure intégration de la lutte contre le VIH dans les systèmes de santé.

La ministre de la Santé et du Développement social, le Colonel-Major Assa Badiallo Touré, partage cette analyse. Selon elle, la raréfaction du financement constitue un obstacle majeur qui menace les progrès, mais « nous devons tout mettre en œuvre pour lui opposer des mécanismes et des sources de financement innovants ». Elle rappelle que le ministère a déjà élaboré plusieurs documents normatifs, renforcé les plateaux techniques et décentralisé les soins pour améliorer l’accès aux services.

Protéger les avancées scientifiques et consolider la riposte

Les innovations récentes dans la prévention et le traitement ont renforcé l’efficacité de la lutte contre le VIH. De nouveaux médicaments offrent davantage d’options préventives et thérapeutiques, tandis que l’intégration progressive de la prophylaxie pré-exposition et des autotests dans les systèmes nationaux a contribué à réduire les risques d’infection.

Selon plusieurs observateurs, le Mali doit impérativement maintenir l’accès à ces outils, car l’épidémie reste présente et les nouvelles infections touchent encore plus de 4 000 personnes par an. Le pays se trouve aujourd’hui à un moment décisif, où la qualité de la riposte dépendra de sa capacité à préserver les avancées, surmonter la crise financière et construire une véritable souveraineté sanitaire.

Pour garantir une réponse durable, les autorités doivent intensifier les efforts dans le dépistage communautaire, l’accompagnement des jeunes, la réduction de la transmission mère-enfant et la prise en charge pédiatrique. La consolidation des acquis passe également par une meilleure articulation entre les structures nationales, les collectivités, la société civile et les partenaires techniques, afin de renforcer une réponse plus intégrée, résiliente et équitable.

Comme le rappelle Dr Alfousseyni Diawara, la lutte contre le Sida exige de renforcer les capacités locales, de soutenir la recherche, d’améliorer la logistique et de garantir la disponibilité continue des antirétroviraux. La pérennité de ces progrès dépendra enfin de la capacité collective à anticiper les ruptures de financement, à renforcer la mobilisation citoyenne et à inscrire durablement la lutte contre le VIH au cœur des priorités nationales.

Mohamed Kenouvi

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