Politique




MINUSMA : 10 ans après, à la croisée des chemins

Le 25 avril 2013, quand le Conseil de sécurité de sécurité des Nations unies adoptait la résolution 2100 créant la…

Le 25 avril 2013, quand le Conseil de sécurité de sécurité des Nations unies adoptait la résolution 2100 créant la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (Minusma), il misait sur un retour rapide à la paix dans un pays en proie à une instabilité sans précédent. 10 ans après, la Minusma est toujours présente, soumise aux multiples évolutions d’une crise à rebondissements qui, à bien des égards, ont fini par impacter son efficacité. Entre avancées et doutes, retour sur une décennie de présence onusienne au Mali.

L’histoire entre la Mission onusienne et le Mali pourrait se résumer aujourd’hui à celle d’un couple au bord du divorce. Le grand amour des débuts d’un « mariage en grande pompe » s’est dissipé au fil des années, sur fond de malentendus qui ont fini par faire voler en éclats la confiance mutuelle. Résultat, après 10 ans de chemin commun, jamais les deux partenaires n’ont autant frôlé la séparation. Renouvellement du mandat en juin dernier sur fond d’incompréhensions entre le gouvernement malien et le Conseil de sécurité, restrictions de la liberté de déplacement de la Mission sur le territoire national, contestations publiques des rapports à la tribune des Nations unies, entre autres.

D’ailleurs, une certaine opinion publique malienne favorable à un départ pur et simple de la Mission onusienne du Mali n’a cessé de se faire entendre ces dernières années, même si elle contraste avec le soutien que continue de lui apporter une partie des populations du Nord auprès de laquelle la Minusma intervient principalement, notamment à Gao ou à Tombouctou.

Le Mouvement Yèrewolo Debout sur les Remparts, après sa lettre adressée en août 2022 aux responsables de la Mission et d’autres petites actions menées, entend hausser le ton lors d’un meeting ce 28 avril 2023. Le slogan demeure le même, « Minusma dégage ! ».

L’analyse, par ailleurs, des résultats de l’enquête d’opinion « Mali-Mètre 2022 » de la Fondation Friedrich Ebert montrait que plus de la moitié de la population malienne n’était pas satisfaite de la Minusma, avec « 14% plutôt insatisfaits et 45% très insatisfaits ».

Un bilan « mitigé » 

La Minusma est poussée vers la sortie par certains Maliens et doit aujourd’hui faire avec les restrictions de mouvements imposées par les autorités de la Transition. Environ 24,1% des autorisations de vols d’hélicoptères et drones ont été récemment refusées. Le gouvernement l’impute au non-respect des procédures convenues. Elle aura pourtant réussi durant cette décennie de présence dans le pays à atteindre des résultats.

« Pour moi, le bilan n’est pas négatif. Quand on parle de la Minusma, il ne faut pas seulement voir le volet sécuritaire. Il y a d’autres volets, comme le politique, le judiciaire, l’humanitaire, entre autres », soutient Abdoulaye Tamboura. Pour ce géopolitologue, le bilan de la Mission onusienne au Mali durant ces dix dernières années est plutôt mitigé. Si certains Maliens estiment qu’il est négatif, ce n’est pas le cas des acteurs de la Minusma, même si beaucoup reste à faire. Le sentiment d’insatisfaction des populations maliennes vis-à-vis de la Minusma, explique-t-il, est lié à son mandat, jugé non adapté mais qu’elle ne peut pas outrepasser.

Hamadoun Touré, ancien ministre et ancien Porte-parole de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) abonde dans le même sens. « Ce qui est fait dans le bilan de la Minusma ne correspond pas avec ce qui était attendu de la part des populations maliennes. Ces dernières pensaient que la Minusma allait venir tout régler, remettre juste les  clés du Mali au Maliens et partir, ce qui ne s’est pas passé durant ces 10 ans », glisse-t-il. Les deux  analystes s’accordent sur un  acquis important à mettre à l’actif de la Mission onusienne : la fin de la belligérance entre l’État malien et les ex-rebelles. En effet, depuis le cessez-le feu de 2014, les armes ont été mises de côté pour laisser une chance à l’Accord pour la paix signé en 2015, même si celui est de plus en plus fragile ces dernières semaines.

Pour la Porte-parole de la Minusma, Fatoumata Sinkou Kaba, le bilan de ces 10 ans de  présence au Mali est positif sous l’angle de la mise en œuvre des mandats successifs, malgré « une conjoncture internationale défavorable, avec des ressources humaines et financières de plus en plus réduites pour répondre aux besoins de plusieurs foyers de tension ».

« La mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation a permis de stabiliser les régions du Nord. Il demeure l’instrument par excellence pour le retour de la paix au Mali. Aujourd’hui, dans des villes comme Gao et Tombouctou, les habitants jouissent à nouveau de leur liberté de circulation, y compris au-delà, notamment les jours où des foires hebdomadaires se tiennent dans les localités environnantes. La reprise du commerce est un signe d’un retour relatif de la paix », argue-t-elle. Outre cet aspect, la nouvelle Porte-parole liste les réalisations de la structure, qu’elle a rejointe en février dernier, en remplacement du Français Olivier Sagaldo, expulsé du Mali quelques mois plus tôt.

Réduction des violences entre communautés au Centre du Mali, sécurisation des routes principales, notamment la RN15, revitalisation des Commissions foncières (COFO) dans les régions du Centre pour réduire les violences liées au foncier, mise en œuvre de projets à impact rapide et d’autres, plus structurants, financés à travers le Fonds fiduciaire pour la paix et la sécurité au Mali, formation des Forces de défense et de sécurité maliennes… La liste est loin d’être exhaustive.

Avenir fragilisé ?

À deux mois d’un éventuel renouvellement de son mandat pour une année supplémentaire, difficile de prévoir la durée de vie restante de la Minusma. Autant les signaux d’une « mort programmée » de la Mission onusienne sont réunis depuis quelques mois, autant, les différentes parties (l’État malien et le Conseil de sécurité des Nations Unies) ne semblent pas prêtes à « l’enterrer ».

Mais le retrait des forces internationales, qui avaient contribué à la protection des camps et des secteurs, et le fait que les moyens aériens critiques prévus dans le plan d’adaptation de la force « continuent de faire défaut », ainsi que les « restrictions non déclarées » font débat. À cela il faut ajouter le retrait imminent de plusieurs pays contributeurs, dont l’Allemagne, la Côte d’Ivoire, le Bénin ou encore l’Égypte, qui a suspendu sa participation. Dans un récent  rapport soumis au Conseil de sécurité pour un examen interne de la Minusma, le Secrétaire général António Guterres fait trois propositions pour une reconfiguration future de la Mission. Selon le document, la première consiste à augmenter les capacités (Soit environ 2 000 ou 3 680 membres du personnel en tenue supplémentaires), de manière à permettre à la Mission d’exécuter son mandat dans son intégralité dans tous les secteurs où elle est déployée.

La seconde veut continuer de se concentrer sur les priorités stratégiques, avec une présence consolidée pour soutenir les priorités actuellement prescrites dans le mandat de la Mission ou alors dans les limites de l’effectif maximum autorisé, l’accent étant mis principalement sur le soutien à l’application de l’Accord pour la paix et la réconciliation.

Enfin, la troisième proposition, plus drastique que les deux premières : retirer les unités en tenue et transformer la Mission en mission politique spéciale, parce que « l’élargissement du mandat de la MINUSMA en 2019, sans que des capacités supplémentaires lui soient accordées, a mis la Mission à rude épreuve. La situation actuelle est intenable », alerte  António Guterres.

« En l’absence d’une composante Personnel en tenue, la Mission ne serait pas en mesure de maintenir une présence civile hors de Bamako, en raison des menaces asymétriques. Elle consoliderait en conséquence sa présence à Bamako et pourrait continuer d’apporter son soutien au dialogue politique et à la réconciliation, au renforcement des capacités de gouvernance et à la surveillance, à la promotion et à la protection des droits humains et encourager le rétablissement de l’autorité de l’État », explique le Secrétaire général.

Une telle reconfiguration pourrait bien permettre à la Minusma d’échapper à sa perception par les populations de « force d’occupation », résultat selon l’ancien porte-parole de l’Onuci, Hamadoun Touré, de sa longue durée, « ennemie de toute mission de paix ».