L’État malien manque-t-il d’argent ?

Depuis début octobre, les informations se suivent concernant l’éventuelle incapacité du gouvernement à faire face à certaines sollicitations financières.  À la correspondance du Secrétariat général de la Présidence adressée au personnel, relative à la suspension de la dotation en carburant, s’ajoutent la subvention impayée au  groupement des  professionnels du gaz butane et celle des promoteurs des écoles privées, toujours fermées. Au même moment, le bras de fer entre l’État et les magistrats sur l’amélioration de leurs conditions de vie se poursuit.  Les caisses  sont-elles vides ?

2 330,778 milliards de francs CFA. Tel était le budget prévisionnel en dépenses de l’État en 2018. Des grands axes sont inclus dans ce chiffre, notamment la Loi de programmation militaire, la Loi de programmation du secteur de la sécurité intérieure, la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation et l’allocation de 15% au secteur du développement rural. La somme devait servir au fonctionnement de l’État et aux investissements de celui-ci. Alors que l’année n’est pas encore bouclée, certaines se demandent de plus en plus si les caisses de l’État ne sont pas à la peine.

Suspicions

Depuis octobre, certains signes laissant croire à des difficultés financières de l’État apparaissent. Dans une lettre en date du 8 octobre, le Secrétaire général de la Présidence notifiait au personnel de l’institution la suspension de la dotation hebdomadaire en carburant, ajoutant que la « situation reviendrait à la normale sitôt que les contingences financières seront améliorées ». Une information rare, qui a suscité des interrogations sur la santé financière du pays, d’autant que le budget alloué à cette structure n’a pas été revu à la baisse. Ce n’est pas tout. Dans un courrier en date du 25 septembre, le Groupement des professionnels du gaz domestique (Sodigaz, Fasogaz et Sigaz) informe le ministre de l’Économie et des finances de l’arrêt de l’importation et de la distribution du gaz butane. Le groupement rappelle le retard accusé sur le règlement de sa subvention. La somme impayée s’élèverait à 3,584 milliards de francs CFA, « y compris les crédits non engagés faute de budget disponible à cet effet ». Depuis, le syndicat est dans l’attente; sans importer de gaz ni aller en grève. Les conséquences de cet arrêt impactent les consommateurs et, au même moment, le prix du gaz flambe de façon clandestine sur le marché. À ces problèmes en suspens s’ajoute le mécontentement de l’Association des promoteurs des écoles privées agréées du Mali, en grève depuis le début de la rentrée scolaire pour non-paiement des subventions par l’État. Depuis plusieurs mois déjà, le Syndicat autonome de la magistrature (SAM) et le Syndicat libre de la magistrature (SYLMA) sont en grève illimitée pour exiger la relecture du statut des magistrats et la revalorisation de la grille salariale avec un indice 3 500.

Toutes ces situations sont réelles et les spéculations sur l’utilisation abusive des ressources de l’État lors de la campagne présidentielle vont bon train. « Lors de la présidentielle, on a utilisé l’argent comme on le voulait pour que le Président soit réélu. Les fonds distribués sont sortis de la caisse, mais ce n’était pas prévu », estime Zoumana Fomba, comptable de formation. Pour l’organisation de la présidentielle et des législatives, maintes fois reportées, la Loi des finances avait pourtant prévu environ 45 milliards de francs CFA. Seuls 28 milliards auraient été utilisés pour la présidentielle, assure une source sous anonymat.  

Phénomène récurrent?

« Personne ne peut nier qu’il y a des difficultés, surtout vers la fin de l’année. Ce n’est pas au Mali seulement, c’est partout », concède une source voulant rester discrète. Mais elle ne rejette pas en bloc toutes les hypothèses énoncées. Selon la même source, tous les promoteurs des écoles privées des les régions ont reçu leurs subventions. Sur 32 milliards d’arriérés, 25 milliards auraient été versés. Le reliquat de plus de 6 milliards pour les 665 établissements privés du District de Bamako serait en suspens en attendant la fourniture des états de payements individuels par  les promoteurs. Mais le Secrétaire général de l’Association des écoles privées agrées du Mali (AEPAM), Abdoul Kassoum Traoré, désapprouve la procédure mise en place. « Le payement doit être intégral. La première tranche devait être payée au mois de mars et la deuxième en mai, mais nous sommes aujourd’hui fin octobre sans avoir rien touché ». Selon lui, les pièces justificatives demandées par le Trésor ne sont « qu’une diversion ». « On nous a demandé de produire des états de payement individuels alors qu’il y avait un accord de principe différent. C’est à la dernière minute qu’ils nous ont demandé de les déposer. Malgré tout, à la date du 2 octobre, toutes les écoles avaient fourni leurs états », se défend t-il.  «Dès demain, si on nous paye, nous allons reprendre le service », poursuit-il, indiquant vouloir éviter les « discussions stériles ».

Pour Khalid Dembélé, économiste au Centre de recherche et d’analyse politique et économique (CRAPES),  les arguments selon lesquels l’État manque de fonds sont à prendre avec des pincettes. « Si on regarde la manière dont l’argent a coulé à flot pendant l’élection présidentielle, on pourrait soutenir cette thèse de manque d’argent, mais aucun poste ministériel n’a été supprimé et tous les fonctionnaires reçoivent leurs salaires ». Concernant le duel entre le gouvernement et les syndicats de magistrats, Khalid Dembélé déplore l’absence de discussions. « Il y a aujourd’hui une crise du dialogue entre l’Exécutif et les syndicats », constate-t-il. Au-delà même d’un possible manque de moyens, le Professeur d’université se demande aujourd’hui « si l’Exécutif à une culture de négociation et de persuasion, parce qu’il faut pouvoir amener les gens là où, au départ, ils ne voulaient pas aller », suggère-t-il. Les répercussions de ce débrayage interpellent pourtant. 

Budget mal réparti ?

Troisième économie de la zone UEMOA, le Mali enregistre une croissance annuelle de 5%. Malgré cela, toutes les couches socioprofessionnelles ne cessent de réclamer l’amélioration de leurs conditions de travail. Des sommes faramineuses sont réservés chaque année au fonctionnement des institutions et autres structures étatiques. « Il y a une bonne croissance économique, mais la répartition des  richesses n’est pas à hauteur de souhait. Les gens pensent  que l’État a de l’argent et qu’il refuse de le donner », analyse Khalid Dembélé, indiquant que la plus grande partie du budget est dévolue à une minorité : le Président, le Premier ministre et les députés. Ce qui pousse souvent les syndicats à être inflexibles dans leurs revendications. À titre d’exemple, le budget de fonctionnement du palais présidentiel est estimé à 12 milliards de francs CFA, et il y a 15 milliards pour l’Assemblée nationale et 12 milliards pour la Primature. « Ce n’est pas l’argent en soi qui est le problème, mais la façon dont il est réparti entre ceux qui participent à la création des richesses », estime le Professeur d’université. Pourtant, l’adoption du budget offre une photographie de toutes les dépenses de l’État  qui devront être effectuées pendant l’année. D’où la nécessité de moraliser les dépenses publiques et de lutter contre les détournements de fonds.

Nouvelle donne ?

En 2019, les dépenses s’élèveront  à 2 410 milliards de francs CFA, contre 2 331 milliards dans le budget 2018, soit une augmentation de 3,42%. Validé par le Conseil des ministres, ce budget n’a pas encore été adopté par les élus de la Nation. Mais cette hausse, en dehors des défis à relever, n’aura pas d’impact manifeste sur le quotidien des Maliens. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), plus de 4 millions de personnes sont menacées par la faim dans le pays et la situation d’insécurité dans le nord et le centre a déjà fortement éprouvé les populations.

Malgré les suspicions, l’État assure toujours le fonctionnement normal de ses services

Les établissements privés en grève de 72 heures

Après leur grève en mois d’octobre pour la faible orientation des élèves vers les établissements privés, l’Association des écoles privées agréés du Mali (AEPAM) est en grève de 72 h depuis hier mardi 7 mars 2017 pour réclamer l’augmentation des demi-bourses et les frais scolaires alloués par l’État.

Suite au non aboutissement des négociations avec les autorités de tutelle, l’association des écoles privées du Mali a décidé d’observer une grève de 72 heures, depuis mardi dernier. « Depuis les années 2000, les impôts se sont intéressés à ce secteur et fait aucune distinction entre les frais scolaires qui reviennent aux établissements et les demi-bourses qui constituent en réalité les deniers publics », explique Abdoul Kassoum Touré secrétaire général de AEPAM.

Pour lui les frais de formation payés aux établissements privés sont très faibles par rapport au coût de formation d’un établissement public tandis qu’il a été signifié aux promoteurs privés qu’ils ne pourront pas être alignés sur les coûts de formation alloués aux écoles publiques. Au niveau de l’enseignement secondaire général, l’État paye aux promoteurs d’école privées 80 000 FCFA par ans soit 6000 FCFA par mois, 90 000 FCFA pour le CAP tertiaire contre 420 493 pour les écoles publiques, 135 000 FCFA pour le BT industrie contre 694 415 FCFA pour les publiques et en BAC technique 135 000 FCFA contre 694 415 FCFA.

« Avec nos faibles effectifs, nous n’arrivons plus à faire face à nos dépenses, notamment le paiement des enseignants, les impôts, entre autres. Nous exigeons une augmentation des frais indiqués pour un meilleur accompagnement de l’État, ainsi que la reprise du cadre de concertation », explique un promoteur d’école. L’AEAPM dénonce une arnaque à son encontre, puisque, selon notre interlocuteur, on dit aux institutions que la demi-bourse et les frais scolaires se chiffrent entre 180 000 et 200 000 F CFA. Et pourtant, il n’est versé auprès des écoles qu’une somme d’environ 115 000 FCFA par élève. Ce dernier demande la réparation de cette injustice de la part de l’Etat en procédant au versement total des sommes déclarés auprès des institutions. « Les écoles privées jouent un rôle important dans le développement économique et social du pays, si rien n’est fait pour les soutenir le chômage va augmenter », ajoute-t-il.

Dans la rue, cette grève des promoteurs est décriée par les parents d’élèves qui estiment que c’est la grève de trop. « Ces promoteurs doivent comprendre que l’école est avant tout un milieu social pour éduquer les enfants du pays et non un marché pour gagner de l’argent », s’indigne Mme Diallo Mariam Traoré.

Au département de l’éducation, ou souligne que pour toute augmentation, il faut attendre la fin d’une étude recommandée par la Direction des finances et de Matériels (DFM) qui devrait déterminer les coûts réels de formation pour prendre des décisions.