Miguel Marteau : « Notre projet impacte 560.000 villageois dans la région de Sikasso »

UDUMA. Retenez bien le nom de cette entreprise. Entreprise sœur  de VERGNET HYDRO, filiale du Groupe ODIAL SOLUTIONS, elle propose un service innovant d’accès à l’eau potable pour les populations rurales de l’Afrique Subsaharienne. Après avoir initié un projet test au Burkina Faso, UDUMA vient de décrocher son premier grand contrat. L’entreprise va en effet prendre en gestion 1400 pompes à eau manuelles, s’appuyant sur une  technologie innovante, dans la région de Sikasso. De passage à Bamako pour le 19ème congrès international et exposition de l’Association africaine de l’eau, le responsable marketing de l’entreprise  Miguel Marteau a bien voulu accorder un entretien au Journal du Mali, dans lequel il évoque notamment le projet.

Décrivez-nous le projet ?

L’accès à l’eau potable est un droit fondamental, 400 millions de ruraux n’y ont cependant pas accès en Afrique. Aujourd’hui on estime que la moitié du million  de pompes installées sur des forages en Afrique subsaharienne ne fonctionne pas. Nous souhaitons répondre à cette situation en proposant aux villageois de payer l’eau à la pompe, en fonction des volumes consommés. UDUMA s’appuie sur des innovations technologiques (compteurs adaptés, système de transmission de données, carte de prépaiement) pour collecter efficacement données et recettes, même dans les zones les plus isolées. Le système de paiement électronique développé par UDUMA est unique. Concrètement, lorsque la villageoise souhaite se servir en eau, elle s’adresse à la fontainière (responsable de sa pompe et rémunérée directement en fonction du volume d’eau consommée à sa pompe). Pour acheter de l’eau, nul besoin de cash. Nous avons une carte UDUMA qui y est complètement dédiée. Dans le cas où votre carte n’a plus de crédit, vous devez vous rendre dans une boutique certifiée. Le kiosquier recharge la carte de manière magnétique sur son terminal et vous pourrez ensuite en disposer. Nous avons également un artisan réparateur  qui assure la continuité du service et la maintenance.  Il est en charge de 10 à 15 pompes.  Il a aussi un terminal qui prend les informations de la pompe et a un regard sur l’ensemble des transactions effectués sur le terminal de la fontainière. C’est un système où il est impossible de tricher. Nous proposons un accès continu en l’eau. Notre système participera à l’amélioration de la santé en zone rurale, créera des emplois, réduira la pauvreté tout en garantissant une transparence totale dans la gestion de l’eau.

Sikasso est le premier gros contrat de notre jeune entreprise. Nous prenons actuellement en gestion 1400 pompes, recrutons donc 1400 fontainières et une cinquantaine d’artisans réparateurs.  560.000 villageois vont pouvoir bénéficier de ce nouveau service. Les premières pompes seront inaugurées au mois d’avril.  Nous nous sommes engagés sur deux principaux points avec l’État du Mali. Premièrement le prix de l’eau ne peut pas dépasser 500FCFA/m3 ( le seau de 10l à 5F) et, en second lieu les pannes de pompes ne peuvent dépasser 72h.

Pourquoi avoir choisi spécifiquement la région de Sikasso ?

Un projet comme celui-ci c’est 5 millions d’euros. Nous nous engageons sur 15 ans. Un million d’euros est dédié à la sensibilisation. Ce volet est sous-traité à une ONG néerlandaise, SNV-Mali. La région de Sikasso a été ciblée du fait de l’histoire et de la connaissance de l’ONG dans cette région.

Votre système par cartes ne sera-t-il pas un blocage pour cette population rurale ?

Même si le pouvoir d’achat peut être très faible, lorsque l’on propose un service de qualité, généralement tout le monde s’y retrouve. Observez le succès de la téléphonie mobile auprès de ces mêmes populations rurales.

Peut-on parler de concurrence avec la SOMAGEP ?

Non. Nous sommes plutôt complémentaires. Nous ne touchons jamais à l’urbain, c’est vraiment dans le rural que nous œuvrons. A l’heure actuelle, nous n’avons pas de concurrent. Historiquement nous sommes en effet le premier opérateur privé à proposer ce service, pas seulement au Mali mais dans toute l’Afrique Subsaharienne.

Au-delà de Sikasso, d’autres projets en vue au Mali?

Oui bien sûr. On a déjà démontré que notre démarche fonctionne au Burkina Faso. Avec l’expérience de la région de Sikasso, nous allons très rapidement démontrer la qualité et la pertinence de notre démarche. Le projet est voué à faire des petits sur d’autres territoires au Mali, mais aussi ailleurs.

 

 

Sylvain Usher, Directeur exécutif de l’AAE : « 40% de la population africaine n’a pas accès à l’eau potable »

Bamako accueille ce dimanche le dix-neuvième congrès de l’Association Africaine de l’Eau (AAE) sur le thème « accélérer l’accès à l’eau potable et à l’assainissement face aux défis du changement climatique ». L’occasion pour le directeur exécutif de l’organisation de faire un état des lieux des défis encore nombreux à relever.

Journal du Mali: L’accès à l’eau potable et au service d’assainissement constitue un défi dans plusieurs villes en Afrique. Quelles sont les principales difficultés à cet accès?

La situation n’est pas très reluisante en matière d’accès à l’eau potable en Afrique. Le lien entre approvisionnement fiable en eau potable et la réduction de la pauvreté est bien documenté et n’est plus à démontrer, et le gouvernant devrait tenir compte de cet aspect pour intensifier les investissements dans le secteur.  Près de 40% de la population du continent n’a pas accès à cette ressource. Certes des progrès importants ont été  accomplis pour améliorer l’accès à  l’eau en Afrique subsaharienne. En effet au cours des 20  dernières années, plus  de  230  millions  de  personnes ont  pu accéder à l’eau potable. Néanmoins avec  l’urbanisation rapide sur le continent et une population de près de 1 milliard, l’approvisionnement en eau en Afrique subsaharienne a eu du mal à suivre l’évolution de la demande.  Les  taux  de  couverture en  eau  potable n’ont  augmenté que de 11% au courant de la même période.

Mais il n’y a pas que les défis liés à l’accès à l’eau. Aujourd’hui une des préoccupations majeures est l’accès à l’assainissement. En effet en Afrique subsaharienne, il est plus courant d’avoir un téléphone mobile que d’avoir accès à des toilettes. Le manque d’accès à l’assainissement est l’un des facteurs les plus aggravants de la propagation des maladies dites d’origine hydriques. Les toilettes jouent un rôle crucial dans le développement d’une économie forte. Dans les pays en développement en général et en Afrique En particulier, l’accès à un assainissement adéquat reste un luxe pour une grande partie de la population. Ainsi, 2,4 milliards de personnes dans le monde dont 700 millions en Afrique subsaharienne, n’ont pas de service adéquat d’assainissement.

A quoi sont dues ces difficultés ?                                                                    

Ces chiffres continuent d’augmenter en fonction de la croissance démographique. Au cours des 15 dernières années, la population urbaine d’Afrique subsaharienne a presque doublé. Dans la même période, les interventions pour améliorer l’assainissement dans cette partie de l’Afrique ont atteint seulement moins de 20% de la population. Le manque d’investissements dans le secteur est l’une des principales difficultés. Les réseaux de distribution d’eau dans nos villes africaines sont non seulement vieillissants, mais ils n’atteignent pas l’ensemble des populations faute de plans directeurs précis pour l’agrandissement des villes  et les ressources en eau s’amenuisent dans certaines contrées  à cause de l’utilisation que nous faisons de cette ressource. Beaucoup trop de gaspillage. Pour ce qui concerne l’assainissement le problème est encore plus grave, car les villes se sont développées sans tenir compte de l’assainissement et maintenant il faut rattraper le retard en trouvant des solutions innovantes et des modèles économiques viables pour faire face à ce déficit.

Quelles sont les moyens pour faire face à ces difficultés ?

Il faut déjà que les populations changent de comportement vis-à-vis de cette ressource qui se raréfie. Il faut éviter le gaspillage de l’eau, il faut en faire une utilisation rationnelle. Mais ce gaspillage n’est pas seulement l’affaire des populations. Les opérateurs du secteur de l’eau doivent aussi faire un effort pour rationaliser leurs opérations et éviter les pertes d’eau dans leur réseau et améliorer leur rendement. Et cela passe inéluctablement par un renforcement des capacités des Sociétés de production et de distribution de l’eau.  Pour ce qui concerne l’assainissement aujourd’hui le constat est qu’une prise de conscience est en train de s’installer en Afrique et de plus en plus nous assistons à la création de structures gouvernementales directement dédiées à la gestion du secteur de l’assainissement. Une plus grande part des budgets des gouvernements devrait être concentrée sur la gestion de l’assainissement. Et il faut croire après l’échec total pour l’atteinte des Objectifs de Développement du Millénaire (OMD – 2000/2015) en matière d’assainissement pour l’Afrique, qu’avec les nouveaux Objectifs de Développement Durable (ODD – 2015/2030) la situation devrait connaitre une amélioration substantielle.

Le Thème du  19ème congrès de l’Association Africaine de l’eau, est « accélérer l’accès à l’assainissement et à l’eau pour tous, face aux défis du changement climatique ». Quelles mesures préconiser-vous pour faire face à ces nouveaux défis ?

Il faut d’abord noter qu’il est temps que les pays africains prennent conscience des réalités de l’existence du changement climatique et surtout des effets négatifs que ce changement apporte au quotidien des populations. Ce changement climatique affecte non seulement  les ressources en eau, mais aussi la gestion de l’assainissement. D’où le thème de la 19ième édition du Congrès international et exposition de l’Association Africaine de l’eau. Le congrès de Bamako a la particularité de mettre en exergue pour la première fois dans l’histoire de l’AAE le secteur de l’assainissement sous toutes ses facettes, s’agissant des aspects techniques avec la gestion de l’assainissement autonome et des boues vidange ainsi que l’étude du financement de manière durable de ce secteur et aussi l’exploration des cadres institutionnels propices au développement rapide et soutenu de l’assainissement en Afrique, sans oublier les aspects des impacts négatifs du changement climatique  . Nous sommes certains que ce congrès pourra donner un coup de fouet important pour la prise en compte de l’assainissement et particulièrement l’assainissement autonome dans les stratégies de politiques de développement de nos États Africains.  Le secteur de l’eau potable n’est bien sûr pas en reste. De nombreuses communications seront partagées et discutées au niveau des experts africains et des autres continents.

Qu’est- ce que l’Association préconise pour atteindre l’objectif de l’accès universel à l’eau et à l’assainissement ?

Nos objectifs stratégiques sont avant tout d’accompagner nos membres dans leurs efforts pour atteindre les objectifs de développement durable, de promouvoir une approche équilibrée des entreprises basée sur une gouvernance d’entreprise saine et une bonne commercialisation du produit. Nous visons également à promouvoir les partenariats entre les membres, à soutenir les efforts de plaidoyer auprès des gouvernements et des institutions africaines, enfin à renforcer la capacité des services et à soutenir la recherche et la production scientifique. Pour l’AAE la réponse à tous ces défis commence par le renforcement des capacités des opérateurs. Ceci est l’objectif que nous cherchons à atteindre par la mise en place de divers programmes de renforcement de capacités soutenus par nos partenaires financiers. La majeure partie des programmes de renforcement de capacité de l’AAE est basée sur le partenariat entre opérateurs dans lequel les meilleurs dans des domaines spécifiques forment ceux qui ont sollicité un renforcement de capacité  dans ces domaines.

Ainsi, les Partenariats des Opérateurs de l’Eau (WOP Africa) et les Partenariats des opérateurs de l’Assainissement (SOP Africa) visent à renforcer les capacités et à transférer les connaissances pour l’amélioration de l’accès à l’eau potable et au service d’assainissement aux populations africaines.